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MÉMOIRES
DB
L'ACADÉMIE IMPÉRIALE
DES
SCÏKNCBS, ARTS FT BELLES-LKTTRES
CAEN,
III.
PRIX LE SAUVAGE.
L'Académie impériale des sciences, arts et belles-
lettres de Caen remet au concours le sujet suivant :
DU ROLE DES FEUILLES DANS LA VÉGÉTATION DES PLANTES.
L'Académie n'a voulu tracer aux concurrents aucun
programme : ce qu'elle désire avant tout , c'est un
ensemble de faits nouveaux^ bien constatés, à Tappui
de l'opinion soutenue par chaque concurrent.
Les concurrents devront adresser leurs mémoires
fratico d M. Julien Travers, secrétaire de l'Académie,
pour les concours de La Godre et Lair , avant le
1" janvier 1869; pour le prix Le Sauvage , avatit le
!«' janvier 1870.
Les membres titulaires de la Compagnie sont
exclus des concours.
Chaque mémoire devra porter une devise ou épi-
graphe , répétée sur un billet cacheté contenant le
nom et l'adresse de l'auteur.
Caen, le 2 avril iS6S.
Ijc Secrétaire de C Académie ,
2 _ AVEHTISSKMEîrr.
suflira d'effectuer deux ou trois additions fort simples,
pour obtenir approximativement , à toute époque
antérieure au l'' janvier 1900, la distance angulaire
du Soleil à Tune quelconque des planètes principales
de notre Système.
S'il veut ensuite rechercher cette planète sur la.
sphère céleste, il devra faire usage d'noe lunette
mobile dans un plan horaire quelconque , ou de
tout autre dispositif équivalent, à Taide duquel il
observera successivement le Soleil et la planète dans
lin même plan horaire , à un intervalle de temps
connu d'avance ; comme on peut le voir dans Tln-
troduction , où Ton a présenté des exemples.
Si la planète passe pendant la nuit au méridien
du lieu, les tables font connaître avec une faible
erreur l'heure de son passage , ainsi qu'on l'explique
à la fin de l'Introduction. L'observateur pourra donc
recourir à ce plan, et y attendre la planète.
introduction.
§ 2. Disposition des tables.
.La table désignée sous ce nom i*enferine la suite
des joui's de deux années communes consécutives ,
groupés par cinq , dix , cinquante et cent : de telle
sorte qu'à Tinspection seule de la table , on peut
supputer aisément le nombre de jours compris
entre deux dates d'une même année ou de deux
années consécutives.
A ce nombre il sufEt d'ajouter une unité, si le
29 février d'une année bissextile tombe entre les
deux dates considérées.
Les années sont bissextiles de quatre en quatre,
comme 1868, 1872, 1876, 1880, 1884, 1888, 1892,
1896, qui sont les seules à considérer ici. L'année
1900, par exception, n'est pas bissextile.
Nota. Le jour astronomique commence à midi du
jour civil qui porte la même date ; les heures s'y
comptent de la première à la vingt-quatrième.
On pourra, le plus souvent, sans recourir à la
tiible I , regarder la Terre comme passant à son
périhélie au commencement du 1*' janvier de chaque
année.
La table II renferme les valeurs de M et de N
calculées pour chaque jour , à partir de l'époque du
passage de la Terre à son périhélie. Les valeurs de
M sont approchées à un demi-degré , soit par excès,
6 iMi;unnTiuN.
5«ent , et leur disposition est plus simple que pour
les autres planètes, parce que, de 1865 à 1900,
Uninus et Neptune ne décrivent qu'une portion de
leur orbite , et parce que leur grand éloignement
du Soleil permet de ne pas tenir compte des varia-
tions de la valeur de K.
La table I fournit, du 1'^ janvier 1865 au !•' janvier
1900, les valeurs successives de Tuscension droite
héiiocentrique^ de 75 jours en 75 jours pour Uranus,
de 175 jours en 175 jours pour Neptune.
La table II donne la valeur de T qui répond à
toute valeur entière de S exprimée en degrés , et
comprise de 0*» à 180° ou de 180" à 360^
§ 3. Usage dks tables.
L'angle T ne dépassiint jamais deux angles droits ,
la planète précède le Soleil dans son mouvement
diurne quand l'anj^'le S est compris de 0** à 180° ; —
elle le suit quand Tangle S est compris de 180° à
360°.
VaHgie T 4w plaît Moralre 4w Soleil avee le p9mm
h^wmitfe ée Vtune item pianétew llerewre , Wémmm ,
Maw*m , MmpUew ow Sntmw*ne,
\. On consulte la première table relative à la
planète , et Ton calcule , à Taide du calendrier dé-
8 INTHOIKCTION.
dans la colonne répondant à la bonne valeur de K ,
on à la plus approchante.
D'ailleurs , si la bonne valeur de R ne se trouve
pas dans la table, elle tombe entre deux valeurs de
K qui s'y trouvent inscrites ; et alors on obtient une
valeur plus exacte de T , au moyen d'une interpo-
lation , comme on le verra plus loin.
«M Soleil , • rof IjflHe ém 1S mm^i !«».
I. Dans la table I de V^énus, on voit qu'au 1" avril
1892, à 21 heures , Vénus passe à son périhélie pour
la dernière fois avant le 15 août de la même année.
Or , de la première époque à la seconde , il s'écoule
135 jours et 3 heures.
Dans la table II de Vénus , on trouve , vis-à-vis de
la valeur 135 de ^ le .nombre 348 pour ^, le nombre
86 pour H.
IL Dans la table I de la Terre , on voit qu'au 1*'
janvier 1892, à 9 heures , la Terre passe à son péri-
hélie pour la dernière fois avant le 15 août de la
même année. Or, de la première époque à la seconde,
il s'écoule 226 jours et 15 heures.
Dans la table II de la Terre , on trouve , vis-à-vis
de la valeur 227 de t, le nombre 35 pour M , le
nombre 1 pour N.
m. La somme ^4~^ ^^^ égale à 383 ; diminuée
de 360, elle donne 23 pour la valeur de S. La somme
H-|-N , on K, est égale à 87.
INTRODUCnOîf. 9
TV. Dans la table LU de Vénas, on cherche via-à-
vis du nombre 23 de la colonne intitulée S , et dans
la colonne que surmonte la valeur 87 de K ; on trouve
le nombre 2 b. 49 m., qui représente ]a valeur de T.
D'ailleurs, la valeur 23 de S est comprise de 0 à
i80; ainsi, le 15 août 1892 , le plan horaire de
Vénus, formant avec celui du Soleil un angle d'en-
viron 2 h. 49 m., précède le Soleil dans son mouve-
ment diurne.
Si donc on veut , ce jour-là , découvrir dans le
Zodiaque la planète Vénus , on négligera la varia-
tion diurne de T, on feiii choix d'un plan horaire
quelconque, et Ton y cherchem la planète 2 h.
49 m. avant que le Soleil y passe ^ ou 21 h. 11 m.
après qu'il l'aura traversé.
eotemêpie t Milettf de im dUÉm%ee T ée if«r«
L Dans la table I de Mai's, on voit qu'au 1*'
janvier 1875 il y a 411 jours que Mars a passé à son
périhélie pour la dernière fois ; du l*' janvier au
20 juillet 1875, il s'écoule 200 jours; donc, au 20
juillet 1875, il y a 611 jours que Mars a passé à
son périhélie.
Dans la table II de Mars , on trouve :
t=610, ift = 287,H = ll ,
t = 612,ift = 289, H = 11 ;
On en conclut , par interpolation :
t = 611, A = 288, H=ll.
n. Au 20 juillet 1875, il y a 200 jours que la
10 IXTKOnrCTION.
Terre a passé h son pëiiliëlie. A cette ëpoqae , on a
donc M = 61 , N = 2.
III. 11 ea résulte :
S=^4-M= 349, K-H-f N = 43.
IV. Dans la table m de Mars , ou cherche vis-à-vis
du nombre 349 de la colonne intitulée S , et dans
la colonne pour laquelle R est égal à 13; on y trouve
T = 9 h. 26 m.
D'ailleurs , 349 est compris de 180 à 360; ainsi ,
le 20 juillet 1873, le plan horaire de Mars, for-
mant avec celui du Soleil un angle d'environ 9 h.
26 m. , suit le Soleil dans son mouvement diurne :
c'est-à-dire que , à un instant quelconque de ce jour,
le plan horaire de Mai's occupe à peu près la posi-
tion qu'occupait le plan horaire du Soleil 9 h. 26 m.
auparavant.
TnoitfléfMC exeÈnpie t eaicui de îu dimimmee T ém
Swi^tew nm âlolell, «m IO aoAtf 1880.
I. Au 1*' janvier 1880, il y a 4074 jours que Ju-
piter a passé à son périhélie (voir la table I de Jupiter) ;
au 10 août 1880 , il y a 222 jours de plus : c'est-à-
dire , en tout , 4296 jours écoulés depuis le dernier
passage.
Dans la table II de Jupiter, on prend pour valeurs
de iil et de H au 10 août 1880, les nombres .11 = 9 et
H = 69 , placés en regard du nombre ^==4298, le
plus rapproché de 4296.
IL Au 10 août 1880, il y a 222 jours que la Terre
iTTTRODlCTIOK. 11
a passé à son périhélie. On a donc , à cette époque,
M = 39.N = I.
JIL II en résalte : S = 48 , K = 70.
I\'. Dans la table III de Jupiter, on trouve vis-à-vis
du nombre S =48 :
T = 8 b. 6 m. pour K = 67 ,
T = 8 h. 41 m. pour R = 72 ;
on en conclut :
T = 8 h. 9 m. pour R = 70 ,
en admettant que les différences entre les valeurs
de T sont proportionnelles aux différences entre les
valeurs de R.
Si donc on veut connaître approximativement la
position occupée par le plan horaire de Jupiter à un
moment quelconque du 10 août 1880, il faut dé-
terminer celle du plan horaire du Soleil 8 h. 9 m.
après ce moment, ou 15 h. 51 m avant.
VmwÊgie T ifw ytott lM»t^l«^ <f« Sai^iM arec «•!«•(
d*tItmmmM. ow de Mepiumm.
On consulte la première table de la planète , qui
donne approximativement la valeur de A répondant
à l'époque considérée ; on détermine, pour la même
époque et au moyen des tables de la Terre , la va-
leur de M; on calcule la somme yR-^M , pour ob-
tenir S; on cherche enfin, dans la seconde table de
la planète, quelle valeur de T répond à la valeur
obtenue de S.
12 introduction.
§ 4. Construction des tables.
Que Ton considère le triangle ayant pour sommets
le Soleil S, la Terre T et la planète P projetés sur le
plan de l'ëquatcur. L'angle T de ce triangle est pré-
cisément celui dont les tables ont pour objet de dé-
terminer la valeur , puisqu'il mesure Tangle dièdre
formé par le plan horaire de la planète avec celui du
Soleil.
Cet angle T est déterminé quand on donne , dans
le triangle . Tangle PST et les deux côtés SP et ST
qui le comprennent ; il suffît même d'y connaître ,
avec Tangle PST , le rapport du côté SP au côté ST.
On pose SP=R, ST=R'; on appelle .41 et jR' les
ascensions droites héliocentriquesde la planète et de
la Terre ; et Ton est ramené, pour connaître l'angle T,
a calculer préalablement .-ft et R , .-ft' et R'.
C«lettl pré9UÊÊimmU»e |M«f ta ytowéto.
Le mouvement de la planète autour du Soleil étant
considéré comme elliptique , et les éléments comme
invariables à partir du 1" janvier I8d5 ^ on déter-
mine, au moyen de ces éléments, l'inclinaison da
plan de l'orbite sur le plan de l'équateur céleste,
Tascension droite béliocentrique du nœud de cette
orbite avec l'équateur, la distance angulaire hélîo-
centrique de ce nœud au périhélie de la planète ,
enfin Tépoque de passage au périhélie la plus voi-
sine du 1" janvier 1865.
Cela fait , on calcule d'abord , de 1865 à 1900 , les
époques des passages snccessife de la planète à son
14 INTRODUCTION.
Quelle que soit la planète considérée , on aéra
pensé de ce dernier calcul , si Ton a formé d'avance
une table à deux dimensions , renfermant les valeurs
de Tangle T qui répondent, dans un triangle STP
quelconque, à toutes les valeurs de Tangie S et du
SP
rapport — . Mais , dans la pratique , une pareille
table n'est pas réalisable , à cause de l'étendue qu'il
faudrait lui donner en longueur et en largeur. Elle le
devient , toutefois , si Ton se borne à faire varier le
SP
^PPO"**^ ôTp entre deux limites assez rapprochées. Or,
c'est précisément ce qui arrive , lorsque Ton consi-
dère isolément chacune des planètes. Si donc on ne
peut former une table unique des valeurs de T qui
répondent à toutes valeurs de >R-Jl' et de -^, on
pourra former , pour chaque planète particulière ,
une table particulière.
Ainsi , l'époque des passages au périhéhe une fois
connue , le problème est ramené à construire :
1" pour la Terre, une table des valeurs de ^' et de R' ;
2* pour chaque planète , une table des valeurs de A
et de R ; 3* pour chaque planète , une table des va-
leurs de T qui répondent à toutes les valeurs de
i4l— ift' comprises entre — 360 degrés et -I- 360 de-
grés , et à toutes les valeurs de -^ renfermées entre
R'
deux Umites déterminées, assez voisines d'ailleurs
l'une de l'autre.
Mais on aperçoit aisément qu'il j a avantage à mo-
difier la disposition précédente, en calculant: !<* pour
It) INTRODUCTION.
Terre et de la planète , toates les hypothèses imàgi —
nables. Le calcul , en efifet , prouve que l'erreur qo^
en résulte pour T , n'atteint Jamais deux minutes de
temps s'il s'agit d'Uranus , et une minute s'fl s'agit
de Neptune.
Il devient inutile , alors , d'inscrire la valeur
moyenne de R dans la table des valeurs de T , la-
quelle n'offre plus ainsi qu'une seule dimension , et
dispense par conséquent de faire figurer les valeurs
de H dans l'autre table.
Nous avons emprunté aux Annales de r Observatoire
les valeurs numériques des éléments du mouvement
elliptique de la Terre et des planètes , en rapportant
au 1" janvier 4865 la longitude du périhélie, la lon-
gitude du nœud ascendant et la longitude moyenne
de l'époque ; nous avons pris pour valeurs des autres
éléments celles qui répondent à l'année 4850; nous
avons calculé ensuite les époques des passages au
périhélie.
BetÊ9mtH/wte9 nel«tfl9e« «Moe vmwHmiîWM dem éiémêemÉm et
atf «MOMvettteaU de pw*éee»9ion.
Les éléments n'étant pas constants et le point
équinoxial n'étant pas fixe , les valeurs de A-A' et
R
^^ ^^S 177 ^^^^^^^s ^^°s ces tables, sont affectées
d'erreurs, les unes périodiques, les autres séculaires.
Ces dernières, toutefois, les seules qui puissent nous
18
INTRODUCTION.
Valeurs de l'angle T aa 1" l
4
anVier 1900
LeYHBiid^lepériliéfo
et le point "Y se déplaçant
de 1865 à 1900 :
Pour
la planète:
1
Tous les éléments
étant supposé» constants
depuis 1865 :
Mbrcurk
Vénus
Mais
JUPITBR
56* 22'
86* 48'
4* 2^
42- 28'
56» 26/
86* 40'
4* 1'
42* 80'
Si Ton compare, pour chaque planète, les nombres
(les deux colonnes , on voit que les différences sont
assez petites pour qu'il n'y ait pas lieu de s'en pré-
occuper dans l'emploi de tables aussi peu appro-
chées que les nôtres.
KewÊUiwqmet nel«tfive« m r«p]M-OirittMitfloM «le* tmhêem*
L'approximation des résultats fournis par ces tables
est variable d'une époque à l'autre , d'une planète à
l'autre; nous n'essaierons pas ici de la déterminer
avec précision; dans chaque cas particulier, on sera
toujours à même de l'apprécier.
Peut-être, d'ailleurs, l'inspection du tableau sui-
vant donnera-t-elle une idée des erreurs auxquelles
on doit le plus généralement s'attendre. Dans ce
tableau sont inscrites, à la date du l*' juillet 4865,
et pour les différentes planètes, led valeurs de T
extraites de nos tables, et en reisraril, celles que
20 INTRODUCTION*
§ 5. HEURE DU PASSAGE DE LA PLANItTE AU mIrIDIXICiL
Considérons la valeur de T qui répond à l'origine
d'un jour quelconque, c'est-à-dire à midi; supposons
cet angle exprimé en heures, et représentons par
ÔT son accroissement dans Tintervalle de 24 heures;
T
il nous sera facile de reconnaître que -37 M" repré-
sente approximativement l'erreur commise , en plus
ou en moins , si Ton prend T pour valeur du temps
écoulé entre le passage du Soleil et celui de la pla-
nète au méridien.
Or, K ne varie pas d'une manière sensible dans
l'intervalle d'un jour; l'accroissement §T résulte donc
à peu près uniquement de la variation, en un jour, de
S, ou de iH — iH'. Eu un jour, la plus grande variation
de yR — >R' est d'à peu près six degrés pour Mercure ,
trois quarts de degré pour Vénus, un demi-degré
pour Mars, et un degré pour les autres planètes
supérieures. Si l'on part de cette remarque, on trouve
T ^
que le maximum de Terreur tt-^T est d'environ qua-
tre à cinq minutes de temps pour Mars , deux à trois
pour les autres planètes supérieures, et qu'il n'atteint
pas une minute pour les planètes inférieures.
On s'écartera donc peu de la vérité en disant qu'il
s'écoule un temps T entre le passage du Soleil et
celui de la planète au méridien.
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29
MERCURE. — TABLE I.
Epoque des passages successifs de Mercure à son périhélie.
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INDICATEUR PLANETAIRE. 35
MERCURE. — TABLE III (Suite).
Valeurs de T.
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194
192
190
188
186
184
182
INDICATEUR PLANETAIRE.
37
VÉNUS. — TABLE I.
Epoque des passages successifs de Vénus n son périhélie.
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309
83
85
83
263
82
111
311
83
INDICATEUR PLANÉTAIRE. 39
VÉNUS— TABLE 11 (Suite).
Positions successives autour du Soleil ^ de Jour c/t jour.
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169
38
85
198
86
82
INDICATEUR PLAHETAIRK.
VÉNUS. — TABLE III.
Valeur» de T , dépendantes de S et de K.
Vaudra de K.
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16
IXDICATECB PLA5KTA1RI:.
41
VÉNUS. — TABLE III (Suite).
Valeurs de T.
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3.12
3.14 ;
m
4:2 INDICATEUR PLANETAIBE.
VÉJNUS. — TABLE 111 (Stiite).
Valeurs de T.
S
1
ralewr* de K.
S
82
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2.55
S. 2
3.10
296
66
2.38
2.A5
2.53
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3. 8
294
68
2.37
2.AÂ
2.51
2.58
3. 5
292
70
2.85
2.A2
2.Â9
2.56
3. 3
290
72
2.83
2.A0
2.46
2.53
3. 0
288
74
2.31
2.38
2.44
2.51
2.57
286
76
2.29
2.36
2.42
2.48
2.55
284
78
2.27
2.33
2.89
2.46
2.52
282
80
3.25
2.31
2.37
2.43
2.49
280
82
2.23
2.29
2.34
2.40
2.46
278
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2.21
2.26
2.32
2.37
2.43
276
86
2.19
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2.11
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1.53
1.57
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1.54
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118
1.86
1.39
1.42
1.45
1.48
242
INDIGATBCE PLANETÀIfi£.
43
VÉNUS. — TABLE III (Suite),
Valeurs de T.
r«lew0»« tie K
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S
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S
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1.33
1.35
1.38
236
126
i.2A
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1.29
1.32
1.35
234
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1.21
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1.29
1.31
232
130
1.18
1.21
1.23
1.25
1.28
230
132
1.15
1.17
1.20
1.22
1.24
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134
1.12
i.ih
1.16
1.19
1.21
226
136
1. 9
1.11
1.13
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1. 6
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1. 2
1. 3
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0.55
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0.50
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156
0.38
0.39
0.40
0.41
0.42
204
158
0.35
0.36
0.37
0.38
0.39
202
160
0.33
0.33
0.34
0.34
0.35
200
162
0.29
0.29
0.30
0.31
0.32
198
164
0.25
0.26
0.27
0.28
0.28
196
166
0.22
0.23
0.24
0.24
0.25
194
168
0.19
0.20
0.20
0.21
0.21
192
170
0.16
0.16
0.17
0.17
0.18
190
172
0.13
0.13
0.13
0.14
0.14
188
174
0.10
0.10
0.10
0.10
0.11
186
176
0. 6
0. 7
0. 7
0. 7
0. 7
184
178
0. 3
0. 3
0. 3
0. 3
0. 4
182
INDICATEUR PUNéTAIRX.
45
MARS. — TABLE I.
Époque des passages successifs de Mars à son périhélie, et
mmbre de jours écoulés , au commencement de chaque
nuée , depuis le moment du dejmier passage.
DATE.
ROIIBBB
DATE.
IfOHBBB
DB JOUIS.!
DB JOUBS.!
1 IK5
1 janv.
19Â
1883
1 janv.
585
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1 janv.
559
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0
»
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0
1886
1 janv..
263
1867
1 janT.
237
1885
1 janv.
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1 1868
1 janv.
602
»
28 fév. (pasB.)
0
1 •
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0
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1 janv.
807
1 1869
1 janv.
281
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1 janv.
672
1 1870
1 janv. 6^6
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0
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11 fev. (paM.) 0
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1 janv.
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1 janv.
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0
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SOdéG. pana.) 0
1889
1890
1 janv.
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1 janv.
2
1 janv.
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1 janv.
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21 oct (paBB.) 0 1
»
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0 1891
4 janv. 72 j
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1 janv.
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637
1875
1 janv.
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0 1893
1 janv.
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1 janv.
89 1896
1 janv.
681
1877
1 janv.
655 »
26 juil. (paM).
0
•
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0 1895
1 janv.
159
1878
1 janv.
133 1896
1 janv.
526
1879
1 janv.
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12 juin (paBB.;
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1897
1 janv.
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1898
1 janv.
568
1881
1 janv.
562
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30 avr. (pasB.
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•
26 mai (paM.
) 0
1899
1 janv.
260
1882
1 janv.
220 1 1900
1 janv.
611
46
1!«DICAT£UH PLANETAIRE.
MARS. — TABLE II.
Positions successives autour du Soleil, de 2 jours w 2 jours.
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222
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16
INDlCATEim PLANÉTAIRE.
47
MARS. — TABLE II (Suite).
PoÈitUms mceesswes autour du Soleil, de 2 jours en 2 jours.
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48
INDICATEUR PLANETAIRE.
MARS. —TABLE II {Suite).
Positions successives autour du Soleil, de 2 jours en 2 jours.
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27
MARS. — TABLE ID.
Valeurs de T, dépendantes de S et de IL.
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11.42 11.43 il. 45 il.à5 li.47 11.48 il. 49 li.50 il. 51 11.51
11.24 11.27 11.29 11.31 11. 3â ii.36 11.38 11. AO 11. Ai 11. &2
11. 7 11.11 11.14 11.17 11.21 11.25 11.28 11.30 11.32 11.33
10.50 10.55 10.59 11. 3 11. 9 11.13 li.l7 11.20 11.22 11.25
10.3& 10.39 10. &4 10.49 10.56 11. 2 11. 6 11.10 11.13 11.16
iO.18 10.24 10.30 10.35 10.44 10.50 10.56 H. 0 11. h 11. 7
10. 2 10.10 10.16 10.22 10.32 10.39 10.65 10.51 10.55 10.58
9.48 9.56 10. S 10. 9 10.20 10.28 10.35 10.41 10. &6 10.50
9.34 9.48 9.50 9.57 10. 9 10.18 10.25 10.32 10.87 10. Al
9.21 9.30 9.38 9.A5 9.57 10. 7 10.15 10.22 10.28 10.33
9. 8 9.18 9.26 9.34 9.47 9.57 10. 6 10.13 10.19 10.25
8.57 9. 6 9.15 9.23 9.36 9.&7 9.56 10. A 10.11 10.16
8.&5 8.55 9. 4 9.12 9.26 9.37 9.47
8.35 8.45 8.54 9.2 9.16 9.28.9.38
8.25 8.35 8.44 8.52 9. 7 9.19 9.29
8.15 8.25 8.3A 8.&3 8.57 9.10 9.21
8. 7 8.16 8.25 8.34 8.A9 9. 1 9.12
9.55 10. 2 10. 8
9.&7 9.5A 10. 0
9.38 9.A6 9.53
9.30 9.38 9./i5
9.22 9.30 9.37
7.58 8. 8 8.17 8.25 8.A0 8.53 9. A 9. lA 9.23 9.30
7.50 7.59 8. 8 8.17 8.32 8.A5 8.56
7.42 7.52 8. 0 8. 9 8.2A 8.37 8.A8
7.35 7.AA 7.53 8. 1 8.10 8.29 8. Ai
7.28 7.37 7.A6 7.5A 8. 9 8.22 8.33
9. 6
8.5S
8.51
S.AA
9.15 9.22
9. 7 9.15
9. 0 9. 8
8.53 9. 1
7.21 7.30 7.89 7.47 8. 1 8.1A 8.26 8.37 8.A6 8.5A
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7. 8 7.17 7.25 7.33 7.48 8. 1 8.12 8.23 8.32 8. Al
7. 2
6.57
6.31
6.46
7.11
7. 5
6.59
6.54
7.19
7.13
7. 7
7. 1
7.27
7.21
7.15
7. 9
7. Ai
7.35
7.29
7.23
7.54
7.A8
7. Al
7.35
8. 6
7.59
7.53
7.47
8.16
8.10
8. 3
7.57
8.26
8.19
8.13
8. 7
8.3A
8.28
8.22
8.15
360*
359
358
357
356
355
354
353
352
351
350
349
348
347
346
345
344
343
342
341
340
339
338
337
336
335
334
333
332
331
50 INDICATEUR PLANÉTAIHE.
MARS. —TABLE lU {Suite).
Valeurs de T.
^t
11
Wi
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32 Â.3^ à'àO àA3 â.51 A. 58 5. 5 5.12 5.18 5.2à 294
29 A. 33 A. 37 4.40 4.48 4.55 5. 1 5. 8 5.15 5.21 293
26 Â.30 â.3Â 4.37 4.44 4.51 4.58 5. 5 5.11 5.17 292
24 Â.27 A. 31 4.S4 4. H 4.48 4.55 5. 1 5. 8 5.14 291
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10 A.13 A-^*^ ^-20 4.26 4.33 4.39 4.45 4.51 4.56 286
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3.36 3.39 3.42 3.47 3.52 3.57 4. 2 4. 6 4.11 272
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4.35
1.37
1.39
1.41
1.42
1.&4
220
141
1.28
1.29
1.30
1.31
1.33
1.35
4.36
4.38
1.40
4.42
219
142
1.26
1.27
1.2R
1.29
1.30
1.32
1.34
4.36
1.37
4.39
218
143
1.24
1.25
1.25
1.26
4.28
1.30
1.31
1.33
4.35
4.36
217
144
1.21
1.22
1.23
1.24
1.26
1.27
1.29
1.30
4.32
4.34
316
148
1.19
1.17
4.20
1.21
1.22
1.23
1.25
1.26
4.28
4.29
4.31
215
146
1.18
1.48
1.19
1.21
1.22
1.24
1.25
1.27
4.28
214
147
1.15
1.15
4.46
1.17
1.18
1.20
1.31
4.33
1.24
1.26
213
M
1.12
1.48
l.U
ÏAh
1.16
1.17
1.19
1.30
1.22
1.23
\\2
140
1.10
1.11
1.41
1.12
4.44
1.15
1.16
1.18
4.19
1.30
211
54
INDICATEUR PLANETAIRE.
MARS. — TABLE III (Suite).
Valeurs de T.
S
11
12
raleM«*s de U.
26
13
14
16
18
20
22
24
h m
h m
h m
/i m
h m
h m
h m
/i m
h m
h m
150»
i. 8
1. 8
1. 9
1.10
1.11
1.13
1.14
1.15
1.17
1.18.
151
1. 5
1. 6
1. 7
1. 7
1. 9
1.10
1.11
1.13
1.1'i
1.15
1521
1. S
1. 4
1. 4
1. 5
1. 6
1. 8
1. 9
1.10
1.11
1.13
153
1. 1
1. 2
1. 2
1. 3
1. 4
1. 5
1. 6
1. 8
1. 9
1.10
154
0.59
0.59
1. 0
1. 0
1. 2
1. 3
1. 4
1. 5
1. 6
1. 7
155
0.56
0.57
0.58
0.58
0.59
1. 0
1. 1
1. 3
1. 4
1. 5
156
0.54
0.55
0.55
0.56
0.57
0.58
0.59
1. 0
1. 1
1. 3
157
0.52
0.52
0.53
0.53
0.54
0.50
0.57
0.58
0.59
1. 0
158
0.50
0.50
0.51
0.51
0.52
0.53
0.54
0.55
0.56
0.57
159
0.47
0.48
0.48
0.49
0.50
0.51
0.52
0.53
0.53
0.54
160
0.45
0.46
0.40
0.46
0.47
0.48
0.49
0.50
0.51
0.53
161
0.43
0.43
0.44
0.44
0.45
0.46
0.47
0.48
0.48
0.49
162
0.41
0.41
0.41
0.42
0.43
0.43
0.44
0.45
0.46
0.47
163
0.38
0.39
0.39
0.39
0.40
0.41
0.42
0.42
0.43
0.44
164
0.36
0.36
0.37
0.37
0.38
0.39
0.39
0.40
0.41
0.41
165
0.34
0.34
0.34
0.35
0.35
0.36
0.37
0.37
0.38
0.39
166
0.33
0.32
0.32
0.32
0.33
0.34
0.34
0.35
0.36
0.36
167
0.29
0.30
0.30
0.30
0.31
0.31
0.32
0.32
0.33
0.84
168
6.27
0.27
0.28
0.28
0.28
0.29
0.29
0.30
0.30
0.31
16d
0.25
0.25
0.25
0.26
0.26
0.27
0.27
0.27
0.38
0.38
170
0.23
0.23
0.23
0.23
0.24
0.24
0.25
0.25
0.35
0.36
171
0.20
0.20
0.21
0.21
0.21
0.22
0.22
0.22
0.23
0.33
172
0.18
0.18
0.18
0.19
0.19
0.19
0.20
0.20
0.20
0.31
173
0.16
0.16
0.16
0.16
0.17
0.17
0.17
0.17
0.18
0.18
174
0.44
0.14
0.14
0.14
0.14
0.14
0.15
0.15
0.15
0.15
175
0.11
O.U
0.11
0.12
0.12
0.12
0.f2
0.12
0.13
0.13
176
0. 9
0. 9
0. 9
0. 9
0. 9
0.10
0.10
0.10
0.10
0.10
177
0. 7
0. 7
0. 7
0. 7
0. 7
0. 7
0. 7
0. 7
0. 8
0. 8
178
0. 5
0. 5
0. 5
0. 5
0. 5
0. 5
0. 5
0. 5
0. 5
0. 5
179
0. 3
0. 3
0. 2
0. 2
0. 2
0. 2
0. 3
0. S
0. 3
0. 3
INDICATEUR PUNETAIRE.
55
JUPITER. — TABLE I.
Époque des passages successifs de Jupiter à son périhélie ,
et nombre de jours écoulés , au commencement de chaque
année , depuis le moment du dernier passage.
DATE.
NOMRBB
DE JOUBS.
DATE.
ffOMBKE
DE JOURS.
1865
1 janv.
2929
1882
1 janv.
473
1866
1 janv.
329&
1883
1 janv.
838
1867
1 janv.
3659
1884
1 janv.
1208
1868
1 janv.
4024
1885
1 janv.
1569
■
5nov. (pa»8.)
0
1886
1 janv.
1934
1869
1 janv.
57
1887
1 janv.
2299
1870
1 janv.
422
18S8
1 janv.
2664
1871
4 janv.
787
1889
1 janv.
3030
1872
1 janv.
1152
1890
1 janv.
3395
1873
1 janv.
1518
18î»l
1 janv.
3760
187Â
1 janv.
1883
1892
1 janv.
4125
1875
1 janv.
2248
B
27jail.(pasfi.)
0
1876
1 janv.
2613
1893
1 janv.
158
1877
1 janv.
2979
1894
1 janv.
523
1878
1 janv.
3344
1895
1 janv.
888
1879
1 janv.
3709
1896
. 1 janv.
1253
1880
1 janv.
4074
1897
1 janv.
1619
•
15 8ept.(pas8.)
0
1898
1 janv.
1984
1881
1 janv.
108
1899
1 janv.
2349
56
IliDICATEOR PUdiTAIRE.
JUPITER. — TABLE II.
Pondons successives autour du Soleil, de U jours en i^ jours
t
yR
H
t
M
U
/
yR
H
/
yR H
OJ
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69
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68
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14
13
69
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111 68
U
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69
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756
79
67
1120
112 69
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69
406
A7
68
770
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67
1134
lU 69
56
16
69
420
A8
68
784
82
67
1148
115 69
70
18
69
434
49
68
798
83
67
1162
116 69
84
19
69
448
51
68
812
84
67
1176
117 69
98
SO
69
462
52
68
826
86
67
1190
119 69
112
SI
69
476
53
68
840
87
67
1204
120 69
126
S2
69
490
55
68
854
88
67
1218
121 69
140
2A
69
504
56
68
868
90
67
1232
122 69
164
25
69
518
57
68
882
91
67
1246
123 69
168
26
69
532
58
68
896
92
67
1290
124 69
182
27
69
546
60
68
910
93
68
1274
126 70
196
28
69
560
61
68
924
95
68
1288
127 70
210
30
69
574
62
67
938
96
68
1302
128 76
224
31
69
588
6A
67
952
97
68
1316
129 70
238
32
69
602
65
67
966
99
68
1330
130 70
252
33
69
616
66
67
980
100
68
13U
131 70
266
35
69
630
67
67
994
101
68
1358
133 76
280
36
69
644
69
67
1008
102
68
1372
134 70
294
37
6S
658
70
67
1022
104
68
1386
135 70
308
38
68
672
71
67
1036
105
68
1400
136 71
322
39
68
686
73
67
1090
106
68
1414
187 71
336
ki
68
700
74
67
1064
107
68
1428
138 71
350
à2
68
714
75
67
1078
109
68
1442
139 71
llfDlCATEUR PLANETAIKE.
57
JUPITER. — TABLE U (Suite).
successives autour du Soieii, de 44 jours en Wjour»,
/ iA H
/ i«
H
/
Jfi
H
/
M H
i45lJ UO* 71
1820 i 1
167«
73
2184 i
193»
74
2548 i
2I9* 73
tm léf 71
1834 1
L68
73
2198
194
74
2562
220 72
t^ 143 71
1848 4
169
73
2212
195
74
2576
221 72
UM 141 71
1862 ^
170
73
2226
196
73
2590
222 72
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1876 i
171
73
2240
197
73
2604
223 72
4ttl 146 71
1890 j
17J
73
2254
198
73
2618
324 72
ii48 147 7S
1904 {
173
73
2268
199
73
2632
335 73
ttS4 ,48 7«
1918 ^
174
73
2282
200
73
2646
236 71
*«« 149 7«
1932 ^
175
73
2296
301
73
2660
338 71
MW 150 7«
1946 {
176
74
2310
302
73
2674
339 71
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1960 ^
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74
232.4
203
73
2688
330 71
*0 I5S 71
1974 \
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74
2338
204
73
2702
331 71
^•Î4 158 71
1988 ^
179
74
2352
205
73
2716
333 71
**38 154 71
2002 ^
L80
74
2366
200
73
2730
233 71
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2016 i
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74
2380
207
73
2744
334 71
*«W 156 71
2O30 4
182
74
2394
208
73
2758
335 71
*W0 157 71
2044 \
L83
74
2408
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73
2772
336 71
*W4 158 73
2058 ^
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74
2422
210
73
2786
237 70
*70t 159 73
2072 ^
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74
2436
211
73
2800
239 70
1722 160 73
2086 {
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74
2450
212
73
2814
240 70
*Î36 161 73
2100 ^
187
74
2464
213
73
2828
241 70
*Î50 162 73
2114 ^
188
74
2478
214
72
2842
243 70
*Î84 163 73
2128 ^
189
74
2492
215
72
2856
243 70
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2142 1
190
74
2506
216
72
2870
244 70
1792 165 73
2156 \
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74
2520
217
72
2884
245 70
IS06 166 73
2170 ^
192
74
2534
318
72
2898
247 70
4*
58
mnCLTSXfL PLA5iTAIlC.
JUPITER. — TABLE H {SuiU):
Positions successives autour du Soleil, de i A jours en i A jours.
t
yR
H
t
Jfi
H
/
Ai
H
/
A H
2912 i 2&8«
70
32761
280»
68
3640 J
813*
68
4004 J 344* et
2926
3&9
70
3290
381
68
3654
31à
68
4018
845 69
2940
250
69
3304
282
68
3668
815
68
4032
846 et
2954
251
69
3318
283
68
3682
816
68
4046
348 et
2968
353
69
3332
285
68
3696
317
68
4060
849 69
2982
35A
69
3346
286
68
3710
819
68
4074
851 69
2996
355
69
3360
287
68
3724
320
69
4088
351 69
3010
256
69
3374
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69
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68
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68
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68
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311
68
3990
848
69
■
IHDICàTEUR PLANÉTAIEE.
59
JUPITER. — TABLE III.
Valeurs de T , dépendantes de S et de K.
S
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r«lettr« de WL.
S
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Vaïem^m de K
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11.41
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11.85
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11.16
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7.17
7.28
7.29
801
6()
1!SD1CAT£(K PLANETAIRE.
JUPITER. — TABLE lU (Suite).
Valeurs de T.
66
67
68
69
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72
73
74
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6.59
6.55
6.51
6.47
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6.38
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6.23
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6.14
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6. 2
5.58
5.54
5.50
5.46
5.42
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5.30
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293
292
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286
285
284
283
282
281
280
279
278
277
276
275
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273
272
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255
254
253
252
251
250
249
248
247
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245
244
243
242
241
INDtClTCtltl PLAHiTAlilE.
JUPITER. — TABLE lU (Suite).
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179 0
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3 0
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181
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SATURNE. — TABLE l.
Pauage de Saturne d son périhélie y et nombre de Joun
écoulés , au commencement de chaque année , depuis le
moment du dernier passage.
ROHIBB
NOMBaa
DAT&
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DATE.
DB JOl'BS.
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1 janv.
3228
1883
1 janv.
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1 1875
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1 1875
6880
1892
2330
1876
7245
1893
2696
1877
7611
1894
3061
1878
7976
1895
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1896
3791
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1897
4157
1881
9072
1898
4522
1882
9437
1899
4887
Bf)
INDICATEUR PLANÉTAIRE.
SATURNE. — TABLE II (Suite).
Posilhm succp.mves autour du Soleil, de 30 jours en 30jawrs.
t
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359
98
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28
06
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SATURNE. — TABLE III.
Valeurs de T, dépendantes de S et de K.
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185
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69
URANUS. — TABLE 1.
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3.30
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0.35
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144
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115
4.13
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145
2.16
215
175
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178
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182
119
8.57
241
149
2. 0
211
179
0. 4
181
NIVEAU D'EAD
À TXJ3B FliEXrBLB.
Par H. Amédie DCSBORDBAUX »
Ifembre tiluloire.
Le nouvel instrument de précision soarais à l'examen
de l'Académie est d'une construction très-simple (V. la
pnge suiv.). Aux deux extrémités d'un tube de caout-
cbouc, d'une longueur indéterminée, mais le plus ordi-
nairement de 5 mètres , sont adaptées deux fioles en
Terre,maintenues dans uneposition verticale au moyen
de deux supports en bois, qui se terminent par une
base métallique pour leur donner la stabilité néces-
saire. Sur chacun de ces supports est appliquée une
échelle métrique en cuivre jaune , indiquant exac-
tement la hauteur, à partir du sol, en centimètres
et millimètres. Le tube de caoutchouc est rempli
d'une eau colorée qui circule dans toute son étendue,
et qui s'élève en même temps dans la partie infé-
rieure des deux fioles. La dilférence de hauteur de
Peau dans chacune des fioles indiqne, aux deux
points opposés , la différence de niveau , qui se lit
immédiatement sur les deux échelles métriques.
Pour rendre l'instrument plus portatif, j'ai réduit
la hauteur des fioles à 20 centimètres. Cette hauteur
permet encore d'apprécier une différence de niveaa
RITEAD d'UD a TOB FUSIBU. TT
78 !IIVEAU d'eau
de 45 centimètres , ce qui est plus que suffisant pour
Tusage ordinaire. Renfermé dans sa boite, ce niveau
d'eau pèse environ 2 kilogrammes. Lorsqull est isolé,
son poids est de 4 kilogramme 3 hectogrammes , et
l'eau renfermée dans le tube pèse 420 grammes.
Lorsqu'on en fait usa|:;e et qu'on le transporte d'un
endroit à un autre , l'eau peut s'élever à une hauteur
différente dans chacune des Coles , et elle pourrait
souvent se répandre à l'extérieur si elles n'étaient
pas bouchées. D'un autre côté , le libre accès de l'air
étant indispensable pour que l'eau puisse circuler
librement dans le tube de caoutchouc , il &llait que
les fioles fussent débouchées et après avoir été placées
sur le sol. On conçoit, dès lors, que l'usage de l'instru-
ment eût été fort incommode , s'il eût fallu à chaque
instant ôter et remettre les bouchons.
Pour éviter cet inconvénient , j'ai adopté une fer-
meture qui présente une disposition nouvelle. Chaque
fiole, en eflct, est fermée par un bouchon de liège
traversé par un petit tube de verre, auquel s'adapte
une soupape très-légère, qui se ferme aussitôt que
l'eau arrive au haut de la fiole, et s'ouvre de nouveau
dès que l'eau commence à redescendre. Ce bouchon
à soupape est lui-même renfermé dans une enve-
loppe métallique, terminée à sa piirtie supérieure par
une vis de pression, qui ferme exactement chaque
fiole , lorsqu'on vient à replacer l'instrument dans la
botte , et qui , pendant qu'on en fait usage , permet
l'accès de l'air en la faisant tourner en sens contraire.
Avec le niveau d'eau à tube fiexible , on obtient
une précision plus rigoureuse encore qu'avec le ni-
veau à bulle d'air. Et tandis que ce dernier ne peut
 TUBB FLEXIBLE. 79
ètie manié qae par des penonnes exercées et asrant
le coup^d'œîl très-juste , l'autre présente on résultat
en quelque sorte mécanique. Sous ce rapport, il
pourrait être utile aux propriétaires qui Toudraient
vérifier par eux-mêmes Texactitude de certains ni-
vellements. Il ne serait pas moins avantageux lors-
qu'il s'agirait de poser les tablettes |en marbre des
cheminées , dont le niveau parfait est indispensable
pour assurer la régularité de In marche des pendules.
Il est plus que probable qu'il indiquerait quelques
légères différences de niveau dans presque tous les
billards* Enfin, avec lui on pourrait en peu d'instants
tracer autour d'un appartement une ligne de niveau
d'une exactitude parfaite, tandis que ce résultat
avec un niveau ordinaire présente quelque difficulté ;
et l'on pourrait également, au moyen des deux fioles
opposées Tune à l'autre, trouver un point de repère
d'un côté à l'autre d'un mur.
On remarque avec surprise la fiicilité avec laquelle
l'eau circule dans un long tube de caoutchouc, lors
même qu'on lui a fait prendre les plus nombreux re-
plis. Toutefois, après que les fioles sont placées sur
le sol , il faut attendre quelques instants avant que
l'équilibre soit tout-à-fait rétabli entre elles. La rapi-
dité du rétablissement d'équilibre dépend de la gros-
seur du tube flexible; elle dépend aussi de la nature
du liquide employé. Avec le mercure , qui pourrait
être substitué à l'eau dans des tubes de plus petite
dimension , l'équilibre serait presque instantané.
L'ifnile , au contraire , prendrait son niveau plus
lentement .que l'eau. Lorsqu'on ajoute à l'eau co-
lorée une petite quantité d'acide sulfuriqne, en même
80 mvBAV d'eau
temps que cette addition empêche rahénilion de la
coulear végétale par les moisissures, elle domte
lien à une circulation plus facile que celle de Teaa
pure , sans qu'on puisse attribuer ce résultat à la
légère différence de poids spécifique. Cette propriété
parait due à la présence de l'acide. Il en est de
même , jusqu'à un certain point, de l'encre à écrire;
car on sait qu'elle n'est coulante qu'à kl condition
d'être acide , et c'est précisément la cause de l'alté-
ration si prompte des plumes métalliques.
Au reste, si au lieu d'employer de l'eau pure pour
remplir l'instrument, comme on pourrait très-bien le
faire^ on préfère l'eau colorée, mélangée d'un liquide
dont le poids spécifique présente une certaine diffé-
rence, tel que l'acide sulfurique ou l'alcool ^ il faut
que le mélange soit opéré avec le plus grand soin ,
et que le liquide soit transvasé plusieurs fois de suite
avant de le verser dans l'instrument ; sans quoi l'on
pourrait remarquer souvent entre les deux fioles un
défaut de concordance de plusieurs millimètres. L'eau
et l'acide sulfnrique sont bien loin de se mélanger
instantanément, comme on pourrait le croire, et il
est essentiel que l'on soit averti de cette cause d'er-
reur qui pourniit faire douter tout d'abord de la pré-
cision du niveau d'eau. Il faut aussi, après que l'eau
a été introduite dans le tube, l'agiter pendant un cer-
tain temps pour en faire sortir les bulles d'air.
Il serait très-ditficilc de remplacer, dans la con-
struction de cet instrument , le caoutchouc par une
autre matière également fiexible , et cependant les
tubes de caoutchouc ne sont pas exempts de quel-
ques inconvénients qu'il est bon de signuler :
A TUBE FLEXIBLE. 84
i* U saflSt que le caoutchouc vulcanisé , le seul qui
paisse êlre employé, soit en contact avec le cuivre,
oa même seulement dans son voisinage, pour que ce
métal s'altère assez rapidement. La vulcanisation
résulte, enefTet, principalement de la combinaison
da caoutchouc avec le soufre, doul les émanations
continuelles produisent avec le cuivre un sulfure de
couleur noire. Il est donc indispensable , pour em-
pêcher cette altération, d'appliquer sur TécheUe mé-
trique et sur les autres pièces de cuivre qui entrent
dans la construction du niveau , une forte couche de
vernis à Tesprit-de-vin.
2* Les tubes de caoutchouc vulcanisé , qui tout
d'abord sont très-tlexibles, nu bout d'un certain temps
se fendillent, perdent une partie de leur souplesse,
et même deviennent cassants. Il est rare qu'ils puis-
sent se maintenir plus de deux ou trois années sans
altération. J'en ai vu plusieurs cependant conserver
leurs propriétés pendant plus de dix ans
3** Le caoutchouc vulcanisé, que l'on considère gé-
néralement comme imperméable, est réellement
poreux et plus ou moins perméable h l'eau. Déjà cette
porosité avait été signalée par M. Payen dans la
séance de l'Académie des sciences du 2i septembre
1866; et j'ai moi-même eu l'occasion J'en reconnaître
l'existence, en remarquant que mes tubes de caout-
chouc, après avoir été remplis d'eau et parfaitement
bouchés , perdaient au bout d'un certain temps une
partie très-notable de cotte eau. Dans l'espace de
trois mois, un tube renfermant 125 grammes d'eau
eu a perdu 25 , o'osl-à-dire i:i cinquième partio ; uu
autre, dans le nif*me ifMnp>, a perdu pirs do nioiiié.
G
.ES TROYENS
t m Aleuadra BÏJCBMKII,
Membre lilulaire de l'Académie.
SIEURS ,
es vieux poctlus il« l'Angleterre, oviint
lucer ou rencontre souvent une de ces
raditions fiibulniises qui son! si fré-
noyen-ilge pt iiiii posséJaient nioi's un
ffil, Inen que tonte linse historique leur
1 dont nous niions parler, c'est l'Iiypo-
ss premiers lialtilants civilisés de In
gne étaient des descendants lies Troycns,
sment d'itnéc et de ses conipiignons.
locale de ce myihi; est bien connue ;
; dans les légendes conservées chez les
celtiques de lu UreUigne, depuis des
noriauic. comme les beaux travaux de
amurqué sur les Celtes, el la découverte
on (i) l'ont prouvé. AlUrmer on nier
82 NIVEAU d'eau a tube flexible.
D'autres, enfin, n'onl éprouvé que des pertes beaucoup
moindres. Plus les tubes sont anciens, plus ils de-
viennent ordinairement perméables à Tcau. Au reste,
cet inconvénient est le moindre de tous, puisqu'il
suffit d'ajouter un peu d'eau diins les tubes lorsqu'elle
vient à diminuer. Seulement il faut avoir soin que
l'eau ajoutée soit du même poids spécifique que
celle renfermée dans le tube de caoutchouc.
Telles sont les observations dont j'ai cru devoir
accompagner la description de mon niveau d'eau,
parce qu'elles m'ont paru propres à en faciliter
l'usage , et parce qu'on y remarquera peut-être
quelques faits nouveaux ou peu connus.
LES TROYËNS
EN ANGhljETEIillE,
M Aleundre BUCHXKR ,
Membre titulaire de rAcadémie.
Messieurs ,
En lisant les vieux poètes de l'Angleterre^ avant
oo après Chaucer on rencontre souvent une de ces
singulières traditions fabuleuses qui sont si fré-
qaentes au inoyen-ûge et qui possédaient alors un
crédit universel, bien que toute base historique leur
m défaut.
La tradition dont nous allons parler, c'est l'hypo-
thèse que les premiers habitants civilisés de la
Grande-Bretagne étaient des descendants des Troyens,
et particuhèremcnt d'Énée et de ses compagnons.
La source locale de ce mythe est bien connue ;
elle se trouve dans les légendes conservées chez les
populations celtiques de la Bretagne, depuis des
temps immémoriaux, comme les beaux travaux de
M. de La Villemarqué sur les Celtes, et la découverte
des Mabinogion (i) l'ont prouvé. Altirmcir ou nier
(Ij l'Iiirlel (lu mot cvIliqiK; \lahiHO:ii, qui sij^nilie prohablcmcnl
un tvr'l |x»ur la joiuirs-^. Il .11 t>\isii> <l<'ii\ rccnrih é< liis, V\\u du
H4 LES TROYENS
qu'elles fussent connues en Fitince avant le XII* siècle^
i'st également difficile ; cependant le développement
excessivement rapide que le cycle épique dît breton
rencontra chez les trouvères, semble favoriser Ja
première hypothèse.
En Angleterre , on en eut connaissance depuis le
commencement du XIP siècle. A cette époque^ un
ecclésiastique anglais, Gauthier, archidiacre d'Oxford,
fit un voyage dans la Bretagne armoricaine. Il prit
intérêt aux traditions populaires qu'il y rencontra, et
l'apporta en Angleterre phisieurs manuscrits en
langue celtique , dont le contenu ne nous est connu
qu'indirectement par la Chronique latine dans la-
quelle Geoffroy Arthur, archidiacre de Monmonth,
réunit, vers 1140, les matériaux trouvés par Gauthier.
Ce fut A ce dernier ou\'nige que s'inspira le trouvère
normand, maître W'ace, qui le traduisit en français,
le mit en vei-s et ramplifia considérablement dans
son Brut dWngfetmr (W
Les faits les plus s;n liants , racontés par les auteurs
que je viens de nommer , sont larrivée et rétablis-
sement d'Innée en Italie . la naissance de son petit-
Mil', Taiilrt^ du \1V' sièdo. Ce dernier a été Induit en anglais
)v^r ladv (■iu*sl : Londres 18,^7-19.
l^nni k*» tra>au\ de M. de La Villemaniué, nous almm :
iomtrs populnirts tits «innViis Htttons^ 18^1; Béordtt hrelamM ém
Vt iHV^, «850 ; LfS romoMS Ht la Takle-RtmHt et ies amies dn
amfirms Rtrtcns, iS59; Im LfftnHr l^retommt^ 1859i.
J O poème important, qui contient en genne une gijade
partie de» sujets de la poésie rheialere$i|ue de la Fïanee cl de
r Allemagne au mojen-^. a été édite, commcnlé cl anoolé a%cc
le phis grand soin par M. Lerouv de lAncy (2 toL Roncn, I836«
EN ANGLETERRE. 85
fils BnitQS , les expéditions de celui-ci en Gièce , en
Afrique, en Espafçne et en Bretagne, son arrivée
dans nie qui lai devra son nom de Britannia (I), ses
luttes contre les géants autochthones et not.iinmont
le combat victorieux du Troyen Corinéns (-2) contre
le moDstrueux Géomagot; — enfin la fondation d'une
nouvelle Troie sur les bords de la Tamise (3).
(i) Wace, vers 1207 -13:
La terre a voit nom d*Albiou ,
Mais Brutua U canga aoo oom»
De son nom Brulo oom U mi»!
Et Bretaigne md nom U fist.
Le» Trojena , les rompaigooD» ,
Apela de Bmto Bretona.
[1} Wace, Ten 1213— 18:
Corineua a sa partie ,
De la terre à son oes saisie ;
Celé partie a apelée
De Corinéo Corioée ;
Puis ne sai par quel cootrovailie
Fu apelée Corooaillc.
Voici œ que Geoffroy de Monmoulh dit à ce sujet :
• At Corioens porcionem regni qua; parti sux cesserai ab ap-
petladone et sui nomiais Corinciam vocat.... ; maluit regionem
Ulam quae nunc Cornu Briianniœ vel per corruplioiiem pnedicli
nomiDis Cornulna appellatur. «
(3) Trinocant , chez Wace; Troynovant , chez les vieux pOfMes
anglais ; ce sont deux corruptions des formes Troja nova et Trinn-
vantum qui se trouvent dans la Chronique latine.
Le changement du nom de la capitale eu l^ndon est attribua*
ao roi Lud, peu antérieur ù César, el qui fut enterré dans cette
ville qui avait été son séjour de prédilection. Les fermes intermé-
diaires sont : Ludsgate, Ludoin, l^ndoffns, Londe. V. Wace, vers
1269—75; 3816— 3i.
86 LES TRUYENS
Après Hrtitus vient, dans une descendance pinson
moins directe , une longue série de rois glorieux et
célébrés depuis par les poètes anglais. Nous n'en
indiquom' ici que quelques-uns des plus importants :
Locrine, un des fils de Brulus ; Hudibras , contem-
porain de Salomori ; Lear et Gorboduc , héros de
Shakspeare et de Sackvillc ; Lucius, premier prince
chrétien , et enfin le grand Arthur.
C'est ce dernier qui , depuis , est devenu , pour
ainsi dire , la pierre angulaire de Tépopée chevale-
resque et chrétienne. Dé^h Wace lui attribue la
fondation do la Table-Ronde (I), dont la chronique
de GcollVoy de Muninoiith ne tait piis encore mention.
IVu de temps après, les trouvères français combinent
ce mythe avec celui du Saint-Graal^ d'origine pro-
bablement arabe (2. , qui se répandait en même
temps.
Ces btises jetées, le cycle breton eut une extension
rapide en France et en Allemagne. I-a domination
universelle du loi Arthur , la ;;loire de sii Table-
.t Wan», \cr» 99«J5-iO,031 :
Par K-> aoMt'» hiroD» qu'il ot
Dont casruns niicldrr c»trc quidol :
CaMuns k\'Q (rnoit al millor.
Ne nu> nVn u\oit le pior ,
Fit Arlu> 1j Roonilt' Table
IVtut Brrion dirai mAÏDlc fable : etc.
v2', Telle e»l Topuikni r^paiuluo rn AUcmagne. MM. de La Ville-
marqHé et R^kiii piMi^eiii plutôt que le fond de celte Ucende appar-
twol i la Rniagne encore paie» ne : les idées dirètieniiei ,
surrenues plu> lanl . lui auraient donné la forme daas laquelle
elle lurait cbei le> trouvère».
EN AHOLËTERRE. 87
Ronde , les sortilèges de Merlin , les exploits des
chevaliers du Saint-Graal, tels que Peix:evsii , les
amours de Genièvre et de Lancelot, de Tristan
et dlsenlt « devinrent le bien commun des poètes qui
rêvaient pour l'avenir la fondation d'un état unique ,
basé snr le christianisme et sur la clievalcrie.
Nées chez une race vaincue et parties d'un des
coins les plus inaccessibles de l'Europe d'alors, com-
ment les fiibles bretonnes ont-elles pu avoir le succès
que nous venons de signaler ?
Nous laissons de côté l'hypothèse d'après laquelle
le mythe de la guerre de Troie ne serait que l'expres-
sion et le souvenir, plus ou moins transformé , d'une
antique lulte entre les races aryenne et sémitique ,
pour se disputer la domination en Asie-Mineure et
sur les bords orientaux do la Méditeiranée (1). Ce
qn'îl y a de plus remarquable dans notre sujet , c'est
qu'an moyen-âge plus d'une nation naissante raf>-
procha son origine de l'existence glorieuse des
(i) Beofey , Les Sémites à //ton. — Quant à une interprétation
allégorique des poèmes d'Homère, cette idée remonte à Tanliquité
eUe-méme.
Chez les modernes, au XYII*" siècle, cetic manière de considérer
V Iliade et V Odyssée était aussi Tort à la mode. Cn Hollindais ,
Craesius, voyait dans V Odyssée rbbloiré des Israélites sous les
patriardies, et dans Vlliatle la prise de Jéricho.
Voici ce que M. Egger dit de M«* Dacier :
« Son commentaire almiide en réncxions sur la moralité des fic-
tions du poète, que, selon un vieux préjugé, elle interprète en-
core par Tallégorie ; en remarques admiratives sur la science pro-
fonde qu*îl possédait ; eu rapprochements plus ou mois hasardés
OTec rÉcrilure sainte. » Il est diflicile, ditRigaut, après avoir lu
cette préface , de ne pas voir dans Homère Télèvc du roi Salomon.
HH LES THOYtNS
Troyens , et chcrchu un titre pour se dire parente
des Romains.
Dcjù les chroniqueurs des Francs les rattachaient
eux-mêmes aux Troyens (1), et les poèmes allemands
du moycn-ûge répandent cette tradition , notamment
lo Aunoliedy chant composé en Thonneur d'un ar-
clicvôque de Cologne mort en i075.Dès lors, le sou-
venir (H reloge des Troyens reparaissent souvent
chez les poêles allemands du moyen-âge. Dans le
poème que nous venons de citer , les habitants des
bords du Xanten^ affluent du Rhin, ont voulu, par ce
nom , rappeler le souvenir du Xante , rivière voisine
du Sciimandre. Dans d'autres poèmes on raconte que
rcmpereur Constantin, avant de choisir Byzance pour
sii résidence , avait songé à rendre Sii première im-
portance h la ville de Troie qui , sur certaines cartes
géographie] ues du moyen-ilge , figurait comme une
des quatre capitales du monde , «\ côté de Rome, de
Babylone et de Jérusalem. Le mythe troycn pénétra
juifque dans la partie la plus nationale et la pins po-
pulaire de la poésie épique rie TAUemagne, dans le
cycle des XiMungcn. Le meurtrier de Sigefroi, Hagen,
cette figure héroïque (jui projetlo son ombre sinistre
sur toute cette partie des mythes Scandinaves et
germaniques , possède un château du nom de Tronje
et passe pour être un descendant de Priam (2). Bientôt
(1) K« L. Roth, Die Trojatteisage der Franken, BrauD, Die
Trojaner uni Rheiii»
(2) Son nom mùuic 0:4 rapproché de celui d^Hcctor. En ellet, la
fomic la plus ancienne de ce nom, tel qu'il apparaît dans les
/^V(/(f, est Ho(*gni, qui est le frère et non pas, comme dans les
Xibclungen , le vasvsal du roi Guntber ou Gunnar.
£!! A5tiL£TERA£. 89
les poètes allemands se mirent à traiter exprès ces
sujets. Herbort de Fritzlar traduisit la Destructien de
Traie, de Benoit de Sainte-Maure , et cette traduction
forme la base de V Enéide de Henri de Veldcke.
Dans ces trois poèmes , les coutumes chevaleresques
et les ÊiUes merveilleuses , venues de l'Orient , se
confondent de la façon la plus étrange avec le sujet
antique (I;.
D'un autre côté , Clirestien de Troie et son Che-
valier au Lion furent le point de départ de Wolfram
d'Eschenbacb , de Gottfried de Strasl)Ourg et des
antres poètes allem«mds qui prenaient leurs sujets
dans le cycle breton. Aujourd'hui encore , ce trou-
vère français est l'objet du plus grand intérêt pour
tonte une classe d'érudits d'outre Rhin.
A cette époque , la fable troyenne est partout. En
Italie, la maison de Frangipani se vantait encore , au
Xlil* siècle, de son origine troyenne. D'après la Chro-
(1) Les exemptes de ce réalisme, qui transporte en pleine anti-
quité les usages du mojen-âge, simt très-curieux. Cbei Benoit ,
Tumus est un marquis ; la bannière d'Énéc flotte sur le château
de Montalban , attaqué par un connétable ; les murs de Carthage
se trouTent couverts d^une substance magnétique qui ferait pri-
sonmeni les guerriers ennemis , attirés par leurs armures, etc.
D'après Veldeke , cette ville a cent portes. L^épée forgée par
VulcaJn, il la compare aux armes célèbres dont Téloge parait par-
tout dans la poésie du moyen-Age. Il y a, à Berlin, un manuscrit
illustré de son poème. Les personnages y paraissent dans le costume
de la fin du XII* siècle ; le casque de Camille est orné d'une cassette
bien fermée, symbole de sa chasteté; la maison de la Sibylle a
des colonnes dont les chapiteaux portent des têtes d'animaux fan-
tastiques, propres à Tarchitecture du moyen-ftgc ; Ênée joue aux
échecs, etc. Le poème de Benoit fut aussi traduit par le Hollandab
Bfaerlant, vers 1250.
90 LES TROTERS
nique de Geoffroy de Monmoulh, la ville de Tours
devrait son nom à uo neveu de Bmtus, Tumus, mort
dans une expédition que ces héros auraient entre-
prise contre l'Aquitaine, après leur débarquement en
Bretagne. On voit même les peuples les plus éloignés,
et jusqu'aux Turcs, adopter des fables pareilles. Voici,
à ce sujet, un curieux passage de Montaigne (II, 36) :
<• Qui ne cognoist Hector et Achilles ? Non seule-
ment aucunes races particulières , mais la plus part
des nations clicrclient origine en ses inventions.
Mahumed , Second de ce nom, Empereur des Turcs,
cscrivant à notre Pape Pie Second : « Je m'estonne ,
dit-il, comment les Italiens se bandent contre moy,
attendu que nous avons nostre origine commune des
Troyens : et que j'ay comme eux interest de vanger
le sang d'Hector sur les Grecs , lesquels ils vont favo-
risant contre moy (i). »
La cause de cette popularité extrême des Troyens
au moyen-tige se trouve, au moins en grande partie ,
dans l'autorité dont Virgile jouissait alors. Produite
Hu moment où les armes romaines ne rencontraient
(1) Voici ce qu'un historien du XVIl* siècle « André du Ghesne,
tiistoriographe de France , dit ù ce sujet dans son Histoire d* An-
gleterre, tCEicoêêe et d'Irlande (Paris, f 6S6) :
« Au demeurant, quant au troyen Brutus que les Bretons dé-
fendent avec tant d'obstination , c'est vrayement grand merveille
que chaque Nation, presque d'un commun consentement, s^est es-
timée fort honorée de tirer son ancien estoc de la Destruction de
Troye. En cette manière les llomains ont fait estât d'un Énée pour
leur premier purent et autheur, les Francs d'utt Francus (*) oo
Francion, le» Turcs d'un Turcus, les habitants de la mer Adriatiqfic
d'un Anténor, et ceui de la Grande-Bretagne d'un Bmtus. •
{*) Rousard, La Franeiade.
E2C ANOLLTUUiE. ^à\
jAun de résistance sérieuse , VEnékk a?ait d'abord
semblé, aax yeox des vaincus, justifier la supériorité
des Romains , issus de cette race troyenne , la plus
noble de l'univers ; et plus tard , lorsque les nations
jennes forent établies sur les ruines de rKmpîre,
elles voulurent paniitre moins avoir vaincu les
maîtres du monde que leur avoir succédé. Leurs
princes se disaient volontiers les héritiers de César ,
dont le nom , légèrement corrompu , désigne encore
aujourd'hui le pouvoir suprême sous le nom de
A»itser (i) eu allemand, de czaar en russe. Les poètes
célébraient volontiers les exploits des Romains; ils
représentaient de préférence les Germains comme les
alliés les plus dévoués du conquérant de la Gaule.
Une fois entré dans cette voie , on ne s'arrôta plus
qu'à la fin, c'est-à-dire à l'origine fabuleuse de la
grande capitale, et Virgile, qui avait si bien arrange
et mis d'accord toutes les traditions qui pouvaient s'y
rapporter, acquit pour les auteurs de chroniques ou
de légendes au moyen-â^^c , une autorité pareille à
celle qu'Aristote exerçait sur ceux qui s'occupaient
de philosophie ou d'histoire naturelle. Les papes
avaient trouvé leur titre ù la domination spirituelle
dans les Évangiles : ce fut dans V Enéide que les em-
pereurs trouvèrent l'origine de leur règne sur la
(1) Des léinoigiiagcs frappants de rautorité que le uoni de César
eierçait sur les Germains se Irouvent dans un poème légendaire
allemand, du commencemcut du XII* siècle, intitulé: Kaiscrchromik.
L*idée fondamentale de ce poème, d'ailleurs plein d'erreurs bisto-
riques« est que les empereurs germaniques ne sont que les succes-
seurs légiUmes des empereurs romains. Parai ces derniers, Tar-
qiiin-lc-Superbe parail après Néron. Le reste est à ra%cuant.
1)2 LES TR0YEN5
terre. Dès lors, Virgile obtint , au point de vue po-
litique , riniportance qu'il avait déjà dans l'en-
seignement de la grammaire (i). En même temps,
il passait pour posséder tous les secrets des sciences
occultes. De son côté , l'Église , loin de s'effrayer de
cette réputation de sorcier , ou de repousser le poète
de Mantoue comme l'auteur de fables païennes, se
plut, au contraire, à lui prêter les qualités d'an
prophète et d'un saint , digne o'une inspiration di-
vine qui lui fit pi'essentir et prédire la naissance du
Christ. Ainsi Virgile put devenir le guide qui in-
troduit le plus chrétien des poètes dans les mystères
les plus profonds de la foi nouvelle (2).
Lorsqu'on compai^e tous ces faits, on comprend
facilement l'influence immense de Virgile et surtout
de V Enéide , sur la poésie du moyen-âge. Partout
les esprits se trouvaient préparés à accueillir avec
faveur toute fable qui tendait à resserrer les liens de
parenté qui , à ce que l'on croyait , rattachaient les
jeunes nations aux Troyens par l'intermédiaire des
(t) V. Bernbardi, Grundriss dtr roemiscIttH littrralmr, t862,
p. 855.
(3) Ce Virple imagiaaire est depuis longtemps robjel de la
prédilection des érudits français, anglais et allemands. Déjà, au
siècle dernier , Wartoo s*en occupa dans son Histoire de la poésie
anglaise. Dunlop traite, avec beaucoup de détails, le mémo sujet
dans son History of FieiioH. Parmi les pubUcatiottS plus récentes,
nous ne mentioimons que le traiail , si plein de faits , de
M. Ëdelestand Du Méril , De %'irgHe rEmckoHtrMr^ dans ses
Mêiamges archvoh^giques , Paris, 1S50: et la monographie eiod-
lente du docteur Th. Cretienach, à Ftancfort, Die Aemeis^ die
rierte EMoge und die PharsaUa im Mittelaller , Francfort, I86&.
EN ANGLETERRE. 93
Romains et même sans eax. C'est pourquoi les fables
bretonnes, ayant donné un développement très-riche
à ces traditions, durent avoir un succès rapide et
général.
Quant à l'Angleterre en particulier , nous avons
déjà vu quel fut le point de départ des deux érudits
qnî , les premiers , répandirent ces fables en dehors
de leur lieu de naissance. Le Brut de maître Wace,
né du produit de leurs travaux , y fut accueilli avec
le plus grand intérêt. En peu de temps , quatre au-
teurs le reproduisirent: Robert de Gloucester et
Layamon , en anglo-saxon ; Peter Langtoft , un ec-
clésiastique du Yorkshire , en français ; Robert Man-
i^yiigt dit de Brunne , d'après le lieu de sn naissance
en Lincolnsbire , en anglais.
Le plus important de ces poèmes est celui de Laya-
mon (4). Ce n'est pas sans étonnement qu'on voit
(i) Le prêtre saxon Layamon amplifia Le Brut de Wace dans
la langue populaire d'alors, qui tient le milieu entre Tanglo-saxon
déjà corrompu et Tanglais naissant. D'après les uns, son poème
date de 1189 ; d'après les autres, il ne remonte pas au-delà de 1205.
V. Gamett , Philohgical Essay» ; London, 1859.
Le développement que Lajamon donna ù Toriginal fut consi-
dérable. Le Brut de Wace ne compte que 15,800 vers; le sien en
a plus de 33,200. Cependant il faut remarquer que le vers allité-
nmt des Anglo-Saxons, dont Layamon se sert encore , sans toute-
fob lui conserver toute la pureté de sa forme , est plus court que
celui employé par le trouvère normand.
Voici, d*ailleurs, ce que Layamon dit lui-même de son procédé
d'amplification : i Layamon mit devant lui les livres de saint
Bède , de saint Albin et de saint Anstin, de même que celui de
maître Wace , et en tourna les feuilles avec délices. Que Dieu le
bénisse! De ses doigts il prit une plume et se mit à écrire, à
98 LKS THOYENS
Cressida. A côté de lui , ce sont Lodge , qui traite le
sujet de Marius et Sylla , et Ben Jonson , qui s'em-
pare de Catilina el do Séjan. Après eux , Beuitniont
et Flelcher mellent en scène Cléopûlre, Valenlinien III
avec Actius, et la reine brilanuiquc Bonduca ou
Boadicéa avec son vaillant général Garadoc ou Ga-
ractacus. Ghapman , le traducteur d'Homère , fait
une pièce sur Gésar et Pompée , etc.
Pour trouver le premier emploi scénique d'un
sujet pris dans la Ghroniquc de Geoffroy de Mon-
mouth, il faut remonter presque aux origines du
théâtre anglais. La première pièce originale, réguliè-
rement conçue d'après les modèles anciens, est due,
au moins en partie, à Thomas Sackville, lord
Buckhurst, grand personnage politique des premiers
temps du règne d'Itliisabeth. Elle roule sur la discorde
entre deux frères , sujet de prédilection des poètes
tragiques depuis le théâtre d'Athènes jusqu'à celui
de Racine et de Schiller. En voici la fable. Parmi
les premiers descendants du Brut, se trouve le roi
Gorboduc ; il est (soit dit entre parenthèses) l'aîenl
de Brennus, ennemi de Rome; que les chroniqueurs
revendiquent pour la gloire de la Grande-Bretagne.
Gorboduc, sans songer à l'enseignement terrible
laissé par un de ses ancêtres , le roi Lear, abdique
la couronne el partage le royaume entre ses deux
fils, Ferrex et Porrex. Mal conseillés, les jeunes
princes, h peine établis dans leurs États, se font la
guerre. Ils se rencontrent dans un combat singulier,
et le cadet tue l'ainé. Gorboduc se contente de mau-
dire le vainqueur, mais la reine fait mieux : elle
assassine Porrex auquel elle avait toujours préféré
EN ANGLETERRE. 99
son fils aiaë. Le coaplè royale resté sans enfants,
succombe à la fureur de ses sujets révoltés , et la
discorde civile ravagera le royaume pendant cin-
quante ans.
L'intention de l'auteur de cette pièce intéressante
est double. D'un côté, Sackville, érudit, cherche à
introduire sur la scène naissante de son pays les
formes et la manière des tragiques anciens ; de l'autre,
il loi importe d'offrir un enseignement politique et
des conseils de concorde a un peuple qui sortait à
peine des maux des guerres civiles et religieuses.
L'intention de gagner son public par des allusions
llatteuses, ne parait guère; mais bientôt après elle
deviendra un des mobiles pour lesquels les auteurs
auront volontiers recours à des sujets de ce genre.
Malgré ses commencements quelque peu classi-
ques, le théâtre anglais prit rapidement un caractère
aussi populaire que celui de l'Espagne, et, à ce point
de vue, ce sont les deux scènes les plus remar-
quables de l'Europe moderne. Le genre le plus en
vogue auprès du public de Londres était une espèce
de mélodrame, assez grossier, auquel Shakspeare
sut donner souvent des allures tragiques. Gomme hi
simplicité, dans la construction des théâtres, ne leur
permettait pas de flatter les sens du gros du public
par des décors féeriques ni par les merveilles dues au
machiniste, on les captivait par d'autres moyens. On
se servit d'une action riche et variée ; on mit en jeu
les passions les plus violentes ; on fit un fréquent
emploi du surnaturel et du merveilleux; ou intro-
duisit un peu partout les apparitions , les spectres ,
les sorcières el les magiciens; enfin on adressa au
iOO LES TROYENS
public de nombreux coropliraents qui ]K)uvaieDt,
comme chez Spenser , se coml)iner avec des éloges
hyperboliques, ppodigués à l'auguslo souveraine.
Un exemple très-curieux de ce genre se trouve
dans une pièce de Greetie , intitulée Histoire dei
moines Bacon et Bungay, £lle est de 1591.
Le poète y met en scène le philosophe naturaliste
Roger Bacon , comme un magicien aussi sago qu'ha-
bile ; il en fait juste le contraire du Faust , création
contemporaine de Marlowe. Après jnaintes preuves
brillantes de son art, qui produisent plus d'un coup
de théâtre , le magicien reconnaît la stérilité réelle
de ses charmes. Il les abandonne, devient un bomme
pieux et termine la pièce par une tirade prophétique
des plus originales.
« Mon art, y dit-ii, me permet de prévoir une
époque glorieuse. A cette place , où Brutus a fondé
une nouvelle Troie , la plus belle des fleui^s épa-
nouira ses feuilles qui projetteront une ombi*e bien-
faisante sur l'Ile d'Albion. La Heur de Phébus en
sera éblouie, l'héliotrope d'Apollon s'inclinera devant
elle. L'hvaciuthe de Vénus en sera humiliée ; l'œillet
de Junon y perdra son éclat; le laurier de Pallas,
si vert qu'il soit, sera llétri, et la splendeur multi-
colore de Cérès pâlira, — tout se prosternera devant
la rose de Diane. •
Une autre pièce du même genre et basée sur la
même tradition , est Jm Naissance de Merlin , par
Ilowley, qu'on aurait voulu, pendant quelque temps,
attribuer à Shakspeare. Elle est du commencement
du XVIP siècle.
L'origine Iroyenne des Anglais étant devenue pro-
EN ANGLET£ER£. iOi
verbîale à cette époque , on considérait les ancêtres
de Bmtas comme des modèles en toute chose , et
surtout dans les exercices qu'on appelait clievale-
resqnes , à tort ou à raison. S'agit-il de faire tomber
sous la table un convive , réputé pour son intrépidité
devant la bouteille^ le personnage comique de la
pièce s'écriera :
« Je le griserai , quand ce serait un Troyen ! •
Dans une pièce de Ben Jonson : Chacun selon sort
humeur^ imitée des Adelpkide Térence, parait un vieux
juge plein de bon sens et de bonne humeur, aimant
la joie presque autant que la justice ; en un mot ,
une espèce de personnification du Merry old England,
Pour reconnaître son mérite par un éloge énergique,
un porteur d'eau l'appelle le plus honnête vieux
Troyen de Londres.
En considérant ces faits, on peut s'expliquer les
bizarreries que Shakspeare a introduites dans son
drame, si diversement interprété, de TroUus etCressida,
Bien qu'à cette époque V Iliade , traduite d'ailleurs
par Chapman, fût sufiSsamment connue en Angle-
terre , Shakspeare adopte néanmoins les points de
vue des fables du moyen-âge. Pour la partie amou-
reuse de l'action^ il s'appuie sur un poème de Boc-
cace, Filostrato^ l'homme renversé par l'amour.
D'après le nouvelliste italien, Chryséïs, dont le nom
se corrompt autre part on Cressida et en Griseldis ,
est lu fille du prêtre troyen Calchas. Pour diftëreutes
raisons elle est livrée aux Grecs, après avoir eu pour
amant le jeune prince Troïlus. Désespéré , le fils de
Priam se précipite sur ses ennemis , leur tue mille
hommes et ne succombe que sous les coups d'Achille.
102 LES TROYENS
A côlé de cclto action , Shakspeare met en scène
la partie hi plus importante des faits héroïques de
Vlliadc , mim en montrant une prévention entière
contre les Grecs. On sent comme une espèce de
parodie quand on le voit faire d'Âjax un brutal ma-
ladroit, de Diomède un- fanfaron grossier, d'Achille
un vantard insolent et poltron. Hector, au contraire,
devient un vrui chevalier, digne de s'asseoir à la
Table-Uonde du roi Arthur ; Achille ne parvient à le
tuer qu'en le surprenant désarmé, et à l'aide de
nombreux Myrmidons.
Même Schlegel, tout Shakspearomane qu'il est,
n*a su comment faire pour louer cette pièce singu-
lière. Si Ton se contente de l'expliquer an lieu de la
louer, la tîlche devient beaucoup moins ardue. Il
faut y voir encore une de ces tentatives heureuses
des poètes dramatiques de ce temps, de glorifier
leur public dans la personne des ancêtres héroïques
que lui a créés la fiction.
Le changement radical qui se produisit en Angle-
terre à la suite de la révolution puritaine , mit tout
naturellement fin à la croyance dans une tradition
qui ne trouvait pas de justification dans la Dible des
Protestants.
Milton , érudit autant que poète, n'ignore point
cette fable. Il y fait même allusion dans la pièce
fantastique Cornus [{). Mais il ne la mentionne, ni
dans le Paradis perdu ni dans le Paradis reconquis,
aux endroits où elle aurait pu trouver une place con-
venable.
(1) Virgin, daughlcr of Lomiie ,
Sprung of old Anchise's linc.
EN ANGLETE&RE. 103
Dryden qui, tout en protestant de son admiration
pour Shakspeare , a refait et corrigé plus d'une de
ses pièces , retoucha aussi Troïlus et Cressida. Il en
fit ane tragédie pure, accompagnée d'un traité en
favenr des ttiéâtres ancien et français : On the Groutids
ofCriticism.
L'esprit critique des temps suivants écarta bientôt
complètement toutes ces fiables. Pour n'en donner
qu'on exemple, voici les quelques paroles dédai-
gneuses que Gibbon leur accorde dans son Histoire
de la décadence romaine : « Les colonies fabuleuses
des Égyptiens et des Troyens, des Scandinaves et
des Espagnols, dit-il ^ qui tlattaient l'orgueil et amu-
saient la crédulité de nos aucéti*es grossiers, ont peu
à peu disparu devant les lumières de la science et de
la philosophie. »
Cependant il en est resté , et jusqu'à nos jours ,
un témoignage curieux. Nous voulons parier de deux
statues dans Thôtel-de-ville de la Cité de Londres .
qui présentent le troyen Corinéus et son adversaire ,
le grand Géomagot. Voici ce qu'un écrivain anglais,
donnant une description de ces statues , dit à leur
sujet :
« Coriuéus et Gog Magog étaient deux braves
géants doués de forces prodigieuses, qui défendaient
vaillamment l'honneur et la liberté de leur pays. La
Cité de Londres , en les plaçant dans Gmldhall , en
voulut faire un emblème pour signifier qu'elle
défendait ses luiviiéges , ses droits et ses iVanciiises
avec la force et l'intrépidité des géants. Quelque
fantastique que soit leur origine , il est certain , et
les archives en font foi , que Corinéus et Gog Magop:
104 LES TROYKIIS
ont joué un rôle important dans plusieurs céré-
monies. Quand Philippe II d'Espagne et Marie Tudor
firent leur entrée dans la capitale , les deux géants ,
qui étaient alors d'un bois léger , furent portés au-
devant du cortège et déposés aux deux cdtés du
pont de Londres. Au couronnement de la reine
Elisabeth , la foule vit , au-dessus de la porte du
Temple-Bar , les deux statues de Corinéus et de Gog
Magog, entre lesquels un immense tableau rappelait
les cérémonies dans lesquelles ils avaient déjà figure.
Les géauls de Guîldhall furent consumés dans le
grand inceudie de 1666. Le peuple en fut consterné.
On s'empressa de leur ériger de nouvelles statues, et
cette fois on les lit en pierre. Ces statues ont chacune
quinze pieds de haut. »
Un recueil périodique anglais , IJEcho briianniquty
de l'année 1835 , les décrit de la manière suivante :
a Les deux géants ont le front couronné de lau-
riers , de longues liarbes , de longues ceintui*cs pen-
dantes, des sandales pour chaussures , une lance à
la main et une épée au côté. Tous deux ont une
espèce de cotte de mailles et sont barbouillés de
jaune , de vert et de bleu. Leui-s regards semblent
s'abaisser avec une certaine fierté dédaigneuse sur
les spectateurs qui les contemplent. La seule diffé-
lence remarquable entre leurs personnes, c'est que
l'un a sur les épaules un arc et un carquois , tandis
que l'autre appuie sa main gauche sur un bouclier, u
Ainsi, c'est par rinterinédiaire de ces deux images
que le souvenir des Troyons s'est perpétué chez le
peuple , à Londres. Seulement la tradition biblique ,
à iaquelh' le grand Géomagot doit »ans doute son
EN AR6LBTEREI. 105
nom chez les chroniqueurs, a pris tout-à-fait le
dessus. La foule désigne maintenant les deux com-
pagnons d'armes par les noms de Gog et de Magog.
Le nom et le mérite du vaillant Corinéus ne sont
plus connus et appréciés que par les antiquaires.
Les temps les plus récents ont founii deux preuves
remarquables de la popularité dont Gog et Magog
jouissent encore.
Dickens , le plus original des romanciers actuels
de l'Angleterre , les u introduits dans un de ses ou-
vrages, Masier Humpkrey's Clock. Après un des
diners annuels , donnés par le Lord Mayor dans la
grande salle de Ijanquet de Guildhali, un des convives
s'endorl dans une galerie. Se réveillant au milieu de
la nuit , il voit la place éclairée d'une lumière surna-
turelle. Les deux géants ont quitté leurs piédestaux
et, assis confortablement sur la balustrade de la
grande croisée gothique, à Textrémité ouest de l'édi-
fice , ils conversent sur les temps passés. Leur en-
tretien, moitié burlesque, moitié terrible , renferme
un de ces épisodes saisissants, par lesquels Dickens
sait si bien augmenter Tintérét de ses romans.
Plus récemment encore , le Punch, ce Qiarivari de
Londres, s'est emparé de Gog et de Magog qu'on
venait de redorer pour la réception solennelle du
prince de Galles après son mariage.
On sait que la Cité de Londres possède toujours
des immunités qui la distinguent des autres parties
de la capitale. Entre autres, elle exerce sa police
comme elle Tentend et, à ce qu'il parait , elle s'y en-
tend mal ; car, à la fête dont nous parlons, le cor-
tège princier, à peine entré dans l'enceinte sacrée.
106 LES TROYENS EN ANGLETE&EE.
faillit y être écrasé par la foule , et l'on eut des mal^
hcors à déplorer. Dès Jors , Punch habille Oog "et
Magog en Policemen^ entourés d'une multitude tur-
bulente qu'ils dominent de toute la hauteur de
leurs piédestaux et de leurs tailles. Avec des cha-
peaux ronds d'aujourd'hui , ceints de leurs vieux
lauriers, la tunique de service jointe aux cottes
de mailles , les massues et les glaives changés en
bâtons de Constables, les deux gardiens de la ville
produisent un effet fort comique. Les barbes tor-
dues, la bouche entr'ouverte , roulant les yeux, ils
s'adressent réciproquement le reproche de leur inu-
tilité^ accompagné de grimaces effroyables.
Tel a été le sort défmitif de cette fable intéressante
de l'origine troyenne des Anglais, sort bizarre»
moitié sérieux , moitié riçible.
Née chez la race la plus poétique du moyen-âge,,
accueillie avec faveur par une nation jeune et par
conséquent vaine et crédule , exploitée avec plus ou
moins d'art par les poètes, oubliée ensuite, ou
écartée par la critique, elle devient enfin, pour
un romancier , le prétexte de raconter une touchante
histoire , et pour le caricaturiste, l'occasion de pro-
duire une charge excellente.
rn
UDBS
BOft LES
ANTIQUITÉS JURIDIQUES D'ATHÈNES.
LA RESTITUTION DE LA DOT
A. ATHÈNES (I) ,
Par M. Exapère € AILLBIIER ,
Profeueiir à la Faculté de Droit de Grenoble,
membre correspondant.
Le sujet que nous nous proposons d'aborder dans
celte nouvelle étude sur les antiquités juridiques
d'Athènes a déjà plus d'une fois attiré Tatlention
des historiens du droit. Est-il possible, en effet , do
traiter de l'organisation de la famille athénienne sans
rechercher quelle fut, au point de vue pécuniaire,
la situation de la femme ou de ses représentants au
jour de la dissolution du mariage? — Aussi, sans
(1) Ce mémoire a été lu devant P Académie des Inscriptions et
Belles-Lettres, le 16 novembre 1866; mais il a paru trop exclusi-
vement juridique pour ^tre inséré dans le Recueil des savants
étrangers, L*Académie 9*est bornée à Taira imprimer, dans les
Comptes-rendus de ses séances , une analyse soigneusement faite, à
l'exactitude de laquelle nous sommes beureux de pouvoir rendre
hommage { Compies-rendus des séances de Vannée 4866, p. 575
à 379).
108 ÉTUDES
parler des auteurs d'ouvrages généraux sur le droit
attique, tels que Samuel Petit (1), Platner (9)«
Meicr (3) , de Pasioret (4) , Wachsmuth (5) et
M. Scbœmann (6) , M. Van Stégeren (7) , M. Jules
Cauvet (8) , M. Van den Es (9) et M. Albert Des-
jardins (10), dans leurs dissertations spéciales sar la
condition des femmes à Atbènes , ont résumé briève-
ment les règles les plus importantes de la législation
sur ce point intéressant.
Mais, dans toutes les monographies que nous ve-
nons d'énumdrcr, la question de la restitution de la
dot ne se présentait que comme une question secon-
daire. — Peut-être n'a-t-elle pas été suffisamment
examinée sous toutes ses faces. Quelques points de
vue ont été omis; certaines distinctions indispen-
(1) Leges fiiticœ. Ed. Wesseliog. Leyde, 17A2, p. 5A8 et soir.
(2) Der Process und die Klagen bei den Attikern , Darmstadt,
182^, passim,
(3) Der attitche Process^ iJalle« iS24, passim et p. &19 à &SI.
(Â) Histoire de la Législation, Paris, L VI (i82&), p. A17 et suif.
(5) Ilellenische AUerlhumskunde, Halle, t. II (1SÂ6), p. 177 à
179. — Pendant que nous rédigions ce mémoire, M. Wacfasmntli est
mort à Leipzig, le 23 janvier 1S66.
(6) Giieeliische Alterth&mer, 2< édit Berlin, 1861, t I, p. 582
et suiv.
(7) De conditione civili feminarum athenien$ium, ZwoU, 1S89,
p. 134 à 139.
(8) De l'organisation de la famille à Athènes , Paris, 1845,
p. 25 à 31.
(9) De jure familiarum apud Athenicnses , Lejde, 1864, p. 56
à 63.
(iO) De la condition de la femme dans le Droit civil des Atké-
niens^ Paris, 1865, p. 11 à 16.
SUR LES ANTIQUITÉS JURIDIQUES d'aTHÈNES. 109
sables pour concilier des textes qui , sans elJes, se-
raient contradictoires ^ ont été négligées ; plusieui*s
passages des orateurs grecs ont été laissés de côté,
et les grammairiens n'ont pas été sutlisamment mis à
contribution. — Ce sont ces lacunes el ces omissions
que nous allons essayer de combler.
Nous croyons être arrivé , suns autre secours que
celai des textes, et en laissant de côté les simples
conjectures, à rétablir d'une façon sulHsamment har-
monieuse un corps complet de doctrine sur la resti-
tution de la dot à Athènes. — Preuve nouvelle que la
législation de cette illustre république n'était pas
anssi imparfaite qu'on le dit quelquefois 1 Pour pou-
Toir discerner aussi nettement qu'elle l'avait fait les
différentes nuances et les divers aspects d'un sujet
en apparence fort simple , il faut que la science du
jurisconsulte soit depuis longtemps soiiie de cette
période de tâtonnements et d'essais par lesquels elle
se forme péniblement.
C'est à raison môme du grand nombre de textes
par nous recueillis, que nous nous sommes décidé h
écrire cette étude : aussi , nous permettra-t-on de
nous effacer le plus souvent pour laisser les docu-
ments originaux parler à notre place. — Un éminent
académicien , qui a fait à nos premiers travaux l'hon-
neur d'une appréciation bienveillante , et dont l'in-
dulgence et les encouragements nous soutiennent
dans nos laborieuses recherches , M. Eggcr, nous a
reproché de ne point donner à ces études tous les
développements qu'elles peuvent comporter (1). —
(1) Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, CompteS'rendus
pour Cannée iS65, p. hZ7.
I I i KTFDtS
[lar équivalent , mais commo corps cerlaiii el dëter-
ininé.
Si kl dut se composait de choses fongibles , elle
ilevenait au moment même du mariage la propriété du
mûri ; le droit de ta temme se tninsformnit en un droit
de crtsiuce , prolé«fé par certaines actions , entouré
de certaines garanties , que nous étudierons bientôt.
Si, au contraire, lu dot était composée de corps
certains^ sans distinction entre les meubles et les
immeublef^ , la propriété continuait d'appartenir à la
femme; le mari avait seulement un droit de jouissance
et, au jour de la dissolution du mariage, c'était en
nature que la restitution devait se faire , soit à la
femme devenue veuve, soit à ses héritiers.
A côté de la dot, il y avait les biens psirapheraaux,
ceux que la femme n'avait pas constitués en dot :
;xr; ev ty; zps'.y.i ':ET'.;xY;'jji.éva, et dont la femme conservait
tout a la fois la propriété , l'aduiinistration et la
Jouissance. — C'est sur ces biens paraphernaux que
la femme pouvait contracter des obligations vala-
bles (!}.— Il est vrai que sa capacili» avait été singu-
lièrement restreinte par la loi , puisqu'on ne lui
permettait point de s'obliger au-delà de la valeur
il'un médimne de blé (2) ; mais , dans cette mesure,
ses engagements étaient réguliei-s , el pouvaient
s'exécuter sur sa fortune paraphernale. — Il ne
saurait être ({uestion ici de restitution, la femme
étant toujours restée saisie de celte classe de biens.
(1) ScliœmaQU, G ricclnsvhe Allen humer, 1, p. 533, 533.
(2) Isée, De Aristarchi hcreditatc, $ 10, D. 306. —Cf. Aris4a-
pliane, Ecctesiazusœ, v. 102.^ el 1025.
SUE LES ANTIQUITES JURIDIQUES D'aTHÈKES. 115
n y avait enfin les biens compris dans les donations
en fiivenr du mariage ( §vexa t9u y^H^^^)» Q^e des tiers
avaient pn faire à la femme. — Si celle-ci n'avait pas
•Q la précaution de les constituer formellement en
dot» ils appartenaient définitivement au mari, qui
n'était jamais tenu de les restituer (1).
L'oUigation de restituer n'existait donc que pour
les biens constitués en dot : èv vr^ icpotxt TeTtiJLV)(iiva :
—la dot de corps certains se restituant en nature ,
la dot de choses fongibles se restituant par équivalent.
II.
Cette distinction que nous venons de présenter,
quant aux droits du mari sur la dot , entre les corps
certains et les choses fongibles , n'est point admise
par H. Desjardins , dans le mémoire qu'il vient de
publier sur la condition de la femme d'après le
droit civil des Athéniens. — c Tant que dure le ma-
riage , dit-il , la dot appartient au mari ; aussi , se
confond-elle avec ses biens.... Quand la fortune du
mari est confisquée , la dot de la femme est comprise
dons la confiscation. Le mari dispose librement de
la dot/ puisqu'elle est comprise dans ses biens (2). >»
Et l'auteur cite immédiatement, comme preuve à
l'appui de ses affirmations, l'exemple d'un mari
aliénant seul la maison que sa femme avait constituée
en dot (3).
Si M. Desjardins n'avait en vue que des dots con-
(i) liée. De Pjfrrhi hereditate, $ 85, D. 75k.
(2) Lœ. df., p. 18 et li^
(3) Isée, De Dicmagtnii hereditale^ $ S9, D. S70.
i!6 KTFDKS
ftistant en argent ou en autres choses fongibles, nous
aurions déjà quelques critiques à diriger contre les
formules qu'il emploie et qui ne nous paraissent pas
toutes suffisamment exactes. Nous verrons notam-
ment que la confiscation ne faisait pas échec aux
droits de la femme. — Mais la pensée de Tanteur
porte tout à la fois , cela est évident , et sur la dot
de choses fongibles, et sur la dot de corps certains ,
puisqu'il mentionne l'hypothèse où la femme avait
apporté à son mari une maison. — Or /il nous est
impossible d'admettre qu'il y eût translation de la
propriété des corps certains de la femme au mari.
Démosthène fournit un imposant argument en fa-
veur de notre opinion. — Ëvergus et Mnésibule , se
prétendant créanciers du client du grand orateur, se
rendent chez leur débiteur pour y pratiquer une
Sfiisie. Parmi les objets qu'ils veulent emporter, il
en est qui ont été constitués en dot par la femme.
Celle-ci leur défend d'y toucher. — ■ Qu'ils emmènent
les moutons, les esclaves, les bergers de son mari;
elle se gardera bien de faire aucune observation.
Mais si l'on s'attaque à sa dot : « Laissez ces meubles,
ditHBlle, et n'emportez rien de ce qui m'appartient. »
Ta hï aït£UYj èîxe, Kal i/.r^$àv TON EMÛN çépers (1).
Et qu'on ne nous dise pas que , dans ce passage ,
il s'agit de biens paraphernaux , dont nous avons
nous-méme admis l'existence à Athènes. Les meubles
sur lesquels la saisie porte injustement avaient été ,
le texte nous le dit , constitués en dot par la femme ;
cV TTJ Trpcixl TST'.'XTjlliva.
I) (\ hrrr/finii et Mnfiiiulnm, jj 57. W, Il5rt.
SUR LES ANTlOUrris JUAIDIQUES 0'ATU£M£S. 117
IJd texte d'Isëe peat nous fouirnir ua secon4 arga-
ment dans le môme sens. — Le mari de Tépiclère ne
devenait pas propriétaire des biens de sa femme,
cr Aristomëne et Apollodofe, s'ils eussent épousé
lenr nièce , n'auraient pas eu, dit Torateur , un droit
de libre disposition sur les choses recueillies par elle
dans la succession (i). a — A combien plus forte
raison ce droit de libre disposition devait être refusé
un mari ; au mari dont les droits semblaient moins
respectables et moins dignes de faveurque ceux des
parents, assez puissants pour rompre une union bien
assortie et se substituer à Tépoux.
Que répondre cependant au passage dlsée qu'in-
voque M. Desjardins? — Nous croyons qu'il n'est rien
moins que décisif. Uorateur se place , en effet , dans
une hypothèse où la dot avait été constituée en ar-
gent : èict T£r:apaxovTa pivatç. Seulement le débiteur ,
au lieu de payer en écus , s'était libéré par le moyen
d'une dation en paiement: 'Avrl l\ rJ5<; wpoabç, tyjv
smCav flWTÛ TYjv èv Kepapisixco TzaL^iltùr,^ (2) . — La diffé-
rence est grande entre ce cas et celui où l'immeuble
aurait été constitué directement en dot, et> s'il était
besoin de le démontrer à notre collègue , nous le
renverrions à l'article 1553 de notre Code Napoléon ,
d'après lequel la propriété de l'immeuble donné en
paiement de la dot constituée en argent appartient
au mari et non pas à la femme.
La restitution de la dot de corps certains devait
donc se faire en nature et en conservant aux choses
(1; De Aristarchi hevedilaie, $ 12, D. 307.
(2) Isée, De DicaogenU hercditale, $ 26, p. 270.
118 ÉTUDES
lear individualité (1). — Aussi , quand Mëhédès se
sépare de sa jeune femme, il lui remet les vèteineiits
et les bijoux qu'elle a apportés , et non point leor
valeur : '0 MevexXfiç... xà tfiiTta , Sl ^X^ f^ou^a icatf
ixeîvcv , xat t% xpuaBta , â ijv , 3{ô(iW.v oiÔTfl (2).
111.
En principe, l'obligation, pour le mari ou pour ses
représentants, de restituer la dot constituée au profit
de la femme ne prenait naissance qu'au jour où le
mariage venait à se dissoudre. — Par exception, elle
(1) Notre luuiorable collègue, M. Gide, dans mm Étude 9ur Im
condition privée de la femmes Paris, 1S67, p. 9S, eslde TaYis de
M. Desjardins, t Pendant le mariage, le mari n'était pas seulement
administratenr de la dot , il en était le maître..... • L*aateiir ,
citant M. Boeckb, s*appaie sur ce que le fonds dotal était loserH an
cens sous le nom du mari et non sous celui de la femme. = Noos
opposerons d*abord à M. Gide les arguments que nous a?oiM hk
valoir contre M. Desjardins ; nous ajouterons ensuite que If, BcacUi
lui-même reconnaît que le droit du mari était seulement un droit
d*usufruit : « Der Ehcgatte erhielt die Mitgift eben desslialb, daroH
er die Nutzniessung da?on batte i [Staatshaughaltung der Athener,
V éd., Berlin, IS5i, L I*', p. 666 ). Nous remarquerons enfin que,
si le mari était tenu de payer les impôts , c*est que tout usufruitier
doit acquitter les charges qui sont une dette des fruits ( Codé iVb-
poléon, art 608 ). ~ Ce que dit M. B<Bckb est donc parfritement
d*accord a?ec ce que nous avons écrit —Nous pouTons joindre à
son autorité celle d*un professeur de TUnirersité de Cambridge,
M. Whislon : « llie portion was not considered the property of tbe
huaband bimself, but rather of bis wife and children > (Smilk,
Dictionary of greek antiquities, 3* édiUon, p. 496 ).
(S) l6ée , De Meneetiê hereditate^ $ 9» D* ^ài.
SUR LES Ain-igUITES JURIDIQUES D'ATHë^ES. 110
se formait encore dans une circonstance offrant quel-
ques traits d'analogie avec notre séparation de biens.
La législation athénienne admettait trois causes de
dissolution du mariage : l'une , qu'elle avait em-
pruntée au droit naturel et que nui Code no peut
empêcher^ c'est-à-dire la mort naturelle de l'un des
deux époux ; — les deux autres qui appartenaient au
droit positif et que nous ne reconnaissons plus au-
jourd'hui : la mort civile et le divorce.
Quant à ce que nous appelons la séparation de
biens, celle cause de restitution se renconti'ait lorsque
la fortune du mari avait été confisquée et allait être
vendue aux enchères publiques, comme conséquence
d'une condamnation prononcée contre l'époux , mais
n'enlevant au condamné ni le droit de cité, ni la li-
berté.
Nous devons toutefois répondre ici à une grave
objection. — M. Van den Es , dans son beau travail
sur Le droit de famille à Athènes, se refuse à admettre
cette restitution de la dot antérieure à la dissolution
du mariage : « Dos, licet nunquam in domininm ma-
« rili cedit , non repotitur nisi matrimouio soluto. »
Mais, comme des textes nombreux robh'gcnt à recon-
naître que , lorsque les biens d'uu déhileui- étaient
confisqués (izcYpa^f'jjLSvx Br/ji.G<7(z ) , la dot devait êlrf
restituée, il en conclut que la confiscation était uup
cause nécessaire de dissolution pour le mariaçre :
« Bonorum publicationcni , igncminia* f»fniH , so-
« quitur matrimonii solutio (I). »
Si M. Van den Es se bornait à diiv que la honnntm
(1) De jure famUiarum apud Athenienses, p. 50.
liO ÉTUDES
publicatio pouvait être pour la femme une cause légi-
time de divorce , nous ne verrions nul inconvénient
à admettre sa solution. Mais nous ne pouvons nous
résigner h reconnaître qu'elle produisit à Athènes un
effet aussi exorbitant que celui de dissoudre de fdein
droit l'union conjugale.
Sans doute , si la bonorum publicatio n'avait été at-
tachée i)ar le législateur qu'à des faits d'une gravité
oxceptionnelle , on compiendrait à la rigueur que la
loi , pour mieux punir le coupable , eût brisé son
mariage. — Mais il en était tout autrement. Les dé-
biteurs du fisc se voyaient tous, sans exception,
atteints par cette mesure à laquelle on voudrait faire
produire de si déplorables conséquences ; — non pas
seulement ceux qui avaient été, pour leurs crimes,
condamnés à des amendes qu'ils ne pouvaient payer;
— non pas seulement ceux qui , après avoir géré des
fonctions publiques entraînant le maniement des de-
niers de l'État , se trouvaient, à l'expiration de leur
charge , comptables envers le Trésor par infidélité
ou par négligence; — mais encore ceux-là qui, présu-
mant trop de leur crédit , s'étaient rendus adjudica-
taires de biens vendus par le fisc , et ne pouvaient
en payer le prix à l'échéance; — bien plus encore,
ceux-là même qui , sans être personnellement débi-
teurs , avaient obéi à un sentiment de généreuse
bienveillance en cautionnant un débiteur du fisc :
cl iff^aç ^ffUTioavTEç ^pc; to cr^jjiijtov (1). — Or, com-
ment admettre que ces fautes aient paru assez graves
au législateur athénien pour qu'il se soit attribué le
.1) AndfK'idr, De mysterih, $ 7iî, D. 00,
SUR LES ANTIQUITÉS JURlDigiES D'aTUÈNES. 121
droit de briser, en se fondant uniquement sur elles ,
an mariage dont la femme eût désire^ le ifaaintien : àene
eoneordans mairimonium, comme disaient les Romains 7
La pubUcatio bonorum donnait à la femme le droit
de réclamer la restitution de sa dot , nous devons en
convenir; mais il ne faut pas en conclure que le
mariage était dissous. Il y avait seulement une resti-
tution anticipée, rendue nécessaire par les circon-
stances et sans laquelle les droits de la femme eussent
été sacrifiés à ceux du Trésor public.
Nous admettons donc , en résumé , que quatre cir-
constances donnaient à hi femme ou à ses représen-
tants juridiques le droit d'exiger que la dot fût res-
tituée : la mort naturelle, la mort civile, le divorce
et la confiscation des biens du mari.
Nous allons les reprendre successivement , en en-
lisant pour chacune d'elles dans quelques détails.
IV.
La mort naturelle de l'uu ou de l'autre des époux
mettait fin au mariage ; et la dot , ayant aloi^ rempli
sa destination, devait être, en principe, restituée pnr
le mari ou par ses héritiers. Tel est le droit attique
dans sa simplicité. Mais , pour éire complètement
exact, nous devons distinguer certaines hypothèses
et bien préciser les dispositions particulières qui ré-
gissaient chacuuc d'elles. — Les règles de la resti-
lutîon n'étaient pas, en effet, les mêmes pour tous
les cas qui pouvaient se présenter, et nous allons
123 ÉTUDES
essayer de les mrnener, s'il se peut, k une ciasufi-
cation méthodique.
La mort du mari peut précéder celle de la femme,
de même que la mort de la femme peut précéder
celle du mari.
Que le mariage se dissolve par la mort dn mari ou
par la mort de la femme , Tunion peut avoir été sté-
rile, ou bien les enfants qui en étaient issus sont dé-
cédés avant leui's parents. — On peut supposer, ao
contraire , que les époux ont une postérité actuelle-
ment existante.
Enfîn , dans le eus de décès du mari avant la
femme, il est permis de prévoir Thypothèse où,
nonobstant l'inexistence d'enfants survivants, la gros-
sesse de la veuve laisse espérer que le défunt aura
un héritier dans la ligne directe descendante.
Comment, dans chacun de ces cas, la restitution
devait-elle s'accomplir? — C'est ce que nous allons
successivement examiner.
§ 1. — Lorsque le mariage se dissolvait par la mort
du mari , la femme , restée veuve avec des enfants
issus de l'union dissoute, avait le choix entre deux
partis.
Elle pouvait d'abord continuer de demeurer avec
ses enfants dans le domicile conjugal; mais elle re-
nonçait par cela même à exiger la restitution de sa
(lot, qui devenait la propriété des enfants, h la charge
par eux dn subvenir à tous les besoins de leur
mère M).
(i) Quel étailalori le /.'Jpis; de la femme? — Voir Van den Es,
I>e jure famitiarum apitd Athenienses, p. 158 , et noire ÉtuHe sur
SDR LES AlfTIQUlTés JURIDIQUES D'ATHÈNES. 123
a Ma mère demeure avec moi , dit l'adversaire de
Phénippe; elle vil dans ma maison ; elle m'a , il est
TTRi, apporté sa dot ; mais cette dot, je ne la fois pas
entrer dans Tinventaire de mon passif, parce que je
n'en sais pas comptable et qae je ne suis pas obligé
de k restitoer; j'en suis devenu le maître absolu ; je
laisse seulement à ma mère la jouissance de tout ce
qui m'appartient, car ainsi le veulent les lois (1). »
L'en&nt qui négligeait d'obéir aux prescriptions
du législateur , et refusait dans cette situation de
subvenir aux besoins de sa mère , était exposé à
une action publique que le premier citoyen venu
avsùt le droit de mettre en mouvement. Nous voulons
parier de la xxxcSiaeci»ç Ysvéwv yp^^Ti (2). — Cette ac-
tion, qoi était de la compétence de Tarcbonte Épo-
ayme, et qui était privilégiée en ce que le demandeur
pouvait donner à sa plaidoirie tous les développe-
ments qo'il jugeait nécessaires, sveu OdsToç (3), si elle
^ reconnue bien fondée , entraînait contre le cou-
pable la peine de ratimie; — non point cette atimie
complète, qui atteignait tout à la fois la personne et
les biens du condamné ; —mais «ne atimie du degré
^ P'fSn» §ree$ du ÏAtuttre et de la Bibliothèque impériale,
^^ 1M7. p. 20.
'0 OéoMMtlièfie, C. Phœnifppum, S 27, R. 1047 — TeHc étoh
*M' h siUialion que 11 loi fiiisait au fils de la fiemme épiclèie...
Kplîtfv TWV /pTiiWtTWV , TGV lï îÎTOV IXSTpcTv Tf| JXlîTp»!
(DéiWihèlie, C Stephtmum, II, S 20, R. 1185. — Cf. Isée, Dr
firHn hertditaie^ S ^^f ^ ^^^ )•
'2) Otlo^ De Alkentensimm aelionilnu foretitibut puhticis, Dorpal,
^952, p. M et SDÎv.
(I) Hirpocntîoii, ?* KxxiÎKrsfaiç. Ed. Bekker, p. lOd.
130 ÉTUDES
èx Tôjv xoXsjjl{u>v eiva'. Tbv /^uOivra, iàv ^nij Âi:oît3îJi ta
XjTpa (1).
Nous pourrions^ il est vrai, mentionner encore
quelques autres cas où le môme lésultat semble
s'être produit^ notamment celui où un Athénien était
oondanmé à la suite d'une 'jzoBzXff^ TP^Ç'iQ* —Biais
rauthcnticité des textes sur lesquels on se fonde,
n'étant point admise par tous les commentateurs (2},
nous devrions , en les adoptant ici , indiquer les rai-
sons de nos préférences ; ce qui nous écarterait du
sujet spécial que nous nous sommes proposé de
traiter.
Lu perte de la liberté entraînant nécessaii^ement la
dissolution du mariage, la dot de la femme devait
être restituée.
VI.
Le divorce pouvait avoir lieu , à Atbcnes , soit par
la seule volonté du mari, soit par la seule volonté de
la femme, soit par un accord mutuel des époux , soit
môme par la volonlé d*un étranger.
§ i. — La fîxculté de divorcer pour le mari (i7:é-S(ji'.{>i;)
ne parait pas avoir été restreinte par le législateur à
certains cas limitativement déterminés. — A côté de
répudiations qui peuvent se juslifler par des causes
sérieuses (l'adullère de 4a femme, particulièrement,
orsqu'il avait été juridiquement constaté , rendait
(1) Démosthèiic, Atlversvs Nieottralum, % 11, R. 1250.
■;2) V. nolamniciil Meier, De honl< tiamnntorum , Berlin, 1S19,
p. 19 ù 30.
StB LES A!«TIOriTKS JinilllUt bS I^ATIlk^KS. Mil
oUigttoiK la séparation) (I), nous en trouvons
d^Qtres qn'il serait plus difticilc d'expliquer. — C'est
Hîppomcus qui renvoie sa femme pai-ce qn'il la soup-
çonne seulement d'avoir des relations tout ù la fois
«tnltëres et incestueuses avec son frère Alcibindc {2);
—c'est Protomachos qui divorce, afin de pouvoir
s'enrichir par un mariage avec une opulente ëpiclêre,
et qui croit avoir suflisamment pourvu aux intérêts
de sa prenûëre femme en la faisant épouser pur Tun
de ses amis (3).
Le seul frein existant à la multiplicité des divorces
était prëcisëment, Isée nous l'apprend, dans l'obli-
gation poar le mari de restituer la dot qui lui avait
été apportée (4). — Et môme, il arrivait quelquefois
qœla femme, à raison des fautes dont elle s^tait
i^dne coupable envers son mari , par exemple à
'^ûonde son inconduite, était privée du droit d'exiger
h restiintion (5).
(<) Déoioitliène, C AVari-am, S B6, R. 137&.
{2; L^s, r. AleibUuiem, $ 28, D. 166.
(1) IMoiOilbène, C. EubuUdem , % hi,T\. 1311. —Cet excinpl<*
'NusparaU répondre d*une façon pôrcmploirc h l'observalion sui-
fvfedetf. Desjardins : • U est pit>bable que, de part et d*autre,
■Kjaite cause étoit nécessaire. Autrement, celui qui , déjà marié,
toolailépouser une èrrixXTjps; n^aurait eu qu'à répudier sn femme. i
[ijoc, ciLt p> iO. )
Pliraslor, qui avait épousé la Tdle de Ncaïra, crovant épouser la
fiite de Stéphane, divorce : l*" parce qu*îl a été trompé sur Tétat
mil de sa femme; 3* parce qu'elle a des mœurs lég^^cs (Démos-
Ihrne, C. Seœram^ % 5â, R. 1362).
{h) Isée, De Pyrrhi hereditate, % 28, D. 253.
(5; Nous n'avons ici d'antre autorité que \f. Scliùmanu: » liailc
iber die Frau durdi itir Beiragcn eiueu gesetzliclicn Grjiid zur
132 ÉTUDES
C'était là toutefois Texception. La restitatioD p telle
était la règle du droit commun. N6(aoc «cXt6ct, iàv
izv:d*^7Tr^ tvjv vuvxtxa, dbccSiSivaii x^ «poixa (I).
§ 2. — Le divorce, lorsqu'il avait lieu par la volonté
de la femme {ii:6'ktv^ç) ^ devait reposer sur quelque
cause plus ou moins sérieuse (2). — On ne s'expli-
querait point sans cela la nécessité imposée par la
loi à la femme de s'adresser à l'archonte pour obtenir
de lui l'autorisation de quitter son marL
Dans ce cas , aussi bien que dans celui où le di-
vorce avait lieu par la volonté du mari , la femme
ne pouvait point exiger la restitution des objets qai loi
avaient été donnés en faveur du mariage : Svtxa toS
YijJiou. C'est ce que nous apprend un texte dlsëe (3),
dont nous avons plus haut généralisé la solution. <p-
Mais de ce que la loi avait cru devoir s'expliquer sur
une certaine nature de biens , il ne faut pas conclure
que la dot restait au marL Elle devait être restituée,
et Démosthène nous en fournit la preuve.
Âphobus avait été condamné à indemniser le grand
orateur du préjudice qu'il lui avait causé en gérant
mal la tutelle qui lui avait été confiée. Démosttiène ,
Scbeidang gegeben, i. B. dorch Ehebruch, so war Ihr Mlgift
ven»'irkt ■ {GriechUche Alterthûmer , 1861, I, p. J^S. )
(1) Démosthène, C. Neœram, $ 52, R. 1362.
()) • l\ n'est point honorable pour une femme de se séparer de
:M>n mari. •
oi Yàp eùxXeelç ixaX)^^^'
•fjvaîÇiv (RuRipiDK, .1fA//«,T. sse-ss?.)
(1; Isée, De Pyvrhi herettitale , % 35, D. 25&.
sut LES AHTIQUITfe JURIDIQUES D'ATHÈHES. 133
ponr obtenir le paiement des dommages et intérêts
qni Ini étaient dns et qu'il réclamait en vain , fiit
obligé de pratiquer une saisie sur les biens de son
débiteur récalcitrant Aphobns s'entendit alors avec
Onétor, son beau-firère, pour paralyser la procédure
qoe le créancier venait de commencer, a J'ai marié
ma sœnr à Apbobus, dit Onétor, et je lui ai constitué
une dot Aujourd'hui ma sœur a demandé et a ob-
tenu le divorce... dbcoXeXoiiniCa^ Tfjç dîeX^fiç. Le mo-
ment de la restitution est donc arrivé. Mais Aphobus
ne se conforme pas à ses obligations et je ne puis
recouvrer la dot... t^ xpotxx... xo)ii(oao6(xt S' où 8uva-
(&CVOÇ. L'immeuble sur lequel vous dirigez des pour-
suites est hypothéqué à la sûreté de notre créance et
noua garantit la restitution. Vous ne pouvez donc pas
vous bire payer sur lui au détriment de la dot(l). •
Si Démosthène conteste la vérité des foits rappelés
par Onétor, il respecte, quant au droit, l'argumen-
tation de son adversaire.
§ 3. — Après les explications qui précèdent, nul ne
peut mettre en doute que lu restitution se produisit
également lorsque le divorce avait lieu par consen-
tement mutuel.
Voici d'ailleurs 9 s'il en était besoin, le témoignage
dlsée : — Ménéclès, déjà avancé en âge et n'espérant
plus avoir d'enfiints, ne veut pas condamner sa jeune
femme à ignorer plus longtemps les joies de la ma-
ternité. Malgré leur affection réciproque, et non sans
un vif chagrin, les deux époux se séparent amiable-
(i) Dèmoslbèiie , C Onetorem^h S^* ^ ^^^
IHl ÉTl-UKS
iiicuL liiiiiiédiateinefit après cette séparation, Mé-
néclès s'empresse de restituer à son ancienne com-
pagne la dot qu'elle lui avait apportée au moment
du mariage. M^vexAi^^ tiqv Te T:pzXta iir.îfôcor.v xÎTÎj,...
xx'îTà h/.iv.i,.. îtxi Ta )rp'jjt5ta (4).
§ 4. — Nous avons dit enfin que le divorce pouvait
résulter de la seule volonté d'un tiers.
Tantôt ce tiers était le père de la femme. —
Polyeuetc se brouille avec son gendre Léocrate , et,
pour se vcngiM' de son nouvel ennemi , il ne trouve
Heu de mieux que de lui enlever sa femme et de la
luarier à Spudias. 'A^sX^iâsvc; tTjV Oy^xTépa, S{2«»at
(Juclqueibis, c'était un simple piireut. — Lorsqu'une
i'einmc mariée pci*daii son père , et que , à défaut
d'enfants uiAIes , elle se trouvait appelée à recueillir
sa succession , le plus proche parent avait le droit
lie venir dissoudre le mariage et d'épouser l'épi-
cière (3).
Mesure que nous ne saurions trop blâmer si nous
la jugions au point de vue de notre civilisation ! —
Nous avouerons même que toutes les considérations
religieuses que l'on invoquait pour la justifier ne nous
touchent que fort médiocrement. Il faut que le désir
de ne pas voir une famille s'éteindre ait été bien
puissant chez les Athéniens, pour qu'ils aient permis
a ini étranger do désunir deux époux , sans s'in-
1; Iséc, DeMmcciis luret/iialv, $ y, D. STi.
(2) Démosthëiic, (\ Spudiam, % &, R. i029.
(3) Iséc, Dt Pyrrhi hertdiiate, {64, D. J58.
SUR LES ANTIQUITÉS JURimuUES O'aTHKNES. 135
<piéier de leurs protestations ni de leurs résistances.
Mieux ?alait encore , croyons-nons , Tcxtinction du
colle domestique , si respectable qu'il pût être, que^
sa conservation an prix d'iit teintes portées tout h la
fois à la liberté privée et h l'intérêt social
Isëe nous révèle, en effet, un trait de mœurs assez
curieux, qui prouve que le but de la loi était parfois
manqué. Une femme, pour laquelle son mari avait,
an su de tous, la plus vive affection, fut appelée h
recueillir Thérédité paternelle. Les plus proches
parents se mirent en possession des biens de la
succession , au mépris des droits de la fille ; et ,
lorsque , plus tard , le mari , prenant en main les
intérêts de sa femme , vint réclamer : « Si vous ne
savez pas vous contenter de ce que vous avez déjà ,
lui fut-il répondu, et s'il vous faut de plus la succes-
sion de votre beau-père, nous allons user de notre
droit et vous séparer de votre femme • (i). La loi
était si formelle que le malheureux époux dut s'in*
cHncr devant cette indigne spéculation , et que , poui
conserver la femme qu'il aimait , il laissa les usur-
pateurs jouir paisiblement des biens héréditaires.
L'esprit qui avait préside à In rédaction de la loi
qui nous occupe ne permet pas de supposer qu'on
laissât la dot au mari pour le consoler de îron veuvage
anticipé. — Le plu^ proche parent pouvait certaine-
ment exiger tout à la fuis, la restitution de la dot et
In restitution de la femme.
I) Idée, Ue AHsIanhi heretiitaU; % 19, D. tOi^.
\ 3fi ÉTUDES
VU.
La restitution de lu dot se produisait en dernier
liou, lorsque les biens du mari étaient coafisqnéB
pour i^tro vendus au compte du Trésor public. — La
roninu^ pouvait alors , comme tout autre créancier ,
n^clamer du lise le montant de sa dot consistant en
«•lioscs fongihlrs. C'est pour cette hypothèse même
(pi(« VfityMoifujinm magnuvi nous dit formellement :
sTi'ii^ (I). < Il était permis à la femme de venir au
pn*mior rang réclamer ce qui lui était dû à titre de
dot. »
iVtto réi'lamalion avait lieu au moyen d'une pro-
roduro spéciale que les lexiques désignent sons le
nom d'iv«;:{3xr,;jL;Aï (i). — Otto action, dont la
oonnaissauoe ap|Kirtonait aux I-jvSixs* (3} . se diffë-
ivnoiait dos actions onlinaires , on ce que le deman-
dour idaus noin* hy|H^lht\<o , la femme représentée
|KU' son xj:î;;^ devait* au début do Unslance, déposer
iino sonnuo égale au cinquième de celle qu'elle sou-
louait lui iMrt^ duo. -^ 1. obligation de faire ce dépôt •
connu sous lo nom do -xf«iTa£:Xr, , avait pour
r l^l1l4<^L<A^|lNrslfe5l^piMT.<ail<s|arM.Bciicr (Iwc^ffl
-r^'r^>t--> V-^^^*S« •r,uwc;j5>r; :vr.x-, rs^i -rrs-.ti^ -
^ 5iN
SDR LES AlITIQUITÉS JURIDIQUES D'ATHÈNES. 137
cause le désir d'empêcher des réclamations plus ou
moins mal fondées ; car, outre qu'il était quelquefois
difBcOe an créancier de se procurer des écus en
qoanUté suffisante , la zapxxaTix^oXiQ n'était pas res-
tituée au demandeur lorsque son action ne triomphait
point des résistances du Trésor public (1).
Pour justifier sa réclamation, le wpioç de la femme
disait entendre les témoignages , soit des personnes
qui avaient assisté à la constitution de dot , soit de
celles qui avaient figuré au contrat d'afiectation hypo-
thécaire des biens du mari à la garantie de la dot.
Il devait même fournir des cautions ( i'^Jr^q xata6oXif))
pour assurer au Trésor public Ja restitution des
sommes qui allaient être payées par lui ; précaution
prise pour le cas où , plus tard , on découvrirait que
les exigences de la femme ne reposaient pas sur des
bases sérieuses, et que les juges avaient été indaits
en erreur par de £aux témoignages ! (2)
Malgré la faveur qui s'attachait à la créance
de la femme , il arrivait fréquemment que ses de-
mandes, même parfaitement légitimes, n'étaient
point accueillies. La dot n'était pas restituée. « Nous
sommes dépouillés de la dot qui nous revenait , »
s'écrient les clients de Lysias : 'EaT6pri;i.évoi lï Tt)(;
rpG'.x6^ Iqiiv (3). C'est ce qui avait lieu le plus souvent,
qnand la pénurie du Trésor public était grande (4),
et le plus sage pcirti à prendre aloi^s était de se
.1) Harpocraiion, %• TrapaxaTxssXr; , éd. Bekker, p. 166.
^3) Etymoiogicum imagnum^ 3^0, 37.
(3) Lysias, De bonis Ariêiophani$t $ 9, D. 179.
{h) Lyaias, De bonis Aristophanis , $ il.
\ :I8 KTIDES
t»irc, si l'on ne voulait par ses exigences s'expoeflr
à quelque grave accusation.— Bien [dns, même en
temps ordinaire , la cause de ceux qui cherchaient
A amoindrir les ressources du fisc ne semblait point
digne d'encouragement. Aussi n'était-il pas rare de
voir le demandeur sacrifier une partie , souvent fort
considérable de sa créance, afin de faciliter le re-
couvrement du surplus (1).
— Nous venons de parler de la dot de choses fon-
^iblcs. — Quant aux biens dont la femme était
cl<;mcuréc propriétaire et sur lesquels le mari n'avait
ou qu'un simple droit d'usufruit , le fisc devait les
restituer en nature.
Mais il pouvait arriver qu'ils eussent été compris
il tort dans la confiscation. Par quel moyen la femme
était-elle remise en possession? Au moyen d*une
action privée , désignée sous le nom d'ài»YP*P^Ç
^iytXt (2).— Cette action, sur laquelle nons ne pou-
vons donner beaucoup de détails , était-elle, comme
le dit M. Meier (3), de la compétence des Onze (oi
' EvBexa ) ? — Nous hésitons beaucoup à le croii^e , et
il nous semblerait plus rationnel d'en attribuer la
connaissanco aux -jvcixsi, — Celui qui était convaincn
(1) I.Ttias, De hams pubUcis , 5$ 6 et 10, D. i75.
(S) Uarpocration, v* STOYpxçY; « n*iDdique pts il est vrai,
cette hypotb^ comme rentrant dans la V.xr^ 3rr;'p2^iJ;. <— Mais
iioiiscro\on5, a\cc M. Meier (/>c fouis dammalorum, p. 208), qa*il
V a lieu de Vj compreodir: « Hanc actiooem... tum quoque locam
|Hito habui$se, cnm quis inler bona proscripti, aat errore aal
dolo malo, aliquid, quotl e sub bonis esset, descrîplaB esse
conlendebat • [Lk, nf., p. 209.)
(S) l)r U*Hii dammatonrm^ p. S09,
SIR LES AHTIOCITÉS JURIDIQUES D'ATHÈNES. 139
d'avoir compris à tort les biens de la femme dans lu
eonfiscatioii « était condamné à une amende de
mille drachmes , et déchu pour Ta Tenir du droit
d'dbcTfpipRv (1).
VIII.
Noos avons déjâ^ dans le cours de nos explications,
rencontré quelques- unes des garanties que la loi
accordait à la femme athénienne pour la restitution
de sa dot , notamment la ;:pstxb^ Bixrj , la aiTou S^xr^ ,
la Bfm] dbcovpx^ç et rèv£rioxrj(i4Ax. — 11 nous reste ù
parler maintenant d'une sûreté particulière connue
soQS le nom d'dhrsrCiiiijiAz.
La femme mariée ne parait [uis avoir eu, à
Athènes, ainsi que cela a lieu dans notre droit
français y une hypothèque légale ou tacite sur les
biens de son mari (â) ; mais , à défaut de garantie
résultant de la loi seule, elle avait le plus souvent
une hypothèque conventionnelle , et c'est cette hypo-
thèque que l'on désignait sous le nom d'i7:oT((i.T;(i.x.
A? lï rpb^ TTjv TTpotxa u7;o0f|Xaî, dil Pollux , àT:ov.[L-i\\x7,zoL
lxxXe?TO (3).
(1) Démostbèiie , Adv, IVicostratum, $ 1. R. 12d6.
(S) M. J. CauTet (!oc. cU,^ p. 29) émet une opinion contraire.
Mais le texte d*Harpocralion nous semble formel dans le sens que
nous avons adopté : et TrpcoyjXCVTâî £?(i)0£5av atT-tv rapà ts j
zvBpcç cojirsp iviyupfv v. xffÇ ::po'.y.b; àïisv f v" aTrôT'iJLTiTai .
— Cf. Saidas.
(3) Onoma4tkoêt, lil, 36. —Cf. Vlli, iàt.—\. aussi Uesychius :
'AîWTtjjLïîixaTa- il xpcç Tàç çepvàç C»zo6f,y^'. ; éd. Alberti ,
p. h9î.
iiiO ÉTUDES
Au moment de la célébration du mariage, le
xuptoç de la femme , qui faisait au nom de celle-ci la
constitution de dot (TCtATiOtç èv TcpoixC), devait prévoir
le cas où, lors de la dissolution du mariage par
Tune des causes que nous avons indiquées, le
mari insolvable ne pourrait restituer les sommes par
lui reçues. — Pour se prémunir contre cette éven-
tualité dangereuse pour la fortune de la femme, le
Yjl)p*.oi exigeait du mari une garantie hypothécaire
fournie , soit sur ses propices biens , soit même sur
les biens d'un tiers.
Cette affectation, qui (ainsi le voulait la législation
hypothécaire d'Athènes) ne pouvait avoir pour olget
que des immeubles (clxCav ^^ yj^pio^) (i), n'avait pas
besoin d'être constatée par des actes écrits ; elle se
produisait le plus ordinairement en présence de
témoins, qui, au jour de la dissolution du mariage ,
venaient déclarer l'existence de la convention à la-
quelle ils avaient assisté.
Le législateur athénien, dont la sollicitude fat
toujours si grande lorsqu'il s'agissait de porter à la
connaissance des tiers les droits réels qui frappaient
les immeubles (2) , avait laissé la femme sons Tem-
pire du droit commun d'après lequel les hypothèques
{i) Voir cependant M. Cauvct {loc. cit., p. S9}. — Mais» indé-
pendamment des teites nombreux relatifii au droit ooromun que
Pon trouvera dans noire Étude iur U Crédit foncier à Aîhème$t
p. 12 et suiT., il nous suffit de rappeler m les expitssioi» em-
ployées par Harpocration et Suidas : « bfiyiiipo^ oIkCov ^ x^pCov.
Tfjç TpOirJb^ ^^(Gv, disent-ils Tun et fautre ( v** àmTti&ifiTai).
(2) Voir noire Étude sur le Crédit foneitr à Athhut, Paris,
18G6, p. G et suiv.
SUR LSS AlfnOUirfS JOBIDIQUES D'ATHiNES. i4i
devaient être reodaes pabliqaes. ~La femme mariée
était donc, comme tons les autres créanciers, obligée
de révéler son hypothèque conventionnelle par le
moyen des Spot (1).
Nous possédons encore quelques-uns de ces mo-
numents qui se sont conservés au milieu des ruines
de TAttique. — Ceux qu'il nous a été donné de con-
naître se différencient des 5poi ordinaires, en ce
que le nom de l'archonte, qui servait à l'ajiplication
de la maxime: Prior tempore^ potior jure y ne s'y
rencontre pas toujours. Peut-être avait-on pensé que
cette énonciation était inutile, les intéressés pouvant
toujours arriver à se renseigner par d'autres moyens
sur la date précise du mariage.
n ne serait pas impossible, toutefois, de se fonder
sur ce silence des 5p9i pour soutenir que l'hypo-
thèque de la femme était privilégiée et passait avant
celle de tous les antres créanciers (2). —A l'appui de
cette première argumentation, on pourrait de plus
invoquer le témoignage de VEtymologicon magnum :
lîÇîiv 8è T^ -^aixt icpoîTOv tîjv i^ecXoiiLéviQv ^cpoixa ÇriTeiv,
%ax ëiceiTx T(^ SoyetoT^ (3). « La femme avait le
droit de venir au premier rang réclamer ce qui lui
était dû à titre de dot; après elle venaient les créan-
ciers à titre de prêt. »
(1) Oo en trouve la preuve dans V Étude déjà cilèe, p. 14*
noie S, aiaai que dans rinscripUon que nous reproduisons à la fln
de notre Mémoire.
(3) Die hypothekarisch verûcherte Milgia durfle nicht durdi
Privatglaubiger de« Ehemanos bei Goncursen, und aucli nicht bei
ùSeaÊÏkber Gûterriniiehung gell&hrdet werden. » ( Wachsmiitli ,
Ueltemiuhe Aiiertkwmkunde, Z* éd., t. Il» p. 178-179.)
(3) ZàO, 44.
14^ KTunts
Cependant le résultat serait tellement contraire à
) 'esprit général de la législation d'Athènes qae noai
croyons devoir le repousser. — A quoi bon, en effet,
toutes ces mesures ingénieuses pour assurer le crédit '
foncier ù Athènes , si la rétroactivité de Thypothèque
de la femme pouvait faire tomber les droits les pins
solidement établis ? — Nous croyons donc que l'hy-
pothèque de la femme datait seulement du jour du
mariage, et qu'elle devait sincliner devant toutes les
hypothèques qui avaient été constituées antérieure-
ment (i).
Démosthènc , dans son pi*emicr plaidoyer contre
Onétor, va nous fournir la confirmation de cette pro-
position. — Onétor marie sa sœur à Aphobus; mais
il craint que les biens de celui-ci ne soient hypo-
théqués au profit do son ex-pupille Démosthène, et,
par précaution , il garde le capital de la dot entre
ses mains , et se contente d'en payer les intérêts à
son beau-frère (2). — N'est-ce pas la meilleure preuve
que l'hypothèque de la dot eût dû s'incliner devant
l'hypothèque antérieure de la tutelle , et que , par
conséquent, elle n'était point privilégiée 7
Il est vrai que , plus tard , lorsque Démosthène di-
rigea des poursuites contre les biens d' Aphobus,
Onétor se présenta comme s'il eût réellement payé
la dot, et soutint qu'il avait sur l'ancien pupille un
droit de préférence (3). — Mais rien ne nous dit que
les craintes originaires d'Onélor fussent fondées et
(1) M. J. Cauvct, itK. cit., p. 20.
(S) Démosthèiio, T. Onetorem, I, % 7, R. 866.
(3j Démostliène, T. Onetor^m , I, $ 8, R. 866.
SDE LSS AKTIQUITKS JURIDIQUES d'aTIIÈNES. 143
foe iei créances de Démosthèae ne fussent pas de
sinples créances chirographaires. — D'autre part ,
quelques-ânes des prétentions d'Onétor étaient em-
preintes d'une si grande mauvaise foi, qu'il serait pé-
riOeoi de se fonder uniquement sur elles pour en
fiiire sortir an droit de préférence que toute i'éco-
flomiede la législation athénienne semble condamner.
liS rérité doit se trouver plutôt dans cette réserve
qoe l'adversaire du grand orateur n'avait cessé de
fflontrer, et qui l'avait décidé à ne point se dessaisir
deladoL
Aiosi donc^ la femme n'avait qu'une simple hypo*
(bègue conventionnelle, soumise à la condition de
la spécialité, et ne pouvant être opposée aux tiers
que lorsqu'elle s'était révélée par des inscriptions.
Plus d'un économiste contemporain ne ménagerait
point l'éloge à la loi qui modifierait en ce sens notre
Code Napoléon , et donnerait par là les satisfactions
les plus grandes aux exigences du crédit public.
IX.
La dissolution du mariage , et la confiscation des
biens du mari, voilà, nous l'avons dit, quelles étaient
les causes qui fai$<iient naître l'obligation de restituer
la dot.
Mais la restitution devait-elle avoir lieu aussitôt
que ces causes existaient? -^Nous croyons qu'il faut
encore distinguer ici entre le cas où la dot com-
prenait des corps certains et celui où elle était com-
posée de choses fongibles.
I4i ÉTUDES
Pour la dot de corps certains, la restitation devait
être immédiate. Puisque le mari avait dû la con-
server en nature, il l'avait à sa disposition, et roctroi
d'un terme, sans offrir ancnn avantage, ne prëseo-
tait que des inconvénients.
Mais il en était autrement lorsque la dot consistai!
en choses fongibles. Le mari pouvait, en effet, ne
pas avoir chez lui des sommes ou des quantités suffi-
santes pour indemniser ta femme. — La sœar de
Démosthène , par exemple , avait nne dot de deax
talents. Eût-il élé d'un bon père de famille de garder
improductive cette somme représentant plus de qua-
rante mille francs de notre monnaie ? Le mari l'em-
ployait à des placements plus ou moins productifs ,
dont les intérêts permettaient de faire face aux dé-
penses de la famille. Mais le jour de la dissolution da
mariage pouvait ne pas coïncider avec le jour des
échéances, et il était convenable de donner au mari
le temps de -poui*suivre les débiteurs qui avaient
traité avec lui.
Nous croyons donc que le mari (ou ses héritiers)
jouissait d'un délai pour la restitution de la dot de
choses fongibles. — Si , immédiatement après le di-
vorce accompli, Ménéclès rembourse les vingt mines
qui formaient la dot de sa femme , l'orateur nous fiiit
remarquer que cela tient à une circonstance parti-
culière , son ex-beau-frère ayant à sa disposition de
l'argent qu'il venait de recevoir (1).
On n'avait pas voulu, toutefois, que 'la concession
d'un terme au mari fût une cause de préjudice poor
(1) ls«e, Dt Memtelis hereditate, $9,D, 344.
SUE LES ARTIQVITÉS JURIDIQUES D'aTHÈRES. 145
la femme. Celle-ci avait le droit d'exiger les intérêts
de sa dot, et le taux choisi par le législateur était
pios élevé que celui des prêts ordinaires. — Les in-
térèt9 se calculaient , en effet» snr le pied de neuf
oboles par mois {It: èwé ' 'hôà'koiç) ; ils étaient donc de
dix-hoit pour cent par an (1).
La convention des parties pouvait, il est vrai, al-
léger l'obligation du mari et diminuer le taux des in-
térêts. — Nous voyons Timocrate, le premier mari
de la femme d'Aphobus, stipuler d'Onétor qu'il ne
restituera pas actuellement la dot de sa femme ,
mais qu'il en paiera les intérêts sur le pied de cinq
oboles par mois ( dix pour cent par an) {^),
La femme ou ses héritiei's ne devaient point, après
la dissolution du mariage, rester dans une inaction
trop prolongée, s'ils désiraient conserver le droit
d'exiger la restitution. La loi athénienne avait en
effet soumis à une prescription de vingt ans les
actions désignées sous les noms de 7:potxbç Bixy; et de
5tT0u lixTf (3). — Quant à rèvez(axT^|A;jLa et à la Bixrî
dbTOYP*?»iÇi T^ous avons peine î\ croire qu'elles fussent
recevables pendant un si long espace de temps. La
faveur qui s'attachait tonjoiirs aux intérêts du fisc
avait dû faire abréger le délai à l'expiiaMon duquel
la déchéance était encourue.
(i) DémcMthène, l\ Scœram, $ 5J. R. 136 J. - C\ Àphobum,
I, S 17. K. 818.
7) Démosthène, /'. Oneiortm, I, S 7, R. 866.
3 Isée, De Pyrrhi hmedUale, $ 9. D. 2ôl.
iu
14G LTl'DES SI U LKS ANTIQIITES JURIDIOUKS D'aTUÈXE&
INSCRIPTION
extraite cin Cof pH« iH»rripti9mmat% G
de Bopckli, t. Il» p. lOST 9 a* 9tmt m.
OCTAICUlRlAiCTQNAnOTETI
MIIM K\1}NNÏ K HC APETH EÏCTH
MUnUKAKAHl KPlÎM KN1}NKAIA
NAKKlMENLîNTinoYPAMAIA
^hroAlTEITniENACIlIAlYUONï
KIUAPETHCTHCrYNAlKOCT
IICNAYKPATOYCKAÏKATATACAI
AeiïKACTACKElMENACENTÛI
IKPJlTIli.A'hPOAÏTHCKAinAPE
Y N O M 1 AEIÏQ ï A PX ONTI RAI H
APA TUIHECMOeETEIKTHCI
*i> ti N r i.
N."i,x.:aT:-^ , xî: x.iTi tj; ;:x^rrxx^ tx^ x£:xry2^ ev tw
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T • »>àrjv:viTr KTrr.:û'-.T..
FRADVCTÎON .
lai'.o::'.' ,.:■■.■.; ./..e >-.:: ir> :::,i .sons taisant partie
■ i !.. . : . ■ "< V . v : K : 0.-. vi '. : V ^ ^ 1 t r ? *=. V^ iîi;> ApLrvùite
vi V- . - : . \ ■..::. .. :•:>...>' ^:- v.::vtn:iocs de-
k - •
•« ■_* •^»
K« >. T.v.c- .. «..'»—....■:. r*. ..c>. p..^ n. 9
BOISGUILLEBERT ,
Par M. «I. DEMIS,
Profesmir à la Fteulté des Lettres de Caen , membre titulaire.
Un jour .celait en i6î)7 , au plus fort de la fïuern'
que Loois XIV , à cause du d<!^sordre de ses finances,
soutenait à gi-and'peintî contre Guillaume et contre
la Ligue dWugsbourg}, un inconnu >e préseule chez
le ronlrôleur-général Pontclinrlrain , * le prie de
l'écouter , et tout de suite lui dit ([uM va l«^ prendre
pour un fou, qu'ensuite il verra qu*il mérite att<aition,
et qu'a la fin il demeurera rrmtent de son svbtc'îme. •
Pontchartrîlin , ajoute S:iiul-Sim(>n (jue je ne fais
ici que copier, « rebuté de tant de donneurs d'avis»
qui lui étaient puss<'»s par h»<^ mains, et qui était tout
salpêtre, se mit à rire, lui dil luusquemenl qu'il
s'en tenait au premier (fi savoir qu'il le prenait pour
un fou), el lui tourna le dos. »> C'est ain^i que ce
contrôleur-général, qui savait mieux It» Code et la
Coutume que les finances, et qui , depuis qu'il était
au ministère, ne vivait qus d'expédients ruineux,
éconduisit le seul homme qui , avec Vauban, aimait
assez la France poui' méditer sérieusement sur les
moyens de la tirer de i'abime où elle s'enfonc^'ail ;
cet homme était Boisguillebert, petit magistrat de
Houen , le vrai père de l'Économie politique
Non moins léger»» parfois que Ponlchartrain , la
148 BOISGUILLEBKRT.
France se montre ingi-ale pt^iir ses enfants les plus
dévoués: c'est ainsi que jusqu'à nos jours elle a laissé
dans Tonibrc cl dans l'oubli lo nom do cet inventeur
et de cet excellent citoyen. Voltaire lui donne à peine
quelques lignes , pleines d'erreurs , dans sa liste des
écrivains dn XVll* siècle; les Dictionnaires et les
Biographies ne le connaissent guère mieux. Mais les
économistes et les historiens commencent à lui l'endro
justice ; et peu à peu ce nom obscur reprendra la
place qu'il n)érite parmi les plus nobles et les plus
purs, à coté de celui de Vauban , dont il est insépa-
rable. Boisguillebert me parait, avec Desc^irtes, l'au-
teur fraucjais du XVII* siècle qui eut le plus d'inven-
tion et d'initiative.
a Son admirable livre du Détail de la France , dit
M iclielet dans i^a grande Histoire , précéda de dix
ans la Dhne Royale de Vauban et les Mémoires que
Fénelon envoyait de Cîimbrai à Vei*sailles. Dans ces
mémoires, que voulait Fénelon? Soulager le peuple
en relevant la noblesse, faire le traité des moutons
el dos Inups. Il voulait dans le Télémaque pacifier la
société en rimmobilisiint en castes invariables, dont
chacune porterait tel habit ; Salente est copiée sur le
pensionnat de Sl-Cyr. Tout cela fut écrit visiblement
pour une sociélê de grands seigneurs. Fénelon en
est de naissance. C'esi î^i la noblesse qu'il parle. Avec
plus de douceur el de désintéressement , ses idées
ditrèreul peu de celles de Saint-Simon el de Boulain-
villiers. Btusmiillobert parle au peuple, à tous. C'est
\\ Si» première el redoutable originalité. • C'est, en
clfeK la voix delà nation qui sVIève au milieu de la
niisèro uuivci<olle. La noiilovso ol les privilégiés, qui
BOISliLILLEBkUT. iiO
commençaient à sentir eux-mêmes le poids d'un des-
potisme autrefois si brillant, mais ruineux aujour-
d'iuii , murmuraient dans le secret leui*s plaintes et
leurs espérances. Boisgnillebert cria publiquement ,
et prêta an peuple sa parole hai-die , comme Jurieu
avait fait dans Les Soupirs de la France esclave : le ma-
gistrat catholique confirmait par de tristes réalités
les sinistres avertissements du ministre protestant
Nous reviendrons plus tard sur le côté révolution-
naire de Boisgnillebert, si contraire aux habitudes du
XVn* siècle. Examinons d'abord ses écrits, principa-
lement son Détail de la France , au point de vue de
notre histoire et de l'économie sociale.
La cuerre durait depuis huit ans (1689-1697) contre
la Hollande, l'Angleterre et l'Empire coalisés; nos
finances, absurdcment conduites, étaient à bout; la
misère était générale, et commençait à effrayer parce
qu*elle atteignait la noblesse et le roi lui-même. On
l'attribuait qui à une cause, qui à une autre. Les
uns accusaient les guerres incessantes du règne de
Louis XIV ; d'autres, les dépenses de ses fêtes et de
ses somptueux bâtiments ; ceux-ci , l'énormité de l'im-
pôt ; ceux-là , l'enlèvement des métaux précieux pîir
l'étranger. Tout cela avait de l'apparence et même
quelque vérité. Mais pei*sonne ne voyait ou n'osait
dire la cause permanente de l'horrible misère qui
pesait sur le pays. Boisgnillebert l'expliqua en deux
mots. La consommation est défendue , la consom-
mation est impossible.
Jamais acte d'accusation plus formidable n'a été
dressé contre l'nncien régime ; non que Boisgnillebert
ait contre Louis XIV et f^es ministres les préjugés et
lu passion de Fénehm, de Saint-Simon et de Boulain-
villiois. II acceplo on paraît accepter la royauté avec
le (h'spoiisino si étondn et si louixl qni en était sorti
])arraMivnî île Richelieu , de Mazarin et de Louis XIV,
romincî si r'élait la forme naturelle et normale de la
Con«litution française ; il n'attaque point la nobleJ*se
rnnime inslihitiou ; il peut avoir contre le clcrgJ les
pn-veutinns et 1rs (li>iiances de la magistrature et du
Tiers-Étal , mais à prine les laisse-t-il échapper en nn
mol et CdiiiMM» en |nssant ; ma<risirat, il est natui'elle-
mi'Ml oxcMiiphle la ra^^e ri (li*s fnrtfurs de S;iînt-Simon
(MUitrr 1rs rohiiis , dont il ne voit peut-rtrr pas la paii
dans Ir** maux qu'il mrl si rx^urat^eusement à nn;
mais ( rttt» ahsriicr tir passions politique^ ou pei*3on-
iirlle> rst cr qui doniir plus dr poids el de loi ce à ses
.■uru>ali»>n> , crqui m irndla piutêeplus redoutable.
r.ar « n*atlaquanl ni tritr on trllr personne, ni telle ou
trlle olassr ilt* la soriélr . il sVn prend â la constitu-
tion de reltr soci-lr , Irllr que lavaient faite Terreur
el riiiuoranrr pins rnrore que le mauvais vouloir. Il
a vu par unr intuition de tréuie, ce qu'Aristote seul
avait romiu paruïi 1rs ancien-^ ei ce que les modernes
ne souprtuniaient |kis» le rapport étroit el profond
du rèuimr rconumique l't dr la justice dans les États;
ri Ir prrmir: il sN'st attaché a dr montre -^ qu'une
laussr lonstiîuîîou rci'Uouiiqur est h' p:incipelc plus
iVcoud rt Ir plii> inrsi<libîr triniquile et de ruine.
Parlant de crttr itlre t«u:?t» simple rt qui était, à ce
= ,u'il srudilr » aii-dr--u> dr rrs[uiî de ni»s ministres
kIos î:n.= :u\<. qi.r •.,i!> U> Mrns du m-jude sont inn-
»i;e> s'iUnr-*' iousvviureut fki>, ou bien que consom-
BOI^-GrlL^^:B^:^T. loi
sëqaent la raine de la consommation est la ruine de la
production et da revenu , Boisguillcberl montre avec
la plus saisissante évidence que la taille, telle (|u'elle
était établie, était une véritable défense de consommer,
et que les Aides et les Douanes rendaient la consom-
mation impossible.
La Taille, qui n'était autre chose qu'un impôt sur
les biens en général , semble avoir été dans l'origine
et dans l'intention de son auteur, universelle et propor-
tionnelle. Au moins Boisguillebert interprète-t-il ainsi
cette ordonnance de Charles YIÏ : a Voulons égalité
être gardée entre nos sujets es charges et faix qu'ils
ont à supporter, sans que l'un porte ou soit contraint
à porteries faix et charges d'un autre, sous ombre de
privilège et de cléricature ou autrement (1). » A ces
conditions la taille n'aurait pas été un impôt onéreux;
et Boisguillebert , qui ne la fait monter qu'à trente-
six raillions pour 1697, estime qu'elle aurait pu être
Diciiement doublée , triplée et quadruplée sans trop
ac<iabtcr les sujets. Mais le mal , c'est d'abord que cet
impôt n'était pas universel. Il n'y avait guère, en
effet, que le tiers de la France qui y contribuât;
ensuite , il était si mal réparti qu'il était proportionnel
en niison inverse des moyens ou de la rich(?sse. Telle
ferme de 4,000 livres de rente payait dix écus, tandis
qu'une autre de 400 livres m payait cent ; la première,
dix fois plus forte, était dix fois moins imposée ; ce qui
(I) Cette interprétation de BoisgulUebeit est sans doute erronée.
H ne s*agit pas ici, je pense., des privilèges des nobles ni de ceux
de lant de fondations ecclésiastiques, mais de ceux des roturiers qui,
k titre de clercs ou à tout autre titre, se prétendaient exempts
de rimpdt.
revient a (iiie que le riclie |>ayait cent fois moins que
le pauvHf.
O;- inif|iiit<:> s'expliquent par la mécaDÎqae de
l:i ré[»iirfifion. Le Conseil fixait la somme à laquelle
r.Uni^iw ^l'néralitf'^ dtail imposée, et les inteodants
r.irlU* que devait roumit' cliaque élection de la gé-
néralité («t rliiiquf* paroisse de l'élection. Or« dès
que rariV'l du (Idiiseil était arrivé, chacun faisait sa
cour aux intendants pour que sa paroisse fût favora-
blerucut trait<M; , sans aucun égaitl aux ressources
quVlii^ pouvait avoir. Les personnes puissantes et en
iMMlit laisai«Mil soulager leurs paroisses aux dépens
des auln*h, <'l cela, malgré les efforts de quelques
iutiMulnnts hiru intentionnés , mats dont la justice
iivail i\ii n'*d('i' d(*vaut la puishance de tel ou tel seî-
untMir. r.liaque [taroisse imposée en bloc, c'était aux
rollerteursà imposer lesparliouliei*s. Quand la p^iroîsse
avait êtr bien traitée , il fallait d'abord reconnaître les
MM'vioi'> tlu seiirtuMir aupivs do l'intendant; car ses
M'rvires n'étaient |k)s ijft atuits , et si la taille n'allaît
pa^ dans W Trésor public « elle allait en partie dans
son rottre particulier. I>iins tous les cas, on épargnait
et considéra il d abord les tenuiers du sei loueur de la
|KUiù«i>e » puis ren\ des i:entilsbommes de quelque
consulcration , puis ceux qui étaient a des personnes
de justice . jusquaiix prwureui^ et aux sertrents. Les
colici leurs >e t'aisîiicnt taiix* la cour comme on l'avait
faite aux intendants. lîss<Meup\uenl de ceux qu'ils n*ai*
inaicut jMsou qu*ds jaUMiviienl. Ils ménageaient leurs
jKUvnts et auii>. ncbes ou |\iuvrt*<s: i'f prenaient de
lardent dc5 tiv- cs« c: U iv.oindrt' corruption ëtmit
*e< Sm^-» ïv;ws .iMxqoe^'^ t*s <•* Ui5s.fci,^nî inviter. Plu*
BOISGIILLRBERT. 153
on était paavre et sans protection , plus on était
chargé. Le fardeau retombait tout entier sur les
paysans , sur les artisans et sur les marchands , en un
mot sur les personnes qui n'avaient que leurs bras ou
leur petite industrie pour vivre , selon que Ton croyait
pouvoir en être payé , sans s'inquiéter si on les rui-
nait de fond en comble.
Toute cette cérémonie de la répartition deman-
dant du temps, et la (aille ne rentrant pas, les
receveurs qui avaient érigé en revenant-bon et en
revenus ordinaires, les courses d'huissiers et les
contraintes contre les paroissiens, faute de paiement
dans le temps prescrit , ne manquaient pas de jouer
leur rôle. Le recouvrement commençait, et les collec-
teurs , responsables pour leurs paroisses comme les
Curiales aux plus mauvais temps de l'Empire romain,
se mettaient, non sans tremblor, en campagne.
Ckimme il n'y avait pas de corvée plus désagréable et
que les collecteurs se sentaient peu rassurés , ils se
présentaient tous ensemble , c'est-à-dire sept ou huit
par paroisse, chez chaque taillable, et on les voyait
tmttre ainsi le pavé une purtie de l'année , au lieu de
s'occuper de leurs affaires qui n'en allaient pas mieux,
sans presque rien recevoir que des injures et des ma-
lédictions. Les contribuables cachaient toute montre
d'aisance par la cessation du commerce et de la con-
sommation , et ne payaient que sou par sou après
contraintes et exécutions. Malheur à celui qui payait
trop bien et trop vite I 11 était sur de voir, l'année
d'après, sa charge doubler et tripler et d'être ruiné.
Cependant (car on ne sait lesquels étaient le plus à
plaindre, des collecteui^ ou de leurs victimes), les
malheureux collecteurs étaient accablés de frais par
loi nMT-riMii.F.uKnT.
les receveurs. Pour empcclier h's huissiers d'en venir
d'abord à des exécutions sur la paroisse, on les ré-
iralail vi on leur graissait la patte. Si enfin l'argent
ne rentrait pas ( cl cola arrivait souvent), les linissiers
Taisaient amener tous les bestiaux delà paroisse, sans
s'incpiiéter si les personnes auxquelles ils apparte-
naient avaient ou non ai'<[uitté leur taille. Il fallait
encore de l'argent aux huissiers pour qu'ils n'ename-
nassent pas les bètes trop loin et qu'ils ne les fissent
pas vendre sans délai.
La plupart du temps , la chose se lerniinail par
rcimprisoniHMiienl des collecteui's qui n'avaient pas
pu comph'ter les n-ntrées. Ou bien ils obtenaient , à
tbi-ce d'argent donné aux huissiers, de n'être détenus
que dans (piolque hôtellerie ; ou bien, si le geôlier tes
réclamait rt aviiil quehpie crédit auprès des niitorités,
ilsétaient jelésdîins les prisons malsaines des villages,
juiyanl (piatre deniers par jour pour coucher sur la
paille el n'étant ntuirriscpra leurs frais. 11 fallait donc
que leurs femmes «m leurs enfants fissent des trois et
(piatre lieues pour leur apporter des vivres. Ils ne
sortaient i;uère de pri»*on ipn» ruinés de boui'se et de
santé. Aussi fuyait- on ci»mme la peste cette charge
honoriti(]ue de collecteur : beaueou[» proposaient d'a-
Uindouner tous leurs hi<Mis aux tinanciers et â l'État
pour t'chapper à n«tte corvée : «m était assez généreux
et assez htmiiète pour ne pas h»s écouter, vi ils étaient
coitdamnés à ruiner leuj< concilovens en se ruinant
eux-mêmes après iîviûr essuyé tonte sorte d'avanies.
Hoisjnuilleheit a bien rai>on de conclure qu'une
iiuerre continuelle <erail nnâns a eliargeaux peuples
qu'un im|>ôt« même modéré, comme il était en France,
mais exi^e d'une )Mivilie fa«^*on. Qu'en résnltait-il ?
BOlSGriLLEBERT. i5?>
Outre les animositës et les haines qui exaspéraient les
Vialntants d'une paroisse les uns contre les autres,
(quiconque avait quelque chose le cachait avec soin
^&xi de ne pas voir ses impôts et ses misères augraen-
ier; on n'osait plus consommer; on évitait d'avoir
des bestiaux ; on ne mettait plus d'engrais sur les
terres ; les médiocres ébiient abandonnées et demeu-
raient en friche ; les meilleures étaient mal et à demi
cultivées; chaque année, faute de consommation et
depiodnclÎQn, réduisait une partie delà paroisse à la
mendicité; le reste n'en était que plus accablé Tannée
t^'après. La ruine multipliait la ruine. Imaginez, dit
^isgui Hébert, un rOuIier qui a cent mille livres pesant
à transporter d(? Lyon à Paris, ot qui, au lien de mettre
ÇDarante chevaux h sa voilure, n'en mettrait que trois :
'1 les crèverait tous les uns après les autres sans
arriver an terme de son voyago : c'est l'image de la
France et de ses conducteurs.
Les sages , tout en déplorant le mal , nous disent
qae c'est un mal irrémédiable. Les sages sont des
sots. Qu'ils comparent les villes qui ont obtenu un
tfirif et celles qui n'en ont point. Les dernières péris-
sent. Les autres, quoique n'ayant obtenu qu'à des
conditions onéreuses le droit de se taxer elles-mêmes ,
reprennent vie et tleurissenl. Témoin Hontleur, et
Pont-Audemer, à qui Ton a imposé, outre l'argent
qu'elles donnent au roi, de biltir chacune un port:
ces lieux misérables où on laissait toutes les maisons
en ruine, quand ils étaient soumis à la taille ordi-
naire, n'ont pas plus tôt joui delà concession du tarif,
qu'il- ont recouvré rnbondiinco et la prospérité, etijue
Ton y a plus bAfi on quatre ans que dans les trente
I."»<î ROr^il ILLLBbltT.
années précédentes. Pourquoi n'accorde-t-on pas le
tiirif à toutes les villes qui le demandent ? C'est que
(;i*Ia ne ferait pas les affaires des Imitants, qui ne
|)eiivent s'mrichir «[u'autant que les recouvrements
sont dilliciles, parce <|ue, outre les revenant-bon
des contraintes et des exécutions, ils se font faire des
r(»niises par le Gouvernement. Ils vont criant partout
que le tarif accordé aux villes ruine les campagnes ,
et on les croit maljrré rexpérience.
Je n'ai t»ncore n;produit que la moitié du sombre
Uibleau tracé par Boisguillebert , en en conservant ,
autant que possible, les traits et les couleurs. Les
Aides et les Douanes achevaient ce que Boisguillebert
appelle Tieuvre de destruction et d'anéantissement
i»oinmencée par la Taille.
Ij's Aides n étaient autre chose que des droits tant
sur les vins ou liqueurs qui se vendaient en détail, que
sur ceux qui se vendaient en gros dans les villes on
les hou rgs fermés « dmits qui avaient varié du 16*, au
li\ au 8" et au 4* denier, e est-à-dire de 6,â3 à 9,30,
a 1 1 «50, à 23 pour cent : c'est à ce taux qu'ils étaient,
au moins pour la Normandie . à Tépoque où écrivait
l^oisguilletiert. l>s dnMts, qui ne sont guère bien éta-
hlis encore de nos jours , an raient été supportables et
n'auraient point suttipour arrêter la consommation,
>'ils n'avaient ]>;i> été pousses plus loin. Mais Tinia*
&:ii\iUion des traitants el )vartisans était toujours en
travail |v>ur perlVvlioimer limpiM et |Hmr lui faire
ivndiv le plus qu'il pounail. Le quart en sus et la
jau^^ xeiun; sajouioi an denier qualit" , l'impôt
aîU bientôt presque a li tiei-s do la marchandise; et
%\Mnmo le débit dtVi \in< et liqut^n^s se faisait prin-
BOISGUILLEBERT. 457
cipaiement dans les villes et lieux clos de murs , les
droits d'entrée pour le roi , pour les hôpitaux et
pour les villes, venant s'ajouter aux précédents, com-
posaient des sommes qui excédaient beaucoup la
valeur de la marchandise, surtout pour les petits
crûs. Les droits dans le détail étaient vingt fois plus
forts, an dire de Boisguillebert, que la valeur de la
denrée en gros. Aussi les ouvriers étaient-ils réduits
ou à ne boire que de Teau claire, ce qui anéantissait
les vignobles , ou à vendre leurs manufactures ( ou
objets manufacturés) beaucoup plus cher , ce qui
«inéantissait le commerce étranger. Les débitants es-
sayaient mille moyens de fraude : nouvelle source
de vexations intolérables pour eux. Les fermiers des
Aides avaient obtenu des édits et déclarations por-
tant que les procès-verbaux de leurs commis feraient
foi en justice. Ces commis , auxquels on laissait le
tiers des amendes et confiscations^ et qui étaient à
la fois juges et parties dans les contestations rela-
tives à l'objet de leur surveillance , tenaient entre
leui*s mains la fortune de tous les hôteliers de leur
district. Ils ne permettaient la vente et le débit des
vins qu'à ceux à qui ils les vendaient eux-mêmes.
Ils étaient toujours sur les bras des débitants, visi-
tant les caves trois ou quatre fois par jour pour
s'assurer de combien les futailles étaient diminuées.
lis exterminaient toutes les hôtelleries et auberges
trop éloignées de leur résidence : de sorte qu'on
faisait souvent des sept et huit lieues sans trouver
où apaiser sa faim et sa soif. Voilà pour les vexations
contre le.« débitants. Quant aux particuliers qui veu-
lent faire eux-mêmes leui-s provisions, il leur faul
158 bOISGUlLLEBERT.
pusser par toute sorte de formalités gênantes : aller
chercher leurs déclarations au ])ureau prochain ,
prendre une attestation de la quantité de vin en
voiture ; si l'on est éloigné , perdre une journée à
attendre les commodités du commis. Une fois en
route, quaud les voituriers arrivent à un lieu clos» ils
doivent s'arrêter à la porte , attendre au vent et à la
pluie que MM. les commis et jauge urs aient le temps
de iaire leur oliico. Si les jaugeui's ne s'accoixlent
pas avec les lettres de déclaration , présents au
commis ou confiscation de la marchandise et de la
voiture. Quand on aurait juré d'exterminer de France
ie commerce dt?s vins , on ne s'y serait pas pris au-
trement. Aussi les vignerons, ne pouvant plus vendre
lears denrées, arrachent les vi^^nesen maint endroit:
et comme le terrain n'est point propre le plus sou-
vent à d'autres cultures, ils le laissent en friche. De
cette manière, toute contrée périt, aussi bien celle
qui produit des vins que celle qui , produisant d'au-
tres denrées , ne peut les écouler (mi échangeant son
superllu contre ce qui lui manque.
Même résultat si l'on examine les douanes , qui
ne permettent à la France de commercer ni avec
l'Étranger , ni avec elle-même. La Normandie avait
de fort belles fabi'i(|ues de chapeaux ; on double les
droits : les ouvrieis passent la plnj)art à l'étranger
et la fal)ri(jue est a peu près ruinée. Les cartes à
jouer, le papier, les pip(*s à tahac, les baleines
pour vêtement , tons objets dont la France four-
nissait une partie de l'Europe et de TAmérique, ont
le môme sort. Mais le comble de l'absurde , ce sont
les douanes intérieures et toutes les entraves qui en
BOISGUILLEBERT. 159
résultent pour Je coininerce. Elles sont si bien en-
tendues qu'on meurt de faira à quelques lieues d'un
endroit où les blés pourrissent ou bien sont prodigués
à d'autre» usages que la nourriture, faute de pouvoir
les exporter. Quels rocoui-s pouvait-on avoir conti*e
les fermiers des douanes ou contre ceux des aides ?
Ils avaient obtenu des juges particuliers qu'ils choi-
sissaient et nommaient eux-mêmes , au lieu de la
justice ordinaire. Aussi , leurs violences étaient-elles
inconcevables et ne pourraient se comparer qu'aux
rapines de Verres et autres proconsuls romains.
« Sous prétexte des droits du roi, s'écrie Boisguiile-
bert, ils traitent la Franc»; en pays ennemi et qu'on
ne reverra jamais, dans lequel il n'est pas extraor-
dinaire de démolir une maison de 10,000 écus pour
en tirer , en vendant le bois et le plomb , 20 ou 30
pîstoles (4 ou 600 francs;, que le propriétaire doit au
fisc et qu'il ne peut payer. »
El l'on s'étonne de la langueur du pays, de la
misère univci-selle ! Tous les remèdes qu'on y apporte
sont insuliisants ou pernicieux. Qu'a produit la
vaisselle d'argent, réduite en monnaie? Qn'aurait
prodnit toute celle du royaume ? Voyez si les Hottes
du Pérou remédient à la misère de l'Espagne ! On
a donc recours aux moyens extraordinaires, entre
autres à de nouvelles créations d ollices. Voilà
sur quels misérables et funestes expédients vivent
uos ministres , qui ne savent remédier à la pauvreté
du roi qu'en élargissimt les plaies du royaume. Car
les nouveaux offices diminuent le nombre des per-
sonnes imposables, et il faut que leur taille retombe
sur des malheureux qui n'en peuvent déjà plus et
160 BUlSGUiLL£B£fiT.
qu'elle abime sans ressource. Quant ù remonter a
la source du mal et à en parler , ce n'est pus un
moindre crime , aux yeux de nos ministres , que de
discuter la religion en Turquie. Mais il n'est pins
temps de se taire : le mal est arrivé aux dernières
limites, il faut qu'on sache d'où il peut provenir
pour savoir d'où pourra sortir la guérîson. Et ici,
comme le dit Miclielct, a Boisguiilebert montre an
grand courage. Il dénonce liardiment les financiers et
les traitants qui ruinaient le pays pour leur profit et
non pour le roi , dont l'intérêt ne peut point se
séparer de celui des peuples. Et derrière les traitants
il voit , il montre la main des princes et des per-
sonnes de cour qui partageaient avec eux. Pins loin
encore , on remontant dans le passé , il voit l'iîlglise.
Elle a abusé de la piété et du zMe des princes pour
se faire donner la plus grande partie du domaine qui
jadis dispensait d'impôts. Elle a enlevé la dime aux
rois qui ont été obligés d'y suppléer par la taille :
qui dit cola ? Le peuple. Dans ces mémoires .
s'écrie Boisguillol)ert , 15,000.000 d'hommes parlent
contre trois cents personnes qui s'enrichissent de
leur ruine! ■» Le principal remède. le plus simple,
celui qui ou quelques heures peut rétablir les millions
do bien qu'une adminislralion absurde anéantit,
c'est do rondn^ la taille générale , de Télendre à
tous , princes . nobles , clergé , d y joindre un impôt
uniforme par feux ou par cheminées, de supprimer
les aides et les douanes intérieures , et de rendre
par là le mouvement au pays. ,i la France le droit de
commercer avec la Franci*.
Boisguiilebert nV<l |V)slos<Miloorivain,aveo Vaubnn,
BOISGUILUEBEKT. 161
qui se soit ému des misères de son temps , et qui
ait aspiré à une réforme. Mais nous ne trouvons
^ générai, dans ces réformateurs de la fin du
XVII* siècle, que des déclamations ou des critiques
aussi vagues que passionnées du gouvernement de
I^oisXlVyle tout accompagné de plans politiques
plosoQ moins mêlés de préjugés et parfois, il faut le
<&e,d'enfantillages: témoin, la république plus puérile
encore qu'idéale de Salente. Il est beaucoup parlé
<^ns ces écrivains d'opposition de la tyrannie des
Citants, plus insupportable encore et plus révoltante
9^6 celle du roi. il y a même dans Saint-Simon ei
(lans Duguet , des choses éloquentes sur ces odieux
"Danciers, qui « se nourrissaient de la substance et
des larmes du peuple, et qui en exprimaient jusqu'au
sang et jusqu'au pus. » Mais rien ne nous fait pé-
nétrer dans cette administration si dévorante et si
ai)sarde. Avec Boisguillebert nous voyons, nous tou-
chons tous les ressorts de cette affreuse machine et
la nécessité de ses résultats si désastreux pour le
peuple ; par la simple analyse des faits , et comme
le dit le titre de son livre, par le Détail de la France ,
il nous en apprend plus que les plus éloquentes in-
vectives. C'est là ce qui le distingue de Fénelon, de
Duguet, de Boulainvilliei*s et de Saint-Simon. Sans
haine contre Louis XIV qu'il respecte et dont rien
ne prouve qu'il ne fût un sujet obéissant et dévoué ,
sans passion contre ses ministres dont il se plaît à
reconnaître les bonnes intentions en déplorant les
erreurs auxquelles ils sont presque fatalement con-
damnés, sans prévention enfin ni pour ni contre
aucun ordre de la socitMé, il attaque le système éco-
11
li>^ ROISGUILLEBERT.
nomique de la France en lui-même , et s'étonae ,
non pas qu'il ait produit tant de misères, mais qn'il
nVn ait pas produit davantatre. On vondrait sans
tloute que sou livre fiU moins confus et moins diffos,
d'un lanp^ajQ^e plus net et moins embarrasse , et qu'il
eût plus souvent une autre éloquence que celle des
laits. Son ouvrage y eiU certainement ^agné, et aurait
eu plus d'effet sur lopinion. Mais il est incomp<irable
pour la connaissance précise des choses. Tous les
écrivains du XVll*si«Vle, qui ont touché aux matières
politiijuos et sociales, s'en tiennent à des idées géné-
rales et de convention : dans leur délicatesse littéraire,
ils seinhlent craindre de souiller leui lieau langage
t»n s*abais"5ant au détail, ou plutôt ils ne le voient
pas et ils s'enterment dans un idéalisme pompeux et
mairnitique , qu'il ne tant pas trop monder, de penr
iVy t mu ver le néant. La PoUtiqu** sacrée de Bossuel
m* dillere |>;îs en cela des ouvrages oubliés du P.
Leniovne, de Séii -ut et de tant d*autres, sur les
qualités d'un mi. Au lieu de démonter un à un tous
les ressorts de la machine politique, au lieu de faire
iaualvse et l'anatoiuie des fonctions sociales et de
leui>« rapports, on imagine tout d'abord un prince
idéal qu*on surcharge de toutes les vertus , même de
celles qui lui seraient le plus inutiles, pour ne piis
diiv le plus nui-'ibles : le peuple , ses droits , sa vie
laborieuse . ses lH*soins et ses misères, tout s'éclipse
et disjxinùt devant ce soleil de la royauté. On est
ébloui, et rien de plus. Hoiss^uillebert a horreur de la
spéculation : les choses de i^ili tique et d'administni-
tion sont choses pratiques , et la pratique seule pent
le< «■ci.iiter. lu .lâii- ultent . nu aiti<;ui , un commer-
BOIflGTJILLEBBRT. fth^
Ç®*^%, rhomme qui a inlen*ogé et pmtiqné ces difTë-
^*^ts corps dVtat, en sait plus sur les sources de la
^'^ «l de la prospérité des peuples , cpie les ministres
^^ lenrs conseillers, gens spéculatifs et qui n'ont ja-
'^^is vu de près la réalité. Aussi, avec quel mépris et
4^ielle indignation Boisguillebcrt ne traite-t-ii pus la
^ence des financiers, de ces faiseurs de systèmes ou
^<i ces proposeurs d'avis, qui ignorent ou veulent
^KQorer que la ricbesse du roi est inséparable de celle
des peuples, et qui s'inquiètent peu que tout soit
anéanti, pourvu que le ti-ésor du roi se remplisse et
qu'ils fassent eux-mêmes fortune à l'ombre des inté-
rêts sacrés du prince ! Avec quelle ironie il parle de
ces profonds politiques qui veulent à toute force
que le blé soit à bas prix , comme s'il poussait sans
travail et sans avances d'argent, ainsi que les cham-
pignons ou que les truffes ! C'est à MM. de Chevreuse
et de Beauvilliers que s'adresse directement celle
dernière attaque de Boisguilleberl; mois elle s'adresse
aussi indirectement à tous ces spéculatifs improvisés,
si nombi*eux dans le monde, dont l'ignorance voit le
suprême bien de l'État dans ce qui fait réellement
la ruine de l'agriculture et par suite de l'État tout
entier. Nulle part , que je «iche , les mois d'observa-
tion et d'analyse ne sont prontmcés dijus les écrits de
Boisguillebert ; mais c'est à l'observation et «i l'analyse
seules qu'il a recours dans ses travaux économiques.
Il se sépare en cela de tous les écrivains dogmatiques
do XVII* siècle, qui procèdent toujours à f»^an et par
arguments, à la façon des orateurs.
One résulte-t-il de cet amour de la pratique et de
la réalilé, (fui ron«luil à la seule mélhodo rai-*oun.Ml>!i'
164 B0ISGU1LL£B£RT.
('t féconde dans les spéculations politiques ? C'est que,
même à ne considérer dans Boisguilleberl que la
partie polémique et critique , il nous fuit connaître
le XVII' siècle sous un jour tout nouveau. Il faut le
dire et ne pas craindre de le répéter à satiété , le
grand siècle , comme on le nomme , a fait illusion à
la plupart des liistoricns et des moralistes , et cette
illusion dure cncoro. Ce n'est pas seulement sur sa
prospérité qu'on se trompe, séduit parles magnifi-
cences de la cour et par le luxe de certaines classes,
et , je l'avoue , par le mouvement industriel et com-
mercial qui signale les premières années du règne
personnel de Louis XIV. On ne s'aperçoit pas, en effet,
que ce mouvement ne pouvait durer longtemps et qu'il
devait nécessairement faire place à la plus profonde
misère, si la prohibition , au lieu d'être une mesure
transitoire de quelques années, devenait un système;
si la manie de tout n^glementer, au lieu de disparaître,
prenait tous les jours des proportions plus excessives;
si le pays continuait à être divisé de lui-même par
des douanes intérieures; si enGn les impôts conti-
nuaient à être aliVrmés à des compagnies puissantes
contre lesi|uelle3 les ordonnances et la probité des
ministres échouaient toujours à la longue. Mais on se
tromi)e surtout sur le degré de civilisation de cette
époque. Les manières, sans doute, étaient polies, les
mœurs galantes , les sentiments Uns et délicats, les
relations privées pleines de charmes et de douceur;
mais le sens de la justice et de l'humanité est absent
du gouvernement et de l'administration , parce que
l'individu est inq)itoyablemenl immolé aux intérêts
bien ou mal entendus de IKtaL ou plutôt de la royauté
BOISGmiXKBEHT. 165
et même de la personne du roi. II sembluil que tout
le monde acceptât comme une vérité d'Évangile cette
insolente parole de Louis : « L'État, c'est moi. » Si je
voulais citer quelques parties de la correspondance
de Colbert, particulièrement au sujet de sa fameuse
mui-ine à rames de la Méditerranée, ou bien quelques
passages des Larmes de Chambrun , ministre protes-
tant, on serait étonné qu'une inhumanité si brutale
pût subister dans une société si polie et à tant
d'égards si éclairée. Mais il n'est pas nécessiiire
de sortir de notre auteur ni des exemples que j'ai
déjà cités. Vous avez payé votre taille ; vous ré-
pondrez solidairement pour les gens de la commune
qui ne l'ont pas acquittée. Le roi ne peut perdre ses
droits, et vos bestiaux seront vendus pêle-mêle avec
ceux des autres. Vous avez été nommé collecteur à
votre coips défendant : il faut que vous fournissiez
aux gens du roi l'argent que vous n'avez pas reçu ;
sinon , vous pourrirez sur la paille d'une prison hu-
mide, et encore faudra-t-il que vous vous nourrissiez
à vos frîds, quoique l'État vous prenne et votre temps
et votre liberté. Vous ne pouvez apporter le montant
de votre taille, cette maison que vous possédez et qui
est peut-être tout votre avoir paiera pour vous. Le
bois et le plomb qui entrent dans sa construction fe-
ront bien la valeur de votre cote. Je ne sais pas si l'on
a jamais poussé plus loin l'absurde dans la violation
du droit individuel et de l'humanité. Et c'était le bon
temps , le grand règne ! Ah ! nous devons nous féli-
citer que la philosophie du XVIIl* siècle et la Révo-
lution, que les aveugles ne cessent de maudire, aient
balayé, pour notre dijj:nilé d'hommes comme pour
166 U01SGU1LL£BEHT.
notre ti-anquillitc , ce régime du droit divin avec se:?
courtisans, ses courtisanes de haut pairage et ses bai-
biles à travailler un royaume en finances !
Mais le Détail de la France n'est pas seulement
négatif et critique : il est surtout remarquable par
rallirroati(m et le clair pressentiment de la plupart
des principes de la science économique. Nul n'a mienx
expliqué que Hoisguillebeit la fonction de la monnaie
dans les échanges , et quelle est son utilité relative.
Hoisguillebert parle quelquefois comme si l'argent
produisait la ricliessi' ; mais il ne faut pas s'y tromper :
s'il insiste sur les prodigieux effets que produit l'ar-
;:reut en circulant , il n'ignore piis qu'en lai-méme
l'argent n'est rien , et que c'est indirectement par le
travail qu'il piiie et qu'il surexcite, qu'il est le prin-
cipe de la richesse. Après avoir défini la richesse,
une ample jouissance des besoins de la vie , l'écono-
miste normand décrit ainsi le rOle du numéraire :
(( L'argent n'est absolument d'aucun uscige pur lui-
même , n'étant propre ni à se nourrir , ni à se vêtir,
et nul de tous ceux qui le recherchent avec tant
d'avidité, et à qui, pour y parvenir, le bien et le mal
sont indifférents , n*est porté dans cette pourMiite
qu'afin de s'en dessaisir aussitôt , pour se procui'«r
les besoins de son état ou de sa subsistance. *L'ai*gent
(( n'est donc tout au plus et n'a jamais été qu'un
moyen de recouvrer les denrées, parce que lui-même
n'est acquis que ]>ar une vente précédente de den-
rées, cette intention étant généralement, tant dans
(Tux qui le reijoivenl que dans ceux qui s'en dessai-
sissent : en sorte (|ue si tous les besoins de la vie se
n'dnisiiiont à trois t\\\ fiualrr espèces, l'échange se
BOlSGUILLËBEliT. IU7
t'ai$>aiit iiuiuëdiuleiiient et troc pour Irnc , ce qui ^e
pratique même encore en bien des contréej? , les mé-
taux, aujourdliui si précieux, ne seraient d'aucune
utilité. M Ce n'est donc que « commcgarunt tout au plus
des échanges et de lu tradition réciproque que l'argent
a été appelé dans le monde , lorsque la corruption et
la politesse eurent multiplié les besoins de la vie^ de
trois ou quatre espèces , qu'ils étaient dans son en-
fance , jusqu'à plus de deux cents où i's se trouvent
aujourd'hui : ce qui fait que , n'y ayant pas moyen
que le commerce et le troc s'en fassent de main en
main, comme dans ces temps d'innocence, et le ven-
deur d'une denrée ne trafiquant pas le plus souvent
avec le marchand de celle dont il a actuellement
besoin et pour le recouvrement de laquelle il se des-
saisimit de la sienne, rar<^^ent alors vient au secours
et la i*ecette qu'il en fait de son acheteur lui est une
procuration , avec gamntie , que son intention sera
eflcctuëe en quelque lieu que se trouve le marchand,
et cela pour autant et sur un prix courant et pro-
portionné à ce qu'il s'est dessaisi les mains de la
denrée dont il était propriétaire ; voilà donc l'unique
fonction de l'argent H faut bien faire une rô-
tlexion , savoir que cette fonction est si peu singu-
lière à l'argent, quelque idée qui régne au contraiio,
qu'il n'en fait pas la dixième partie, et même la cin-
quantième dans les temps d'opulence, qui n'est autre
chose qu'un grande consommation , c'est-à-dire une
très-grande richesse. Le papier , le parchemin , el
même la parole en font, encore une fois, cinquante
fois plus que lui ; ainsi , on a grand tort , dans les
occasions de misère, dr mettre la causi? des désor-
no lUMSiJl ILLEBLKT.
de proclic «MI luiiclie los autres propriélés» , i]uolle>
ifirrllcs soitMit, par une sorte de contagion invincible,
l'n peuple s'inia^iiie qu'en frappant de taxes énormes
les ma relia udises étrangères . il enricliit son propra
t'oninierre, et il ne s'apereoit pas que, s'il n'achète
pas aux élrtin.uors, le.s étrani;:ers a leur tour ne lui
acheltMit plus, et (pu* tout son surplus lui devient non
seulement inutile, mais dommageable, parce que les
produits de son a<;riculture et de son industrie,
n'ayant |»oint de déitouelié , perdent de leur valeur:
et ainsi Tespèce de [u-op(u-tion qui doit être entre les
prix des marchandises. |)our que les ditlerents pro-
duclenrs y trouvent leur conqite , venant à >e
ronqtn* « ))orte la |>erturhation dans tout le corps de
l'Klat.
(( 11 y a euciue, dit ll<»is^uillel»ert, une attention à
l'ail e, qui est que ce déstudre durera éternellement
si ce traiie (»u cet écluiu«;e , si nécessaire et si utile ,
ne se lait avec un protit réciproque de toutes les (lar-
lies, c'est-à-dire tant des vendeurs que des aclieleurs,
^<iit qu(* h' conuuiMce se tasse ^u\r le canal de l'urgent
ou par troc d<' denrée à deinée; et celui qui prétend
l'aire autremtMit. nnn->eulemeut ruine son correspon-
liant . mais se détruit lui-nuMm*. Si le pi*euiicr labou-
reur, tratitpiant uniquement avec le pasteur, ne lui
avait p;is vnulu dtunier as>ez de blé pour se nourrir,
pendant ipi'il eut exiué de lui tout son vtMeraent né-
ct»ssaire, tiriMles dépiuiiilesttes bètes, non-seulement
il lauiait l'ait momir tie t'aim, mais il aurait lui-même
péri dans la ^uili* de froid, en detru'^ant le seul
«Mi\rier de n» l>e>oiu >i pres>ant . siivoir le véte-
IHllSGUILLEBKKT. 17 1
• Et cette harmonie d'une nécessite, si indispensable
alors entre ces deux liomuies , est de lu même obli-
gation entre plus de deux cents professions qui com-
posent aujourd'hui ie maintien de la France. Le bien
et le mal qui arrivent à tontes en particulier est soli-
daire à toutes les autres, comme la moindre indis-
position survenue à l'un des membres du corps
humain attaque bientôt tous les auti*es et fait par
suite périr le sujet, si on n'y met ordre incontinent. •>
Ainsi, selon Boisguilleberl,la condition économique
de Tordre comme de la richesse sociale, c'est l'échange
d'homme à homme , de peuple à peuple , sur le pied
de l'égalité, de manière que les deux parties con-
tnictamtes v trouvent leur avanta<i:e. Mais comment
pourra s'établir et se maintenir cette égalité, l'homme
ne cherchant (jue son intérêt et croyant trouver son
profil dans le détriment d'autrui? La nature y a
pourvu. Laissez pleine liberté aux échanges, et du
choc des intérêts sortira l'équilibre, la justice : a II est
nécessaire, dit Boisguillebert, que chacun, tant en ven-
dant qu'en achetant , trouvi» également sou compte .
i;'est-à-dire que le profit soit justement partagé entre
l'une et l'autre de ces deux situations Mais c'est a
la nature seule à y mettre cet ordre et i\ y entre-
tenir la paix ; toute autre autorité gilte tout en vou-
lant s'en mêler, quelque bien intentionnée qu'elle
soit. »
Boisguillebert était donc euneuii de ces mille règle-
ments qu'on avait mis autour du commerce français,
et qui , au lieu d'être des lisières , comme ou l'uspé-
rait , pour le soutenir dans sa marche , n'étaient que
de.s i»nlravesqui paralysaient ses mouviMuents. Aussi.
ilû DOliiiGUILLEBEi&T.
confondant Colbert avec ses maladroits imitateurs , il
lo juge en toute circonstance avec une sévdritc qui
touche à l'injustice. D'ailleurs , les principes au nom
desquels il condniilne le grand ministre et le système
restrictif et probitif qui, à tort ou à raison , paraissait
son oeuvre , sont aussi vrais qu'ils sont humains. Ils
étaient absolument neufs à son époque. Si on les
compare à ceux de Duguet et de Fénelon, pournepsis
parler de Saint-Simon et de Bouiainvilliei*s, Bois^iile-
hcrt ])araîtra un homme qui pense au milieu d'enfants
qui bégaient. Duguet , quoique d'une imagination
fleurie, plutôt que forte et solide, ne va pas jusqu'à
donner dans les utopies du Télémaqiœ; mais il œ
serait pas opposé à quelque bonne loi soniptuaire ,
c'est-à-dire à quelque chose d'aussi chimérique et
d'aussi puéril , que ce beau règlement de Mentor
{ pour n'en citer qu'un seul), qui condamnait comme
Iripon tout marchand ayant mis dans le commerce
(dus de la moitié de son bien. C'est ainsi que Pénelou
entendait \v. commerce ; pour l'assurer et le rendre
honnête , il supprimait tout d'abord le crédit qni en
est l'Aine. Les docleui-s en théologie, qui se mêlaient
d'économie comme de tant d'autres choses, se mon-
traient tout aussi éclairés. Je ne veux point rappeler
leur éti-ange décision , rendue en Sorbonne une dou-
zaine d'années après la publication du Détail de la
Fraiwe , par laquolle le roi était déclaré propriétaire
de tous les biens de ses sujets et , par conséquent ,
niaitre den user et abuser selon son bon plaisir.
Mais nous voyous ces savants docteurs , dans phi-
sieurs assemblées du clergé, condamner de par saint
Thomas tout iuléri^t comme usuraire. C'était aussi
BOIS&UILLEBBRT. 1 73 •
I opnion de Bossoet, qui a môme laissé un petit écrit
sur ce gujet. Ces graves tiiéologiens étaient si pro-
fondément versés dans les questions d'économie,
qu'aucun d'eux ne s'avisait de celte vérité élémen-
taire, que rintérét de Targent n'est ni plus ni moins
légitime , ni plus ni moins contraire à la justice et à
i'/iomanité, que la rente d'un champ ou d'une maison.
II est vrai qu'on rencontre dans Pénelon, dans Mas-
sillon, comme dans Labruyère , c'est-à-dire dans les
écrivains illustres de la fin du XVII* siècle, un sen-
timent qui est trop étranger à leurs prédécesseurs.
Les conseils pour la Direction de la conscience (fun
roi respirent une humanité inconnue à Pascal et à
Bossuet. Jamais on n'a écrit de pages plus vivement
senties sur la communauté humaine ou snr la soli-
darité qui unit entre eux les hommes et les peuples.
Mais ce qui n'est dans Fénelon qu'un sentiment , est
déjà dans BofsguiUebert une vérité qui a la valeur
d'une donnée et d'une théorie scientifiques.
Les Conseils pour la direction d'un roi frappent sensi-
blement le cœur et l'imagination ; et cependant ils
laissent la même impression vague que le traité de
Nicole sur la paix parmi les hommes. De même qu'en
lisant l'opuscule de Nicole , nous voyons bien que
rien n'eBt plus désirable que la concorde, mais sans
apercevoir les moyens de l'établir, parce que les
causes qu'il assigne à nos inimitiés et à nos luttes
sont le plus souvent chimériques ; de même , tout en
nous faisant vivement sentir les liens qui unissent
naturellement les hommes et qui ne devraient cesser
de les unir , Fénelon laisse subsister la cause éter-
nelle qui nous divise, je veux dire ce faux préjugé
1 7i ftlISGUILLBBKRT.
(lu sens roinmiiii, que lo bien et le pmfit de Tun
no peuvent se faire que par le mal et un détriment
de Taulre. Or, loucliez tant que vous le voudrez leR
(CPurs par de belles paroles de charité et d'amoar; H
u y a point de raisons de sentiment, il n'y n point de
raisons mystiques qui puissent prévaloir contre ce
fatal préjugé. Boistçuillebert s'est élevé le premier
fontre celte erreur univei'sellement réi^indue ; il a le
premier mis en lumière que le commerce n'était es-
senliellenienl et par nature qu'un échange oi^ le»
deux iKirties cen tractantes doivent tronver lenr
compte , mais qu'il ne pouvait être utile à l'un et â
l'autre ([u'autant qu'il se pratiquait librement; et
qu'enfin pour mettre dans les coRurs l'humanité et la
concorde, il fallait d'abord laisser la solidarité s'éta-
blir entre les intérêts par le cours naturel des choses.
Seul il donne un fondement solide h ces sentiments
d'humanité ([ui charmaient l'imagination et le cœnr
de Fénelon ; ce fondement, c'est la solidarité naturelle
des intérêts entre les individus d'une même nation et
entre les ditt'érents peuples. II retrouve et il démontre
cette vérité que Sully avait entrevue lorsque ce
ministre disait à H«'nri IV, pour s'opposer t\ l'introduc-
lion du mûrier tlans notre pays : « En premier lieu.
Sire , Votre Ma je>ité doit mettre en considération
qu'iiutant qu il y a de divers climats , régions et con-
trées, autant semble-t-il (fue Dieu les ait voulu diver-
sement faire abonder en certaines propriétés , com-
modités, flenrées, matières, arts et métiers spéciaux
et particuliers , qui ne sont point (choses) communes
ou pour le moins de telle bouté aux autres lieux, afin
qnr par h» c(»ininerc(' et tratic de ces choses, donf
BOISGVILLEBERT. 175
les ans ont «ibondance et les autres disette , la fré-
quentation, conversation et société humaine soient
entretenues entre les nations, tant éloignées pussent-
elles être les unes des autres , comme ces f^rands
voyages anx Indes orientales et occidentales en ser-
vent de preuve. » Voilà ce qui n'occupait guère la
pensée de Biilzac, de Pascal et de Bossuet, et ce que
ne soup<;;onnaieut pas davantage les génies déjà plus
humains de la fm du X\IV siècle , les I^ibruyère , les
Duguet, les Fénelon et les Saint-Simon, Voilà ce que
devaient vulgariser nos économistes français du
XVIII* siècle • que l'on a trop Siicrifiés à Adam Smith
et à récole anglaise ; car ils sont les seuls ciiez qui
la science économique soit véritablement est pleine-
ment Téconomie politique et non je ne sais quelle
routine empirique étrangère à la justice, au bien ou
au mal des sociétés. Or, Boisguillebert est incontesta-
blement le devancier et le promoteur des belles con-
ceptions des physiocrales. iVe^i de lui san^ doute que
le docteur Quesnai a tiré une partie de ses idées, en
leur imprimant plus de profondeur et de précision
scientifique et surtout plus de netteté incisive. On
ne fait donc que rendre justice à Boisguillebert en
disant que cet obscur magistrat de Koucn , à qui
Pontcharlrain tournait le dos comme à un rêveur
^l à un fou, est le père de la science économique,
à peine soupçonnée de l'antiquité et du moyen-âge.
Notre inventeur, comme il devait bien s'y atten-
dre, prêcha dans le désert, et la paix qui se fit
Tannée même où fut publié le Détail de la France
ne changea rien à la situation économique du pays.
Ot^pendant, Chamillai'*! , successeur de Ponlchartiain
■I
i
i7G BOISGUILLEBERT.
et plus incapable que lui, s*il est possible , montra
du moins quelque bonne volonté et sembla penser j
mettre sérieusement à l'étude la grave question sou
levée par Boisguillebert. Il fit ordonner en 1701 Téta
blissement d'un conseil général du commerce , com
posé de quatre conseillers d'État , de deux maltrei
des requêtes et de douze des principaux commerçanti
du royaume.
Les délégués du commerce remirent bientôt ai
Conseil des mémoires, où sont franchement débat-
tus les avantages et les inconvénients de la libertc
commerciale. Nous avons encore neuf de ces mé-
moires. Un seul , celui des délégués de Rouen , se
prononce pour le système prohibitif. Les autres (ceux
des délégués de Dunkerque, de Nantes, de la Ro-
chelle, de Bordeaux, de Bayoïme, du Languedoc,
de Lyon et de Lille) sont hostiles au régime de Gol-
bert, et sans traiter la question générale de la pro-
duction et des finances comme Boisguillebert , con-
firment une partie de ses vues. « 11 faut , y est-il dit ,
revenir de la maxime de M. de Colbert, qui préten-
dait que la France peut se passer de tout le monde.
C'est aller contre la nature et contre les décrets de
la Providence^ qui a distribué des dons différents aux
peuples différents pour les obHger à entretenir un
commerce réciproque, à se rechercher, à s'entr'aider
par un échange mutuel des biens qu'ils possèdent ,
et à former des relations d'amour au lieu de ces
haines qu'entretient la guerre commerciale des tarifs.
Voilà l'origine du commerce et ce qui le perfectionne.
Ce n'est plus un commerce que de fournir nos den-
rées et nos manufactures aux étrangei-s, et de ne tirer
BOISGUILLEBERT. 177
d'eoxffne de l'argent. Les étrangers nous renvoient
guerre pour guerre. Nous repoussons leurs marchan-
dises, ils repoussent les nôtres, et nos manufactures
n'en sonffrent pas moins que notre agriculture qui
o'a pins de débouchés pour le surplus de ses denrées.
C'est la liberté qui est l'âme et Téléraent de tout
commerce ; c'est le défaut de liberté qui cause l'ex-
trême abaissement où le commerce est actuellement
rédait. Qu'on favorise nos produits par des taxes
ïDodiques sur ceux des étrangers; on le conroit. Mais
lorsqu'une manufacture est née viable , qu'elle peut
écouler ses produits sur les marchés soit du dedans,
soit du dehors, elle n'a pas besoin d'ùtre appuyée
par des impositions et de grands droits. Que si elle
ne peut s'établir et subsister avec des droits modi-
ques , elle doit être considérée comme voulant s'en-
richir aux dépens du public. » Tous les délégués
étaient d'ailleurs unanimes pour que les conimerçnnts
fussent entourés de plus de considération et moins en
butte aux vexations des fermici's do l'État et des gens
de justice. Le député de Bordeaux disait à ce sujet
que, pour échapper à de telles avanies, Ions ceux
qui avaient amassé que^iuc fortune se retiraient des
affaires : de sorte que le commerce était fait par des
jeunes gens sans fonds , s<ms crédit, sans expérience,
ce qui causait journellement des banqueroutes. Ces
députés du commerce auraient sans doute approuvé
la pensée de Vauban qui, vers la môme époque, pro-
posait « d'accorder la noblesse à tout marchand ,
lequel en commerce aurait gagné 200,000 écus bien
prouvés, à condition de continuer le même com-
lurrce, sa vie durant. »
12
178 BOISGUILLEBERT.
Mais Chamillart et ses commis en savaient sans
doute plus long sur le commerce que Vanban, que
Boisguillebert, que les principaux commerçants eux-
mêmes , et tandis que les hommes les plus entendus
réclamaient la liberté, le gouvernement français pro-
hiba l'entrée de la plupart des mai-chandises anglaises
et frappa de droits exorbitants celles dont l'impor-
tation était autorisée. Cependant, cette même année
1701 , la guerre s'était rallumée à l'occasion de la
succession d'Espagne , et bientôt la misère et la dé-
tresse devinrent plus générales ot plus profondes que
dans la guerre précédente. Boisguillebert revint à la
charge et lança son Factum de la France (1707 ).
Ce nouveau mémoire avait été précédé de quelques
mois par la publication de la Dîme royale de Vanban,
dont je dirai quelques mots, afin défaire comprendre
les circonstances dans lesquels Boisguillebert ne crai-
gnit pas de publier son second ouvrage , ainsi que le
rapport des travaux économiques du glorieux maré-
chal et du modeste magistrat, ces deux frères d'armes
dans la défense du bien public. Vanban , qui depuis
longues années travaillait à sa Dîme royale y non-seu-
lement avait pu profiter du livre de Boisguillebert, mais,
si nous en croyons Saint-Simon , il avait voulu voir,
entretenir lauteur, et n peu attaché à ses propres
vues, il avait retouché et perfectionné son ouvrage
sur ceux de l'auteur du Détail de la France, «• Il le
citait avec éloge dans sa Préface, «r La vie errante
que je mène depuis quarante ans et pins , dit-il ,
m ayant donné occasion de voir et visiter pttjsieurs
fois et de plusieurs façons , la plus grande partie des
provinces de co royaume , tanlAt seul avec mes
BOIS&CIiLEBERT. 179
domestîqoes , et tantôt en compafs^nie de qnelques
ingénîeors, j*ai soavent eu occasion de donner car-
rière à mes réflexions et de remarquer le bon et le
meoYais du royaume, d'en remarquer l'état et la
sitaatioii, et celui du peuple , dont la misère ayant
sonTent excité ma compassion , m'a donné lieu d'en
rechercher la cause. Ce qu'ayant fait avec beaucoup
de soin, j'ai trouvé qu'elle répondait parfaitomeut à
ce qu'en a écrit l'auteur du Détail de la FrancCy qui
a développé et mis au jour fort naturellement les
abus et mai-&çons qui se pratiquent dans l'imposition
et la levée des tailles, des aides et des douanes pro-
viDcialee. Il serait à souhaiter qu'il en eût fait autant
des affaires extraordinaires, de la capitation et du
prodigieux nombre d'exempts (ou privilégiés) qu'il y
a présentement dans le royaume, qui ne lui ont
guère moins causé de mal que les trois autres qu'il
nous a si bien dépeints. Il est certain que ce mal est
poussé à l'excès et que si l'on n'y remédie , le menu
peuple tombera dans une extrémité d'où il ne se re-
lèvera jamais, les grands chemins de la campagne et
les rues des villes et.bourgs étant pleins de mendiants,
que la faim et la nudité chassent de chez eux ». Con-
firmant pleinement le Détail de la France pour tout ce
qui touche à la critique de l'administration^ la Dîme
rayale nous otfre cette analyse résumée de la répar-
tition de la richesse dans le royaume. «* Par tontes
les recherches que j'ai pu faire depuis plusieurs
années que je m'y applique, j'ai très-bien remarqué
que, dans ces derniers temps, près de la dixième
partie du peuple est réduite à la mendicité et mendie
effectivement ; que des neuf antres parties , il y en a
180 BOISGUILLEBEET.
cinq qui ne sont pas en état de faire l'aumône à
celle-là, parce qu'elJes-mémes sont réduites, à Irès-
peu de chose près , à cette malheureuse condition ;
que, des quatre autres parties qui restent, trois
sont fort malaisées et embarrassées de dettes et de
procès , et que dans la dixième où je mets tous les
gens d'épée, de robe, ecclésiastiques ou laïques,
toute la noblesse haute, la noblesse distinguée , les
gens en charge militaire et civile, les bons marchands,
les bourgeois rentes et les plus accommodés , on ne
peut pas compter sur cent mille familles ; et je ne
croirais pas mentir quand je dirais qu'il n*y en a pas
dix mille, petites ou grandes , qu'on puisse dire être
fort à leur aise ; et qui en ôterait les gens d'affaires ,
leurs alliés et adhérents couverts et découverts , et
ceux que le roi soutient de ses bienfaits , quelques
mai-chauds, etc., je m'assure que le reste serait en
petit nombre. » Vauban rappelle plutôt qu'il ne
développe ce que Boisguillebert dit de la taille, des
aides et des douanes. Il s'accorde avec lui sur
presque tous les principes économiques , mais en y
insistant moins, à savoir : que le travail est le principe
de la richesse , et l'agriculture le travail par excel-
lence; que les taxes indirectes nuisent à l'entretien
du peuple, au commerce et à la consommation ; que
la Hberté de l'industrie et du commerce est un bien
et que toutes les entraves qu'on y apporte sont un
grand mal ; qu'il est insensé de pousser à l'accrois-
sement des classes improductives de la société
(prèti*es, olUciers de justice, etc.); et qu'enfin on
doit toujours se tenir en-deçà plutôt qu'au-delà des
limites que la raison commande à l'impôt. Mais il est
BOISGUILLEBJSRT. 184
^n point sur lequel Vauban est plus net que Bois-
iNUebert lui-même. L'impôt, tel que l'entend celui-
^*> doit sans doute être universel et proportionnel.
*«is cela n'est énoncé qu'incidemment dans le
-^^ildela France y et comme perdu, noyé dans ce
"^^e diffus. Vauban fait, de cette universalité et de
*^^te proportion, le principe nécessaire de toute justice
^i^tributive dans l'État. Il le jelte en tête de sa
"^me royale et dès la préface; il y revient à tout
l^^opos, comme à un axiome incontestable, comme à
^^ règle suprême de toute équité et de toute bonne
administration. C'est, selon lui, « une obligation natu-
^ûe aux sujets de toutes conditions, de contribuer à
proportion de leui* revenu ou de leur industrie , sans
qu'aucun d'eux puisse raisonnablement s'en dispenser,
et tout privilège qui tend à l'exemption de cette
contribution est injuste et abusif, et ne peut ni ne
doit prévaloir au préjudice du public. • Mais je ne
veux point faire l'analyse de la Dime royale ; ce qui
précède suffit pour faire entendre les rapports de cet
ouvrage et du Détail de la France.
La DiME ROYALE fut, de plus, l'occasion de la publi-
cation coui-ageuse du second mémoire de Boisguil-
lebert. Ceux qui profitaient des abus furent effrayés
du livre de Vauban, surtout à cause de l'autorité que
la haute position du général pouvait donner à ses
idées. Leurs clameui*s émurent les ministres et le roi ;
Vauban reçut le prix de son patriotisme : il fut dis-
gracié. Que les dures paroles que Saint-Simon prête
au roi soient vraies ou fausses, que Vauban soit mort
du chagrin de sa disgrâce ou de maladie, peu importe.
Il est constant que la Dime royale fut prohibée par
48:2 BOlblrClLLËBKRT.
un arrêt du Conseil do 14 février 1707, comme con-
tenant plusieurs choses contraires à Tordre et usage
du royaume; arrêt qui fui renouvelé le 19 mars,
parce que le livre n'en était que plus recherché.
Boisguillebert aurait pu se tenir pour averti et
garder un silence prudent. Mais il parait ayoir été
une de ces généreuses natures que l'obstacle irrite et
que le danger attire. Il ne put se contenir et lança
son Factura de la France et son Supplément au Détail,
qui ne tardèrent pas à lui valoir la vengeance d'en
•j haut.
j Le Factum de la France n'était théoriquement que
I le Détail refondu ; mais il en différait au point de vue
. pratique en ce que Tauteur , sans renoncer à la ré-
forme de la taille et à la suppression des aides et
II douanes , proposait de remplacer provisoirement ces
■j deux impôts par une capitation générale et percep-
I tible en argent , du dixième du revenu de tous les
1 biens meubles et immeubles. Il en différait surtout
par le ton. Quoiqu'on trouve dans le Détail de ter-
ribles phrases telles que celle-ci : « Dans ces Mé-
moires, 15,000,000 d'hommes parlent contre trois
cents contredisants qui s'enrichissent de leur ruine; »
cependant ce premier ouvrage est, en général, écrit
j avec une certaine mesure qui sent l'homme d'étude
H et de science , et non le mécontent et le tribun. Mais
I le Factum respire la fureur du désespoir et une âpreté
révolutionnaire que le XYII* siècle n'avait encore vue
que dans les pamphlets de Jurieu. « Vous ne llrei
rien de si éloquent dans les hommes de 89 , dit Mi-
chelet, non pas même dans Mirabeau , que la préface
du Factum de Boisguillebert en 1707. Il y a là à la
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fiOiS6lILL£BERT. t8.S
fo» ramertome du grand myeateurinëconnii, l'esprit
tUtespërë de la Sibylle qui revient une seconde fois
à ses oracles: ce sont les menaces de Cassandre,
mais avec la sombre menace du temps nouveau qui
vient en vengeur. » Voici la substance de cotte pr^-
fiwc On s'est ri de mon premier livre et je m*y at-
teodais: « U y avait encore de rbnile dans la lampe. »
I^ entrepreneurs d'avis pouvaient encore se payer
gnosement de leurs maudites inventions et acheter
la protection des puissances. « Aujourd'hui, tout a
pnafin, ^ute de matière... Comme la France a la
S^uigrène, ou si Ton veut la pierre dans les reins , il
faot, poar la guérison, user d'incisions dans le vif
et d'opérations très-violentes dans les parties les plus
'lobles, les remèdes ordinaires n'étant plus de saison
^^ se trouvant beaucoup au-dessous de iî^ force du
^^ Le peuple, dont je ne suis que l'avocat,
P'^pose de fournir à tous les besoins ordinaires ou
^^traordinaires de l'État, pourvu que la saisie qui est
l*** ses biens soit levée Que Ton suspende un peu
'^^e de ridicule et d'extravagance que peut jeter
^^ pareille proposition dans l'esprit d'une infinité de
^nde. Que l'on songe que le grand saint Augustin
^ Lactance n'ont pas acquis beaucoup d'honneur à
^^iter de fou et d'insensé un évèque nommé Virgile,
^^i, dans leur siècle, vint annoncer les antipodes,
^^lomb reçut le même traitement de toutes les cours
" « l'Europe, avant d'être écouté et aidé par quelques
^^rticuliers en Espagne. Coperaic, au siècle dernier,
^ut menacé du feu par toute la théologie sur l'expo-
sition de son système, quoique aujourd'hui le plus
imiversellement reçu Eh bien ! pour tempérer la
186 HOISGUMLKBKKT.
impôt qui excède quatre fois «es forces? Faiil-il at^-
tendre la paix pour sauver la vie à deux ou trois
cent mille victimes qui périssent au moins tons les
ans de misère, surtout dans l'enfance... ? Faut41 at-
tendre la paix pour mettre le roi en état de payer les
officiers à point nommé , aOn que ceux-ci soient en
pouvoir de faire leurs recrues et de bonne henre?
Faut-il attendre la paix pour donner assez de secours
au roi « afin que par un engagement considérable on
fasse des soldats volontaires et Ton ne mène pins des
forçats liés et garroUés à Tarmée, comme on fiùt aux
galères et même au gibet? Faut-il attendre la paix
pour purger rÉtat des billets de monnaie qui , par le
déconcertement qu'ils apportent dans le commerce ,
coûtent quatre fois plus par an que la valeur de tontes
les sommes pour lesquelles on en a créé , quatre fois
plus que la guerre étrangère?... • Sully avait une
bien autre guerre sur les bras, et en quelques années
il rétablit les finances par des changements plus con-
sidérables et plus difficiles que ceux qu'on demande.
Mais Sully était Sully ; et nos ministres sont entourés
de gens qui ont l)esoin que le fen soit aux quatre
coins du royaume , d'incendiaires qui se font ample-
ment payer pour de pareils services.
A cette terrible Pbilippique , les ministres , même
Chamillart qui était l>on homme , furent outrés : le
Factum de la France fut condamné et prohibé par on
arrêt du 13 mars 1707 , et l'auteur exilé an fond de
l'Auvergne. C'était la mine de Boisguillebert , qni
n'avait d'autre bien que sa cliarge. Suint-Simon et
d'autres amis s'employèrent pour parer le coup ; ib
obtinrent que Boisguillebert fit le voyage d'Anvergne
BdSblîILLEMUlT. i87
seukinent, pour obéir à an ordre émané qui ne pouvait
pht«e retenir, et qu'il serait rappelé dès qu'on serait
iofiraë de son arrivée an lien prescrit. Boisgaillebert
f» fot qnitte pour une absence de deux mois , pour
one verte mercuriale à son retour et pour une sus-
pesMo de ses fonctions^ qui n'eut pas d'effet. H n'é-
crÎTit plus rien , mais il resta convaincu jusqu'à sa
nertqa'îl n'avait exposé que des idées justes et utiles.
11 se contenta de donner « en 1712, une nonvelle édi-
dition de tons ses Mémoires sous le titre de Testament
poiàifHe de Vauban , dans l'espoir que le nom de ce
grand homme servirait de passe-port à la vérité.
En effet , il ne fiiut pas séparer les noms de Bois-
gaillebert et de Vauban: ils sont tous les deux,, au
XVII' fflècle, les devanciers du XVIIP et de la Révolu-
lion. Tâchons cependant d'assigner à chacun sa place
^t de montrer en quoi ils diffèrent et se complè-
IniL Quoique convenant en général sur l'ensemble
^It réforme qu'ils demandaient, Vauban et Bois-
goillebert ne font pas précisément la même œuvre.
Vauban suppose connu le Détail de la France qu'il se
conlenle d'approuver et de résumer*, et tout son
^ort est de montrer ce qu'il faudrait faire et com-
ment il le faudrait faire. Sa Dîme royale est un véri-
lable projet, avec calculs et devis, à l'adresse du roi.
1^ ^tail de la France , le Facium , l'opuscule sur les
*^^»et la dissertation sur la nature de la richesse
^^1 plutôt des critiques violentes, quoique justes,
"** système de l'administration française , la pre-
™'ère protestation de la science ou du bon-sens éco-
nomique contre l'esprit 6scal. Plus intéressantes et
P"^ instructives que la lïtme royale , les œuvres de
188 HOISULlLLEBJilUT.
fioisguiliebert auraient été moins utiles à un niinlsti^e
qui eût voulu commencer la réforme de notre ré-
gime financier ; en contenant plus de principes ,
elles contiennent moins de notions exactes et pré-
cises sur les moyens à prendre pour établir la juste
répartition et la facile levée de Timpùt. Voulez-vous
connaître l'état économique de la France à la fin du
XVIP siècle, voir les commencements et les premiers
principes de la science nouvelle , dont Boisguillebert
fut, comme il se nomme lui-même, le Christophe
Colomb : prenez le Détail et le Factiim de la France.
Voulez-vous, au contraire, vous rendre compte de
la possibilité de la réforme demandée par Van ban et
par Boisguillebert : lisez la Dhne royale. La rëfonne
n'y est plus une simple vue spéculative » elle y est
toute préparée ; le plan en est tout dressé ; il ne
reste qu'à l'appliquer Boisguillebert s'adresse sur-
tout au public , à la nation. Fonctionnaire et tout
dévoué au roi comme à la France, Vauban s'adresse
surtout au gouvernement. Aussi le ton des deux
écrivains est-il fort difiérent. Vaubtm reste toujours
calme et respectueux ; à peine laisse-t-il échapper
quelques fortes paroles contre les traitants et sous-
traitants qui , « après mille friponneries punissables,
marchent la tête levée dans Paris avec autant d'or-
gueil que s'ils avaient sauvé l'État o Boisguillebert ,
avec le même respect pour la royanté, n'a pas la même
retenue ; il essaie en vain de maîtriser son indiioia-
lion pour ne laisser parler que les faits et la logique.
Quoi qu'il fasse, il est plein de passion, ironique, in-
cisif, mordant, souvent même éloquent dans sa dif*
fusion et dans son style plus que négligé. Il a l'acéent
BOISOmLLEBERT. 489
^re d'an mécontent et d'un opposant. Ce qui carac-
^ériae Vaaban dans ses écrits comme dans sa vie,
cest l'amour de l'ordre, mais de l'ordre fondé sur
I& jostice, avec la plus hante rectitude de jugement.
Ce qoi caractérise Boisguillebert , c'est la haine vi-
gonrease du désordre , de l'injustice , de l'absurdité.
L'on a l'accent d'un tribun, de l'homme du Tiers-État
bs de l'oppression ; l'autre, celui d'un conseiller et
d'on serviteur dévoué du gouvernement , qui dit la
véritë avec fermeté , mais sans passion et unique-
ment parce que c'est son devoir de la dire.
Ni l'on ni l'autre ne pensent d'ailleui*s, comme
Pënelon ou Saint-Simon , à modifier la constitution
politique de l'État , à limiter en rien l'autorité du
w'iella toute-puissance des ministres. Et cependant
ils sont autrement révolutionnaires que Saint-Simon ,
que Fénelon, que Boulainvilliers. Quel changement
plus radical pouvait-on introduire dans l'état social
de la France , que la suppression des privilèges et
l'égalité? C'était là qu'allait l'universalité propor-
tionnelle de l'impôt. Lorsque le comte de Boulaiu-
villiers, sous la Régence . se mêle de questions éco-
nomiques et financières, lui aussi il cherche à sup-
pnmerou à modifier la taille: mais il veut pourtant
qn'on en conserve un tiers sur les roturiers. Pour-
^ï'ïoi ? Kst-ce parce (fue c'est juste ou utile? Nulle-
™^nL C'est afin de rappeler aux roturiers qu'ils « ne
''Ont que les valets de l'État ; les nobles seuls sont
<^^loyens » La taille était la ligne de démarcation la
pins profonde entre la noblesse et la roture. Il y
^^3it encore deux peuples dans l'État : la noblesse ,
*^xenipie de taille?, qui prétendait descendre de la
190 B019(H)ILLKBB1T.
nation victorieuse et tenir ses privilèges de la con-
quête , et Ja roture, riche ou pauvre, mais taiUaUe
et corvéable à volonté, qui descendait du people
vaincu ou des serfs affranchis, à beaux deniers
comptant , par la noblesse ou par le roi. Les dea^
tructeurs de la féodalité, Louis XI, Richelieu,
Louis XIY , l'avaient laissée subsister en partie , et
quoi qu'on dise, Tunité de la nation française était
loin d'être accomplie. Sans parler de ces douanes
intérieures qui séparaient sur chaque point du
royaume la France de la France, et qui , par le plus
monstrueux assemblage , ajoutaient les maux de la
division du moyen-âge à ceux de la centralisation
modei-ne , déjà poussée à l'excès , le roturier , sur
qui retombaient toutes les charges, et qui n'avait qae
son travail ou ses bras , pouvait-il se considérer
comme appartenant à la même nation que les privi-
légiés, qui n'avaient qu'à se laisser vivre sans rien
faire en dévorant le travail d'autrui 7 Louis XIV avait
bien soumis tout le monde à la capitation à cause
des nécessités de la guerre , mais il s'était formelle-
ment engagé , la guerre une fois terminée , à sup^
primer cet impôt, qui égalait la roture et la noblesse,
comme s'il n'était qu'une suspension. indispensable,
mais contraire à la justice, des droits et privilèges des
seigneurs. Or, le principe qui est, sous tous les pro-
jets de Boisguillebert , celui que Yauban met en
tète de son ouvrage , comme la simple expression de
la justice étemelle, c'est que tout le monde, princes,
ducs et pairs, noblesse, haute magistrature et clergé,
contribue chacun pour sa part aux besoins de l'État,
proportionnellement à ses revenus ou à ses facultés.
B0I»1ULL£RBIIT. 191
Toat prÎTilége est injnste , abusif, et ne peat ni ne
doit être toléré. Boisgaillebert et Vauban étaient
donc« je le répète , révolatîonnaires à leur manière :
mais tandis que Saint-Simon, Boulainvilliers et
Fénélon, ces révolutionnaires à reculons, tentaient
de ressusciter ce qn'on pourrait d'un passé cher à
leur imagination , Vauban et Boisguillebert lui por-
taient le dernier coup, en effaçant tout privilège
BDÈre les différents citoyens, toute inégalité entre
les provinces. Ils achevaient réellement Tœuvre
ébauchée par Richelieu et Louis XIV. Aussi , je ne
comprends pas ce mot de Saint-Simon : « Il n'y eut
que les impuissants et les désintéressés pour Vau-
ban et Boisguillebert . je veux dire l'Église et la no-
Uesse ; car , pour les peuples , ils ignorèrent qu'ils
avaient touché à leur salut , que les bons bourgeois
seuls déplorèrent. » Certes , la noblesse et le clergé ,
si Saint-Simon ne se trompe pas^ étaient bien
aveugles ou bien généreux ce jour-là. Quant aux bons
bourgeois, s'il ne s'agijt que des gens de robe in-
téressés dans les affaires de finances , ils auraient en
effet déploré le salut des peuples qui eussent
échappé à leurs rapines. Mais le reste de la bour-
geoisie eût applaudi ; et la robe elle-même n'eût pas
tant tenu à être exempte des impôts , si la taille
n'avait pas été comme la marque de la flétrissure et
de la servitude. Mais comment le roi ne comprit-il
pas que cette universalité et cette proportion de
l'impôt , outre sa justice et ses avantages , était le
complément logique de tout son règne de vile bour-
geoisie , comme l'appelle Saint-Simon? C'est qu'il
était le premier des gentilshommes du royaume . le
192 HOISGUILLEBEHT.
roi des gentilshommes , et qu'une noblesse sans prU
viléges n'eût pas été une assez digne décoration de
son trône. Si Tégalité dans les charges de l'État eût
rabaissé la noblesse au rang de la bourgeoisie , tout
le monde étant peuple , Louis n'aurait plus été que
le roi de la roture. Son amour du despotisme n'alla
pas jusque-là : il ne put effacer dans son cœur et
dans son esprit les préjugés du gentilhomme.
Ce fut peut-être un bonheur pour la France. Plu-
sieurs générations, il est vrai, eurent encore à souffrir
horriblement du réj^imc fiscal^ le plus absurde et le
plus odieux qui ait existé depuis les proconsuls ro-
mains des derniers jours de la République. L'indus-
trie et rafjçriculturc continuèrent A languir , tous les
germes de prospérité publique à avorter ou plutôt à
demeurer en réserve. Mais le mal trouvait sa limite
eu lui-même ; les prodigalités de la cour s'arrêtaient,
faute d'argent Supposez que l'on eût sincèrement
mis en pratique les principes de Boisguillebert, au
Heu de les appliquer à demi, comme fit Desmarets,
successeur de Ghamillart : on eût vu sans aucun
doute, comme le proclamait notre économiste, toutes
les forces vives du pays , débarrassées enfin des en-
traves qui les étouffaient, prendre un essor inattendu,
le travail se ranimer avec une prodigieuse énergie ,
toutes les terres rendre tout ce qu'elles pouvaient
porter; l'industrie, ravivée tant par le commerce
intérieur que par le commerce étranger, atteindre &
une hauteur où elle n'était jamais arrivée, même
sous les beaux jours si courts du ministère de Col-
hert. Mais pour qui les arts . les métiers , la terre
cnssent-ijs li-nvailh', et si j'osn l«» dire, sué à l'onvi !
BOISGITILLEBERT. 103
Toutes les richesses de la nation ne seraient-elles pas
restées à la merci d'un homme et de sa cour?
Plus le pays eût produit, plus les dépenses improduc-
tives et folles se fussent accrues. Tout fût venu se
perdre dans ce gouffre sans fond des fantaisies royales,
et bientôt ce n'est plus de langueur que la France eût
été malade, c'est d'épuisement, à moins d'adopter
pour loi fondamentale du royaume, cette proposition
extravagante de Saint-Simon, de déclarer les rois
éternellement mineui^s et les dettes de la royauté
éteintes avec la vie du roi. Voilà ce que ne voyait pas
Vanban qui , tout patriote qu'il était , confondait voi
peu trop, comme Louis XIV, le royaume avec la
royauté. Boisguillebert semble avoir eu le pressen-
timent de ce danger, lorsqu'il donne sans cesse en
exemple la Hollande et TAngleterre , où les peuples ,
selon son expression , disposent d'eux-mêmes. Mais
il s'enferme trop dans les questions purement finan-
cières et économiques. Aussi, quoiqu'il puisse pa-
raître plus avancé que Voltaire, Montesquieu et
Rousseau à certains esprits qui font bon marché des
formes politiques, je crois que son œuvre, si Ton
regarde la réalité et non la théorie pure , n'a vrai-
ment de prix qu'autant que prévalent les principes
politiques de la philosophie du XVIII* siècle. La
liberté industrielle et commerciale , dont il a si bien
vu la portée, et dont Montesquieu et Rousseau ne
tiennent pas assez de compte, ne peut avoir sa
fécondité salutaire, qu'autant que le peuple lient lui-
même et tient bien réellement les cordons de la
bourse : autrement dit , hors de la liberté politique,
elle ne me parait que la liberté d'arriver plus rnpidc-
13
4 94 BOISGUILLEBERT.
ment et plus savuranient à un épuisenienl complet et
irrdmédiablc. Je n'entends point, par ces réserves,
ravir à Boisgiiillebert l'invention d'une des sciences
les plus fécondes et les plus utiles ; je dis seule-
ment, pour terminer , qu'elle ne mérite le grand
nom d'économie politique, qu'autant qu'elle s'unit
aux principes libéraux de la Révolution.
NOTICE
SIK
LÉON THIESSÉ.
P.%K M. BKBWILLI
Membre correspondu nU
-40<-
J'ai couiiu l>eaucoiip riioiunio lioiiorahle et lioii,
le litténiteur distingué dont j'entreprends d'esquis-
ser la vie. Mêmes relations sociales, unîmes amitiés,
mêmes afliliations , même foi politique et littéraire ,
fi^quentc communauté de travaux , tout nous a
rapprochés d'abord , tout a par la suite entretenu
notre liaison , que durant trente-six ans aucun
nnage n'a troublée. Lui donner un souvenir, c'est
donc acquitter une dette d'atlection en même temps
que de justice. Du reste, je n'abuserai point des
di-oits que cette affection pourrait me donner : je
ne viens point écrire une histoire , mais tracer un
précis sommaire: il sullira, j'ose l'espérer, pour
faire apprécier son talent et pour recommander sa
mémoire.
Léon Thiessé naquit à Rouen en 1794. Son père,
avociit estimé , ancien membre du Conseil des Cinq-
Cents et du Tribunal, où il avait connu mon ex-
cellent beau-père Andrieux, portait dans la poli-
196 NOTice
tique des iddcs francbciucnl libérales , dans lu
société des manières ouvertes et bienveillantes
Léon fit de bonnes études au collège de Rouen. A
peine venait-il de les terminer que déjà la voca-
tion littéraire se déclarait on hii. Un poème sur les
catacombes de Paris, une élégie sur la mort de
Jacques Delillc, qu'alors des pygmées littéraires
n'aflectaient pas ridiculement de mépriser, furent
en i813 ses premiers essais. Il lit aussi quelques
vers latins et traduisit avec une élégante Gdélité
une des plus jolies pièces d'Arnault, La Feuille
de chêne. Venu à Paris pour suivre la carrière des
lettres, il y fut accueilli par Tex-tribun Bailleul ,
bomme obligeant, ancien collègue de son père,
et qui faisait aloi-s , avec son frère rimprimeur ,
le Journal du Commerce, feuille assez peu répan-
due, et qui pourtant devint pour les deux frères
une occasion de ibrluno. Les journaux alors étaient
à la discrétion d'une police arbitraire. Il arriva
que le Constihtfionnel, le seul journal libéml de
l'époque et dont le débit avait été immense dès
le premier jour de sa publication, se vit suppri*
mer pour quelque peccadille. Il fallut aviser à le
faire revivre au moyen d'une métamoi*phose. On
y parvint en acbetant, au prix d'une action donnée
h cbacun des frères Bailleul, le Journal du Com*
nierce , (\\x\ ^ liéritant des abonnés ^\x Constitutionnel^
d'inconnu qu'il était , devint en un jour le plus
acclieuté des journaux de Paris.
Lié avec des journalistes, Thiessé se troava natu-
rellement attiré vers la presse périodique. A cette
époque , des écrivains que gênait la censure imagi-
sra LÉON THiEssK. fin
nërent, pour rélader,de publier des recueils qui.
ne paraissant qu'à des époques irrégulières , échap-
paient aux définitions de la loi. Le signal fut donné
par les auteurs du vieux Mercure de France^ qu'ils
rajeunirent sous le titre de Minerve française^ et qui,
grâce à son nouveau mode de publication , put pa-
mitre sans être censurée. La récente liberté de ses
allures, le talent de ses rédacteurs^ entre lesquels
on comptait Etienne et Benjamin Ckinstant, lui valu-
rent tout d'abord un succès qui alla croissant de
jour en jour. Tbiessé suivit leur exemple : il publia
les Lettres normandes , que d'abord il rédigea presque
seul, et qui, sans égaler la Minerve en distinction
littéraire, méritèrent et reçurent un favorable accueil.
C'est par là que se fit notre connaissance. Vers ce
temps, je venais d'obtenir à l'Académie française le
prix proposé pour l'éloge de RoUin, et cette heu-
reuse chance avait donné au nom du jeune lauréat
une notoriété de quelques jours. Tbiessé , qui cber-
cliait à compléter sa rédaction , me proposa d'en
fiiîre partie. J'acceptai. Je donnai quelques articles à
son recueil. Plus tard, je fus son défenseur en Cour
d'assises. A quelle occasion ? Le voici.
Une loi, peu sage, puisque, sous couleur d'hono-
rer un prince infortuné , elle attisait des ressenti-
ments qu'il eût fallu éteindre, établissait une commé-
moration funèbre, le jour anniversaire de la mort de
Louis XVL Arrivant le 21 janvier 1820, Thiessé ,
dans sa feuille , blâma cette loi comme impolitique.
L'article, qu'après plus de quarante an? je viens de
relire avec des veux certes bien détachés de toute
prévention , n'offrait rien d'ofTonsif ni dans lo fond ni
198 NOTICE
dans Ja forme. Un fatal incident vint l'empoisonner.
A quelques jours de là, le duc de Berry fut as-
sassiné par le fanatique Louvel. A l'instant, la contre*
révolution éclata en cris de rage , ardente à saisir ce
prétexte d'attaquer un ministre dont la modération
lui était odieuse. Tout libéral fut pour elle un com-
plice de Louvel, qui n'avait point de complices; et
ce qui la veille était innocent se t^uva soudain cou-
pable. I/auleur de l'article et son imprimeur Foulon
se virent traduits devant un jury , sous le triple grief
d'attaque formcUe à l'inviolabilité du roi , d'outrage
à la morale [)ul)lique et de provocation à la déso-
béissance aux lois.
Foulon cliarirea de sii défense mon confrère et
mon aini Hlanchet. Tliiessé aurait désiré avoir pour
défenseur Du pin l'ainé , que plusieurs procès poli-
tiques avaient dès loi-s rendu célèbre. A sa prière,
je fis une démarche auprès de l'éminent iiyocat ,
qui , cela se comprend , aima mieux réserver son ta-
lent et son autorité pour des luttes plus éclatantes.
A son défaut , Thiessé remit sii cause entre mes
mains. Alors le jury était nommé par le pouvoir.
qui savait le composer de manière à ne pas souvent
perdre ses procès. Les inculpés furent pourtant ab-
sous sur les deux chefs les plus graves, mais ils
n'évitèrent pas une condamnation sur le chef de pro-
vocation n la désobéissance aux lois. Celte condamna-
tion , du reste assez légère , et qiii pour- Thiessé se
réduisit à un mois de prison qu*il obtint de passer
dans une maison de santé , ne le rendit pas fort
malheureux et n'arrêta point la publication des.
Loffrrs normfindf*.<. Mois, <»n res l<»nips «h» réaction.
SUR LÉON THI£SSÉ. 199
leur existence ne pouvait plus guère se prolonger.
Une loi survînt qui , faisant bon marché des garan-
ties constitutionnelles, rétablissait la censure et
Vétendait aux écrits semi-périodiques. En présence
de cet arbitraire , la Minerve dnt l'énoncer à jmnûtre
el les Letire$ normandes l'accompiignèrent dans la
tombe.
En cessant cette publication , Thiessé ne donna
point sa démission de journaliste. Il continua d'écrire
àfkHi le Cotistituiionnei , qui avait repris son premier
litre, lorsque , sous le ministère de Serre , la presse
eut quelques jours de liberté , et où je me retrouvai
son collaborateur , à côté de M. Barrière, l'élégant
^1 ingénieux collecteur des Mémoires sur la Révo-
lution française. Si mon nom se trouve associé an
swn sur le titre de l'ouvrage, c'est par le vœu de
*V. Barrière , à qui en appartient la pensée et la plus
grande part d'exécution. Tliiessé concourut aussi à
ce travail , ainsi qu'à la collection des Mémoires
dramatiques , autre publication de M. Barrière. Il
donna également des soins à la collection des clas-
siques français , «entreprise par les libraires Bau-
douin. Lorsque d'autres libi-aires, Lecointe et Du-
rey, firent paraître à leur tour une collection de ré-
sumés historiques, il composa pour eux, en 1824 celui
de riiistoire de Pologne , en 1825 celui de l'histoiro
de Normandie, en 1826 celui de l'histoinî de la Ré-
volution française , qui comptent parmi les meil-
leurs. Dans ces travaux , qui auraient pu n'être que
mercantiles, Thiessé apportait les aptitudes et la
conscience du vrai littérateur. Aussi put-il à bon
droit se fonder sur ces titres ])our se piésonlor , ou
âOrt NOTICK
cette même année 18^6 , à la Société phîlotechnique,
qui se fit un honneur de Tinscriro au nombra de ses
membres. Me sei*a-t-il permis de rappeler, à titre
d'affectueux souvenir, ([ue c'est sur mon rapport
que son admission fut prononcée ?
Dans cette Sociélé , qui comptait sur son tableau
les noms d'Andrieux^ de C. Delà vigne, de Pongervîlle,
de Philippe Dupin, Thiessé se fit bientôt une place
distinguée. Il y occupa pendant un semestre le fau-
teuil de la présidence, et loi-sque la retraite regrettée
du respectable Villenave laissa vacantes les fonctions
de secrétaire-perpétuel , c'est à lui qu'elles furent
confiées.
Parmi ces préoccupations de la politique, de l'his-
toire, de la critique littéraire, son goût pour la
poésie ne s'était pas éteint. Il s'exerçait à traduire
en vers les plus beaux morceaux de la Pharsale, Un
instant même il se sentit porté vers la littérature
dramatique. J'ai souvenir d'avoir, en compagnie de
juges plus compétents que moi , d'Andrieux , de
Picard, je crois mémo de Lemercicr. assisté chez
lui à la lecture d'une tragédie tirée de nos annales.
L'auteur recul de ces maitres des conseils mêlés d'en-
couragements. Poui'tanl, je n'ai piis appris que sa pièce
ait été présentée au théâtre. Mais en 1828, il fit jouer
à rOdéon une tragédie des Francs-Juges, et si le succès
n'en fut pas éclatant, il fut au moins de ceux dont
un débutant peut encore s'honorer. On applaudit
avec justice un style ferme et pur, des caractères
bien dessinés , une situation touchante qui rappelait,
sans le répéter, le quatrième acte de Mahomet Je
crois ih'-iimnoin.s ijn»» 1 auteur s'était trompé sur sa
SUli LÉON THIËSSË. 201
donnée dramatîqae. Sans doute , Tidëe de rendre
odienx le sombre et sanglant tribunal qui efTraya
quelque temps la Germanie est la premièi^e qui se
présente à l'esprit. Mais il faut se méfier des pre-
mières idées , qui ne sont pas toujours les plus fé-
condes. Dans cette donnée , point de nœud , de sus-
pension, de péripétie; partant point d'intérêt, point
de dénonement. Mais qu'en des temps barbares, un
puissant oppresseur soit sur le point d'accabler
l'innocent sans appui ; qu'au moment où le crime va
se consommer un mystérieux vengeur vienne frapper
le persécuteur et sauver la victime , là je reconnais
les conditions du drame ; je crains , j'espère , je suis
ému. Instruit par des réflexions nouvelles, sans doute,
dans un second ouvrage , l'auteur eût fait mieux en-
core; mais de graves événements politiques vinrent
faire diversion aux jeux de la littérattire.
1830 était arrivé. N'ayant pu dominer ni cor-
rompre les élections, la royauté était décidément
entrée en lutte avec le pays. Des ordonnances ve-
naient de briser la liberté électorale et la liberté de
la presse, l^ lil>erté résista. Quarapte-ijuatre jour-
nalistes protestèrent : Tbiessé fut de ce nombre (1).
C'était jouer sa tète ; la Révolution triomphante l'en
récompensa par des fonctions publiques.
La sous-préfecture de Brest , l'une des premières
de France, lui fut d'abord olierle. Appelé bientôt à la
préfecture des Deux-Sèvres , il administra ensuite le
département du Jura et plus tard celui des Basses-
Alpes. Dans ces diverses résidences , l'hommo se fit
1) Voir Ws Mtmoivei de M. Veroo.
202 NOTICE
aimer , lo t'nnctionnairc se fît estimer. Son adminis-
Iralion tut piutout éclairée et bienveillante. Dans ses
rappodt^, toujours lumineux, la forme littéraire
n'ùtait rien à la solidité du tond. Cependant, en
1843, sii mise a la retraite fut prononcée. Quel en
fut le motif? Je n'ai pu le savoir. Ce ne fut point un
hiûme de sa conduite administrative , car la retraite
tut accompagnée d'une pension , que le pouvoir n'est
pas dans Tusagc d'accorder aux fonctionnaires dont
il (st mécontent. Quelques-uns en ont accusé la trop
grande siuiplicité de ses manières, qui, convenables
dans un simple particulier, n'étaient peut-être pas
au niveau de ce qu'exigent les nécessités de la re-
présentation dans le premier magistrat d'un dépar-
ten)ent. Rendu à la vie privée , dans des conditions
qiii lui assuraient l'aisiince avec la liberté , Tliiessé
reviiït à la littérature , sa vieille amie. Il reparut en
f8i4 à la Société pliiloteclniiqne, qui fut heureuse de
le revoir après quinze ans d'absence , et qui lui dé-
cerna la présidence pour le premier semestre de
1846. 11 apporta plus d une l'ois d'agréables tributs à
ses séances publiques ; il enrichit d'intéressantes
comumnications ses séances particulières , dans les-
quelles il récita plusieurs fois des fragments de sa
traduction de Liicain , doublement remarquables et
par un style mule et ferme , et par un sentiment vrai
de l'original. Du reste, Thiessé non plus que son
confrère Bignan, qui comme lui s'est exercé sur la
RharsnlCy ne se proposant pas de tout traduire dans
cette «euvre d'un pénie grand , mais inégal dans Sti
grandeur. Il complail s attacher aux morceaux d'élite
ri lier i-es IVamnenl^ par UNI' version en pnise. Le
SUR LÉON THIESSÉ. 203
temps lai u manque pour acbcver ce Irnvail , qui ,
à juger d'après ce que nous avons entendu, fût
deTenu son principal titre de gloire.
En 1853 il écrivit , à la prière d'une honorable
famille , une élégante biographie d'Éticnne . l'aca-
démicien et le député. Nous étions loin de penser
que cet écrit dût être son dernier ouvrage. L'auteur
avait à peine accompli sa soixantième année. Sa
santé n'avait point faibli , son esprit n'avait point
décliné, son ardeur au traTail était toujours la
même ; lorsqu'au mois d'avril i8o4 , atteint par
l'épidémie cholérique qui sévissait aloi-s dans Paris..
il fut ravi en vingt-quatre heures à sa famille , aux
lettres et à l'amitié.
Jeune encore , Thiessé s'était uni à une femme
d'une aimable figure et d'un aimable caractère. 11
en ent deux enfants : un fils , dont la constitution dé-
licate inspira longtenjps des craintes heureusement
dissipées aujourd'hui ; une fdle qui promettait d'être
charmante et qui mourut avant d'avoir atteint l'ado-
lescence.
DES AFFINITES
DE
LA LANGUE BASQUE
AVEC LES IDIOMES DU NOUVEAU-MONDE ,
Par m. h. DE CHARENCEY,
Membre correspondanL
'.^sAA/V\ArLrVAAAArv/>^'
M. le docteur Priiner-Bey a déjà donné , dains le
Bulletin de la Société d'anthropologie , un savant
mémoire sur l'atlinitéde la langue basque avec celles
du Nouveau-Monde. Dans le présent travail, com-
posé avant que nous eussions eu connaissance de
celui de M. Pruner-Bey , nous nous eflPorcerons sur-
tout de comparer le Basquf; aux idiomes du groupe
Algique. La question des ressemblances existant entre
ridiomc Euskarien et les dialectes américains a plus
d'une fois attiiiS Tattenlion du monde suivant. G. de
Humboldt signale un certain nombre de rapports
entre les groupes linguistiques, mais il ne les regarde
pas comme fort probants. Ils proviennent surtout ,
dit-il , de ce que les langues se sont arrêtées juste
au même point de développement linguistique. Ce
^eul fait serait déjà assez étrange. Dès les pi'emiers
âges de rhumanité. chacune des principales souches
iinj2:nistiques m fsl arrivée à un jminl de dévelop-
URGUE BASÛI3£ LT IDIOMES Dl' MOUVfAU-MONDE. 20Ti
pemeot spécial qae toutes les autres ou ont dépasse
on n'ont jamais atteint ; et voici deux groupes
didiomes qui, depuis cette époque jusqu'à nos jours,
ont conservé une presque identité dans le mode de
strnclure grammaticale. D'ailleurs, les autres familles
de langues que nous connaissons n'ont japiais suivi
nne marche absolument régulière, ni unilbrrae. L'en-
fance des idiomes , on peut Tallirmer hardiment , a
été aussi diverse de race à race , que peut l'être
leur maturité. Les idiomes sémitiques, par exemple,
l)eaacoap en avance sur tous les autres dialectes
coonus, quant à leur mode de flexion interne des
voyelles, laissent bien loin dernère eux, à cet égard,
les idiomes indo-européens les plus développés. Au
contraire , sous le rapport de la déclinaison , ils se
montrent fort en i*etard et n'atteignent pas au même
point que les langues ouraliennes , chez lesquelles
le pronom est susceptible de tlexion casuelle. Nous
sommes donc fondé à croire que la seule similitude
de génie grammatical dos deux idiomes , lorsqu'elle
s'étend à un grand nombre de points et n'est d'ail-
leurs point contrebalancée par des différences im-
portantes, constitue à elle seule une grave probabilité
en faveur de l'unité originelle de ces mêmes idiomes.
Du reste, la ressemblance qui existe entre le Basque
et certains dialectes américains n'est pas , comme
nous l'allons voir, bornée au seul génie grammatical.
On peut atiirmer que, parmi toutes les familles
américaines, la famille Algiqne, comprenant le De-
laware, l'Algonquin , le Chippeway, l'illinois, l'Abé-
naki, etc., est celle qui nous ofifre le plus d'affinité avec
le Basque. Cela est un fiiit important à signaler. Ce
âO<) DES AFFINITÉS DE LA LANGl'E BASQUE
sont prëciséiiiGut les deux groupes de langues par-
h^es sur les cotés opposés de TAtlantique qui paniis-
seni se rapprocher le plus Tun de Ttiulre.
l)*ahord, «piant au systènie phonétique, les lan-
gues canadiennes, ainsi que le Basque , ne font point
usage du son F, Elles répugnent également à toute
liaison , les consonnes muettes et liquides, dans la-
quelle les liquides se trouveraient à la fin d'jun mot.
Dans les idiomes canadiens , ainsi qu'en Basque,
nous retrouvons généralement la structure agglo-
mérante , l'emploi des postpositions ; mais tout cela
n'est pas le plus important. Il existe un procédé uni-
forme dans la manière de former les mots composés,
lequel semble à peu près étranger aux autres familles
linguistiques de l'Ancien-Monde. Loi^sque deux mots
s'unissent ])our former un composé, souvent la partie
radicale de la seconde de ces formations s'efface.
Par exemple , en Basque , hilhun , crépuscule , pour
hil egun (litl. mortna dies), — Hemeretzi, dix-neuf,
pour hnmar( decem) et bederatzi (novem). — Orzanz^
tonnerre ( litt. bruit du nuage) , de ortz , nuage et
nzanz, bruit. — Odotsa (même signifîcat. ) de odéî ,
odoi, nuage , et olsa , bruit. De même en Delaware ,
lenape y un indigène, un Indien , de lenni, indigène ,
et apé, marcher debout ; litt. , la créature qui se tient
debout, l'homme. — Piiapé, jeune garçon, de piisitt^
castus, et lenapé, homme. De même encore dans un
très-grand nombre d'idiomes de l'Amérique du Nord.
Par ex. : en Dacotah, tintata , vers la prairie ; de
tinta n prairie, et yatu ^ vers. — En Obbjibeway, to-
toshaboy vin ; de toto, lait, et shominaho^ grappe (litt.,
lait de la grappe). — En Arlrqiie, cttmoff*iili ^ couleur
ATEC LES IDIOMKS DU NOUVEAT'-IIONDE. 207
brune ^ de camotli j patate , et tiajjalii, couleur ( iitt. ,
couleur de patate ;.
On troDve des exemples de ce mode de formation
dans les langues les plus diverses, mais seulement à
l'état de Irès-rares exceptions, par ex.: en latin
>wfc»pourfMwi voio; malo^ pour magis vola: en fran-
Ç<ûs(djios le langage vulgaire), matnzelie, pour ma-
àenmelk; en grec , ïû^peci) , prendre vivant , pour
CôdvoYpeci); en latin encore, manubrium, hacbe, pour
nnp vieille forme, manus haben'um, ce que Ton tient à
lamnin.^En Allemand, beim^ zvm, chez, auprès, pour
M dm; zu dem. —En Flamand on Néerlandais, vant ,
du, pour van het — En Espapmol , ttsiffd, pour vuestra
ffureed; ucencia , pour vuestra ecceHicia, — En Arabe ,
RaçtmUah^ prophète de Dieu (pour Raçoui ei Allah).
"En Japonais, anatfi ^ je, moi; kotiata , Ui, toi;
smata , i\ , lui pour ano kata , kono ha la , so^io kata
(Jitt., cette place; cette place-ci ; cette place-là),
kûiyé, cabane, pour ko iijé (Htt., petite maison^.
Dans les patois de l'Amérique du Nord, la plupart
des mots sont formés ainsi. En Basque, ce procédé
d'élimination , quoique moins souvent employé, l'est
encore intîniment plus qut^ dans les autres idiomes
de r Ancien-Monde , et s'il n'est pas aussi «général
quVn Delaware, cela tient sans doute à rintluence
indo-européenne.
Il V a, toutefois, nnrore une (hslinction à établir
pnti"e l'Kskuara et les langues algiques. Li» premier
de ces idiomes, n'etuphne guère le proctWb'î il'élimi-
nation que pour les composés des deux substantifs
ou d'un nom et d'im adjectif. Au contraire , les dia-
lectes améri<*ains s'en servant pour foruier des
itVi DES AFFINITÉS HE LA L4NGLE BASOrE
membres de phrase ou parfois des phrases entières,
ou pour unir, comme nous l'avons vu en Dakotah ,
un substantif à une postposition , par ex. : Lenapé
kifannïtowit , toi qui es Tètre suprême ; de kitchi,
grand ; manitou , esprit et wit , désinence verbale ;
kitagichgouk , espèce de serpent qui ne sort que la
nuit ; de kitamen, craindre, gichouk, soleil et ackgouk,
serpent ; koidigalchiz , nom d*amitié que l'on donne
aux animaux domestiques . aux jeunes chats, aux
jeunes chiens; de A', tu, toi; woulit^ joli, jolie;
achgaty patte et chiz ^ thialc diminutive (litt., toi, la
jolie petite patte). Il est vraisemblable, qu'ici encore^
le contact avec les peuples indo-européens a dû dé-
terminer les Basques à restreindre l'emploi du procédé
en question, tandis que chez les nations barbares
du Nouveau-Monde , il a conservé son extension
primitive.
Très-probablement , les règles de composition ont
été la conséquence du penchant qui porte les sau-
vages à restreindre le nombre de leurs radicaux ,
comme s'ils craignaient de charger leur mémoire et
par conséquent , à multiplier le nombre des mots
composés. Au contraire , les races qui ont toujours
vécu dans un état de civilisation relative , ont aussi
gardé un nombre considérable , non -seulement de
racines, mais encore de radicaux, et se sont bornées
à leur joindre des désinences dérivatives. L'usage de
procéder par mots composés , rendant le discours
prolixe outre toute mesure , on dut chercher un
moyen de l'abréger et Ton n'en trouva point de
meilleur que d'éhminer une partie de ces mêmes com-
posants. En un mot, tandis que Thommc cîvihsé
AVEC LES IDIOMES DU NOUVEAV-MUNDE. :209
emploie une quantité considérable de mots isolés ,
soBceptibles d'entrer dans toutes les phrases, l'homme
sauvage se tient à un certain nombre de combinai-
sons verbales, susceptibles de rendre les idées les
pins usuelles. On remarquera, en effet, que le Basque
comme les idiomes américains, est fort pauvre en
radicaux , et qu'il supplée volontiers à cette lacune ,
au moyen de composés. Nombre d'idées , rendues
dans les dialectes indo-européens par les dérivés, le
sont en Basque au moyen de radicaux combinés, ex. :
belhaun^ genou , de belhar^ front et oin, pied , yariegi^
banc (litt., demeure où l'on s'asseoit), de ^ar,sedere
et tegi , domus ; araisfegi , prison , de har , harlv ,
capere, captus, et tegi ^ domus.
Les idiomes canadiens admettent comme l'Ëskuara
la distinction entre le genre rationnel, et le genre irra-
tionnel. En Basque , par ex. , la désinence inessivo
bailthan est spéciale aux êtres doués do raison ; les
désinences tan^ean^ etan , le sont aux objets non
doués de cette faculté , ou même aux êtres raison-
nables , mais alors désignés in génère , non in specie»
Ainsi , l'on pourra dire gizùnetan , in homine , mais
il faudra toujours dire Yinkoahailthan, in Deo; Marin-
Itailthan , in Maria.
Dans les langues américaines , comme en Basque,
le genre rationnel serait plutôt ce que l'on peut ap-
peler le genre noble, par opposition au genre inanimé
ou ignoble , mais il comprend un plus grand nombre
de mots qu'eu Basque. Tous les objets animés^ ra-
tionnels ou non, et certains objets inanimés, à raison
de leur noblesse ou de leur utilité , sont classés par
les Canadiens dans le genre animé. D'autres idiomes
li
2\0 DES AFFINITÉS DE ÎA LANGUB BA9QCJB
américains se rapprochent plus à cet égard da Bas-
que : ainsi, l'Iroquois classe dans le genre noble ,
Dieu, les anges et tout ce qui est mâle dans l'espèce
humaine seulement.
Une différence à signaler entre les idiomes cana-
diens et l'Eskuara, c'est que chez les premiers la
distinction générique n'a pas lieu pour les noms an
singulier. Ceci , du reste , se retrouve dans beaaconp
d'autres dialectes du Nouveau-Monde, par ex. : en
Dakotah , où les noms du genre noble seuls pren-
nent le signe du pluriel, qui est pi; en Qiricbé,
les noms d'objets inanimés ne prennent jamais la
finale en aà, ob , ib, ub^ qui marque le môme
nombre.
Les idiomes algiques , eux , possèdent une double
désinence plurielle, celle en al^ ar ou an pour le
genre ignoble, et celle en ak^ ek ou k pour le genre
noble. Ex. : En Lenapé, tchoiens, oiseau et tckoiensak
oiseaux. Cette finale ak ou ek est la désinence gé-
nérale du pluriel en Basque. Par ex. : gizon, homme
eigizoîiak, les hommes. On pourrait supposer qn'À
l'origine, cette finale ai, ek du pluriel était réservée
en Basque aux noms du genre noble.
La déclinaison ne se retrouve guère dans les dia-
lectes américains , tandis qu'elle est très-développée
en Basque. Je serais porté à croire que, dan^ ce
dernier idiome , elle n'est pas primitive , qnelqae ex-
tension qu'elle ait prise par la suite. Il ne faut pas
oublier qu'en effet, cette déclinaison, se laît en
grande partie au moyen de l'article a final et Ton
peut supposer qu'ici il y a eu influence indo-^eiiro-
péenuo. On sait que le Hongrois a pris du Polonais le
AVKC LES IDIOVKS hll NOUVEAV-MONDE. 2H
prénom a oa a:; el en a fait anc sorte d'article dont
les aatres idiomes finnois sont dëponi-vus.
Dn caractère assez général des langues améri-
caines, c'est de posséder des termes diiférents pour
les degrés de parenté suivant le sexe de la personne
qui parle ou dont Ton parle. Ainsi , en Algonkin ,
kanù signifie frère de frère seulement et non frère
de sœur; iikiky au contraire, signifie exclusivement
sœur de la sœur. Ceci se retrouve scrupuleusement
conservé en Basque , mais pour un seul cas. Une
femme y désigne sa sœur du nom d'Ahispa ; la sœur
d'an homme est Arreba. Il est vraisemblable qu'à
l'origine, ce procédé était plus usité en Ëskuara.
Enfin ^ l'on sait que dans les idiomes algiques , les
noms se conjuguent et prennent un grand nombre de
flexions qui , dans les idiomes de l 'Ancien-Monde,
seraient propres au verbe. Ainsi, Zabie^ Xavier et
Zabieban, Xavier qui était, Xavier que j'ai connu, mais
qui est mort et Zabiegoban, feu Xavier que je n'ai pas
connu. La plupart des désinences du nom se peuvent
également donner au verbe; par ex.: la finale fok qui
marqne doute, possibilité. En Basque, nous iH^ti'ouvons
quelque chose de tout semblable. î^ finale ize^
par ex. , qui est le signe habituel de l'infinitiH
Z^^tm/z«a, accompagner (de /o^tm, compagnon), se
trouve aussi prise comme finale nominale. ■ Sa-
garra j pomme et Sagartze, pommier. Le nom
prend une finale de futur. Par ex. : Emazte , femme
et Emaztegaia, femme future, fiancée. Le signe de
rimparfait sert exactement, comme en Algonkin, à
rendre l'idée de défunt^ feuy lorsqu'il est uni à un nom.
Ex. : fli/a, père ; aitazena, feu le père, et zen^ il était,
2\2 DES AFFJNITÉS DE LA LANGUE BASQUE
il fut. De même en algonkin, pour la finale 6cm ; ex. :
Micen,M\che\ ; Miceniban, déîuni Michel ; nisakiUm^îe
Taime et ni sakitonaàan, je Taimais. On sait que dans
quelques autres idiomes du Nouveau-Monde , le nom
prend régulièrement les signes du passé et du futur
(en Guarani^ par ex.)- Le système de numération ca-
nadien rappelle, à plus d'un égard, le système basque.
Ainsi, en Ëtchemin , le nombre 9, pechkokem, semble
être en relation étroite avec bechkon , un , comme en
Basque àai^ un avec bederatsi^ neu£ Nous aurions
peut-être quelques raisons de croire que ce procédé
a été dès Torigine suivi par tous les peuples Lenapés.
On a été tenté de retrouver chez les Basques , une
tendance au système quinaire , dans ce fait que , à
partir de cinq et jusqu'à neuf inclusivement, les
noms de nombre sont marqués d'une finale t ou tsf
dont les autres sont dépourvus. On pourrait trouver
quelque chose d'analogue en Algonkin, où ces mêmes
nombres sont marqués par la finale SasSL
Le système vigésimal^ si souvent uni au système
quinaire, existe en Basque. Par ex. : binvgei 40 (litt.,
2 fois 20). "-Birrogei eta kamar, 50 (litt., 40+10). —
Hif^rurogei, 60, etc. (litt, 3 fois 20). Il existe égale-
ment dans les idiomes de la famille Maya-Quiché.
Par ex. : en Maya, 20, kal ou hunkal; 80, cankal
(litt., 4 fois 20); mckal , 120 (6 fois 20). — Mais
comme il se rencontre également en Breton, par ex. :
triugent, 00 (litt., 3 fois 20).— ^iYclo ugeni, 180 (litt.,
9 fois 20) ; qu'on en retrouve des vestiges dans le
Français quatre-vingts, quinze-vingts, et que d'un
autre côté il manque en Algonkin, où il est remplacé
par le système décimal , nous n'osons pas tirer des
conclusion? do cptto coïncidence.
AVIC LES IDIOMES DU NOUVEAU-MONDE. 243
Les pronoms personnels en Basque et en Algonkin
offrent, je ne dirai pas nne grande ressemblance mais
une identité presque absolue. On en pourra juger par
le tableau suivant :
Je. NL iVi.-Lenapé n*.-Gliippeway, nm, etc.
Tu. Aï (pour £t). iCî.-LeDapé it\-Chippeway kin, etc.
IL Hou. 0.
Nous. Gu. Ki
Ces affinités existent à un degré plus ou moins
prononcé dans toutes les langues algiques. Dans les
idiomes du groupe Chiclûmèque ou Aztèque , la
f* personne est toujours marquée par un n initial.
Enfin, en Quiche et en Maya, la i'" personne du
pluriel est ka ou ca. Quant à la finale t , qui exprime
la i'* personne du singulier, nous en parlerons
plus loin.
Dans les langues algiques ( et généralement dans
tous les idiomes américains], les personnes se pré-
posent au verbe comme dans la conjugaison syn-
copée de TEskuara, par ex. : en Lenapé. n pendamen,
j'entends ; k' pendamen , tu entends ; de même , en
Basque nathor , je viens ; hatlun* , tu viens ; noua
je m'en vais; houa , tu t'en vas (conjugaison intran-
sitive syncopée).
Un des caractères des langues canadiennes , c'est
d'être exclusivement pronominales ; je m'explique, le
Lenapé dira, par ex.: noch^ mon père ; koch^ ton père,
mais il ne pourrait rendre l'idée de père isolée et
non accompagnée du pronom. Cela se retrouve dans
beaucoup d'autres dialectes de l'Amérique du Nord.
ili DES AFFINITÉS DE LA LANCvUt BASQUE
1^8 missionnuires qui vouliii*ent traduire les prières
cbrétieuDes en langue Huronnc , étaient obligés de
rendre ainsi le Gloria Patri ; gloire à notre Père , et
à son Fils , et à leur Saint-Esprit Les idionaes méri-
dionaux, quoique plus libres dans leur allure, accolent
toujours le pronom plus ou moins intimement au
nom. En Pokonchi, par ex., le nom est intercalé
dans le pronom: tziquïn, oiseau , et kiiziquintak ^
leur oiseau {ki-tak, leur).
Le Basque incorpore également le pronom au
verbe, au moins à certains temps , par ex. : zen ou
zan , il était et ninizan, j'étais. On remarquera qu'en
Algonkin , le pronom prend quelquefois comme
en Basque, un n euphonique, par ex. : Basque «
hintzan, tu étais, pour ki zan; en Algonkin, nind
apinaban , pour nt apinaban. Enfin, à la conjugaison
transitive du Basque , le pronom régime direct ne
peut pas s'isoler du verbe. L'Eskuara dira bien : yatm
dotogia^ litt.,jc le mange, le pain; mais il manque
d'une forme propre à rendre notre phrase simple,
je mange le itain. Les Basques sont si habitués à cette
fusion du régime et du verbe, qu'ils la regardent
comme exprimée dans les autres idiomes. Un
Basque auquel on demaude en Français : as-tu
fermé la porte , vous répondra toujours : j'ai fermé et
non je l'ai fermée.
On reconnaît \ti cette répugnance des races bar-
bares pour les idées abstraites, cette tendance à ne
considérer les objets qu'au point de vue concret,
tendance qui parfois s'unit à une richesse excessive
dans l'expression des moindres nuances de la pensée.
On s'est plu à voir une distinction l'adica le entre
ATIC IBS IMOMBS OU NOUVBAU-MOIIDB. 215
le BuqHe et les idiomes américains, dans ce feît que
IMoara dit- tonte sa conjugaison au moyen de
l'aaxiiiaire être et ûcoeèt , tandis que les dialectes ca-
nadiens ne connaissent point le verbe substantif.
Ao8«, M. Dnponcean dëelare-t-il n'avoir pu traduire
dans aucune kngue de cette famille la plinise bi-
bliqae : - Je sais celai qni suis. » Cette divergence ,
après examen » semblera peut-être moins tranchée
(/u'ou ne croirait au premier coup-d 'œil. IJ est dou-
(eux qu'il y ait, à proprement parler, des verbes en
Bdsqae. Aïz, que Ton traduit par je suis, est le mé-
diatif régulier de ni, je on moi veut dire littéralement
par moi, de moi ; g^re, nous sommes, n'est» suivant
toutes les apparences, que pour gura et forme l'ailatif
de gu , nous. Son sens véritable est donc ^î nous ,
vers nùuâ. 11 conviendrait^ sans doute, de traduire
l'expression ethorten naiz , je viens , par in t(o verure
per me. La présence du radical iz dans izan semble,
il est vrai , contredire cette hypothèse et accuser In
présence du radical être. Il serait possible d'abord
qn'iz ne fût qu'une Gnale prise comme radical. Cet
étrange procédé n'est peut-être pas sans exemple
en Basque, et le mot gai^ gaia^ matérinux, ce qui est
propre à devenir ( par ex. : dans emaztegaia , femme
future, fiancée), pourrait bien se rattacher à la flexion
A'a, par^ vers. Je ne sais si l'on ne trouverait pas
quelque chose d'analogue en Turc pour le verbe
substantif, dont certaines formes se rapprochent des
suffixes possessives. Si même Ton admet que la syl-
labe iz constitue un radical verbal il est bien difficile
de ne le pas rapprocher du radical sanscrit as (asmi,
je suis) et de n'y pus voir un de ces emprunts sans
ilt> UES AFFINITÉS DE LA LAlf(H)E BASOUX
nombre faits par l'Ëskuara aux dialectes indo-euro-
péens. II est donc permis de croire que le système
de conjugaison actuelle du Basque n'est pas le sys-
tème primitif 9 qu'il a été précédé par un autre tout
différent. L'adoption du verbe auxiliaire aurait été
de la part des Basques une tentative pour rapprocher
leur idiome de cjpux des nations voisines. Bancroft
nous parle de je ne sais plus quel dialecte des États-
Unis , lequel s'est forgé, à l'exemple de l'Anglais, un
verbe être dont il était à l'origine dépourvu. L'em-
ploi du pronom de la 3* personne , pour former le
verbe auxiliaire, n'est sans doute pas dans la langue
maya ou yucatèque , plus ancienne que la conquête
espagnole. On voit que bien des idiomes ( peut-être
tous ) n'ont pas senti à l'origine le besoin d'exprimer
la notion du verbe par excellence. Ils n'en sont arri-
vés à ce point que par suite d'un perfectionnement
plus ou moins lent. Quelques langues américaines ,
telles que le Péruvien et le Sioux ou Dacotah possé-
daient d'ailleurs le verbe substantif. Dans ce dernier
idiome même , il s'emploie avec le participe pour
former une sorte de conjugaison analogue à la con-
jugaison descriptive du Magyar et du Lapon , ainsi
qu'à la conjugaison intransitive du Basque.
Un point de contact très-digne d'être signalé entre
TËskuara et les dialectes américains , c'est la distinc-
tion si tranchée entre les conjugaisons transitive et
intransitive, par ex. : en Algonkin, ni sakidjike^
j'aime, et nisakiha, je l'aime. En Maya, ces deux con-
jugaisons ont des pi'onoms différents. Il y a toutefois
ceci à remarcïuer. Chez les peuples du Nouveau-Monde,
la conjugaison intransitive renferme tous les verbes
AYK LES IDKHfES DU NOUYEAU-MONDE. 217
non munis d'an rëgîme direct, qu'ils soient par leur
nature actife ou neutres^ on passifs; en Basque,
elle ne contient que les yerbes passifs ou neutres.
Quant aux verbes actifs, ils sont toujours foroé-
meat accompagnés d'un régime direct et rentrent par
conséquent dans la classe transitive.
Enfin , le pronom-régime , soit direct, soit indirect
&it dans les deux groupes d'idiomes partie intégrante
du verbe ; ce qui rend la conjugaison extraordi-
nairement compliquée.
Noos remarquerons que le pronom de la i^* per-
sonne incorporé , en Basque , se présente sons une
forme toute spéciale. 11 consiste en un i final ; ex. :
dut, je l'ai; zaïi, il m'est, il est pour moi. Dans un
dialecte du sud des États-Unis , dont nous ne nous
rappelons plus le nom (le Chikassais ou le Cherokee,
je crois), le t initial marque le pronom de la 1'* per-
sonne. Il a probablement aussi en Basque , existé
primitivement sous sa forme isolée.
L'imparfait, nous l'avons déjà dit dans les langues
canadiennes , consiste dans la particule finale ban ,
ex. : ni sakihaban^ je l'aimais , qui signifie également
moi*t, défunt; ex. : Zabieban, défunt Xavier. En
Basque, la 3* personne du singulier de l'imparfait
indicatif est zen , zan qui a le mémo son de feu ,
défunt , ex. : ai ta zena, défunt le père ; ethorten zen
se rend littéralement par defunctum , m tco venire,
il venait La i" et la 2* personne du même temps
semblent provenir de la fusion du pronom personnel
avec ce radical , par ex. : nintzan, j'étais pour niz zan,
litl. />er me defunctum: le désir d'éviter la réunion des
deux sifflantes parait avoir été la cause de Tinter-
ii8 DES AFFINITÉS DE LA LANGUE BASQUE
calation de Vu dont nous avons cité quelques
exemples «lu sein des langues canadiennes. Quant à
la 3' personne zen, elle nous offre un radical dépourvu
de lout pronom. Celte omission du pronom de la
3' personne du singulier se retrouve à chaque pas
dans les dialectes du Nouveau-Monde , par ex. : en
Groenlandais, angekog , grand , et il est grand. En
Mexicain tlapia^ un gardien el il garde. En Algonkin,
ni sakidjike y y aima , et sakidjike, il aime. Du reste,
les langues somitiques cl touraniennes nous offrent
plus d*un exemple de ce procédé, par ex. : en Turc,
sever , amans ou amat. En Basque et en Algonkin ,
la 2*" et la 3' personne du pluriel possèdent un signe
spécial qui n'existe pas pour la 1*^' personne du
même nombre. Si sur ce point Taccoi'd est remar-
quable, les désinences toutefois n'offrent point d'ana-
logies , quant au son, dans les deux groupes de
langues. Elles sont te ou de en biisque, ex. : zeraie,
vous clés ; dira ou dirade , ils sont ; mais géra , nous
sommes ; 8^3 en Algonkin ; ex. : ki sakitonaSa, vous les
aimez ; o sakitonaSa , ils les aiment ; mais ni sakHo-
nanan, nous les aimons.
La finale iocative ko ou go m en Basque une valeur
future, ex. : izango naiz. futurus sum ; pro xt^ esse
sum. Nous trouvons en Chippeway, la syllabe go
marque du futur , mais intercalée entre le pronom et
le verbe, ex. : ninondoni, y euiend& , et ningônandotn ,
j'entendrai. Peut-être, du reste, cette analogie n'est-
elle que le fruit du liasard ; le go devient ga en
Algonkin, ex. : 7Ùnga sakihn, je l'aimerai.
Nous serions bien tcmémire sains doute , en pré-
tendant établir la moindie analogie entre la finale
AVEC LES IDIOMES DU NOC VEAU-MONDE. 219
soeiative ib' da Basqae qui , quelquefois a une valeur
de tempe présent, par ex. : hettziareki erran dut, il n)*a
dit en arrivant (litt., avec l'arrivée), et le ki, gi marque
du passé dans les dialectes algiques , par ex. : en
Chippeway nin gi n<$fidbmj'ai entendu; en Alj^onkin
nimkiha^ je l'aime, et nin gi sakiha, je l'ai aimé. On
concevrait cependant que )e sociatif puisse assez
indifféremment se transformer en signe de présent
00 de passé.
L'optatif basque est marqué pnr la syllabe za on fia
iolercaJée avec n final, par ex. : yan degti, nous l'avons
mangé et yan dezagun^ que nous le mangions.
L'Algonkin fait usage pour le conditionnel de la
syllabe da , également intercalée , ex. : ninda sakiha,
je l'aimerais. Mais je soupçonnerais la forme améri-
caine de se rattacher plus directement à l'optatif du
verbe éire en Basque, marqué |)ar la syllabe nd, di ,
intercalée, ex. : niz , je suis , et tiadin , que je sois ,
hadinj que tu sois.
Certaines conjonclions sont unies an vcîrbe sous
forme de simples finales dans ces deux groupes de
langues , ex. : en Basque , nizalarik , tandis que jt;
suis; nizolakoz, piirce que je suis; en Algonkin,
sakihntc/iy s'il l'aime.
En Basque, ainsi qu'en Algonkin , certaines foi-mes
verbtiles peuvent être à la fois transitives et intran-
sitives, par ex. : en Ëskuara, nmu , je suis (forme
respectueuse), et nuzu , vous m'avez (vous singulier
et respectueux); en Algonkin , sakiha, il est aimé et
avec le pronom ni suki/uiy jeraiine. Ceci nous t'ait voir
(pie les dialectes canadiens pas plus que le Basque
n'ont senti bien nettement la dislinclion entre le
220 DES AFFINITES DE LA LANGUE BASQUE
passif et l'actif; ni sakiàoy se doit rendre littérale-
ment par moi , il est aimé ; c'est-à-dire , je taime. En
Basque, nous trouvons quelque chose de tout-à^&it
semblable. Le cas nommé actif et qui le plus géné-
ralement est une forme du sujet , peut anssi remplir
le rôle d'un véritable ablatif, ex. : nik egin dut^ je
l'ai fait (ego factum babeo) et nik egina^ ce qae j'ai
fait (ego factum, per me factum).
On conçoit combien la conjugaison doit être com-
pliquée en Basque et dans les idiomes américains.
 tout cet enchevêtrement de personnes accolées aa
verbe, ils ajoutent une grande variété de mode.
L'infinitif, qui en Basque est remplacé par une sorte
de nom verbal, ne parait point exister du tout dans
les dialectes canadiens. •
Les conjonctions isolées se rencontrent asses rare-
ment dans ces idiomes , souvent elles consistent en
désinences ajoutées au verbe ainsi que nous l'avons
dit ; quant aux prépositions, elles se placent le
plus souvent après le mot et deviennent ainsi de
vraies postpositions. Cette règle est plus fidèlement
observée dans certains groupes d'idiomes améri-
cains que dans les langues algiques.
En Algonkin et dans un grand nombre de dialectes
du Nouveau-Monde , l'adjeclif précède le nom el ce
dernier seul prend la marque du pluriel. Ex. : matcki
animotch , un mauvais chien et matchi animoickak^ de
mauvais chiens. En Basque, l'adjectif peut, il est
vrai , précéder ou suivre le substantif; mais lorsqu'ils
sont unis , l'un des deux $eul revêt la forme plu-
rielle. Ex. : gizon guziak , tous les hommes et non
pas f/izmak guziak. On trouverait cependant à celte
AVEC LKS mOMES DU NOUVEAU-MONDE. 224
règJe, en Basque, quelques exceptions peut-être plus
apparentes que réelles. Les langues touraniennes, ou
dn moins un assez grand nombre d'entre elles , nous
oflrent la même particularité , mais chez elles , elle
s'étend plus loin encore , puisque la désinence du
temps ne s'applique qu'an dernier des participes qui
se suivent dans une phrase.
Un des caractères les plus étranges de la langue
basqoe, c'est sa faculté de former à Tinfini des mots
composés ou surcomposés, en ajoutant et combinant
l'article final a et les désinences du participe en tu,
de l'infinitif du nom verbal en tze; ex. : etrege^ roi;
erregea, le roi; erregearen, du roi; erregearentze ,
devenir celui du roi; de là erregearentzea , erregen-
rentzearena, etc., et ainsi de suite , nous le répétons,
jusqu'à l'infinL L'emploi de l'article final a puissam-
ment contribué à développer ce procédé au sein de
ia langue, et bien qu'il soit peut-être d'origine argo-
européenne , il donne à TEskuara une physionomie
nullement indo-européenne. On dirait qu'en philo-
logie , comme en chimie , le mélange a parfois pour
eifet de donner naissance à des composés doués
de propriétés différentes de celles que nous rencon-
trons chez les composants. Les langues américaines,
uon pourvues de Tarticie, ne jouissent pas ou du
moins ne nous ont pas paru jouir de cette faculté de
former des surcomposés ; mais elles peuvent, ce qui les
rapproche un peudeTEskuara, verbiser beaucoup de
noms et d'adjectifs surtout , en préfixant un pronom.
C'est ce que nous remarquons en Mexicain, en Iro-
quois , dans les langues algiques. En Algonkin, par
exemple, rien de plus facile que de transformer un
226 DES AFFINITÉS DE LA LANGUE BASQUE
paraître douteuses , le plus grand nombre ne l'est
point , et le lecteur voudra bien nous pardonner
quelques erreurs de détail que l'état encore si peu
avancé des études américaines rendait presque iné-
vitables. Passons maintenant aux données fournies
par Tethnographie et la science anthropologique.
La race cuivrée n'offre pas une très-grande fixité ;
elle n'est pas^ nous disait un savant antbropologiste,
aussi nettement c^iractérisée que la race noire ou la
race jaune. Néanmoins , les peuples indigènes du
Nouveau-Monde se ressemblent tous en un point :
ils ont la chevelure raide, noire, cassante ; la coupe
du cheveu examinée au microscope est plus ou moins
arrondie, au lieu d'aifecter la forme ovale propre
aux peuples caucasiques, ou d'être en ellipse allongée
comme chez le Nègre. Ce caractère de la chevelure
(et on peut , à ce sujet , consulter le mémoire si cu-
rieux de M. le docteur Pruner-Bey) se retrouve chez
les peuples mongoliques ; mais il existe également
chez le Basque. Les habitants des Pyrénées ne s'y
trompent point et reconnaissent parfaitement un vrai
Basque à sa chevelure toujours un peu raide et cas-
sante. Le cheveu criniforme se retrouve , dit-on ,
chez un certain nombre d'habitants du Valois que
Ton s'accorde à reconnaître comme les descendants
des premiers peuples de l'Europe et les frères des
Ibères. Nous n'insisterons pas sur quelques autres
caractères typiques ; par exemple , la sévérité du
regard contrastant avec Texpression gracieuse du bas
du visage , cliez le Basque comme chez certaines
tribus américaines , l'œil fendu en amande et parfois
tr^s-léffèrement relevé à l'angle antérieur, ainsi qne
AVEC LES IDIOMES DU HOUVEAt-mmiB. 227
noofl l'avons pa remarquer chez un certain nombre
de Labcmrdins ( ce caractère ne parait point exister
dans la Soole. Les Souletins , à en juger par leurs
traits pliysiqaes , sont des Celtes , bien qu'ils aient
adopté Tnsage de l'Eskuara. Tous ces caractères, en
effet , se retrouvent an sein de trop de races diffë*
rentes pour offrir beaucoup d'importance.
L'usage de la couvade, en vertu duquel sitôt qu'une
femme accouchait, le mari se devait mettre au lit , a
existé» nous dit Chaho, dans quelques cantons du pays
basque-espagnol où il était sans doute fort ancien.
Oa^Ie retrouva chez les indigènes des Antilies , chez
les Brésiliens , où il a le caractère d'une véritable in-
stitution religieuse. Malheureusement^ on le rencontre,
malgré son étrangeté , un peu partout , et dès lors ,
il perd beaucoup de son importance ethnographique.
Les anciens ont signalé son existence chez les Tiba-
réniens du Caucase , et il n'est pas inconnu , dit-on ,
aux MiaxhUeu, les montagnards aborigènes de l'Em-
pire chinois (i).
Je ne crois pas qu'il convienne de s'ëtayer beau-
coup sur certains usages funéraires communs aux
aborigènes de l'Europe et aux mces américaines ;
les Brésiliens, par exemple^ comme les premiers habi-
tants de la Scandinavie, donnaient , affirme-t-on , au
cadavre, en l'ensevelissant, la même posture qu'a
le fœtus dans le sein de sa mère.
On siiit que, chez les peuples primitifs, l'émigra-
tion est la principale cause de la perte de la civi-
lisation. Les Germains, au temps de Tacite, étaient
(1) Voir, à cet égard, les OEuvi-es du dwleur Virey,
228 DE8 AFFINITES DE LA LANGUE BASOUE
sans doute moins avancés que les Argos du XV* siècle
avant notre ère. Si nous nous réglons sur ce prin-
cipe , nous serons fortement tentés de chercher sur
les rives de l'Atlantique Tongine des races du Nou-
veau-Monde. A mesure que Ton s'avance de l'est à
Touest, les germes de civilisation se montrent de
moins en moins développés. On ne retrouve plus ,
par exemple , chez les peuples habitant à l'ouest des
montagnes rocheuses , Tusage des Totems ou signes
héraldiques des tribus , les cérémonies d'initiation
pour les jeunes gens , ni l'existence d'une douide
classe de chefs , les uns commandant pendant la
paix , les autres pendant la guerre. Ajoutons que les
instruments de l'Age de pierre en Europe ressemblent
singulièrement à ceux que se fabriquent encore au-
jouM'hui certaines tribus américaines , et que, sous
ce rapport, l'atiimté est plus grande entre notre Oc-
cident et le Nouveau-Monde qu'elle ne serait par
exemple entre l'Afrique ou l'Australie et l'Europe.
Nous ne parlerons ici qu'en passant de l'âge de
cuivre, qui parait avoir existé en Europe comme
époque intermédiaire entre l'âge de pierre et l'âge
de bronze. Cet âge de cuivre se retrouve en Irlande
et dans le nord de l'Espagne. Or ^ les peuples de
l'Amérique les plus civilisés ne l'avaient point dé*
passé , et à l'exception de quelques tribus du Groen-
land^ qui autant que je me rappelle fabriquaient di-
verses armes au moyen du fer métorite , nul peuple
américain n'employait ce dernier métal.
Que l'on ne s'étonne pas, du reste, de voir l'Amë-r
rique peuplée au moyen de colons européens de
l'Age de pierre ou de cuivre. Toutes les îles de la
ATEC LES IDIOMES DU NOUVEAU-MONDE. 229
Polynésie ont reçu des colonisateurs qui n'étaient
pas plus avancés en fait d'industrie. Les Néo*Zélandaî8y
lesquels n'employaient que la pierre , le bois, l'os ou
l'arête de poisson, contruisaient bien des pirogues
pouvant contenir cinquante personnes. Les aborigènes
de l'Europe pouvaient certainement en faire autant.
Que l'on suppose une de ces embarcations contenant
deux ou trois familles, transportée par les vents
jusqu'en Amérique , cela n'a rien d'extraordinaire.
Ne savons-nous pas qu'une petite embarcation chargée
de vins, qui faisait le commerce entre les diverses îles
Canaries fut entraînée par une bourrasque jusqu'à la
Trinitad , bar lo venio , dans les Antilles , ou l'équi-
page aborda encore vivant ? Ne sait-on pas qu'Alvarès
Cabrai, parti pour explorer les côtes africaines, fut
jeté par la tempête sur les rives brésiliennes dont il
fit ainsi la découverte involontaire ? £t pour prendre
un exemple plus frappant, au milieu du dernier
siècfe, une barque esquimaude fit naufrage sur la
cdte d'Ecosse , où son propriétaire vécut plusieurs
années. On a de bonnes raisons de le croire : ces
Indiens dont parle Strabon et qui avaient été jetés
par les vents à l'embouchure du Wesor, n'étaient
sans doute , eux aussi, que des Grocnlandais , bien
que quelques auteurs se soient plu à y voir des
Slaves ou des Vendes.
Ces émigrants arrivant en petit nombre, sans être
accompagnés d'animaux domestiques autres que le
chien (il est à remarquer du reste que , d'après les
recherches les plus récentes, c'était le seul servi-
teur que possédassent les hommes de l'âge de pierre
dans le nord de l'Europe), n'ayant pas songé à
::•■.' ; :••> . durent
• î- • «Lf- leurs moven«
•- iKir constfquenl,
_ ^- :.: revanclie, Irou-
'i>:-fait inhabité ,
_- - ;:incipal obslael»-
- z:::'^-i' ?ns , c'est-à-dif *=
..^ - •. >:•! , ils durent se
, - .: -lyidilé sur toute la
-■ en quelijues siècles.
■• fc* trouva peupl'V.' par
. . • > ie Labrador ;-.:>7u an
■ : ..V population chez le>
■*. *Vtrt rapide , coninie
.■•;•. cas. Les espèces ani-
. .r/ eile-mème , en verln
^ ... :\»ture, tendent toujours
■lUS vite que l'espace à
> Able. C'est ainsi qiî'au
. ^ :... -.aires est supérit'ure dans
*. - a ce qu'elle est dans les
>*^ . c'est ainsi (pie tous les
.♦. r. le chillrc de leurs habi-
;, -f..-; chaque demi-sircle. C'est
' 7-;i dans un autre ordre
,; \ domestiques abandon-
- > .i.in? les îles et sur (juelques
... f:v.oricain, tonnaient déjh
v.^;..'» .ri">-peu d'années après la
i.r irand continent entouré par
^ ...: n*aboi*dait guère qu'à la suite
AVEC LES IDIOMES DU NOUVEAU-MONDE. 231
d'accidents ou de naufrages, les premiers arrivants
comptent seuls quant à la population.
En effet, avant que de nouvelles embarcations,
chargées d'émigrants des deux sexes, aient pu aborder
en Amérique, de longs siècles peut-être s'étaient
déjà écoulés, et les tribus primitives avaient eu le
temps de se répandre un peu partout. L'imperfection
des connaissances nautiques chez les anciens ne leur
avait pas permis d'entretenir des relations suivies
avec le Nouveau-Monde, en admettant, ce qui est
probable , que quelques navigateurs grecs ou phéni-
ciens l'aient touché sur divers points. Ils ne pou-
vaient donc ni y porter de colonies ni y faire d'inva-
sions qui fussent de nature à altérer d'une manière
sensible le sang des anciens habitants. Les naufmgés
qui y furent jetés par la suite s'empressèrent de faire
ce que l'on a toujours fait eu pcireille circonstance :
au lieu de se retirer dans les bois pour y vivre à
l'écart , ils cherchaient asile chez les tribus les plus
voisines : s'ils y étaient bien accueillis, ils se mariaient
avec des femmes indigènes, et ne tardaient pas à se
fondre complètement avec leui-s nouveaux com-
patriotes. Tout au plus reconnaissaient-ils l'hospitahté
reçue en répandant chez ceux qui les avaient ac-
cueillis quelques idées nouvelles, quelques germes
de civilisation , ou bien se constituaient-ils en castes
savantes et sacerdotales. On sait l'histoire de ce nau-
fragé anglais qui , jeté sur la côte d'Australie , s'était
constitué chef de la tribu voisine, et lui avait appris à
construire avec plus de soin ses huttes et à confec-
tionner des vêtements plus confortables. Autant le
contact de la civilisation est funeste au barbare lors-
• , ï> •£ LA LANGUE BASOTE
..^r^ :e ia race la plus avancée sont
_ •»-.••: vuipactc, autant il lui est avanta-
^^•r :».«iiiiue civilisé se présente seul ou
- , **,-<:^* Nous n'aurions pour notre part,
.^ i.iiice a attribuer à quelques naufragés
_ _-c-. jpouais, chinois ou indous, une cer-
. t uLTT >ur le développement de la civilisation
.. ..c . ly a que quelques années, une jonque
^j..-^ Il eiee sur les côtes de la Californie, et le
;•. -'^t produit plus d'une fois depuis la
-^ ->«<'£ piobable que les rives de l'Atlantique
.. 'i,. t paiement, mais à une époque fort reculée,
.> .va> indo-européens et peut-être même celtes.
u;j> \,»iiquorous volontiers par là la présence de
*c.^u<.> ladicaux aryaques dans les langues algi-
.t5< ':5\ . Breton, skofa , échauder, brûler ; sÂ'ow/,
*^>4.t#i . eu. dans la plupart des idiomes lenapés. —
\^,:.i. tinii.»-le , aimer en Algonkin ; .voÂya , amour
u >iit>4.nt. — Lenapé , irigwam^ maison; Skr. vu;
^u. -^.o^t un radical signifiant habiter, d'où le
,^*. . v:> pour iCixc; (fonne archaïque); le latin
., ,w^ ;;w.. . etc. , etc.
, ^ÇKiiioii plus généralement admise qui fait des-
T,«iu- ^»d on totalité, soit en partie, les Américains
;, ..vii> asiatiques, nous semble diflicilement sou-
l•l^»csl^ Lo?' idiomes américains n'ont offert jusqu'à
, ,'ui ^'le do bien faibles analogies avec ceux de
v.t-îHo OiMOUt, tandis que leur génie grammatical
.^ ajV»^KÎu' singulièrement de l'Kskuara. D'un
..v^v .-io. i'yttKnilé surprenante qu'au point de \iie
Vluuxi^uo iK»us présentent les races du Nouveau-
ATic LES iMons r^ ?K.:cTi^r-«<9SC. 2SS
Uonde est on indice bien pgi«waiit ea fiiTesr ée Icmr
imite origineDe. On cooiçoit. en effet, ^'■apesfie
eonqaénnt et cirîlisë amuDe les BcaûB ûl pa
impoeer sa langue à la plupart des natioBS de i'Otei-
dent. On ne s'expliquerait point qn'im tel
ait pa se prodaiie an sein de tribiB
lëes et presque sans contact les mies avec les
Si llnlluence de la civilisation aztêqoe a a pas été
assez poissante poor £ûre disparaître la moititade de
dialectes en TÎgueor sur le platean de l' Anaknac «
comment veut-on que des peuplades srosâêres et
ignorantes aient propagé leurs idiomes chez d'antres
peuplades de race asiatique et e£Eicé ainsi tous les
vestiges d'une colonisalion venue de TOrient? Si
donc les idiomes américaia< se rattachent à un
groupe unique , c est que les nations chez lesquelles
ils sont en vigueur ont, elles aussi, une commune
origine. D'ailleurs, les colons asiatiques n'auraient-ils
pas apporté avec eux leur système graphique, Tusaçe
de certains animaux domestiques? Mais, dira-t-on,
ils venaient de la Sibérie , ont passé par le détroit de
Behring et étaient à peu près aussi barbares que
les indigènes ! Remarquons d'abord qu*il n'existe
qu'une seule population commune aux deux conti-
nents, ce sont les Tchouktchis pécheurs, lesquels
sont Esquimaux par leur langue , leur type physique
et leur manière de vivre. On ne doit pas les con-
fondre avec les Tchouktchis nomades , qui possè-
dent des troupeaux de rennes comme les autres races
de la Sibérie et se rattachent d'ailleui-s par leur lan-
gage à la souche Touranienne. Les races de l'Amé-
rique, au contraire, n'ont jamais su domestiquer le
232
•* i:: \ -;
(]Uf h
I •» •-
ii'iiii'ilsi'jii»-* . japonAi*. cLn-i^* <.*i
i*iiiii.' inîiuenL»? ?>ur k dèTrioppesK
iiir\ii..iini.'. Il n'y .< qae qûel'jcei
japHniiiM* tut jetif*? «nr le? cy:«s
riji'iiif fait *Wt ppjduit pin*
rlêcouviTlt*.
IJ t'<.t a^N'Z [iiobaifle qD«
ciiit l'i'rii éualoment. mais «•.
fies cuiriiH iado-européeQ^
.\nu> i'Xj»IJt|iiei-oas rolont.
q(iek]uo> ni(iic<iux aiya*:
(jnc:?. Ex. : Breton, fl>''
skoutm Jeu, dans hkpl'i
Stikili, aimc-le, aiuifi
iMî Sanscrit. — Lenaj.
pour nï.esl un raii.
cnîc 5ÎX5; pour c: >:-
nW/.<. elc, , etc. . »i'.
L'opinion plu? .•
cendre soi! en : ■•
de colon? a^i '
tenab!»?. Le> .«.
r-xî>:nr ••;.
.* rar-i-rvi
T îTie
i£-"?i isi^ a
Tsas» r - îîr
•sar f • "ilîrr
j.. 'S •!!•?
'•• ♦ .•
.-. r'..r-:::-2 jr
et ..i connaissance.
. !i ion ne discerne
•..::i
I diiiK-
.iiiiilK-.
l'iiih'iii-
" (!•' l'iiili-hi-
iVL>niiir>. .Il- ne
..rn.-iil mis.. .11
.l'iil roiiniic il'- l[i
■ initr ..| .1... |..ni|.^
-Ifiis t>xem].lfs, .-11.-
.iiniis cli.-it les Ci».,-*,
- tliPZ iimiii.
loiii-s sniiisà ilis)iii!;ii<<i'
■.;■», c'':st-!i-clin^ la icpri--
•riiiinnissaïK'i' , do vt: qnils
. c'est-A-din- l'iissi'iilinu'iii ,
; el selon eux, la ppiisi><'
iicoiirsde la îjvTïîiï ol di' lu
Icliois, dans
::7&» £<30t'lSSES 1>SYC1I0U)GIQIIKS.
Ouels ^nl SCS ctfels , et , si je puis ainsi
.•j^ ^<s ed!et$ philosophiques ?
« eî^cic d'exclusion est assurément la maladie la
Aa> jrciiuiire aux philosophes. La nature des choses
^ A>fta .«f$ meUi*e en présence de plusieurs faits , de
.HU^««fa^s principes , de plusieurs états , de plusieurs
..tj^.tw':t:'iv>« ele. , par je ne sais quel aveuglement
■ivu^dirv. ils ne voient jamais qu'un seul fait, un
><a; *^rtucipe, un seul étal , un seul caractère. C'est
..iis< qu'ils ont toujours réduit , en logique , toutes
re^ ucvIkhJ*** il une seule méthode ; en morale ,
..^ iL>> *t.>rinoipes d action, motifs ou mobiles, à
u >«;v:; ;»rincipe d action. C'est ainsi que, dans
, .v-ï. *^:î qui nous iK^cupe , ils n'ont presque
.iio.s x^ ^auu >eul des trois degrés de la faculté
s* .- -A.w lo> uns lii ct^rtitude, les autres Topinion, les
K u iv»> >v:>lèuie* * é^lement exclusifs , égale-
«4K-U» auv Ceux qui nVot vu que la certitude, qui
.•<»i9<Hi« que /c>iH4t huuula est assez puissant pour
,,,i\.T i d cviiuude :>ur toutes choses, même les
^u> . u»^ ws, *jit*me lej pi us arxlues , ont fondé une
.v\u»iK' ^ui jrsah:îH;* *•.»«< les |voblèmes par de ban-
.««1AV.X «%tiî«iKi.:%>(h> ou (v&r des négations non
^s*^«a< M«^K'%\K> c e>«. le do^mati^me.
.^^v ô«t ( *ii*' ^'jl H^'xe i.VpiakMi« dont la mesure
vt ^ ^«.vV«.Hti:i.-. ^tii ^u;s«rut que lesprit humain,
A- .N sr^i ;m^v»'^X\*i'u. ue {N^ut dépasser la sphère
s^. M*»!^ -v>- ^v^ijvvvUrv>* qu'ù doit mettre une res-
.^.v>^ V ^^4a:9w >t:^ jJijruiijL;AMiiS, a tootes ses néga-
^. ^x. M% %iwi i^tv' itxvrittie où tous les protilèmes
>>» ^-x X. vUi'v»»''^ . ■•*? "^ kU*^ M^utions qui ne
ESQUISSES PSYCIIOLMvlQUES. 259
sont que plus ou moins vraisemblables : c'est le pro-
babilisme.
Geox qui n'onl vu que le doute , qui pensent que
l'esprit humain, radicalement vicieux, loin de pou-
voir légitimement affirmer ou nier, ne peut môme
pas légitimement conjecturer, ont fondé une doc-
trine qui écarte tous les problèmes , même les pins
simples , comme insolubles : c'est le scepticisme.
Telles sont les trois grandes aberrations où les
philosophes ont été conduits en mutilant la facullë
de croire, en la réduisant arbitrairement à l'un de
ses trois degrés , à l'exclusion des autres.
LA CERTITUDE, L'ÉVTDENCB , LE DOGMATISME.
La certitude est la faculté de croire s'exerf^ant
avec sa plus grande intensité; c'est la croyance à
son maximum. Certitude veut dire adhésion com-
plète, absolue 9 inébranlable , foi invincible, convic-
tion à toute épreuve. C'est ainsi que je suis certain
de mon existence personnelle^ sans que le plus
habile sophiste du monde soit capable de me faire
hésiter sur ce point, el dire : peut-être je me trompe,
peut-être je crois exister et n'existe pas , peut-être je
suis une ombre, une chimère un rien. C'est ainsi
que je suis certiiin de l'existence de mon corps et do
celle des corps étrangers, sans que tous les raisonne-
ments de Berkeley et des idéalistes de tons les temps
et de lontesles espèces puissent m'inspirer la moindre
inquiétude et me faire chanceler un seul instant Lu
274 ESOnSSKS FSYCHOUMilOtSS.
di^ieux progrès des sciences physiques et naturelles?
La manière constante dont se produisent sous nos
yeux ses principaux phénomènes. Rien de plus.Lisezles
plus profonds traites, vous n'y apprendrez pas ce que
c'est que la lumière, ce que c'est que la chaleur, ce
que c'est que l'électricité, ce que c'est que lé magné-
tisme : les plus savants n'en savent rien. Ils sont ré-
duits à se payer de mots , absolument comme ceux
qui n'ont pas la prétention de savoir quelque chose.
Pendant combien de temps nous a-ton parlé très-
sérieusement de tluides impondérables , matériels
sans les qualités de la matière ? Ils s'étaient même
singulièrement multipliés, ces ûuides, et, après avoir
pénétré dans notre organisation, pour lui donner la
vie , ils n'avaient pas dédaigné de s'insinuer dans
l'intérieur de nos meubles les plus modestes , pour
leur donner le mouvement , et bientôt la parole. Au-
jourd'hui , on parait y avoir renoncé , même pour
expliquer l'électricité^ la chaleur et la lumière. Sic
transit gloria mundif On suppose partout répandu un
éther dont la nature est inconnue , qui vibre on ne
sait comment , sous l'action ignorée du soleil ou de
quelque auti*e corps, et dont les vibrations, en frap-
pant l'œil , lui font voir la lumière , en frappant la
main , lui font sentir la chaleur. Certes , je suis plein
de respect pour cette nouvelle hypothèse , dont je
vois les physiciens fort contents , je la trouve beau-
coup plus belle que l'ancienne ; mais je me répète
tout bas le mot de Fontenelle : n Les théories ne sont
qu'une manière plus douce d'être ignorant »
Et si nous sommes si mal instiiiits de cette nature
actuelle , au sein de laquelle nous vivons actuelle-
BSODISSIS PSTGHOLOGlOUfcS. S75
ment, combien sommes-nous plus ignorants encore
de son passé , sur leqfuel nons faisons de si raenreii-
leoeee eappoeitions, avec l'aide de la géologie et sur-
font de la paléontologie, science née d'hier, mais
qui grandit vite , et que j'ai regret de voir baptisée
d*Qn nom si barbare I Combien nous sommes plus
ignorants encore de son avenir, à moins qu'après
avoir fait les mondes avec ces flocons de matière ne-
balense qui voyagent dans l'espace, on ne fasse de
la matière nébuleuse avec les mondes I
Sommes-nous beaucoup plus avancés sur nous-
mêmes, sur l'homme? J'ai bien peur qu'il n'y ait
encore là, même ià, plus d'une énigme dont le mot
n'est pas trouvé, et ne le sera pas de si tôt. Quest-ce
que la vie? Un mouvement mécanique? ou Iq pro-
priété particulière de chaque organe ? ou un principe
indépendant ? ou l'action inconsciente de l'âme ? Ces
questions sont débattues depuis dps siècles, sans
jamais recevoir de solution définitive ; et naguère
encore , Montpellier et Lyon rompaient des lances
dans le champ-clos du vitalisme et de l'animisme; .
Paris regardait; et rien ne se décidait. — Qu'est-ce
que la volonté? est-elle toujours libre? La liberté
elle-même , qu'est-elle ? Comment demeure-t-eile en-
tière sous l'intluence toute-puissante du tempérament
et du climat ? Gomment s'éclaire-t-elle des lumières
de la raison , sans rien perdre de son autonomie ? Et
mille autres problèmes , auxquels on répond par des
conjectures , lesquelles suscitent des conjectures
contraires, dans un combat sans trêve, où le vain-
queur de la veille est presque toujours le vaincu du
lendemain.
â76 ESQUISSES PSYCHOLOtilQUES.
Goiinaissiint si mal la nature , si mal l'homme ,
comment connaitrions-nous bien Dieu ? Ah ! sans
doute, quelques-uns de ses attributs, surtout ceux
qu'on appelle dans l'école intellectuels et moraux,
brillent d nos yeux d'un éclat qui fait pâlir le soleil ,
dans les merveilles de la nature , ou se font profon-
dément sentir au milieu de notre cœur , dans la dou-
leur et la joie , dans une généreuse pensée , dans le
commandement de la conscience : Fais cela I Mais
que ces quelques notions sur Dieu sont loin de satis-
faire notre esprit , et de répondre aux questions qu'il
se pose comme par une nécessité naturelle I Quelle
est la véritable nature de Dieu, et pour ainsi dire,
son essence ? Ce n'est pas un corps : est-ce donc un
esprit? Sans doute, mais qui diffère infiniment de
l'esprit humain, et par conséquent dont nous n'avons
aucune idée, ainsi que l'a remarqué Fénelon. Quand,
comment, pourquoi a-t-il créé le monde? Et qu'est-ce
que créer ? faire quelque chose de rien , oui ; mais
qui osera dire qu'il comprend cela? Ce monde, le
crée-t-il éternellement , ou pendant un temps ? le
crée-t-il infiniment ou entre deux bornes ? le crée-t-ii
le meilleur possible ou seulement très-bon? Ques-
tions effrayantes, ù donner le vertige aux plus fermes
esprits ! Combien de fois les ai-je agitées dans ma
pensée, et combien de fois me suis-je écrié, dans un
indéfinissable tourment d'esprit : Mystère ! mystère !
mystère !
Voilà notre science , voilà la science humaine , et
Ton voit combien elle est petite par l'étendue , sur-
tout si on la compare au dogmatisme qui, n'igno-
rant rien de Dieii , n'ignore rien du monde et a ré-
ESQUISSES PSYCHOLOGIQUES. S77
ponae à tout. Elle est petite , mais elle a du moins
cela de bon qu'elle use raisonnablement de la raisun,
et qne si elle ne i-ësout que quelques problèmes à
peine, du moins elle les résout d'une manière sensée.
Elle a encore un avantage , dont il ne faut pas lui
bîre un mérite , car il lui vient de Dieu . non de
lliorome, mais dont il faut tenir compte, car il en
&it le prix : les problèmes qu'elle résout sont préci-
sément ceux que nous avons le plus grand besoin do
résoudre.
En effet, je distingue deux catégories de questions:
celles qui n'ont qu'un intérêt spéculatif, celles qui
ont un intérêt moral. Je ne saurais me passer d'avoir
une réponse a ces deraières. Il faut que je sache si
mon âme est spirituelle et séparable d'avec mon
corps ; il faut que je sache si la vie présente n'est
qne le prologue d'un drame sublime qui se joue sur
on autre théâtre ; il faut que je sache si le monde a
Doe cause , l'homme un juge , l'infortuné un père ; il
faut que je sache si je suis destine à la pourriture
et aux vei's , ou à la résurrection et à la gloire. Otez-
moi ces connaissances, et me voilà dans la vie comme
an aveugle dans un labyrinthe aux mille détours,
sans un fil pour diriger ses pas, sans une voix pour
l'avertir ou pour l'encourager. Donnez-les moi , tout
me devient clair et facile , et je m'avance d'un pied
sur, dans un chemin tracé, vers un but connu et
désiré. Or, ces questions capitales, vitales, la science
humaine , la science raisonnat)le les résout ; celles
qu'elle ne résout pas sont celles qui n'importent pas.
Et , en effet , qu'ai-je besoin de s» voir comment
Dieu s'y prend pour créer le monde ? S'il a corn-
278 ESUUISSËS PSYCHOLOGIQUES.
mencé de le créer il y a six mille ans, ou six millions
d'années , ou plus encore ? S*il Ta renfermé dans un
petit espace, ou répandu sans mesure dans les plaines
siins limites d'un vide sans fm 7 S'il Ta fait bon , ou
très-bon, ou tellement bon qu'il ne pouvait être meil-
leur ? Qu'ai-je besoin de pénétrer dans les impéné-
trables profondeurs de son ineffable essence ? Je puis
ignorer tout cela , je puis adorer sans comprendre ,
je puis sacrifier sur Tautcldu Dieu inconnu des Athé-
niens que visita TApôtre.
Je trouve un grand enseignement dans le livre de
Job. Dieu a permis h l'esprit du mal d'éprouver la
vertu de Job , qui habitait la terre de Hiis. Job est
sur le fumier. Ses amis accourent pour le consoler.
Ils lui piuient de la justice de Dieu et des crimes des
hommes. Mais Job se proclame innocent , s'indigne
de l('i prospérité des impies , et accuse celui qui dis-
pense les biens et les maux. Tout à coup une voix,
qui n'est pas celle d'un homme , se fait entendre dn
miheu d'un tourbillon : a Quel est ce mortel qui
obscurcit la sagesse par des discours insensés? n Et
Job, renouvelé soudain, répond : t Oui, j'ai voulu
expliquer des merveilles que je ne comprenais pas ,
des prodiges qui surpassaient mon intelligence. Par-
don , mon Dieu ! C'est moi-même que j'accuse ; je
ferai pénitence dans la poussière et la cendre. »
■V.
l'opinion , LA PaOBABIUTÉ , LE PROBABILISME.
L'opinion est la faculté de croire, se contenant dans
de certaines limiter, et donnant ou refus^int sonadhé-
ESQUISSES PSTCHOLOC^IUUKS. 279
sion sealement en partie. C'est ainsi que , voyant un
oli^et à une grande distance à travers champs , et ne
le voyant qae d'une manière confuse , j'ai l'opinion
que c'est un arbre, c'est-à-dire je crois que c'est un
arbre , avec cette réserve que peut-être ce n'est pas
un arbre. C'est ainsi que, lisant VHiadej et y remar.
quant des disparates , j'ai l'opinion qu'Homère n'a
pas existé , c'est-à-dire je crois qu'Homère n'a pas
existé , avec cette réserve que peut-être il a existé.
L'opinion, comme il parait par cette définition et ces
exemples , c'est la faculté de croire hésitante , oscil-
lante , s'exercant et se déterminant dans le vague.
Ce caractère de l'opinion se montre clairement
dans les formules par lesquelles elle s'exprime. Ces
formules ne sont jamais ni l'aiiirmation simple , ni
la négation simple , mais l'aifirmation et la négation
mitigées , tempérées, atténuées par des mots qui en
restreignent la portée. L'opinion ne dit pas : ceci est
un arbre , mais : il y a beaucoup à parier que ceci
est un arbre. Elle ne dit pas : Homèie n'a pas existé ,
mais : il y a bien des raisons qui donnent à penser
qu'Homère n'a pas existé. Toutes façons de parler
où se peint l'inquiétude d'uji esprit qui croit , sans
pouvoir croire entièrement, complètement, absolu-
ment.
Telle est la nature de l'opinion : elle est chance-
lante, flottante , incapable de se fixer. Platon l'a dé-
crite, non sans exactitude, en l'opposant à la science.
Ënchantons-nous, en passant ^ de ce poétique et élo*
quent parallèle.
" La science, dit-il, est fixe, stable, inébranlable;
l'opinion vacillante est toujours sur le point de s'éva-
280 ESQL1SS£S PSVCUOLOGIOUKS.
Douîr. On peu comparer l'opiDion aux statues de
Dédale, qui, mues par uu ressort caché, sont toujours
en train de s'échapper, si l'on n*a la préGaution de
les enchaîner. On peut la comparer à l'esclave
impatient du joug, et toujours fuyant, si on ne le
retient dans des liens solides. L'opinion a la même
mobilité , la même instabilité. On peut même dire
que c'est là son essence, sans laquelle elle n'est plus.
Si on Tenchaine dans les liens de la causalité et du
raisonnement, elle devient fixe et constante, mais
elle devient la science.
(( Rien de si commun que Topinion , même vraie ;
c'est le lot de la foule. Rien de si rare que la science;
c'est la propriété des dieux, et, sur la terre, le pri-
vilège du très-petit nombre. Ceux que l'opinion sa-
tisfait , les amateurs de l'opinion , appelons-les philo-
dojues; ceux qui n'attachent de prix qu'à la science
méritent seuls le beau nom de philosophes.
d Quelle différence entre les uns et les autres ! Les
premiei*s concentrent toute leur curiosité dans les
yeux et les oreilles ; ils se plaisent à entendre de
belles voix , à voir de belles couleurs , de belles
figures , et tous les ouvrages de l'art et de la nature
où il entre quelque chose de beau ; mais leur Ame
est incapable de s'élever jusqu'à l'essence du beau
et de s'y attacher. Qu'est-ce que la vie d'un honune
qui, à la vérité, connaît de belles choses, mais n'a
aucune idée de la beauté en elle-même , et n'est pas
capable de suivre ceux qui voudraient la lui faire
connaître ? Est-ce un rêve ? Est-ce une réalité ?
» Le philosophe, au contraire, ne se laisse séduire
ni aux vaincs apparences ni aux vains plaisii'S. Il n'est
ESQUISSES PSYCHOLOGIQUES. 28i
pas de ceax qoi semblent avoir loué leurs oreilles
pour entendre tons les chœurs , qui courent à toutes
les têtes deBacchus, inconsolables s'ils en manquaient
une seule. Non, il n'a de goût, il n'a de passion que
ponr la vérité. Il sait se frayer un passage à travers
tontes les difficultés, toutes les objections, comme un
brave dans la mêlée. Par-delà toutes les choses im-
parftltement belles , il atteint h Tétemelle beauté ,
qui n'a ni décadence ni accroissement; qui n'est point
belle dans telle partie , et laide dans telle autre ;
qui n'a point de forme sensible, un visage, des mains ;
qui n'est point telle pensée ou telle science particu-
lière; mais qui, absolument identique et invariable
par elle-même , est comme la source toujours pleine
d'où découlent sans cesse les éphémères beautés de
ce monde. Par-delà toutes les choses imparfaitement
bonnes, il atteint au bien lui-même ; au bien , le roi
du monde intelligible, comme le soleil Test du monde
visible; au bien, qui donne son prix à tout ce qui en
a; au bien, principe de toute intelligibilité et de toute
essence, quoiqu'il soit lui-même infiniment au-dessus
de l'essence. Par-delà tout ce qui nait et renaît in-
cessamment, sans exister jamais, il s'élève à la con-
templation de l'Être véritable , éternellement ini-
mnable , éternellement un ; il boit à longs traits , il
s'enivre à la coupe de l'existence et de l'unité (1). o
n y a toutefois dans ce parallèle quelque chose que
Platon attribue à l'opinion , et qui ne lui convient
(1) Voir le Titnie , le Ménon , le Hanqvul et la Hépublique, Pour
toute ceUe théorie de l'Opinion et de la Science, voir mon Histoire
Hts théorie» tie l'entendement tians l'antiquité, p. 170-177.
282 KSUUISSES PSYCHOLOGIQUES.
pas. L'opinion ne pénètre pas , selon lui , dans la
sphère des choses divines , mais elle règne eiclasi-
vemcnt dans celle des choses naturelles et humaines.
Or, il n'est pas exact de dire que l'opinion ne pénètre
pas dans la sphère des choses divines ; et il ne Test
pas non plus de dire qu'elle règne exclusivement
dans celle des choses naturelles et humaines.
J'ai déjà exposé que, dans ma conviction, nous
n'avons et ne pouvons avoir sur Dieu qu'un très-petit
nombre de connaissances purement rationnelles. Je
me demande maintenant si toutes ces connaissances
sont accompagnées de certitude. La plupart , oui ;
toutes , non. Je connais avec certitude l'existence de
Dieu ; et comme cette existence m'est révélée dans
ses principaux attributs , je connais avec certitude
ses principaux attributs. Je connais avec certitude la
Providence , c'est-à-dire le gouvernement dn monde
par Dieu. Mais lorsque je veux pénétrer dans la na-
ture intime et l'essence des attributs divins, dans la
nature intime et l'essence de la Providence divine ,
alors si la connaissance ne m'abandonne pas , du
moins la certitude m'abandonne. Fénelon a écrit sur
l'intelligence divine un profond chapitre qu'il a in-
titulé : Science de Dieu, i ni toujouiis lu ce chapitre
avec admiration ; mais lorsque je m'interroge et me
demande : l'explication de Fénelon nous représente-
t-elle bien l'intelHgence divine telle qu'elle est ? je
trouve en moi , non plus la certitude , mais simple-
ment l'opinion. De même pour la libei-ié divine.
Est-ce une liberté d'inditi\^rence ? est-ce une liberté
de convenance ? Je ne demeure pas dans le doute
entre ces deux points ; je préfère l'un à l'auti-e , mais
ESQUISSES l'SVCUOLOG10UK& . 283
de Cette préférence hésitante qai n'est pas la cer-
titude, qui est simplement l'opinion. L'opinion n'est
donc pas bannie de la sphère des choses divines.
Elle ne règne pas exclosiyement dans la sphère
des choses naturelles el humaines. 11 faut même dire
qu'elle n'y règne pas plus qu'ailleurs. Sans doute .
bien des problèmes , dont l'objet est la nature ou
rhomme , n'ont encore reçu que des solutions plus
ou moins vraisemblables ; mais il ne faut rien exa-
gérer , et nous connaissons de la nature et de nous-
mêmes une infinité de choses avec une inébranlable
certitude. L'existence des corps , leurs qualités géné-
rales et particulières , leurs principaux phénomènes
et les principales lois de ces phénomènes ; la nature
spéciale des corps organisés ; les différentes espèces
vivantes et leurs caractères distinctifs ; les astres et
leur cours ; enfin tout ce qui fait partie des sciences
physiques et naturelles, nous le croyons certaine-
ment. Beaucoup d'espnts contestent encore à la
science de l'homme sa valeur scientifique ; il est ce-
pendant difficile de nier que nous connaissions cer-
tainement notre existence spirituelle, notre qualité
d'êtres pensants, d'êtres. libres, de personnes morales
et d'agents responsables. Il est difficile de nier que
nous connaissions certainement ce qui se passe en
nous. Celui qui dit: je souiire, trouverait à bon droit
ridicule qu'on vint lui dire : ètes-vous bien sûr de
souffrir? Et s'il dit : je souffre cruellement, il aurait
fort raison de trouver mauvais qu'on lui répondît :
je vous demande bien pardon , vous vous trompez ,
▼oufi souffrez fort peu. Or , si nous savons certaine-
ment les phénomènes qui ont lieu en nous, nous
284 ESQUISSES PSYCHOLOGIQUES.
savons cerUiinement aussi comment ils ont lieu , et
par conséquent nous sommes en état de déterminer
certainement leurs lois. Voilà bien des certitudes
psychologiques. C'est donc une profonde eri'eur de
déclarer que nous ne pouvons avoir que de simples
opinions sur Tbommc et la nature.
La vérité , la voici. L'opinion est un degré de la
faculté de croire qui peut se rencontrer , et qui se
l'encontre en effet dans toutes les sphères où s'exerce
Tesprit humain. Elle se rencontre dans la sphère
physique, car nous ne connaissons pas toujours assez
bien les corps, et leurs qualités, et leurs phénomènes
pour atteindre jusqu'à la certitude : nous nous arrê-
tons alors à Topinion. Elle se rencontre dans la
sphère morale, car nous ne nous connaissons pas
toujours assez bien nous-mêmes , et nos facultés , et
leurs manifestations, pour atteindre jusqu'à la certi-
tude : nous nous arrêtons alors à l'opinion. Elle se
rencontre dans la sphère métaphysique , car nous ne
connaissons pas toujours assez bien l'Être suprême ,
et ses attributs , et ses rapports à nous et au monde
pour atteindre jusqu'à la certitude : nous nous arrê-
tons alors à l'opinion. Exemples. Les corps sont-ils
divisibles à l'infini, comme on le disait au XVll' siè-
cle ; ou bien sont-ils formés d'éléments indivisibles,
d'atomes, suivant le langage des anciens? Je réponds
que j'incline à croire qu'ils sont composés d'atomes.
Voilà l'opinion dans la sphère physique. La volonté
est-elle également libre , soit qu'elle ait affaire à un
motif unique , ou à plusieurs motifs de inéme ordre ,
comme deux passions , ou à plusieurs motifs d'ordres
différents et opposés, comme l'intérêt et le devoir?
ESQUISSES PSTCHOLOGIOt'ES. 285
Je réponds que j'incline à croire qu'elle est plus vé-
ritablenient libre dans le dernier cas que dans les
deux premiers. Voilà Topinion dans la sphère morale.
Dieu crëe-t-il le monde par un acte éternellement
répété, conmie le pense Descartes ^ ou par un acte
éternellement unique , comme le veut Leibnitz ? Je
réponds que j'incline à croire qu'il le crée par un
acte éternellement unique. Voilà l'opinidtt dans la
sphère métaphysique. D'où l'on voit qu'il est très-
permis de distinguer une opinion physique , une
opinion morale, une opinion métaphysique, comme
on a distingué une certitude physique , une certi-
tude morale , une certitude métaphysique.
On conçoit de même que l'opinion est tantôt immé-
diate et tantôt médiate , selon qu'elle naît à la suite
d'une faculté ou d'une opération en exei*cice. A ce
point de vue^ comme au précédent, elle se divise
encore de la même manière que la certitude. Elle n
donc des espèces , et les mêmes espèces.
L'accord ne se borne pas là. Les espèces, dans
l'opinion , ainsi que dans la certitude , sont exté-
rieures. Elles n'atteignent pas l'opinion elle-même,
qui demeure semblable dans tous les cas. Avoir une
opinion , c'est toujours avoir une opinion , qu'il
s'agisse de la nature, ou de l'homme, ou de Dieu;
que l'on connaisse par une faculté se développant
intuitivement , ou par une opération s'exerçant dis-
cursivement. Ce qui est différent, c'est l'objet, c'est
le travail de Tespril ; ce n'est pas l'opinion. L'opinion
est partout et toujours identique.
Mais elle n'est pas égale , et par là elle s'oppose
manifestement à la cortitude. l^ certitude n'a pas de
286 ESQUISSES PSYCHOLOGIOUES.
degrés ; ropinion en n , et en nombre indéfini. Kntre
une très-ferme opinion*, voisine de la certitude , et
une opinion très-chancelante , voisine du doute , il y
a des intermédiaires innombrables. Il serait impossible
de les compter. Mais nous les connaissons parfaite-
ment par notre expérience personnelle, et nous
avons mille fois chaque jour senti notre opinion se
fortifier et s'atfaiblir, monter et descendre dans Tin-
tervalle indéfini qui sépare les deux états extrêmes
de la faculté de croire ' le doute et la certitude.
En veut-on un exemple familier ? Je me promène
dans une plaine. J'aperçois bien au-delà de la distance
où Tœil humain voit clairement et distinctement,
j'aperçois un objet , sans pouvoir même conjecturer
quel il est. Est-ce un homme ? Est-ce un pommier ?
Est-ce une charue ? Est-ce un cheval? Je n'en sais
absolument rien. Je ne formule donc aucun jugement.
Je suis dans le doute. Mais je fais quelques pas, et il
vient un moment où l'objet me pnnitt ressembler
plutôt à un homme qu'à autre chose : à ce moment-là
nait l'opinion. Je fais un pas de plus , je vois un peu
mieux, et mon opinion s'alfermit. Un nouveau pas,
et elle s'afiermit encore. Supposez que je fasse cent
pas avant de voir avec une clarté et une distinction
parfaites, et mon opinion s'affermira cent fois. Enfin,
quand l'objet sera près de moi , et que je recon-
naîtrai avec la dernière netteté toutes les formes du
corps humain, l'opinion cédera la place à la cer-
titude.
Veut-on noter cette marche, ce progrès, ces varia-
tions de l'opinion avec une précision toute mathéma-
tique? Prenons aux mathématiciens leur exemple
ESOL'ISSES PSYGHOLUtilQUBS. 287
favori. It y a dans une urne cent boules, dont soixante
blancbes. Mon opinion est que j'extrairai une boule
blancbe. Faites qu'il y ait soixunte-dix blanches, mon
opinion se fortifie dans la même proportion. Faites
qnll y en ait quatre-vingts , elle se fortifie encore ;
qaatre-vingt- dix , elle se fortifie toujours. Quatre-
vingt-dix-neuf, elle est tout ce qu'elle peut être.
Cent, ce n'est plus l'opinion , c'est la certitude.
Mais c'est trop insister sur une cbose si simple ; et
l'on comprend de reste que la variabilité est un ca-
ractère inhérent k la nature même de l'opinion.
Telle est l'opinion , considérée en elle-même. Mais
d'où vient-elle? Lorsque, nous avons une opinion,
pourquoi avons-nous une opinion, et pourquoi avons-
nous une opinion plus ou moins ferme? J'ai déjà
répondu à cette question. Loi-sque nous avons une
opinion, c'est que l'objet de notre connaissance est
probable, et si nous avons une opinion plus ou moins
fenne, c'est qu'il est plus ou moins probable. La raison
et la mesure de l'opinion est dans la probabilité.
Quest-ce que la probabilité?
Les philosophes et les mathématiciens l'ont égale-
ment définie : les premiers avec une diffusion qui
manque de lumière , les seconds avec une précision
qui manque d'étendue.
Voici comment Locke s'exprime :
« La probabililt' ost la vraisemblance qu'il y a
qu'une chose est vc-rilahle, ce terme même désignant
une proposition pour U\ confirmation de laquelle il y
a des preuves pro[)ros à la faire passer ou recevoir
pour véritable. »
!288 ESQUISSES PSYCUOLÛGlQUESf.
Plus loin, il ajoute que la probabilité « roule tou-
jours sur des propositions que quelques motifs nous
portent à recevoir pour véritables , sans que nous
connaissions certainement qu'elles le sont •
Et enfin , plus loin encore : « Une proposition est
en elle-même plus ou moins probaMig, selon que
notre connaissance , que la certitiide de nos obser-
vations , que les expériences constantes et souvent
réitérées que nous avons faites, que le nombre et la
crédibilité des témoignages conviennent plus ou
moins avec elle , ou lui sont plus ou moins con-
traires. »
Suivant Laplace , la probabilité est » le rapport du
nombre des cas favorables à celui de tous les cas
possibles. » En sorte que la probabilité se représente
parfaitement bien , dans la langue des cbitires , par
« une fraction dont le numérateur est le nombre des
cas favorables, et dont le dénominateur est le nombre
de tous les cas possibles. »
Laplace éclaircit ceci par plusieurs exemples. Je
choisis le suivant, qui est le plus simple :
u Supposons , dit-il , que Ton projette en Tair une
pièce large et très-mince, dont les deux grandes faces
opposées , que nous nommerons croix et pik , soient
parfaitement semblables. Cberchons la possibilité
d'amener croix une fois au moins en deux coups. Il
est clair qu'il peut arriver quatre cas également possi-
bles^ savoir, croix au premier et au second coup ; croix
au premier coup, etpï/é au second; pile au premier
coup, et croix au second ; enfin, pik aux deux coups.
Les trois premiers cas sont favorables à l'événement
dont on ciierche la probabilité qui , par conséquent ,
BSOUISSIS PSYCHOLOGIQUES. âS9
est égftle à 3/4 ; en sorte qu'il y a trois contre un à
parier que croix arrivera au moins une fois en deux
ooaps. •
Laplace explique en outre que la probabilité (comme
l'évidence) n'est pas dans les choses absolument,
mais dans les choses en rapport avec l'esprit , dans
les choses connues. Ce qui le prouve , dit-il , c'est
qu'elle dépend autant de l'état de l'esprit que de
cehii des choses. Et il éclaircit encore cela par un
exemple.
« Supposons que l'on ait trois urnes A , B , C ,
dont nne ne contienne que des boules noires , tandis
que les deux autres ne renferment que des boules
blanches ; on doit tirer une boule de l'urne G , et
l'on demande la probabilité que cette boule sera
noire. Si l'on ignore quelle est celle des trois urnes
qui ne renferme que des boules noires, en sorte que
l'on n'ait aucune raison de croire qu'elle est plutôt
C que B ou A, ces trois hypothèses paraîtront éga-
lement possibles ; et comme une boule noire ne peut
être extraite que dans la première hypothèse , la
probabilité de l'extraire est égale à uù tiers. Si l'ou
sait que l'urne A ne contient que des boules blan-
ches , l'indécision ne porte plus alors que sur les
urnes B et C, et la probabilité que la boule extraite
de l'urne G sera noire est un demi. Enfin, cette pro-
babilité se change en certitude , si l'on est assuré
que les urnes A et B ne contiennent que des boules
blanches. }
Gertes , ces définitions et explications de Laplace
sont autrement précises et exactes que celles de
Lncke. Mais ne laissent-elles pas cpperulanl quelque
ly
290 ESQUISSES PSYCHOLOGIQUES.
chose à désirer da côté de retendue ? Toute proba-
bilité est-elle de nature à s'exprimer par une fraction
dont le numérateur est le nombre des cas favorables,
et le dénominateur celui des cas possibles ? Gela
supposerait deux choses : l"" que Ton connaît toujours
exactement le nombre des cas favorables ; 2* que Ton
connaît toujours exactement le nombre des cas
possibles. Or , si ces deux conditions se réalisent
dans les exemples abstraits, comme celui de Tume
et des boules, comme celui de la pièce de monnaie
à deux faces lancée en Tair, il n'en est plus de même
dans les exemples Irès-concrels que fournit la vie
oi^dinaire. Voici un navigateur qui met à la voile
pour aller explorer dans des mers inconnues , au
milieu de périls qu'on ne peut prévoir , quelque île
dont on soupçonne l'existence : quelle est la pro-
babilité de son retour ? Comment déterminer tous les
cas favorables? Comment déterminer tous les cas
possibles? Comment poser la fraction? Il y a là
évidemment une sorte de probabilité vague , et qui
ne se laisse pas chiffrer. J'imagine que c'est cette
seconde espèce de probabilité, négligée par Laplace,
que M. Cournot, à l'article Probabilité du Dictionnaire
des sciences philosophiques^ nomme probabilité philoso-
phique^ en la distinguant de celle qu'il appelle proba-
bilité mathématique^ dont le propre, dit-il, est de se
ramener à une évaluation numérique des chances.
D'un autre côté, Laplace ne parle jamais que
d'événements futurs. Or , la probabilité n'est pas
concentrée dans ce cercle étroit; elle se rencontre
dans toutes les sphères où s'exerce l'esprit humain.
Tel objet entrevu à une grande distance est proba-
ESQUISSES PSYCHOLOGIQUES. â9i
blement un cheval. La volonté humaine n'est proba-
blement Hbre, dans toute l'acception de ce mot, que
dans la préférence donnée à un motif sur un autre
motif d'ordre totalement différent. Lu liberté divine
est probablement une liberté de convenance. Ces
exemples prouvent à la fois que la probabilité ne
réside pas seulement dans les faits, mais aussi dans
les êtres et lenrs propriétés ; et qu'elle pourrait se
partager en probabilité physique, probabilité morale,
probabilité métaphysique. 11 est facile de concevoir
qu'on distinguerait également, si on y trouvait
quelque intérêt, une probabilité immédiate et une
probabilité médiate. Mais ces divisions n'ont aucune
importance, ce qui fait qu'on ne les trouve étabUes
nulle part
Ce qui a de l'importance , et ce qui est établi
partout, c'est la variabilité de la probabilité, laquelle
nous e.Kpllque la variabilité de l'opinion. La proba-
bilité, en eifet, a mille degrés. Et cela, on peut le
rendre parfaitement sensible au moyeu du système
d'évaluation employé par Laplace. Supposez que le
dénominateur de la fraction exprimant la probabilité
soit le nombre 100 : il y aura autant de degrés
possibles dans la probabilité qu'il y a de fractions
différentes depuis ^j^^q jusqu'à ^^/joo- Supposez que
le dénominateur de la fraction (exprimant la proba-
bilité soit 1000 : il y aura autant de degrés possibles
dans la probabilité qu'il y a de fractions ditférenles
depuis Viooo jusqu'à ^^^/,ooo- ^^ probabilité vague
que M. Cournot baptise du nom de probabilité phi-
losophique , d'une façon assez peu polie pour les
philosophes, n'est pas moins variable : la seule dififé-
292 ESQUISSES PSYCHOLOGIQUES.
rence, c'est que ses degrés divers demearent dans
le vague comme elle.
Est-il besoin de faire observer que nous retrouvons
ici, entre l'opinion et la probabilité, le même pa-
rallélisme que nous avons précédemment constaté
entre la certitude et l'évidence ? Est-il besoin d'ajouter
que la raison de ce parallélisme est la même dans
les deux cas^ et que l'opinion devait tenir ses divi-
sions et ses caractères de la probabilité^ où elle a son
origine ?
Faut-il faire remarquer qu'il résulte des considé-
rations ci-dessus exposées que , parmi les choses
divines, humaines , naturelles , il en est un grand
nombre que l'esprit humain connaît de façon à
avoir une opinion, parce qu'elles lui apparaissent avec
probabilité, comme il en est un grand nombre qu'il
connaît avec certitude, parce qu'elles lui apparaissent
avec évidence ? Et ne voit-on pas que, s'il y a tantôt
certitude , tantôt opinion dans nos connaissances,
parce qu'il y a tantôt évidence et tantôt probabilité
dans leurs objets, cela est tout ensemble la condam-
nation du dogmatisme, que nous jugions à la fin du
précédent chapitre , et du probabilisme , que nous
allons juger en terminant celui-ci ?
Je n'appelle pas probabilisme la doctrine qui fait sa
légitime part à l'opinion et à la probabilité, mais
bien celle qui met l'opinion et la probabilité partout,
en bannissant la certitude de notre esprit, et l'évidence
des objets qu'il aperçoit Je n'appelle pas probabi-
lisme la doctrine qui dit : il y a des choses probables,
comme il y en a d'évidentes; il y a des choses
ESQUISSES PSYCHOLOGIQUES. 293
qall finut croire simplement jusqu'à l'opinion, comme
il y en a qu'il faut croire avec certitude , mais celle
qui dit : rien n'est évident , tout est probable , plus
on moins ; il ne fout rien affirmer ou nier avec cer-
tîtode, mais s'arrêter toujours à l'opinion avec plus
on moins de confiance.
Sur quoi repose un si étrange système ?
Sur une fousse analyse des objets de nos connais-
sances, et sur une fausse analyse de notre esprit.
Sur une fousse analyse des objets de nos connais-
sances. — Selon les probabilistes, les objets que nous
apercevons sont de telle nature que nous ne pouvons
absolument pas les connaître clairement et distincte-
ment, c'est-à-dire avec évidence. Voici un corps. Un
corps , c'est une chose étendue : concevez-vous clai-
rement et distinctement , avec évidence , une chose
étendue? Est-elle composée d'une série de points
étendus : alors, chacun de ces points étant lui-même
une chose étendue, la même question se pose de
nouveau: qu'est-ce qu'une chose étendue? Est-elle
composée d'une série de points inétendus : alors, il
font expliquer comment une réunion de parties iné-
tendues peut former un tout étendu. Cette difficulté,
fut-elle seule , suffirait à établir que les corps , par
leur nature même , se refusent à être connus avec
évidence.
Voici un tas de blé : quoi de plus facile à connaître,
et à bien connaître ? allez- vous dire. Pas si facile ,
réplique le probabiliste. De quoi se compose un tas
de blé ? De grains de blé. Mais combien faut-il de
grains pour faire un tas? Il en faut beaucoup. En
êtes-vous bien sûr ? Otez à ce tas un grain , y a-t-il
294 ESQUISSES PSYCHOLOGIOCES.
tas encore? Oui. Otez encore un grain, y a-t*il tas
encore ? Oui. Otez toujours un nouveau grain , il
viendra un moment où il n'y aura plus tas. Un grain
(le plus faisait donc le tas. Il suffit donc d'un grain
pour taire un tas. Encore une difficulté qui fait bien
voir que les corps, par leur nature môme, se refhsent
à ^Ire connus avec évidence.
On démontrerait de la même manière, et sans plus
d'efforts , que les esprits , humain , divin, et autres ,
s'il y iMi a , se refusent h être connus avec évidence.
Il ne reste donc plus que la probabilité.
Sur une fausse analyse de notre esprit. — Selon les
{U'obabilistes , lorsque l'esprit se juge certain, il se
lait tout simplement illusion. Qu'il examine avec soin
cette prétendue certitude, et il se verra forcé d'en
raliattro. Vous êtes certain que ce corps a telle forme :
pourquoi ? pîu*ce que les sens vous le montrent avec
cette forme. Mais ne peut^l pas se faire que vos
sens, dans des circonstances difféi-cntes, vous le mon-
livnl avec une forme ditt*érente ? n'avez-vous pas
mille exemples de cette variabilité de vos sens ? Vous
iHes certain que le soleil se lèvera demain : poui*cjuoi ?
paive que cola s est trouvé vrai jusqu'ici. Ce qui a
été dfùl-il donc toujours être , [>ar cela seul qu'il a
été? Notre soleil ne s'éleindra-t-il donc jamais?
D'auti^^s soleils u*ont-ils pas déjà cessé d'envoyer la
lunnèn> et la clialeur à d'autres terres ? Enfin , quelle
q\io soit la chose dont vous vous disiei : j'en suis
certain , n\ a-t-il pas toujours quelque chance pour
que vous vons soyei trompé « l'esprit humain étant
essentiellement impar&it ? Il n y a donc pas de certi-
Imte vêrilaWo. Il ne reste donc plus qne l'opiDion.
ESQUISSES PSYCHOLOGIQUES. 295
Telle est , saof les détails et les développements ,
l'argamentation sur laquelle se fonde le probabilisme.
Et l'on voit par là combien cette doctrine est mal
assise et chancelante. Toutes ces raisons contre l'évi-
dence et la certitude sont les plus pauvres raisons du
inonde. Qu'importe que nous sachions ou ne sachions
pas quels sont les éléments constitutifs des corps? et
eo quoi cela empéche-t-il que nous les percevions
clairement et distinctement? Qu'importe que nous
puissions on ne puissions pas déterminer précisément
le nombre de grains nécessaires pour former un tas
de blé ? et en quoi cela empèche-t-il que nous ne
voyions clairement et distinctement s'il y a tas ou s'il
n'y a point tas ? Quelles misérables arguties !
Je ne suis pas certain , quoique je pense l'être. —
En vérité , il est bien singulier que vous sachiez
mieux que moi si je suis certain ou si je ne suis pas
certain ! Je ne suis pas certain que ce corps ait cette
forme, parce que mes sens sont variables. — Oui, mes
sens varient , lorsque les circonstances varient , par
exemple, la distance, pour les yeux; mais, placés
dans les circonstances favorables , ils sont constants à
eux-mêmes , et nous montrent toujours les objets
avec la même forme , qui est la véritable. Je ne suis
pas certain que le soleil se lèvera demain. —11 faut s'en-
tendre. Je ne suis pas certain que le monde existera
demain^ le monde actuel ; mais, supposé qu'il existe,
je sois certain que le soleil se lèvera demain. D'une
manière générale, on n'est jamais certain, parce qu'il
y a toujours quelque chance d'erreur dans nos con-
naissances, à cause de notre naturelle imperfection.
— Je vous demande bien pardon. Lorsque je soulevé
296 EsonssKs psychologiques.
avec poiiie un corps pesant, je connais l'existence de
ce corps posant sans aucune chance d'erreur, et je
suis i^arfaitement certain. Lorsque j'éprouve une vive
d(uilour« un profond chagrin , je connais ma douleur,
mon chagrin sans aucune chance d'erreur , et je suis
ixirfaiteniont certain.
D'ailleurs , lorsque les probabilistes installent l'opi-
nion (M la probabilité ti la place de la certitude et de
Tt^'idonco niées et méconnues, ils ne savent ce qu'ils
font. 0^i*^^t-iM' qtie l'opinion , sans la certitude ?
quVstMM' que la probabilité, sans l'évidence? deux
chosos impossibles , deux choses qui ne se peuvent
C!mc«»voir. Kn etlet . l'opinion n'existe que par son
rapport à la certitude ; c'est une moindi*e certitude.
\a\ pn>l>abilité n'existe que par son rapport à l'évi-
liouoo ; oVst une moindre évidence. Otez la certitude
ot révidence , plus d'opinion et plus de probabilité.
tUox la lumière, plus de crépuscule.
1,0 probabilisme que je viens d'exposer et de dis-
cuter est le probabilisme pur ou absolu, qu'on pour-
rait appeler le probabilisme antique. Mais il existe un
pmbabilisme mitigé , c'est-à-dire qui met la proba-
bilité et l'opinion partout , excepté en un endroit, et
c'est le probabilisme moderne. Il naît au XVllI* siècle
et se développe au XIX*. Il bégaie dans les Éléments de
philosophie de d'Alembert , parle haut et ferme dans
V Essai philosophique sur les probalnlites de Laplace , et
s'exalte dans V Essai sur les fondements de nos confiais^
naissances de M. Cournot. Tout outrecuidant et arro-
gant qu'il est, on peut le renfermer tout entier dans
cette simple proposition : la physique , l'histoire , la
psychologie , toutes les sciences naturelles , morales,
ESQUISSES PSYCHOLOGIQUES. 297
politiques , se meuvent et roulent dans le cercle des
probabilités , sans jamais pouvoir trouver une issue
pour en sortir ; elles enchaînent des opinions à des
opinions, sans jamais pouvoir trouver un degré pour
monter plus haut : les seules mathématiques sont en
possession de l'évidence et de la certitude.
Quel est le sens de ce privilège réservé exclusive-
ment aux mathématiques? y faut-il voir une sorte
dinfatnation des mathématiciens? a-t-il une raison
pins sérieuse et plus profonde ?
Il ne faut pas se le dissimuler , les sciences au-
jourd'hui sont fort personnelles, et fort disposées
chacune à ramener tout à soi. La philosophie, dans
ses livres , dans ses chaires , s'adjuge sans façon
la prééminence sur toutes les sciences, qu'elle traite
même quelquefois assez cavalièrement. A leur tour,
les autres sciences regardent avec quelque dé-
dain la philosophie , qu'elles prétendent régenter.
La médecine en fait volontiers une dépendance de
la physiologie ; l'histoire naturelle , un chapitre de
la zoologie ; et l'analyse mathématique , une appli-
cation particulière du calcul des probabilités. La
république des sciences est en pleine anarchie ;
toutes veulent commander , et pas une obéir.
Mais cela ne sullit pas à expliquer pourquoi les
mathématiques refusent l'évidence et la certitude à
toutes les autres sciences, condamnées par elles à
n'être que des tissus de conjectures. Celte exor-
bitante prétention vient , selon moi ,' du sens trop
étroit donné par les mathématiciens aux mots évi-
dence et certitude.
En effet, dans les mathématiques, l'évidence et la
298 ESQUISSES PSYCHOLOGIQUES.
certitude ont un caractère particulier , qui ne se
retrouve pas ailleurs. Elles se rapportent à des vérités
nécessaires. Les axiomes sont des vérités nécessaires,
et les théorèmes eux-mêmes , une fois démontrés ,
sont des vérités nécessaires. Il suit de là que, dans
les mathématiques, ce qui est évident n'est pas seu-
lement clair et distinct , mais ne peut pas ne pas
être : il suit de là que , dans les mathématiques ,
lorsque nous sommes certains, non-seulement nous
ne doutons ni n'hésitons, mais nous ne pouvons
ni douter ni hésiter. Telle est Tévidence des vérités
nécessaires, telle est la certitude des vérités néces-
saires. Que font les muthématiciens ? Ils prennent cette
évidence des vérités nécessaires pour toute l'évi-
dence ; ils pi*enneut cette certitude des vérités néces-
saires pour toute la certitude ; et, ne les rencontrant
pas dans les autres sciences, qui se composent de
vérités contingentes, ils déclarent que Tévidence et
la certitude sont le privilège exclusif, le glorieux
monopole des sciences exactes ; que, hors de là, il
n'y a plus que probabilité dans les choses, et opinion
dans l'esprit. Et ils fondent le probabilisme , et ils se
font les disciples du bel esprit Caraéade , et ils se
trompent.
Eneflfet, est-ce que les vérités contingentes ne
sont pas évidentes aussi? Est-ce que nous n'y adhé-
rons pas aussi de cette adhésion complète et en-
tière qui est la certitude? Ce corps pourrait ne
pas être , sans doute ; mais il est évidemment. Son
existence ne m'est pas moins évidente , bien que
contingente, que ce théorème , les trois angles d'un
irimigle sont égaux à deux droits, bien que nécessaire.
PSYCHOLOGIQUES. 299
Et je ne sais pas moins certain que ce cori>s eiiste ,
tont en concevant qu'il pourrait ne pas exister, que
je le sais qae ki trois angles d'un triangle sont égaux
ndeiux droit» ^ tout en concevant qu'ils ne peuvent
pas ne pas leur être égaux. Il y a donc certitude et
évidence dans toutes les sciences, quoique les unes
soient nëeeseaires, et les autres contingentes.
Et véritablement, ce serait uno étrange chose
qoe l'évidence et la certitude ne se trouvassent point
précisément où nous avons le plus besoin de les
trouver. Ce n'est pas moi qui médirai des mathé-
matiques : je les admire , malgré l'ennui. Je sais ce
qu'elles valent. Mais si elles ont une haute impor-
tance spéeolative , et même pratique , par leurs
applications ; toujours est-il qu'elles sont sans intérêt
mornL Au contraire, la science de Thomme, celle de
la société , et même celle de la nature dans ses rap-
ports à la société et à Thomme, ont cet intérêt moral
an suprême degré. Je prends donc la liberté de les
préférer. C'est donc là que j'ai surtout besoin de ren-
contrer l'évidence et d'atteindre à la certitude. On en
pensera ce qu'on voudra ; mais s'il me fallait choisir
entre la moindre des vérités morales et toutes les
vérités mathématiques , je choisirais sans hésiter la
moindre des vérités morales.
tî -■ ■ V
LE DOUTE , LA POSSIBILHÉ , LE SCEPTiaSME.
Le doute est le contraire de la certitude, à tel
point «|iron le nomine encore Vincertitude. Or , la
300 ESQUISSES PSYCHOLOGIQUES.
certitude, c'est la faculté de croire à son maximum:
donc le doute , c'est la faculté de croire à son mmi-
mum. La certitude , c'est la faculté de croire donnant
absolument son adhésion : donc le doute , c'est la
faculté de croire refusant absolument son adhésion.
En d'autres termes , le doute , c'est la faculté de
croire qui, placée entre le pour et le contre , n'in-
cline pas plus vers l'un que vers l'autre , mais
demeure eu parfait équilibre. Les étoiles sont-elles
en nombre pair ou impair? Si je lance cette pièce en
l'air, aurai-je croix ou pile? Je ne crois pas plus
à l'une de ces alternatives qu'à l'autre, je ne prends
pas parti, je doute. Le doute, c'est la croyance qui
ne se prononce pas , faute de raison pour se pro-
noncer.
Donc, il ne faut pas confondre, comme on le fait
si souvent, le doute avec l'esprit négatif. Douter est
une chose, et nier une autre chose. L'athée nie
l'existence de Dieu, le matérialiste nie l'existence de
l'esprit, le fataliste nie l'existence de la liberté : ni
l'athée, ni le matérialiste, ni le fataliste ne doutent.
Dans leur pensée, ils sont certains qu'il n'y a pas de
Dreu, pas d'esprit, pas de. liberté , comme , dans la
vôtre, vous êtes certains qu'il y a un Dieu, des esprits,
des êtres libres. Toute la différence , c'est que leur
certitude est de mauvais Uloi., et la vôtre de bon
aloi. — De même, ce qu'on appelle en style religieux
l'incrédulité n*est pas le doute. L'incrédule déclare
faux le dogme que vous déclarez vrai ; il est certain
comme vous, quoique en sens contraire ; il ne doute
pas. Le protestant ne doute pas plus que le catho-
lique , le mahométan ne doute pas plus que le chré-
E9QUISSKS PSTCUOLOGIQUES. 30i
tien. CelaUIà doute philosophiquement qui, trouvant
d'égales difficultés à admettre ou à rejeter la spiri-
tualité de l'âme , ne Tadmet ni ne la rejette, et de-
meure en suspens entre le matérialisme et le spiri-
tualisme. Celui-là doute religieusement qui, considé-
rant tour à tour deux religions , et ne trouvant pas
plus de raisons de se ranger à Tune qu'à l'autre, ne
se range ni à l'une ni à l'autre, et demeure en suspens
entre les deux symboles. Le doute , pour le définir
ane dernière fois, c'est la croyance qui s'abstient ,
c'est Vabstention, suivant l'expression grecque.
Ce caractère du doute se montre assez dans les
formules par lesquelles il s'exprime. Ces formules ne
sont ni l'affirmation ni la négation ; elles ne marquent
même aucune tendance ni à Tune ni à l'autre. Inter-
rogez un sceptique; si c'est un Grec , Fyrrhon ou
l'un des siens, il vous répondra invariablement:
« Pas plus ceci que cela , » ou : « Je ne détermine
rien ; » si c'est un moderne, un Français, Montaigne,
il vous répondra : « Peut-être ! » « Que sais-je ? »
Toutes façons de parler où l'on reconnaît un esprit
qui, soUicilé à droite et à gauche par d(îs raisons
d'égale valeur, ne penche ni à droite, ni à gaucfie,
et demeure immobile, pareil à la balance dont les
deux plateaux sont également chargés.
Quoique opposé à. la certitude , le doute a ce-
pendant quelque chose de commun avec elle. 11 est
comme elle absolu , invariable. 11 a une mesure fixe,
et qui ne change pas. Quelles que soient les per-
sonnes , quels que soient les cas, il est toujours égal,
parce qu'il ne peut ni croître ni décroître. Cela res-
sort de la définition même du doulo. C'est l'équilibre
302 SSOUISSES PSYCIIOU)aiQU£S.
de la croyance entre le oui et le non : or , iféqniHbre
est une chose essentiellement fixe, puisqu'il consiste,
ici, à occuper une sorte de point mathématique égale-
ment distant de l'affirmation et de la négation. C'est
la croyance qui s'abstient : or , l'on ne s'abstient pas
plus ou moins , comme on ne fait pas plus ou moins
silence. Il faut donc répéter du doute ce qui a été dit
de la certitude : il est ou il n'est pas ; mais, du moment
qu'il est , il est sans restriction , sans plus ni moins ,
il est entier, il est invariable, il est absolu. Si le doute
avait des degrés , s'exprimerait-il par les mots de
Pyrrhon et de Montaigne ?
Je dirai encore , comme je disais de la certitude :
la meilleure preuve que le doute est toujours égal
est dans l'observation de soi-même. Sur le point de
savoir si les étoiles sont en nombre pair ou impair,
sentons-nous notre doute plus grand aujourd'hui
qu'hier ? Nous sentons-nous douter davantage d'une
chose que d'une autre dont nous doutons aussi?
Sentons-nous le doute grandir ou rapetisser en nous ?
Avons-nous d'abord un demi-doute , puis trois-quarts
de doute; puis un doute entier? ou bien avons-nous
d'abord un doute entier, puis trois-quarts de doute,
puis un demi-doute? Ces questions sont ridicules,
tant il est vrai que le doute ne varie pas, que le doute
n'a pas de degrés.
Si par là il ressemble à la certitude , par là aussi
il diffère de l'opinion. Nous savons, en effets que l'opi-
nion a des degrés en nombre innombrable. Or ,
quand on y réfléchit , on reconnaît sans peine que ,
s'il en est ainsi , c'est qu'il en devait être ainsi. En
effet, qu'est-ce que la certitude ? le mortmum de lu
ESQUISSES PSYGHOLO&IQUES. 303
croyance. Qu'est-ce que le doute ? le minimum de la
croyance. Qu'est-ce que ropinion? tout l'intervalle
qni sépare ces deux extrêmes. Mais deux choses sont
évidentes : c'est qu'un maximum et un minimum ne
peuvent absolument pas avoir de degrés ; c'est que
l'intervalle qui les sépare doit en comprendre mille.
n était donc également nécessaire et que la certitude
et le doute fussent invariables , et que l'opinion fût
variable.
Quoi qu'il en soit, le doute n'a pas de degrés. A-t-il
des espèces ? Il en aurait, si l'on voulait, et les mêmes
que la certitude et l'opinion. On peut douter de la
nature d'un corps , de la loi qui régit telle ou telle
faculté de l'âme, du caractère de tel ou tel attribut
de la Divinité ; rien n'empêcherai tdonc qu'on ne distin-
guât un doute physique , un doute moral , un doute
métaphysique. On peut douter du résultat obtenu
intuitivement par une faculté , comme du résultat
obtenu discursivement par une opération ; rien n'em-
pêcherait donc qu'on ne distinguât un doute immé-
diat ou direct, et un doute médiat ou indirect. Les
logiciens n'ont pas plus fait ces distinctions pour le
doute que pour l'opinion. Pourquoi? parce qu ils ne
se sont guère occupés ni du doute ni de l'opinion ,
tandis qu'ils se sont beaucoup occupés de la certi-
tude. Cette raison est la seule et la vraie. Ces distinc-
tions , qu'il s'agisse de la certitude , ou de l'opinion ,
ou du doute , sont également fondées, il faut dire
aussi, pour tout dire, qu'elles le sont également peu,
et que la certitude, l'opinion et le doute, qu'ils soient
physiques, ou moraux, ou métaphysiques, qu'ils
soient immédiats ou médiats , directs ou indirects ,
ESQUISSES PSTCHOLOGIOUES. 307
sans doute la naïve exclamation. Un Hollandais l'en-
tretenait des particularités de la Hollande ; il lui dit ,
après plusieurs autres choses , que dans son pays
Teau durcissait quelquefois si fort pendant la saison
la pins froide de Tannée que les hommes marchaient
dessus ; et que cette eau, ainsi durcie , porterait des
éléphants , s'il y en avait « Jusqu'ici , s'écria le roi ,
j'ai cru les choses extraordinaires que vous m'avez
dites , parce que je vous estimais homme d'honneur
et de probité ; mais présentement je suis assuré que
vous mentez. >
D'Âlembert a pris une sorte de malin plaisir à
mettre en relief l'aveuglement des hommes , surtout
des savants, qui trop souvent oubliefut combien leur
science est petite, grande leur ignorance , et démon-
trent le mieux du monde , c'est-à-dire le plus ridicu-
lement du monde, l'impossibilité du possible.
« Question. — On demande s'il est possible qu'un
pépin de fruit , rais en terre , produise, au bout d'un
certain nombre d'années , un arlire du même genre
que celui d'où le fruit a été tiré.
« Réponse. — Il est évident que cela est impossible ;
comment le moins peut-il produire le plm ? a moins
qu'on ne veuille donner le démenti à l'axiome que
k tout est plus grand que sa partie,
a Autre question. — On prétend avoir trouvé le
secret d'une petite poudre qui a cette propriété : que,
quand il. tombe une étincelle dessus , cette poudre
éclate avec grand bruil , et peut , quoique en assez
petite quantité , renverser par son explosion des édi-
fices considérables. On demande si la chose est pos-
sible.
308 ESQUISSES PSYCHOLOGIQUES.
« Réponse, — Gela est impossible par tous les
principes de la mécanique. Pour qu'une petite masse
en renverse une grande , il faut au moins que cette
petite masse soit douée d'une vitesse énorme. Et
comment une étincelle peut-elle communiquer une si
grande vitesse à un amas de grains de poudre en
repos ? car, d'un côté, cette étincelle est beaucoup
moindre que l'amas de grains de poudre , et de
l'autre, la vitesse avec laquelle elle tombe sur cetamas
de grains est peu considérable. Il faut donc encore
renvoyer ce prétendu fait au catalogue des fables. *
Ainsi nous nous faisons souvent illusion , et nous
sommes sujets à d'étranges méprises sur la possibilité
de fait ; mais elle n'en est pas moins ce que nous
avons dit , à savoir: ce qui ^ n'impliquant pas contra-
diction , nous paraît être en outre dans la nature des
choses. Nous voilà donc édifiés cl sur la possibilité de
droit, et sur la possibilité de fait , par conséquent sur
la possibilité en général.
Mais ce qui détermine le doute en nous , ce n'est
pas la possibilité, c'est la simple possibilité, La simple
possibilité, c'est la possibilité toute nue, réduite à elle-
même. On conçoit en effet qu'une chose probable est
à plus forte raison possible , en sorte que dans les
choses probables la possibilité se trouve unie à la
probabilité. De même une chose évidente est à bien
plus forte raison encore possible, en sorte que dans
les choses évidentes la possibilité se trouve unie à
l'évidence. Or, quand la possibilité est unie à la pro-
babilité , celle-ci fait naître l'opinion ; et quand la
possibilité est unie à l'évidence , celle-ci fait naître la
certitude. Il faut que la possibilité soit seule , sans
ESQUISSES PSYCHOLOGIQUES. 309
mélange , toute simple , pour produire son propre
effet, qui est le doute.
Telle est donc la simple possibilité, origine, cause,
principe et raison du doute. Maintenant, cette simple
possibilité a-t-elle des degrés ? cette simple possibilité
a-t-elle des espèces ?
Mon intention n'est pas d'arrêter le lecteur à ces
questions peu intéressantes en elles-mêmes, et deve-
nues monotones par la répétition. J'y réponds en
deux mots, et je dis :
La simple possibilité n'a pas de degrés et n'en peut
pas avoir. Par là , elle ressemble à l'évidence , et dif-
fère de la probabilité.
La simple possibilité pourrait avoir des espèces
comme l'évidence , comme la probabilité , et les
mêmes. Mais il n'y aurait aucun avantage à mar-
quer ces distinctions , et nous ne les marquerons pas.
Je remarque seulement qu'il y a entre la simple
possibilité et le doute le même parallélisme que nous
avons déjà observé entre la probabilité et l'opinion ,
entre l'évidence et la certitude : parallélisme néces-
saire , puisque la simple possibilité et le doute , la
probabilité et l'opinion , Tévidcnce et la certitude
sont dans la relation de la cause à reflet ; puis-
qu'il est dans la nature de toute cause d'engendrer
un effet semblable à soi.
Je remarque encore que si le doute est réel , il ne
Test pas plus que l'opinion, réelle aussi^ que la certi-
tude, réelle aussi : d'où il suit a priori qu'un système
qui met le doute partout, sans faire leur légitime
part à l'opinion et à la certitude, est un faux système.
Voilà le scepticisme condamné.
3i0 ESQUISSES PSYCBOIjOGIQUES.
Je n'entends pas par scepticisme une doctrine qui
ne se prononcerait pas sur les choses qui , se montrant
à nous comme simplement possibles , sont naturelle-
ment Tobjet du doute , mais affirmerait et nierait
d'ailleurs , avec restriction les choses qui paraissent
probables , sans restriction celles qui paraissent évi-
dentes. Une telle doctrine , c'est le bon-sens même,
et je n'y pourrais trop applaudir.
J'appelle scepticisme la doctrine désespérée qui ,
méconnaissant l'excellence de l'esprit humain, dé-
clare tous les problèmes insolubles , refuse de répon-
dre aux questions les plus simples , sous prétexte
qu^elles dépassent la portée de notre intelligence , et
nous condamne systématiquement à un doute uni-
versel et sans remède. J'appelle scepticisme la doc-
trine d'un Pyrrhon, d'un Enésidème, d'un Sextus, en
Grèce; d'un Pascal, au XVII* siècle; d'un David
Hume , en Angleterre ; d'un Emmanuel Kanl , en
Allemagne. Voilà le scepticisme que je repousse au
nom de la raison calomniée, insultée, et sur le compte
duquel il importe que chacun soit édifié.
Le scepticisme est double. Je dislingue un scepti-
cisme vulgaire et un scepticisme transcendant.
Le scepticisme vulgaire se résume dans les deux
thèses que voici :
i*» L'esprit humain , considéré en lui-même , est
mal organisé ; il est vicieux ;
2' L'esprit humain , comparé à son objet , est sans
proportion avec lui ; il est impuissant
D'abord , l'esprit humain , considéré en lui-même ,
est mal organisé, et vicieux. En effet, la contradiction
s'y montre partout , et sous toutes les formes. Exa-
ESQtllSSSS PSTCHOUXÏIQUES. 311
minet individaeliement chacune des facultés particu-
lières dont il est composé, elle se contredit elle-
même ; examinez ces facultés dans leurs rapports ,
elles se contredisent réciproquement.
Les sens se contredisent eux-mêmes. Regardez le
même objet à dix pas , et à mille pas , vous le verrez
successivement grand et petit, rond et angulaire.
Regardez un bâton dans Tair et dans Teau , vous le
verres droit dans Tair, et brisé dans Teau. Touchez
un corps de feiUe dimension de l'extrémité de vos
deux doigts placés naturellement l'un à côté de
Pftûtre , vous le sentirez unique ; touchez-le de Tex-
trémîté de vos deux doigts entrecroisés , vous le sen*
tlrex double.
Le raisonnement se contredit lui-même. A qui
n'est'il pas arrivé , en raisonnant , d'aboolîr à une
certaine conclusion, et puis en raisonnant de nouveau,
d'aboutir à la conclusion contraire ? C'est en raison-
nant que Caméade prouvait qu'il y a une justice, et
c'est encore en raisonnant qu'il prouvait qu'il n'y a
pas de justice. Et tous les joni's , dans nos tribunaux,
c'est en raisonnant que quelqu'un prouve la culpabi-
lité de l'accusé , en raisonnant que quelqu'un prouve
son innocence.
La mémoire se contredit elle-même. Interrogée à
deux reprises sur le même événement passé ^ il n'est
pas rare qu'elle nous le représente de deux manières
tont-à-fait différentes. Elle varie sur la date , elle
varie sur les circonstances , elle varie sur les carac-
tères, et quelquefois sur tout cela en même temps.
Les sens et le raisonnement se contredisent réci-
proquement. Les sens nous disent que le soleil a un
3J2 ESOLISSES PSYCHOLOGIQUES.
pied de diamètre , et le raisonnement qu'il est des
milliers de fois plus gros que la terre. Les sens nous
disent que le soleil tourne autour de la terre immo-
bile, et le raisonnement que la terre se meut autour
du soleil en repos. Or, si Tintelligence se contredit de
la sorte , par chacune de ses facultés , et par toutes ,
elle est donc mal organisée , elle est donc vicieuse.
Mais ce n'est pus tout. Comparé à son objet, Tes-
prit humain est sans proportion avec lui , et impuis-
sant. En effet, quel est Tobjet de Tcsprit humain ?
lui-même d'abord ; ensuite tout ce qui Tentoure, c'est-
à-dire la nature ; enfm le commun principe de la na-
ture et de l'homme, c'est-à-dire Dieu? Or , quel rap-
port y a-t-il entre ces deux termes ? et vouloir
comprendre un tel objet avec un tel esprit , n'est-
ce pas une prétention analogue à celle d'un homme
qui voudrait saisir la terre entre ses deux bras ?
Je n'accuse plus l'esprit d'être vicieux, peu m'im-
porte. J'admets au contraire pour un instant qu'il est
organisé de manière à ne rien laisser à dc'siror;
toujoui^s est-il incontestable qu'il est essentiellement
limité, qu'il n'a qu'une portée essentiellement res-
treinte. C(»mment donc cet esprit embrasserait-il ce
monde, qui n'a peut-être pas de bornes, et Dieu qui,
certainement, n'en a pas? Gomment, avec une vue
si courte, étendrait-il ses regards à l'infini? Et s'il
ne saisit de son objet qu'une partie infiniment
petite, comment ne s'en ferait-il pas une idée dé-
fectueuse, ou même absurde? Donc, l'esprit humain
est natureilomont et nécessairement impuissant.
Vicieux par lui-même , impuissant dans son i-ap-
port à un objet infuii , quelle peut-être la valeur
ESQUISSES PSYCHOLOGIQUES. 313
des connaissances qu'il nous fournit? El quel parti
le sage doit-il prendre, si ce n*est de s'abstenir de
croire, c'est-à-dire de douter?
Tel est . en abrégé , le scepticisme vulgaire.
Le scepticisme transcendant consiste en une thèse
unique, et cette thèse unique , la voici :
L'esprit humain ne fùt-il ni vicieux ni impuissant,
seniit suspect , sans jamais pouvoir cesser de l'être.
En effet, où est la garantie de l'esprit humain?
Chacune de ses facultés est conséquente à elle-même
dans toute la série de ses développements : fort bien !
Ses diverses facultés s'accordent dans une harmonie
que rien ne trouble : à la bonne heure ! Il est très-
capable de percevoir le monde et de concevoir Dieu :
à merveille ! Mais tout cela ne me suûlt pas, car tout
cela me laisse un soupçon : qui m'assure que cet es-
prit me représente véritablement les choses telles
qu'elles sont ? Qui m'assure qu'il ne me montre pas
carré ce qui est rond , rouge ce qui est jaune , bon
ce qui est mauvais , vrai ce qui est faux ? que Dieu
ne l'a pas constitué de telle sorte que le reflet qu'il
reçoit de la réalité soit un reflet infidèle , semblable
à celui que projette dans une eau agitée la forme
d'un objet qui s'y réfléchit? Remarquez que je n'ai
aucun moyen de me délivrer de ce soupçon, de me
démontrer la légitimité , la véracité de mon intelli-
gence. Car, avec quoi ferais-je celle démonstration ?
Avec mon intelligence. Or, c'est mon inleUigence qui
est en cause. Le cercle vicieux est flagrant, comme il
est inévitable.
Ainsi donc], je ne sais si mon inleUigence est fidèle
ou infidèle , vérace ou trompeuse ; je ne puis absolu-
3Si BLAlfCHET.
eflfet , ayant eu l'occasion , vers la même époque,
de répéter, en les variant, les expériences dltard ,
il soumettait au jugement de TAcadémie des scien-
ces et de l'Académie de médecine ses belles et ingé-
nieuses études sur « La gymnastique vocale et audi-
tive , considérée comme moyen d'opérer chez le
sourd-muet le développement de l'ouïe et de la
voix. M Ce qu'il y avait de lout-à-fait neuf dans cette
nouvelle méthode, c'était l'emploi des instruments
de musique pour l'éducation de l'oreille. Voici , à cet
égard , comment Blanchet expliquait les phénomènes
physiques et physiologiques qui en étaient la consé-
quence :
« U n'y a pas de son simple dans la nature. Tout
son est un composé de vibrations multiples, produites
par l'air ou le toucher sur certains corps, repercutées
ensuite dans l'atmosphère ambiante et ainsi trans-
mises à l'oreille par une égale succession de vibrations
aériennes dites « ondes sonores. » Ces vibrations
aériennes , quand le nerf acoustique est frappe
d'atonie ou de paralysie, peuvent encore être perçues
et transmises au cerveau par l'ébranlement du réseau
nerveux épanoui sur toute la suiface de l'épiderme.
$ont-elles trop peu accentuées pour émouvoir ce
réseau , elles deviendront perceptibles , même pour
le sourd incurable, au contact immédiat des corps
vibrants. Une fois peignes, il en résulte pour le sourd-
muet une sensation agréable ou pénible qui, pour
n'être pas identique à celle du son recueilli et peut-
être modifié par l'appareil auditif, n'en est pas moins
l'effet résultant d'une même cause extérieure, et n'en
parvient pas moins au cerveau. De là un double phé-
BLAIfCHBT. 323
nomène : 1** impression tactile des ondes sonores;
2* perception intellectuelle de ces mêmes ondes.
Qaand la sensibilité de Toreille n'est pas complète-
ment abolie, on conçoit qu'indépendamment du trai-
tement médical approprié à la nature des causes qui
ont pu engendrer la surdité , des exercices acous-
tiques , sagement gradués , contribueront d'une ma-
nière efficace à fortifier le sens affaibli Qui ne sait
que toutes nos facultés se ruinent par l'inaction et
se maintiennent ou grandissent , au contraire , en
fonctionnant? »
Telle est la théorie de Blanchet, et, pour en rendre
l'application pratique plus facile, il avait inventé le
moyen de mesurer avec une précision mathématique
le degré de sensibilité auditive du sujet, au début du
traitement à la fois médical et gymnastique , et les
progrès de cette sensibilité sous l'intluence de ce
double traitement. Il ^y avait là le germe de l'éton-
nante révolution qu'il devait opérer plus tard dans
l'éducation des sourds-muets. Or, l'ingénieux et hardi
novateur avait tout au plus vingt-quatre ans , et ses
traits juvéniles accusaient un âge encore moindre !
Mais Blanchet, s'il avait le don de l'invention,
éprouvait , on peut le dire , le besoin de la vulga-
risation. Aussi ouvrit-il dans le Quartier-Latin une
clinique pour les maladies des yeux et des oreilles ,
inaugurant ainsi , aux portes mêmes de la Faculté ,
un cours qui manquait à son programme officiel.
L'enseignement du jeune maître , que la mort seule
devait interrompre, n'attirait pas seulement les élèves
avides de s'instruire ; il avait le même attrait pour les
vétérans de la science. Quant aux malades qui vc-
324 BLANCHIT.
naienl aussi réclamer ses soins, leur nombre, chaque
année, dépassait le chiffre de dix mille.
Et ce n'est pas seulement des conseils gratuits qu'il
leur donnait. Il faisait sur place les petites opé-
rations, à domicile les grandes, sans jamais réclamer
ni même accepter d'honoraires sous aucune forme.
Sous ce rapport, je connais de lui plusieurs traits
de désintéressement et de générosité qui prouvent
qu'il avait le cœur aussi haut placé que le talent
C'est au milieu et , on peut le dire , par le fait de
ces consultations incessantes, que Blanchet médita
et unit par obtenir une des plus importantes réformes
qui aient amélioré le sort des aveugles et des sourds-
muets. Rappelons-en les principales circonstances :
Par suite des règlements alors en vigueui' ,
n'étaient admis dans les écoles créées pour ces infor-
tunés , que ceux dont l'infirmité était déclarée incu-
rable. Qu'en résultait-il? C'est que des mères ame-
naient chaque jour à Blanchet leur enfant menacé
de perdre la. vue ou l'ouïe , non pas pour qu'il tentât
de les guérir, mais au contraire pour qu'il attestât
par certificat leur incural)ilité , seule condition qui
pût leur faire ouvrir les portes des internats. D'un
autre côté , des élèves de ces mêmes internats , no-
tamment des sourds-muets , lui étaient amenés clan-
destineùient par leurs mères pendant les vacances ,
afin qu'il leur donnât des soins pour une surdité
imparfaite qui n'avait été exagérée que dans le but
d'obtenir leur admission, mais qui , par suite de cette
prétendue incurabilité , n'était dans l'établissement
l'objet d'aucun traitement. Blanchet crut avec raison
qu'il était de son devoir d'appeler sur ces faits l'at-
BLÀNGHBT. 325
tention de l'autorité. Il demanda qu'on admit dans
les écoles spéciales créées pour eux tous ces jeunes
infirmes , quel que fût le degré de leur infirmité ,
afin qu'aucun ne fût privé des bienfaits de l'éduca-
tion, n demanda de plus que , pendant leur séjour
danff ces écoles, on s'occupât de guérir ceux qui
paraîtraient guérissables , ou de soulager ceux qui
paraîtraient susceptibles de soulagement
Son appel fut entendu , et le ministre de l'intérieur
institua, en 1845, une commission chargée de véri-
fier ses expériences sur la curabilité de certains
états regardés jusqu'alors comme incurables. Cette
commission , qui comptait dans son sein les hommes
les plus compétents , reconnut , après de longues et
attentives épreuves , l'efficacité pratique des mé-
thodes employées par Blanchet. C'est à la suite du
rapport dans lequel elle consigna ces heureux ré-
sultats , que le ministre de l'intérieur créa pour lui
la place de chirurgien de l'Institut des sourds-muets ,
pour le traitement de la surdi-mutité. A la même date,
le même ministre lui confia la mission de traiter,
à l'Institution des aveugles , lous les enfants suscep-
tibles de guérison ou d'amélioration.
Ce fut presque au lendemain de cette double no-
mination qu'eut lieu la révolution de Février. Peu
de temps après éclata cette terrible insurrection de
Juin qui , durant trois jours , ensanglanta la capitale.
Placé, on peut le dire , au plus fort de la mêlée et
de la fusillade , — il demeurait à cette époque sur
le boulevard Bonne-Nouvelle , et la barricade de la
porte St-Denis nécessita , pour être enlevée , un véri-
table assaut — il s'empressa d'organiser une ambu-
S26 BLAIICBKT.
lance , et là , se multipliant à toute heure du jour et
de la nuit , il prodigua ses soins à de nombreux
blessés, sous quelque drapeau qu'ils eussent cora*
battu. Mais jetons un voile sur ces douloureux sou-
venirs. U nous faudrait rappeler , à côté du dévoue-
ment dont Blanchet fit preuve, l'ingratitude ou
plutôt le mauvais vouloir dont on usa envers lui , et
cela parce qu'après la lutte et au moment de Ten-
qnéte, il refusa de se montrer homme de parti.
Comme si la discrétion à l'égard do ceux qu'il a soi-
gnés n'était pas pour le médecin le plus noble des
privilèges et le plus sacré des devoirs !
Le 11 décembre 1848, le ministre de l'intérieur, à
la demande de Blanchet , soumit à l'appréciation de
l'Académie de médecine une série de questions rela-
tives à la surdité. Il s'agissait surtout de faire sanc-
tionner par ce corps savant les expériences sur les-
quelles la commission administrative s'était si favo-
rablement prononcée. Mais un point complètement
neuf exigeait un examen et un contrôle approfondis ,
c'était celui-ci : « Y aurait-il avantage à ce que les
élèves imparfaitement sourds fussent appelés à rece-
voir une éducation spéciale donnée exclusivement
par des professeurs parlants , lesquels les exerce-
raient à l'étude de la parole? » C'était , comme on le
voit , rompre en visière avec toutes les traditions du
passé , et provoquer non plus une innovation, mais
une révolution véritable dans les idées aussi bien
que dans les méthodes. Cinq commissaires furent
nommés ; mais, malgré l'activité dont ils firent
preuve, leur travail exigea près de quatre années.
Ce fut en 1852 .seulement que le rapporteur,
BLAMCfiÈT. 32^
M. Piorrj , en donna lecture à TAcadémie et en for-
ttialâ !^ conclosions, en réponse aox séries de quéë-
tiôAS posées par le ministre. On ne saurait guère
imaginer une approbation plus explicite ni plus
nette du système de Blanchet et des moyens non-
veaoi qu'il proposait pour les rendre plus efficaces.
C'est alors que la discussion commença. Ai-je besoin
d'ajouter qu'elle fut vive, ardente, passionnée, et
que plus d'une fois les questions de personne do-
minèrent les questions de science 7 L'Académie
pourtant n'était appelée à se prononcer que sur la
matérialité de certains faits ; or , ces faits , la com-
mission en témoignait pour les avoir vus et touchés,
et, à moins de mettre en doute la probité et la saga-
cité de pareils témoins , choisis par l'Académie elle-
même et pris dans son propre sein y il fallait les en
croire et alors les conséquences coulaient de source.
Mais se flatter que les choses se passeraient de la sorte,
c'eût été compter sans la routine, les amours-
propres froissés , les oppositions systématiques et \éi
partis-pris d'avance. Aussi jamais peut-être vicloir«
ne fut achetée au prix de luttes plus orageuses ni
plus fertiles en incidents de toute nature.
Parmi ces incidents , quelques-uns , par une heu-
reuse diversion , prouvèrent qu'une plaisanterie de
bon goût a quelquefois plus d'effet qu'un argumcn .
scientifique. Qu'on en juge par le trait suivant:
L'un des adversaires les plus véhéments de Blan-
chet , le professeur Malgaigne , prit jour avec lu
pour constater de visu les faits en discussion devant
l'Académie. Il fut convenu que le rendez-vous au-
rait lieu chez notre confrère. Malgaigne arrive à
328 BLANGHET.
l'heure dite , mais le domestique lui répond que son
maître est sorti, et il le fait entrer dans le saloa où
se trouvait déjà une antre personne. Ces deux Mes-
sieurs ne tardèrent pas à lier conversation, et
bientôt celle-ci , de banale qu'elle était d'abord, prit
un caractère tout-à-fait intime. Cependant Blanchet
rentre et se confond eu excuses sur son inexactitude.
Mais Malgaigne lui répond avec courtoisie que,
grâce à son interlocuteur, le temps ne lui a pas
paru long ; puis il le prie de le rendre témoin de
Texpérience annoncée. — L'expérience ! mais depuis
un quart-d'heure vous l'avez sous les yeux. — Com-
ment cela ? — C'est bien simple. La personne avec
qui vous venez de vous entretenir avec tant d'intérêt
est un sourd-muet de naissance qui entend assez bien
par le mouvement de vos lèvres et s'exprime assez
nettement par la gymnastique de son gosier, pour que
vous-même n'ayez pu soupçonner son infirmité.
C'est ainsi que , par cet innocent artifice , Blanchet
triompha d'une opposition que n'avaient pu vaincre
ni les témoignages ni les faits les plus probants.
Nous avons dit que quatre années s'écoulèrent de-
puis le moment où Blanchet soumit ses travaux au
jugement de l'Académie , jusqu'à l'époque où celle-
ci leur donna sa sanction. Ces quatre années, il
les employa à étendre et à perfectionner son
œuvre.
Dès 1849 , il fondait en faveur des sourds-muets et
des aveugles cette Société d'assistance et de prévoyance
qui a pris en peu d'années , sous sa généreuse ira-
pulsion, un si grand développement. Procurer à tous
ces malheureux des secours médicaux ou alimen-
BLANGHET. 329
laires» do travail à ceux qui sont en état de travailler,
l'instraction religieuse , morale et intellectuelle à
tons, une profession et un pécule au sortir des
écoles , des conseils judiciaires aux familles qui les
réclament : tel est le but de cette admirable insti-
tution.
A peine commençait-elle à fonctionner que Blan-
chet reçut du Gouvernement la mission d'aller étudier
en Belgique et en Allemagne les écoles de sourds-
muets et d'aveugles , le régime , la discipline et les
diverses méthodes d'enseignement qui y sont pra-
tiquées. On peut lire dans son Traité de la surdi-mu-
tité le rapport si substantiel dans lequel il consigna
les résultats de sa mission. Ce traité, qui parut en
1852 , fut suivi , à de courts intervalles , de divers
mémoires sur l^es moyens de généraliser V éducation des
sourds-muets et des aveugles. Blanchet, s'appuyant
sur Tautorité de faits incontestables , prouva jusqu'à
l'évidence qu'au lieu de laisser tant de pauvres in-
firmes croupir dans l'ignorance et la paresse qu'elle
entraîne forcément apros elle , il était très-facile au
contraire de les instruire. Il démontra également
l'utilité de donner aux jeunes sourds-muets des pro-
fesseurs parlants qui exerceraient, selon les méthodes
allemandes, ceux qui auraient de l'aptitude à l'ar-
ticulation, et apprendraient à tous à lire la parole
sur les lèvres. Enfin , au lieu de les condamner à
vivre ensemble , loin du monde réel , et à ne s'ex-
primer qu'à l'aide de signes inconnus du pins grand
nombre , il eut voulu les faire vivre de la vie com-
mune au milieu des élèves parlants , et même leur
faire ouvrir les écoles primaires.
330 BLA!ICHET.
Écoutons-le luMoérae exposer le but et la portée
de ces philanthropiques réformes :
u Jusque dans ces derniers temps . les efforts de»
bienfaiteurs des <ourds-muets et des aveuides s'étaient
concentrés sur les moyens de leur donner rédocation
à Taide de divers systèmes et de méthodes plus on
moins ingénieuses d'ailleurs, mais qui toutes ayaient
le erare inconvénient de les séparer de leurs Ik-
milles. du milieu dans lequel ils étaient nés, de les
plac«T dans des internats spéciaux, où ils n'ayaient
de rapports qu entre eux, ne communiquaient qu'à
Taide de signes de convention, incompris des voyanL^
et des entendants : de sorte que. malgré le lèle et la
capacité dos maîtres, ils pouvaient oublier le sen-
tinrent do leurs devoirs envers leurs parents, prendre
on motiauco cette société dont ils étaient isolés,
sVxalter dan< le sentiment do leur individualité, pour,
le plus souvent . a la sortie de leurs écoles, s'étioler
et s atTaisser dans leurs luttes avec les besoins de la
vie. Il faut ajouter que ce irenre d'éducation est tel-
lement dispendieux que . malgré les libéralités et les
sacrifices do lÊtat, des départements et des com-
munes , un tiers à peine des intéiessês est appelé * y
|Vïrticiper.
* l'n autre inconvénient non moins grave et înévi-
lable des internats spéciaux était de ne s'ouvrir à l'élève
qu'a un ûge trop avance, à l'Age où souvent s'achèTC
réducatiou dos parlants , et de le laisser livré ainsi
trop lonctemps. sans règle, sans frein, ;'• tous ses pen-
chants, et privé des moyens do communication intel-
lectuelle et morale, qui seuls auraient pu faire cesser
son isolement et remédier à son état exceptionnel. •
BLANCHST. 331
Voilà le mal. Il va maintenant en formuler le re-
mède « qni se réduit à ceci :
« Donner Tëducation aux sourds-muets et aux
u aveugles en les conservant à leurs familles , afin
t d'y maintenir les rapports d'aifection et le culte des
f devoirs réciproques que la loi naturelle et la loi di-
c vine imposent aux parents comme aux enfants ; la
u leur donner dans les écoles communales au milieu
« des voyants et des entendants, de manière à ne pas
« s'exposer à rompre les liens sociaux qui unissent
€ tons les hommes et les portent à se considérer comme
• frères; la leur donner, par des moyens qui mettent
9 infirmes, parlants et entendants , en communion
« constante ; enfin la leur donner à tous, dès le jeune
I âge et en quelque sorte sans frais exceptionnels. »
Blanchet ajoutait :
t Tout sourd-Timet intelligent dont l'appareil vocal,
a la vue , le toucher , les nerfs sensitifs sont à Tétat
« normal, peut acquérir la parole (quel que soit le
« dialecte) et la faculté de la lire sur les lèvres; de
t même tout aveugle doué d'intelligence est suscep-
« tible d'éducation; l'aveugle sourd-muet peut aussi
« obtenir ce bienfait , lors même que ses perceptions
« sont réduites au tact. »
Telle est la méthode de Blanchet, et il eût été
dltficile , ce me semble , d'exprimer de meilleures
choses en de meilleurs termes. Ne croyez pas du
reste que , comme beaucoup de novateurs , il ail
tout d'abord imaginé d'emblée un système, puis en-
suite se soit efi'orcé d'y plier les faits, au besoin, en
les violentant. Non. Ce furent, au contraire , les faits
eux-mêmes qui, à mesure qu'ils se succédèrent, lui
permirent d'édifier son système.
3S2 BLÀNCHET.
Dès 1847, c'est-à-dire avant d*être nommé chi-
rurgien de l'Institution impériale des soards-muets ,
il avait commencé sans bruit ^ dans une modeste
école de la rue St-Lazare, Tapplication on plotôt
répreuve de sa méthode d'enseignement mixte. Après
quelques tâtonnements, la tentative réussit, et, en
4852, s'ouvrait sous un nouveau maître formé par
lui une nouvelle école, laquelle recevait, parmi les
enfants voyants, entendants et parlants, les petits
aveugles et les petils sourds-muets du quartier. Deux
ou trois ans plus tard , quatre écoles primaires fonc-
tionnaient à Paris d'après ce même système. Le pro-
blème devait donc être regardé comme résolu , pro-
blème essentiellement humanitaire , puisque , en
France seulement, c'est par trente et quarante mille
qu'il faut compter le nombre de sourds-muets et
d'aveugles fatalement voués, d'après les anciennes
méthodes qui ont l'internat pour base , à l'ignorance,
à l'oisiveté et à la misère. L'expérience, en effet, n*a
que trop prouvé que les pensionnaires de ces in-
ternats, une fois rendus à la société, ne peuvent
tirer aucun parti de l'éducation spéciale qu'ils y ont
reçue. Combien pourraient s'écrier avec amertume ,
comme Ovide exilé chez les Scythes : a Je suis un
barbare ici, car personne ne me comprend : d
Barbanis hic ego sum, quia non intelligor illis.
Ces premiers essais , bien que sur une modeste
échelle, eurent un immense retentissement , et tout
Paris, on peut le dire, s'en émut. Le Conseil muni-
cipal nomma une commission pour s'enquérir de leur
BLANGHET. 333
exactitude. Or, celle-ci constata, d'une part, que le
voisinage des infirmes n'apporte aucun trouble dans
l'école et contribue au contraire , de plus d'une ma-
nière y aux progrès des voyants et des parlants ; et ,
d'autre part, que les infirmes eux-mêmes y puisent
une instraction plus solide et à beaucoup moins de
frais, et de plus y apprennent, ce qu'on ne peut
apprendre dans les internats , la sociabilité. Aussi ,
sur le rappoit de sa commission où réspire une sorte
d'enthousiasme, le Conseil éleva-t-il au rang d'écoles
municipales les établissements privés qui avaient pris
cette utile initiative , et introduisit-il progressivement
le nouveau système dans d'autres écoles; mais celles-
là subventionnées. Elles fonctionnent aujourd'hui
dans Paris au nombre de douze et ont été distribuées
de telle sorte qu'aucun enfant aveugle ou sourd-muet
ne saurait désormais être privé de ce mode d'édu-
cation. Mais ce n'est pas tout La Société d'assistance
et de prévoyance, fondée par Blanchet, suit avec
sollicitude les progrès des élèves , les récompense à
la fin de chaque année, et, au sortir de l'école, facilite
l'apprentissage et, après l'apprentissage, le place-
ment.
Le Gouvernement comprit que Paris ne pouvait
conserver le monopole de ses précieuses innovations.
Seulement, avant de prendre les mesures voulues
pour les généraliser, il dut faire étudier la marche
et les progrès des écoles mixtes qui fonctionnaient
ainsi dans les divers quartiers de la capitale. Ce fut
seulement après quatre années d'observations inces-
santes que l'épreuve parut décisive , et peut-être
fallut-il , pour qu'on en fit bénéficier les autres
334 BLAHCHIT.
parties de l'Empire, qu'un ancien président du Conseil
municipal, M. Delanglc, arrivât au ministère. Le
ministre exposa , dans une circulaire par&itement .
motivée, la simplicité et les avantages du mode
d'éducation organisé par Blanchet. Il invita les préfets
à solliciter des conseils généraux une allocation des-
tinée à envoyer à Paris ^ pendant les vacances, quel-
ques instituteurs ou institutrices des écoles normales,
pour y étudier la méthode et rappliquer ensuite dans
leurs départements. Cet appel du ministre fut ac-
cueilli comme il devait l'être. Bientôt arrivèrent de
tous les points de la France des délégués choisis
parmi les plus zélés et les plus intelligents, et c^est
Blanchet lui-même qui se chargea de leur développer
ses idées et sa méthode dans l'école de la rue d'Ar-
genteuil.
Mais l'œuvre de notre éminent confrère, par la na-
ture des services qu'elle était appelée à rendre, était
avant tout une œuvre cosmopolite. Aussi l'étranger
s'empressa-t-il de l'adopter. La Russie surtout Tac-
cueillit avec une faveur marquée, et les Sœurs de
charité , ces saintes et infatigables missionnaires , se
chargèrent de la faire pénétrer au cœur même de
l'Orient.
Cependant , quelques circonstances particulières
avaient retardé en France l'extension de la méthode.
Sans doute on ne contestait plus sa valeur, puisque
les faits avaient parlé ; mais on reculait devant une
sanction publique et oliicielle. Enfin le grand-maitre
de l'Université , M. Duruy, dut céder tout à la fois
à la pression de l'opinion et à ses propres convic-
tions. Par une circulaire en date du li mars 4866,
BULHCHSt. 335
il signala à tous les recteurs d'Académie, comme
un foit d'expérience à Tabri de toute atteinte , le de-
voir impérieux d'humanité pour le Corps enseignant,
de s'approprier les méthodes créées par Blanchet et
d'en étendre l'application partout où les besoins
l'exigeraient ^ s'en référant , quant aux moyens
d'exécution , à la circulaire de son prédécesseur ,
M. Deiangle.
Voilà donc Blanchet au comble de ses vœux , et il
aurait pu s'écrier avec le poète : <( Exegi monumen-
ium/ n Mon monument est achevé ! Mais monument
bien plus durable que ceux qui reposent sur l'airain
ou sur le marbre, car il a pour base le souvenir
d'impérissables services rendus à l'humanité.
Nous venons de dire ce qu'était Blanchet comme
savant et comme glorieux initiateur de nouvelles
méthodes : essayons maintenant de faire connaître
l'homme. Et , dans ce but , je ne saurais mieux
faire que d'emprunter les lignes suivantes à la no-
tice biographique que lui a consacrée M. Félix Ri-
beyre:
(( On se tromperait si Ton pensait que le travail
surhumain, les veilles prolongées, altéraient la sé-
rénité et le caractère aimable et bienveillant du doc-
teur. Ce savant si profond, ce chercheur infatigable
était l'homme du monde le plus distingué et le plus
courtois, l'ami le plus aûectueux. La bonté se lisait
dans son regard et l'on peut dire qu'il avait toujours
le cœur sur la main et le sourire sur les lèvres.
« Au physique , M. Blanchet, avec son collier de
barbe blonde encadrant une physionomie expressive,
ses cheveux frisés naturellement , son front large et
336 BLANCHET.
intelligent , son œil bleu , ressemblait assez à un
Anglais élevé à Paris. Il avait la distinction sans
la raideur britannique, la réserve de nos voisins
s'unissant chez lui à la cordialité française. Il plai-
sait à première vue et charmait ses malades avant
de les guérir.
c II connaissait tout Paris et tout Paris le connais-
sait ^ et quiconque aurait assisté à une de ses con-
sultations pouvait voir défiler dans son salon les
notabihtés de la politique , du monde , de la science
et de la littérature. Chaque jour son cabinet était
littéralement pris d'assaut ^ et ses amis les plus in-
times devaient recourir à mille stratagèmes pour
pouvoir lui serrer la uiain : douce joie qui nous est
désormais interdite !
« Les malheureux , les indigents , les ouvriers le
trouvaient toujoui's compatissant et bon. Devant lai
les distinctions sociales s'elFaçaient; il n'y avait plus
que des malades.
a 11 aimait les arts et les artistes. Lettré lui-même,
il se plaisait dans la société des écrivains. Mais son
esprit tout à la fois fin, délicat et sérieux , après les
causeries les plus brillantes, revenait toujours par
un détour ingénieux ci la science et surtout à ses
chers sourds-muets , à ses aveugles dont il était le
bienfaiteur plus encore que le médecin. C'est ainsi
(lu'en 1862, Son Exe. le ministre ayant ajouté à ses
fonctions la direction générale du service de santé
de l'Institut des sourds-muets , le généreux praticien
qui, depuis quinze ans, avait fait abandon de ses
honoraires au proGl de l'Institution, demanda quil
en fiU dt^ iiH»me pour les nouvelles fonctions dont il
BLANCHET. 337
venait d'être chargé. Son désintéressement égalait
son mérite. »
Tel était Blanchet. Bien que tracé par une main
amie« ce portrait, j'en appelle à tous ceux qui l'ont
connu, n'est aucunement llatté. La fortune alors
semblait épuiser sur lui toutes ses faveurs. Il avait
la plus brillante et la plus opulente clientèle de Paris,
était officier de la Légion-d'Honneur , décoré de plu-
sieurs ordres étrangers, et membre de la plupart des
Académies ou Sociétés savantes de l'Europe. £t il
n'avait pas encore 48 ans !
Oui ; mais tant de travaux et de luttes, bien que
sanctionnés par de splendides succès, avaient sourde-
ment miné sa constitution pourtant si robuste. Lui
qui avait le coup-d'œil si sûr quand il s'agissait des
autres, s'abusa longtemps sur sa propre position , ou
peut-être craignit-il de s'éclairer , de peur d'être
obligé de prendre un repos auquel il ne croyait pas
avoir droit tant qu'il n'aurait pas entièrement ac-
compli son mandat. Ce mandat, savez-vous quel devait
en être le couronnement ? Il ne s'était proposé rien
moins que de faire pour les aveugles ce qu'il venait
de faire pour les sourds-muets , c'est-à-dire ' de leur
restituer la jouissance du sens qu'ils avaient perdu.
L'opération qu'il avait imaginée à cet égard, et dont
il entretint l'Académie des sciences par une lettre
en date du 46 juin 4866, reçut de lui le nom d'hélio-
prothèse. Elle n'était applicable qu'aux aveugles chez
lesquels la cécité était produite par l'opacité de la
cornée transparente et non par la paralysie de la
rétine. Voici comment je la lui ai vu pratiquer :
Le patient ayant la tête appuyée sur la poitrine
22
338 BLANCHIT.
d'un aide , la paupière 8upérieui*e relevée et rînfié-
rieure abaissée , il faisait une ponction à l'œil afec
un bistouri droit , à lame étroite. La largeur de
rincision devait être en rapport avec e diamètre du
tube conducteur de la lumière. Ce tube n'était antre
qu'un petit cylindre en cristal, terminé , à l'ane de
ses extrémités, par une coque rappelant, autant qae
possible, les couleurs de l'iris. Je ne puis mieux
comparer sa forme qu'à celle d'un clou dont la tète
serait mince , large et légèrement concave. C'est ce
tube que Biancbet faisait pénétrer, à travers la ponc-
tion , presque jusque au contact de la rétine, de telle
sorte que son extrémité épanouie , se moulant sur la
cornée , était maintenue en place par les paupières
et figurait ainsi un œil artificiel
On comprend tout de suite le but et le mécanisme
de ce petit appareil. Le clou de cristal, par sa nature
diaphane , avait pour objet de rétablir une libre
communication entre la lumière du dehors et l'inté-
rieur de l'œil , communication (ju'uiterceptait la
cornée devenue opaque. U devait donc agir à la
manièie d*un conducteur pour diriger le rayon so-
laire jusque sur le nerf optique. Deux cas alors, au
moment mémo de son application , pouvaient se
présenter. Ou bien , le nerf étant paralysé » la per-
ception de la lumière était nulle ; ou bien , au con-
traire , le nerf étant encore sensible , le malade
pcavait immédiatement apercevoir ou même distin-
guer les objets. Dans le premier cas , il y avait
chance de guérison ; dans le second, la cécité devait
être regardée comme incurable.
Telle osl ringénioiiso opération imaginée par Blan*
BLAlfCHET. 339
chet Je la décris avec quelques détails, car je suis
un des rares médecins qu'il ait admis à en être té-
moins. U voulait attendre , pour la faire entrer dans
la pratique, qu'il lui eût donné ses derniers perfec-
tionnements. Mais Topinion , accoutumée à lui voir
fiaûre des miracles , avait applaudi d'avance à un mi-
racle de plus , et on n'a pas oublié l'immense em-
pressement que mit la presse à en répandi'e la
nouvelle. Cela se comprend , si l'on songe qu'il
existe, rien qu'en France, plus de trente mille aveugles
qui pourraient être appelés à en bénéficier.
Quel sera , en définitive , l'avenir de ce procédé 7 II
est incontestable que des malades opérés par Blan-
chet et chez lesquels, depuis de longues années, la
vision était complètement perdue, ont pu y voir assez
pour se conduire, jouer aux cartes, aux dominos,
lire et même écrire. Mais, à côté de ces succès, il y a
eu de graves échecs. C'est donc pour moi une ques-
tion complètement réservée.
Malheureusement celui qui était plus apte que tout
antre à la mener à bonne fin dut interrompre son
œuvre inachevée , car déjà, on peut le dire, la mort
était à son chevet. C'est à peine s'il eut le temps de
corriger les dernières épreuves d'un ouvrage auquel
il travaillait depuis longtemps, et qui doit paraître in-
cessamment sous ce titre : Des Aveugles, vaste re-
cueil auquel, d'après ce qu'il m'a été donné d'en
juger, je n'hésite pas à prédire un long et éclatant
succès. Ce fut, en quelque sorle, son testament
scientifique. Peu de jours après , le 21 février 1867 ,
il s'éteignait dans la plénitude de ses facultés et de
son intelligence.
#
340 BLANCflET.
La DoaTelle de sa mort produisit dans Paris une
impression d^antant plus vive et plus pénible qa*on y
était moins préparé. Comme il avait continué, presque
jusqu'à la dernière heure, ses consultations, ses
visites et ses opérations tant en ville qu'à l'hôpital,
beaucoup ignoraient même qu'il eût été malade ; ce
fut pour eux un véritable coup de foudre. Mais c'est
surtout dans St-Lo, sa ville natale, où, d'après ses
désirs, ses restes furent transportés, que la catas-
trophe fit ie plus sensation : la douleur y prit les pro-
portions d*uu deuil public. Toute la ville, je puis le
dire pour l'avoir vu, assistait à ses funérailles. C'était
a qui citerait quelque trait de lui, comme un dernier
hommage aux qualités de son esprit et à celles de
son cœur. Ou déplorait sa fin prématurée. Chi plai-
gnait s^i pauvre mère, vénérable octogénaire qoi,
devenue complètement aveugle il y avait plus de
vingt ans par le fait d*une double cataracte, avait
eie opérée par lui avec tant d'habileté et de sacoès
que. depuis loi^. sa vue est restée paifutement in-
tacte. Enfin ou se montrait avide de connaître les
moindres (varticuLiiiie^ reiaUves a ses dentiers mo-
tuents. vJueUe luaÀadie avait donc brtsè cette exis-
tence encvvrv si pîeino d avenir, et comment avait-il
acwpte ceue sujwuh* e: solennelle épreuve qu'où
appelle U i:u>rîT
IVut-^tre ne lira-t-exi p^s s^ns înterét les détaib
dans Kw^ueJs je s*:,< cutrx* a ce sc;e: lorsq;^ . sur la
deoMiKie de sâ àLU^ilsc . . ecs ie cxXilcireux priviié^
de pi\>iKHKtT que.^î,:f< jvà.-vxes sur sa tccibe. J'en ex-
tra^ d^^ac Ie« fa;«s$«Jkges ^u\>a v;& ître ;
* 'S^;*x\<; e.A . vv .:\; j. Àirv z.ïse iK>c^<xIe série
BLANCHET. 344
d'expérimentations et de recherches, lorsque toat à
coup la mort Ta firappé. Je me trompe : elle Ta d'abord
averti. Depuis quelque temps nous nous apercevions
que sa santé déclinait , sans pouvoir obtenir qu'il re-
tranchât quelque chose de ses incessants labeurs.
Cependant il finit par consulter. C'est alors que nous
reconnûmes une augmentation considérable dans le
volume du foie. A ce degré , la maladie peut encore
guérir, si elle est traitée; mais elle devient presque
fatalement mortelle, si au contraire on la néglige:
c'est ce que fit Blanchet. Victime d'un sentiment que
je n'hésite pas à appeler exagéré du devoir, il con-
tinua ses fonctions professionnelles , puisant chaque
jour y dans un surcroit d'énergie morale, ce qne
chaque jour il perdait en force et en vitalité. Mais
enfin la lutte ne devint plus possible. Ne me demandez
pas les détails de sa longue et douloureuse agonie ;
hélas! c'est bien assez d'en avoir suivi toutes les
phases, sans encore vous en retracer le déchirant
tableau. Mais ce qne je ne saurais taire , c'est que sa
mort a été celle d'un chrétien fervent et convaincu.
Comme il sentait sa fin approcher , il nous dit avec
un calme et une sérénité dont je n'oublierai jamais
l'expression : « Mon sacrifice est fait II me semble
« même voir déjà ma chambre se remplir de per-
c sonnes agenouillées et qui prient. » Ce furent
ses dernières paroles : peu d'instants après, il rendait
son âme à Dieu.
8 Ainsi s'est éteinte cette douce et sympathique
existence. Je ne saurais mieux peindre l'immense
douleur qu'a causée dans Paris la nouvelle de sa
mort qu'en la comparant c^ celle que je vois régner
342 BLAIfCnET.
ici sur tous les visages. C'est que Blanchet exer-
çait sur tous ceux qui l'approchaient un charme,
j'ai presque dit une fascination véritable , et cela
à l'aide de deux dons naturels dont l'ascendant est
irrésistible : la noblesse du cœur et la délicatesse des
sentiments. •
PENSÉES
ET
RÉFLEXIONS MORALES,
PAR M. SORBIER,
Premier président à la Cour impériale d*Acen , membre
correspondant (i).
(Suite. )
XXX.
« L'homme vît peu de jours , et ce peu de jours
est rempli de beaucoup de misères t . Le premier son
de sa voix est un cri de douleur ; à peine ses yeux
s'ouvrent-iLs à la lumière , qu'il en sort des larmes.
Le signe auquel les jurisconsultes du moyen-âge re-
connaissent que Tenfant a eu vie , c'est qu'il ait
pleuré. Les Thraces se répandaient en gémissements
aux naissances. Les Scandinaves épargnaient volon-
tiers au nouveau-né une existence pleine de tour-
ments et de souflfrances. « Puisqu'il regrette tant
d'être au monde , le mieux pour lui , disaient-ils .
serait de mourir ; qu'il rentre dans la nuit d'où il
vient de sortir ; qu'il se rendorme comme l'Iiomme
qui , s'éveiliant à demi , se hâte de fermer les yeux ,
(i) Voir les volumes de Mémoires publiés par TAcadémie en
1863, 186i^, 1865, t866 et t867.
344 FSfiSÉis
se retourne et renoue ses songes )> . Quelles étaient
cependant les plaintes des mères ? elles seules au-
raient pu le dire.
Le grand poète romain Lucrèce voit dans Ten-
fant un pauvre naufragé échoué sur la côte. Le
malheur est le roi d'ici-bas ; il entre dans toutes les
demeures ; il y pénètre sans heurter ; il y a des
larmes dans tout TUnivers. On pleure à Babylone
comme à Jérusalem. Sunt lacrymœ rerum, a dit, avec
un soupir sympathique , Virgile , ce tendre génie à
demi chrétien.
Sur cette terre dont on voudrait faire une demeure
permanente et le bnt final de la destinée humaine ,
l'homme souffre et gémit depuis le berceau jusqu'à
la tombe. N'eût-il d'autre cause d'infortune , sa
double nature suffirait pour le tourmenter. Sem-
blables à deux époux mal assortis et toujours mé-
contents l'un de l'autre, l'âme et le corps se querellent
tant qu'ils sont réunis. Ce sont deux amis qui ne
peuvent vivre ensemble, et deux ennemis qui ne
peuvent se quitter.
Ce moi plaintif qui nous obsède se retrouve à tous
les âges et sur tous les points du monde. L'histoire
de la douleur n'est autre que celle de l'humanité ; et
sur ce globe changeant , le mal seul se perpétue et
règne toujours.
Le sage , dans VEcclésiaste , dit que les morts sont
plus heureux que les vivants. Le livre de Job n'est-il
pas l'évangile de la douleur, la douleur faite honmie?
L'agonie n'a pas plus de frissons , la mort n'a pas
plus de terreurs que ce poème si plein d'enseigne-
ments, qui peint en traits de feu les maux de l'exis-
BT RfFLEXIONS MORALES. 345
tence ; mais il finit par ane résignation sublime ,
par une adoration , comme tout doit finir entre
rhomme et Dien. Dans Hésiode , que d'accents lugu-
bres pour déplorer les amertumes de la vie ! Chez
les Latins ainsi que chez les Grecs , c'est toujours le
même chant lamentable.
Sons la légèreté apparente de quelques-uns de
ses poètes , l'antiquité est mêlée d'une tristesse qui
s'exhale en plaintes injustes et désespérées. A l'en-
tendre , le premier bonheur est de ne pas naître ; le
second, de mourir promptement. Pline s'emporte
jusqu'à dire , que le plus grand présent de la nature
est le pouvoir de se donner la mort. Pascal qui , avec
l'étemelle mélancolie de sa pensée , exagéra peut-
être nos misères, les a décrites avec des couleurs
moins sombres ; à la peinture de notre faiblesse il a
opposé celle de notre grandeur ; s'il nous abaisse , il
nous relève, à la différence de Montaigne qui retient
rhomme à terre , et veut l'y endormir sur Voreiller
du doute.
11 y a pour tous une somme inévitable de douleurs
qui est dans l'essence de l'âme humaine ; la maladie,
la fatigue , les privations , le désir contrarié , la
déception, la vieillesse et la mort, tout ce que le
pauvre ressent , le riche le ressent comme lui.
Démocrite , se trouvant à la cour de Darius qui était
inconsolable de la mort de son fils, promit de le
ressusciter si on pouvait lui indiquer trois personnes
qui n'eussent pas versé de larmes. Il y a des
souffrances en haut et en bas, plus en haut qu'en bas.
La sensation de la douleur est en raison directe de
rétendue de rintelligence. Une simple contrariété
346 PENSEES
abat rhomme placé dans une sitoation élevée ,
l'homme du peuple le sent à peine ; l'éducation dé-
veloppe la sensibilité , ouvre à l'imagination de plus
vastes horizons , et donne par là au mal plus de
prise sur notre âme.
Quand le malheur et des coups inattendus
atteignent les grands et les heureux du monde , ceux
du moins qui paraissent tels , ils frappent plus vive-
ment les esprits et ont un plus long retentissement,
que si les victimes sortaient des rangs inférieurs de
la société ; non point qu'on regarde les pauvres, les
hommes d'une condition obscure , comme faits pour
soufifrir , comme n'ayant guère rien à prendre dans
le bonheur d'ici-bas ; c'est à cause de l'éclat du nom,
de la hauteur de la situation , et parce que tant de
prospérités font croire à une félicité inaltérable >
jusqu'au moment où quelque catastrophe subite et
sans remède vient prouver que nul n'est assuré
d'échapper aux communes douleurs.
La société ne verse pas capricieusement et à son
choix sur nous, la maladie, les tléaux et'lamort. Une
loi souveraine crée la douleur avec ses mille for-
mes, ses pointes acérées , avec sa puissance inéluc-
table. Qui pourrait soutenir la vue de toutes les
souffrances qui l'attendent , si elle était complète , et
telle que le génie de Milton nous la fait concevoir,
lorsqu'il nous représente l'ange du Seigneur trans-
portant Adam coupable sur une haute montagne et
lui déroulant tous les maux de sa race ?
On appelle heureuses les premières années de la
vie. Cependant chaque âge a ses tristesses ; l'enfance
a ses chagrins; seulement ils sont passagers. Le
ET RÉFLKXIONS MORALES. 347
merfeilleax ressort de la jeunesse et de l'inexpé-
rience est prompt à se redresser soas la plas dure
étreinte ; chez les enfants , le présent n'est jamais
dévoré par l'altente : chaque heure prend sa part de
jouissances dans leur petite vie ; il n'y a pour eux
ni passé ni avenir.
Pour juger de l'intensité des peines , il faut con-
sulter Tâge^ le sexe, le tempérament , le climat « les
habitudes surtout. Que voit-on sans cesse ? les uns
accablés par les moindres soucis , les autres à
peine effleurés par les coups les plus rudes. La
trempe de quelques âmes est telle, que les traits de
la mauvaise fortune s'y émoussent comme les pro-
jectiles s'amortissent en tombant sui' le sable. Les
organisations puissantes des peuples du Nord sont
moins accessibles à la douleur physique , que les
fibres délicates de l'habitant des zones tempérées.
Montesquieu ne dit-il pas qu'il faut écorcher un
Moscovite pour lui donner du sentiment? A Sparte,
les enfants , au pied de l'autel de Diane , étaient
frappés jusqu'au sang , parfois jusqu'à la mort ,
sans qu'un seul d'entre eux laissât échapper le
moindre gémissement. A Rome , les gladiateurs ,
tout couverts de blessures , ne faisaient entendre
aucune plainte. Quel art dans leur chute même pour
en dérober la honte aux yeux du public ! Cette im-
passibilité venait de la puissance , de l'habitude, de
l'éducation , et aussi de leur amour des applaudis-
sements.
En général , la douleur qui se répand au dehors
s'atténue par cette diffusion. Il y a un soulagement
inouï à raconter ses peines. Tant que nous les ren-
348 PENSÉES
fermons en nous-mêmes, elles grandissent ; nous réa-
nissons devant noire pensée ce qui pourrait surve-
nir, et l'imagination grossit tout, jusqu'à briser le
cœur. Craindre un mal qui n'arrive point , c'est le
réaliser ; l'avoir craint avant qu'il soit venu , c'esl
souârir doublement.
On a remarqué que les profondes douleurs sont
muettes ; elles mettent à se communiquer par
l'expression une sorte de pudeur mêlée de fieiié ;
elles craignent l'accueil blessant de l'indifférence ;
ce serait une sorte de profanation que de les con-
fier au premier venu. D'ailleurs, des paroles d'in-
térêt et quelques larmes , c'est tout ce que peut
donner la plus tendre amitié, remède qui convient
à des chagrins vulgaires.
On aime souvent à se croire plus malheureux
qu'on ne Test réellement. La douleur prend une
place immense dans la vie de quelques personnes.
Elle absorbe à son profit toutes leurs facultés, se
nourrit d'elle-même, et recherche avec avidité les
moyens de se perpétuer. Tel est pour certaines âmes
le bonheur amer de souffrir, qu'elles s'enivrent de
leurs malheurs, veulent boire le calice jusqu'à la
lie. L'affliction leur tient lieu de l'ami , de la fortune
qu'elles n'ont plus, et il leur semblerait avoir fait
une seconde perte , si elles cessaient de souffrir.
Les plus grandes peines peuvent renfermer quel-
ques douceurs secrètes. Il y a des perles, disait
Young, dans le torrent de l'affliction. Avec quelle
profondeur Platon n'a-t-il pas analysé les rapports in-
times du plaisir et de la souffrance? Nous ne goû-
tons rien de pur, pas même la douleur. Racine
ET RÉFLEXIONS MORALES. 349
connaissait le cœur] humain , quand il fait dire à
Phèdre :
c II fallait biea souTent me prirer de mes lannet. >
On se rappelle ces vers d'un autre poète dont le
sens est que « le seul doux souvenir qui lui reste au
monde , c'est d'avoir quelquefois pleure. -
Il est donc des idées pénibles auxquelles est at-
taché rinconcevable pouvoir d'engendrer un senti-
ment de plaisir. Ainsi, nous ressentons à un tel
point le besoin d'être remués et l'espèce d'inquié-
tude que produit en nous l'absence d'impressions,
qu'au risque d'en recevoir de trop fortes , nous re-
cherchons avec empressement tout ce qui peut nous
émouvoir. C'est ce désir qui fait courir le peuple
autour de l'échafaud , et les gens du monde au
théâtre. En quoi consiste l'intérêt d'un poème , d'un
drame , si ce n'est dans les vives émotions que le
poète sait exciter en éveillant les sentiments de la
terreur et de la pitié? On éprouve une soufifrance
réelle au récit ou à la vue de grandes infortunes , de
situations aûreuses, puisqu'elles nous arrachent des
larmes , nous font trembler et pâlir. Cependant nous
aimons ces sortes d'impressions qui sauvent de
l'ennui , causent le plaisir de la surprise , et en fai-
sant circuler plus vite notre sang , doublent le sen-
timent de l'existence. Le suave mari magno de Lu-
crèce ne signifie pas qu'on se plaît à voir souffrir
les autres; non, ce n'est pas qu'on applaudisse à
l'efiusion du sang, aux angoisses de nos sembla-
bles ; mais les émotions que produisent de tels
350 PENSEES
spectacles , ravivent dans nos âmes la conscience du
bien-être et de la sécurité personnelle.
La nature a rendu chacun de nous sensible à
d'autres infortunes que les siennes. A Taspect d'un
visage inondé de larmes, avant même de connaître
le sujet qui les a £ait répandre , on sent les yeux de-
venir humides, et par cet entraînement sympathique
qui unit les hommes entre eux, et par suite de l'em-
pire que rimitation exerce sur nous ; notre cœur se
serre au seul récit d'un événement funeste qui s'est
passé loin de nous, et dont les victimes nous sont
inconnues.
On compatit aisément aux maux que l'on a
éprouvés et difficilement à ceux qu'on éprouve en-
core; on en est trop absorbé. Les moralistes affir-
ment que , pour avoir le droit d'être écouté de ceux
qui souffrent, il faut avoir soutfert et essayé, comme
Arie , le poignard sur son propre cœur avant de dé-
clarer qu'il ne fait pas de mal. Mais où est l'homme
qui n'a jamais versé de larmes sur lui-même et sur
quelqu'un des siens ? Quiconque a aimé , a pleuré !
Du reste , la pitié n'est pas seulement l'impression
de nos maux passés réveillée par ceux d'autrui;
mais aussi un mouvement instinctif, un élan spon-
tané de l'âme sans aucun retour sur soi. Le spec-
tacle du malheur nous émeut soudainement en de-
hors de tout calcul , de tonte réflexion. On est dans
de bonnes conditions pour apaiser le mal de la souf-
france , quand on peut dire avec Térence : « Je suis
homme , et rien de ce qui intéresse l'humanité ne
m'est étranger. »
La plupart de ceux qui ont voulu discourir sur la
ET RÉFLEXIONS MORALES. 35 i
douleor, au lieu de la considérer sous ses divers
aspects. Tout envisagée à un point de vue étroit,
égoïste ; ils n'ont guère cherché qu'à faire connaître
leur manière personnelle de sentir ; ils ont retracé
leur histoire ou celle de leurs amis. L'esprit d'impar-
tialité leur a manqué , parce qu'ils étaient à la fois
juges et parties. £n raisonnant sur un pareil sujet ,
il faut ne pas songer à soi , être désintéressé , sans
passion, sympathiser avec tout ce qui aime, avec
tout ce qui souffre , sans qu'il soit nécessaire , pour
connaître la douleur, d'avoir passé par les plus
cruelles épreuves de la vie ; d'autant plus que de
grandes afflictions laissent presque toujours, dans
les âmes qu'une foi vive n'éclaire et ne fortifie pas ,
un levain d'aigreur et d'injustice, qui ôte à l'esprit
sa liberté et sa justesse d'appréciation.
Plusieurs écrivains prétendent que l'homme est
tout entier dans chaque homme. Cependant les im-
pressions ne se manifestent pas de la même ma-
nière , ni avec une égale vivacité. Il est des gens
dont la douleur impétueuse et prompte éclate comme
un vent d'orage et passe comme lui. Il en est d'au-
tres chez qui les larmes s'amassent lentement; ils
ont besoin de s'exhorter à pleurer , et ils ne peu-
vent s attendrir sans témoins. On gémit plus haut
quand on est entendu. Il est une intempérance d'af-
Diction aussi bien qu'une intempérance de joie.
S'abandonner sans mesure à la souffrance , est le
propre d'un esprit faible ; mais il y a de l'orgueil et
de la dureté à la braver et à en méconnaître les at-
teintes , à l'exemple de ce sophiste qui , dans le pa-
roxysme de la goutte . s'écriait : « Douleur , tu as
354 PENSÉES
vantablc dénûnient , riioinme seui , en proie à tous
les genres de souffrances? En un mot^ pour se con-
soler un peu de toutes ses peines, il faut penser à
toutes celles qu'on n'a pas; mais notre infirmité est
telle que nous gémissons , tout en sentant que nous
avons tort de gémir.
On se plaint quelquefois d*étre écrasé sous le poids
de ses chagrins. S'ils n'apparaissaient qu'à de longs
intervalles, s'ils étaient toujours légers, s'ils faisaient
place trop tôt à la consolation , où serait l'appren-
tissage de la patience, l'emploi de notre énergie?
C'est par ces coups redoublés que notre nature re-
belle se façonne et que le néant de notre éli'e est mis
à découvert. Ce ne sont pas les biens de ce monde
qui nous ont été promis, mais ceux d'une autre vie
que n'affligent ni les infirmités, ni les outrages du
temps. Après la nuit de la tombe luira le soleil d'une
nouvelle existence. L'homme peut trouver la route
longue ; mais il en sait le terme. Il n'est pas un exilé
qui s'éloigne, c'est un voyageur qui revient et que
l'on attend dans la patrie.
Pour nous exempter de la résignation , nous pré-
textons souvent la singularité de nos épreuves ,
l'excès et le caractère de nos afflictions. Nous pen-
sons loujoui'S que nos croix ne ressemblent pas aux
autres; cette idée même de singularité dans nos
peines , llatle notre vanité et autorise nos murmures.
Nous voudrions que tous les hommes ne fussent oc-
cupés que de nos infortunes , comme si nous étions
seuls malheureux sur la terre ; celai-là se figure
qu'il supporterait facilement toute autre souffrance
que la sienne , et ne demande qu'à changer de
XT RÉFLEXIONS MORALIS. 358
peine « à Hnstar de ce malade qui espère se trouver
mieux en changeant d'air et de position. Mais si les
hommes pouvaient rassembler en un même lieu tous
lenrs maux , il y en a plus d'un qui préférerait rem-
porter tons les siens, plutôt que de prendre la moindre
portion de l'amas commun des misères humaines.
Le premier pas vers la résignation , c'est d'être
convaincn qu'il est nécessaire de beaucoup souffrir.
Les vains efforts d'une imagination exaltée ne peu-
vent tromper les besoins de la nature, ne peuvent
donner une douceur vivifiante à l 'humide vapeur
d'un cachot, ni mettre fin aux battements d'un cœur
brisé. Le philosophe, étendu sur sa couche moel-
leuse, nous dira que le courage dompte aisément tous
les obstacles ; mais si on peut affronter la mort, si tout
homme peut lui faire face , les tourments prolongés
sont d'horribles épreuves que peu de gens savent en-
durer. Sans doute, quand l'homme se redresse et se
lève dans sa force sous les coups du malheur^ quand
il se tourne vers le côté céleste des choses , il
triomphe , s'apaise et se console. Mais Dieu a fait du
cœur humain le clavier de toutes les douleurs. Ne
persuadons pas à notre âme que la pratique du bien
est facile , pas plus qu'on ne doit persuader à l'intel-
ligence , que la science est une récréation ; — habi-
tuons-les, l'une et l'autre à l'etfort, pour que l'heure
du combat ne les prenne pas au dépourvu.
Si le champ de la douleur est vaste , il dépend de
nons de le resserrer par une lutte infatigable dans
de plus étroites limites. Il ne sullit pas de résister un
jour, deux jours; ne dites point : « Cette guerre sera
longue. » Hien n'est long de ce qui finit. Courage
356 PENSÉES
donci 11 est aisé de se croire brave dans la paix;
c'est au fort de l'action que parait la valeur du soldat.
Chacun est bon pilote quand la mer est calme.
Ne nous laissons pas abattre par la mauvaise for-
tune; prenons le parti de souffrir patiemment; la
patience n'ôte pas le sentiment de nos maux , mais
elle les modère. L'habitude nous familiarise avec
les choses les plus pénibles. Il n'est pas de si dure
condition où un esprit judicieux ne trouve quelque
soulagement. Souvent, l'espace le plus étroit, grâce
au talent de l'architecte, a pu s'étendre à plusieurs
usages, et une habile ordonnance rend le plus petit
coin habitable. N'imitons pas Aiadin qui se déses-
pérait, parce qu'il voyait une fenêtre inachevée dans
son palais , oubliant les vingt-trois autres qui étaient
parfaites.
Lorsque l'âme s'irrite contre ses maux , ses maux
s'irritent contre elle. On se punit ainsi soi-même
d'une douleur qu'on ne sait pas endurer. On en
souffre davantage; de plus, on en fait souffrir les
autres, parce qu'on va se décharger sur eux du
fardeau qu'on ne peut porter tout seul. On oublie
qu'il n'est rien dont on se fatigue aussi vite que de la
douleur d'autrui.
La résignation oifre cet inestimable avantage»
qu'elle puise toute sa force dans le cœur même de
l'affligé. Elle n'a pas à subir les raisonnements fas-
tidieux de ces indifférents , de ces consolateurs de
profession qui vous offrent des services qu'on ne leur
demande pas, et quand ils savent, la plupart du
temps , qu'il est impossible de les accepter ; ils
viennent avec ces consolations banales, qui ne con-
ET RÉFLEXIONS MORALES. 357
«oient pas; les afQigés s'y heurtent sans cesse : « Il
est mort, que voalez-vous? nous sommes tous mortels;
et pais , il était si âgé ! on bien , il sonffrait tant ! »
Peu de personnes nous apportent le baume exquis
de ces sympathies qui savent parler et qui savent
se taire. Maladresses souvent d'un bon cœur, les
consolations prématurées ne font que réveiller la
souflBrance ; on ne doit raisonner avec la douleur,
que lorsqu'elle commence à raisonner; mais s'il y
en a qui ne veuillent pas être consolées , il n'y en a
pas qui ne veuillent être partagées.
n est des cas où il serait dangereux de lutter di-
rectement contre la douleur ; nos efiforts pour la sur-
monter seraient une plus grande soufi&^nce. II faut
alors laisser faire Dieu et attendre , en lui disant :
•
« Celui que vous aimez est trop faible ; avec vous
seul il peut vaincre. » Nul n'aurait la force de ré-
sister, si la vivacité des sentiments qu'excitent en
nous les premiers coups de l'adversité, ne s'émous-
sait à la longue. Heureusement , ce destructeur in-
visible qui fait le vide autour de nous , mais aussi ce
consolateur par excellence qui renouvelle, en fuyant,
ce mobile univers , le Temps n'enlève pas moins de
chagrins qu'il n'en apporte. On ne peut souffrir
beaucoup d'une manière durable. La Providence ,
en mère tendre , ne nous envoie que des peines ou
courtes ou supportables. La souffrance et la conso-
lation sont sœurs. Dieu ne laisse jamais sur la terre
une faiblesse sans quelque appui , ni un cri de dou-
leur sans écho. Quelque indifférent que soit le monde,
Dieu a toujours parmi cette foule bruyante et insou-
cieuse ses mains aumônières et ses voix compatis-
358 PENSÉES
santés : le moment vient où il sort da miage et dU à
la souffrance , comme à la mer soulevée : • Ta n'iras
pas plus loin, o L'immortel auteur du Génie du Chri»-
tianisme ne voit dans cette intervention mystérieuse
de la Providence , que le signe de l'indigence et de
la misère du cœur hdmain qui n'a pas de quoi tou-
jours pleurer. Je préfère y reconnaître une preuve
sensible de la bonté divine.
Il serait à désirer qu'on pût dépenser ses peines
au jour le jour , et économiser ses joies pour le len-
demain. Il faudrait aussi avoir le courage de regar-
der ses afflictions en face. L'ennemi est surtoat ter-
rible pour les fuyards ; de même , le mal a plus de
prise sur ceux qui cèdent et reculent II est de bien
meilleure composition pour qui lui tient tète. Il en
est de l'âme comme du corps, qui acquiert du nerf
et de la vigueur en se raidissant. Il est encore cer-
tain qu'on rend souvent la douleur physique légère
et peu dangereuse à force de la croire telle. Ne per-
dons jamais l'espoir de la guérison. La puissance
de Dieu est sans bornes. Combien n'y a-t-il pas
de maladies où la science humaine est impuissante
et qui disparaissent d'elles-mêmes? L'espérance est
la plus utile de toutes les affections de l'Ame : elle
entretient la santé par le repos de l'imagination , et
répand dans le sang une douce et vivifiante chaleur.
Espérer, c'est jouir. Celui qui donna tout ce qu'il
avait et ne se réserva que l'espérance, ne se fît pas un
si mauvais lot , puisqu'il garda pour lui tout ce qu'il
y a de plus doux dans la vie.
Un remède efficace contre la souffrance , c'est
d'abord la prière, si douce au cœur de l'affligé; elle
ET RÉFLEXIONS MORALES. 359
le nàkve t l'apaise et le fortifie. Nous devons nous
abreuver de cette rosée céleste qui nous est aussi
oécessaire que la pluie aux arbres. Privés d'eau, ils
ne partent aucun fruit ; et sans le salutaire rafraîchis-
sement de la prière , nos âmes demeurent stériles
et mortes aux bonnes œuvres. La prière est un cri
d'espérance ; si , comme tout le prouve , il y a là-
baat an être souverainement bon^ un témoin invi-
sible et doux de nos actions , un père dont la clé-
mence égale la justice, il faut nous tourner vers lui
danjs nos joies , surtout dans nos tristesses , puisant
dans ce commerce intime , des forces nouvelles
pour porter jusqu'au bout l'épouvantable fardeau
de la vie. Qui s'adresse à lui, fût-ce pour la millième
fois , toujours reviendra soulagé. Douter de Dieu , ce .
serait douter de la vie elle-même ; on peut délaisser
cette croyance à la première ivresse ; mais on est
heureux de retourner vers elle k la première larme.
Visitons souvent les pauvres , aimons-les surtout :
rien ne leur manque autant que l'amour. L'aumône
matérielle ne vaut pas cette tendre compassion , ce
regard, cette parole qui consolent et encouragent.
D'un autre côté , rien ne rafraîchit le sang et ne
rassérène l'âme , comme de secourir ceux qui
souffrent On acquiert aussi , bien plus «ju'on ne
donne : le contact du pauvre enrichit , parce qu'il
rend au centuple en foi, ce qu'il prend en charité.
Livrons-nous à de sérieuses lectures où Ton
respire un air plus fortifiant , plus pur, et que Ton
fait non en esclave qui remplit une tâche , mais en
enfant de Dieu qui revient à son père et qui attend
tout de sa miséricorde.
360 PENSéBS
Le travail est aussi un puissant moyen pour
triompher des torpeurs de la tristesse et de l'aigaU-
Ion de la souffrance. Contemporain de l'homme , il
a précédé Tintroduction du mal dans le monde : il
était une loi avant de devenir une expiation; il
commença au moment où l'homme reçut des mains
de Dieu l'investiture de sa royauté terrestre. Il y a
dans le tmvail même le plus humble et le plus pénible,
quelque chose de calmant et de sanctifiant. L'inerte
contemplation de ses douleurs exerce sur l'âme une
influence malsaine et dangereuse. Les événements
extérieurs nous envoient la souffrance à l'état brut ;
c'est à la transformer comme toute autre matière ,
que nous devons travailler. L'âme se fait son corps,
a dit un grand médecin ; on peut dire avec plus de
vérité : l'âme se fait sa douleur. Nos défauts et nos
imperfections entrent pour beaucoup dans l'amer-
tume de nos plus réelles afflictions.
Il est difficile de persuader à l'homme que ce qui
l'attriste puisse jamais tourner à son profit : aussi
rêgarde-t-il la souffrance comme la plus cruelle en-
nemie du genre humain , comme un tyran impi-
toyable qui poursuit ses victimes sans relâche , et
frappe à toute heure l'enfance et la vieillesse, la
faiblesse et la force.
Cependant, n'est-ce pas de la douleur que vient le
premier sentiment qui nous fait connaître l'existence?
Elle est une sensation utile y le cri de l'organe souf-
frant ; c'est un gardien vigilant qui signale au cer-
veau des ennemis internes que les sens ne peuvent
apercevoir , et qui menacent incessamment notre
existence.
ET REFLEXIONS MORALES. 361
S'Q se pouvait que , sans avertissement , à notre
insQ , le feu désorganisât nos tissus , que le fer péné-
trât dans nos chairs , nous n'aurions aucun moyen
de nous garantir de la destruction , et l'homme se
donnerait quelquefois la mort par inadvertance.
C'eût été le condamner à périr que de ne lui laisser
de sensibilité que pour le plaisir. Comment rem-
placer l'aiguillon de la douleur , le frein d'une souf-
france aiguë et croissante , par un simple dégoût ,
par l'attrait d'une jouissance ou par un avertissement
. qui ne fût pas une torture en même temps qu'un
avis ? Que de fois , sous peine de mort , il faut s'abs-
tenir, s'arrêter à l'instant même, quand nous sommes
poussés en avant par le plaisir ? Que de fois la pas-
sion ou une simple distraction ne nous empêcherait-
elle pas d'écouter les conseils de la raison , même
les plus essentiels à notre existence , s'ils n'étaient
pas sanctionnés aussitôt par une vive douleur ? Il
fallait ce ressort énergique , surtout pour les enfants
et les êtres chez qui la raison ne joue qu'un rôle
secondaire. L'ordre voulait que nous fussions avertis
par la preuve immédiate , incontestable , irrésistible
du sentiment de ce que nous devons faire pour con-
server notre vie.
La soufifrance est un moyen de reconnaître si un
individu supposé mort est réellement décédé. Com-
bien de gens effrayés de ces récits affreux dont plu-
sieurs sont très-authentiques, de morts vivants res-
suscites dans la tombe , recommandent de vive voix
à un ami ou prescrivent dans un acte de dernière
volonté de leur brûler ou inciser certaines parties
du corps, persuadés qu'ils échapperont ainsi à l'hor-
rible possibilité d'être ensevelis vivants !
36S PEi«si£S
Les douleurs , lorsqu'elles ont disparu , ae trans-
forment souvent , après un temps plus ou moins
long, en réminiscences agréables, tandis que le sou-
venir du bien-étret double le mal présent : il n'est
pire misère, dit le Dante, qu'un souvenir heureux
dans les jours de malheur.
Si donc le plaisir nous donne la conscience du
bien-être de la vie , la douleur nous avertit des dan-
gers qui peuvent la compromettre ; l'un nous &it
aimer l'existence , l'autre nous donne une salutaire
frayeur de la perdre. Ajoutons que le moindre des
plaisirs qui ne serait pas senti par l'être constamnlent
heureux, sera goûté avec délices par l'homme in-
fortuné. Oiielle n'est pas la joie d'un détenu qui,
après avoir subi sa peine, soil d'une prison obscure,
revoit la clarté du jour, et recouvre la liberté ? Une
femme qui vient d'être mère est d'autant plus heu-
reuse que ses souffrances ont été plus vives.
Ovide trouve Niobé heureuse d'avoir été changée
on rocher et d'être devenue insensible par l'excès
de s<»s maux. Cicéron pense avec raison que , dans
les peines morales, le comble du malheur est la pri-
vaticui du sentiment. Enlever la connaissance du
mal , ce serait enlever celle du bien , et enfin
anéantir l'homme. Qui voudrait remplacer par les
oHrillationH d'un pendule les battements de son
cuMir ?
Uiiniques philosophes ont prétendu à tort que tous
hm pluinii^s n'étaient qu'une cessation de la douleur.
Pin ton, dans le IX' livre de la République, énumère un
certain nombre de joniss^uices qu'aucune souifirance
n'a précédées. Lorsqu'en efifet nos yeux viennent à
ET RÉTLKXIONS MORALES. dM
8'oaTrir inopinément sur un charmant paysage ,
lorsque dans le même moment nous respirons un air
embaume des senteurs du printemps , nous éprou-
vons un doux plaisir , sans avoir senti nécessaire-
ment un malaise antérieur.
La sonfihince importe sans doute à la vie physi-
que, mais elle n'importe pas moins à la vie intellec-
tuelle et morale; elle est le grand stimulant de l'ac-
tivité humaine. La douleur de la misère, de la
persécution est quelquefois nécessaire pour échauffer
le génie, exciter le mérite et les talents paresseux.
Le malheur a souvent développé en nous des sen-
timents> des lumières et des forces que nous ne sa-
vions pas posséder , parce que nous n'en avions pas
besoin, et qu'un sort plus propice eût certainement
laissés dans l'inaction. Le génie de la douleur est
peut-être le plus fécond de tous. N'est-ce pas aux
tortures de la captivité , à dix années de martyre ,
que nous devons le livre des Prisons de SUvio-Pellico,
livre admirable , qui apprend à souffrir et dispose à
une si généreuse indulgence? N'est-ce pas la douleur
qui arrache à David, le prince de la lyre sacrée , ces
magnifiques accents qui retentissent dans nos
églises ?
La douleur est utile surtout au point de vue de la
vigueur morale et du perfectionnement de l'homme.
C'est une des grandes forces de la nature ; elle
ajoute à ce qu'elle ne détruit pas. La tribulation est
à l'âme comme un marteau qui la frappe, et qui,
en la battant, la fait briller d'un plus vif éclat. Ainsi
encore^ le soc de la charrue déchire la terre, mais il
la féconde. Ainsi , le nocher s'aguerrit pendant la
364 PENSÉES
tempête; ainsi, le chêne des montagnes se fortifie par
les secousses et s'affermit par le temps. L'amoar
maternel ne grandit-il pas dans les larmes î Plus la
mère a souffert pour son enfant, plus elle aëprottvé
d'appréhension et de terreurs , plus elle s'attache à
lui ; et s'il meurt avant même qu'il ait pu com-
prendre les caresses de sa mère , elle en concevra un
si profond chagrin, que peut-être elle n'aura pas la
force do lui survivre ;
Car, rieii n*est plus puisant que ces petits broi morts
Pour tirer promptement les mères dans la tombe,
dit un poète.
Le malheur donne je ne sais quoi d'acUevé qui
ajoute aux grandes vertus. Autrefois un lieu frappé
do la foudre devenait saci^ : emblème sublime du
rospocl qne l'on doit au malheur.
l^ pn)spêrité nous remplit souvent de fausses il-
lusions ; enivré dos faveurs du monde , on tombe
dans Toubli do sos fautes, et on s'imagine que Dieu
los a paroillomont oubliées. Le malheur est le seul
niaîlrt^ qui puisse nous reprendre utilement , réveil-
ler dans la oonscionoo le sentiment endormi de la
justice divine, ot ivndro à nos yeux la véritable
vue dos choses. Il nous porte à réûëchir sur nos
ogattMuonts, à (;\iro un sérieux retour sur nous-
mtMuos» 1.0 tow]\s do radvorsité est à Tàme ce que
rhivor osl A la torro: la saison où Ton ensemence,
nîou no nous abandonne pas impuissants el déses-
pt^n^ a lompin^ du mal ; il en fait jaillir les eaux
vixTs comme du roc au dosert ; sa colèf« tonne
ET K^FLEXIONS MORALES. 365
pour nous prévenir qne la foudre peut rencontrer
nos têtes; mais, de même que les moissons ont
besoin de rosée pour mûrir, de même l'homme a
besoin de pleurer pour montrer ce que vaut une
âme, le degré de sa constance et de son amour.
Et l'amitié ne doit-elle rien à la douleur? les
mêmes afQictions sont un lien puissant entre les
hommes. Dans le mélange aussi de leurs larmes ,
ils éprouvent un grand soulagement : on souffre
bien moins quand on souffre en commun ; on
suspend le cours de ses larmes, en essuyant celles
des autres : pleurer ensemble, c'est se consoler. Tout
sépare dans le bonheur, tout rapproche dans l'ad-
versité : parlez de ses devoirs à un homme , sans
sujet d'afQiction , il est sourd à vos conseils ; s'il
tombe dans l'infortune, il vous recherche, il aime
à vous entretenir de ses chagrins , il est sans goût
pour les bruyantes distractions auxquelles il se livrait
naguère.
La douleur est souveraine pour apaiser les feux
de la passion ; en même temps qu'elle nous ôte
ce qui nous dégrade, elle nous donne ce qui nous
ennoblit. L'homme dur ne souffre pas sans se sentir
porté vers la compassion , l'homme hautain vers
l'humilité , le voluptueux vers la chasteté , l'homme
violent vers la douceur. Nul ne sort amoindri de
cette grande fournaise des douleurs : l'immense ma-
jorité y puise des vertus qu'elle n'avait jamais
connues ; l'impie devient religieux ; l'avare oublie
sa fureur insatiable d'amasser ; le inaitie a plus
d'égards pour ses serviteius.
11 y a dans la douleur un principe de force et
366 PENSÉES
de virilité ; mais celoi qui court après les plaisirs
commence aussitôt à décroître. Avec l'habitode de
céder, il perd jusqu'à la mémoire de l'eifort; avec
riiubitude de tomber, jusqu'au pouvoir de se re-
lever. La vitalité et Ténergie des puissances de
l'âme, l'élasticité et la force des muscles du corps,
tout s'use dans le plaisir, parce qu'il a quelque
chose de dissolvant et de corrupteur qui porte en
soi une mort silencieuse et cachée. Malheur à qui
ne réniste pas à sa voix aussi perfide et aussi douce
que celle des antiques sirènes I L'enfant qui s'y
abandonne ne voit pas l'adolescence ; l'adolescent
y trouve les cheveux blancs ; les vieillards y trouvent
la mort.
I/liommc dit sans cesse qu'il n'aime pas la souf-
franco ; voyez pourtant comme il méprise le guer-
rier invuhiéruble ou couvert d armes enchantées!
Il Hi»nt qu'il n*y a pas de mérite là où on ne peut
Hoiiflrir, nt que la véritable grandeur consiste non
pas en ce que le fort, l'invincible par nature
triomphe du faible, mais en ce que le faible sache
tn)nv(*r dans Ha faiblesse môme de quoi vaincre
et Hurpiisser le fort.
Il nainie pas la soutfrance, et voyez le cas qu'il
«n fait ! (lonnuo il est ticr d'en porter sur sa per-
Honno h»H traces nombreuses ! 11 se plaît à montrer
t\ liuiH les yiMix les glorieuses cicatrices de ses
i»li»nHun^H et do «es diWouomenls.
Pnrtttnt riiouinio a rendu un culte aux grandes
infortunes, (Ivlipe est plus urand au jour tlo suu
malheur qu'aux joui-s do >;» i;li>iir. Son nom sérail
i^tnoiv , hi la coiùix* divine ue Tavait renversé de
ET RÉFLEXIONS MORALES. 367
son trône. La mélancolique beauté qui s'attache à
la figure de Germanicus lui vient du malheur qui
le frappa^ et de sa belle mort, loin de sa patrie,
et du ciel de Rome. Marius, qui n'est qu'un homme
cruel lorsqu'il est élevé par lu victoire, devient
soblhne lorsque sa triste destinée l'oblige à cher-
cher un refuge dans les marais de Mintume (1).
En résumé , je pense que la douleur est un
mal , source de grands biens , et je comprends
qu'on vieil auteur ait pu dire : a Si Dieu nous eût
donné tout à souhait, il faudrait le prier de nous
faire Taumône de l'empêchement. » Le sentiment
de la souffrance est plus vif et plus durable que
celui du plaisir; il était nécessaire qu'il en fût
ainsi, dans l'intérêt même de notre existence; il
importe plus encore de repousser le mal que de
se mettre en possession d'un bien.
Mais ici , j'entends l'éternelle interrogation , la
vieille plainte du genre humain : Pourquoi Dieu
s'esl-il montré si sévère envers sa créature? Qu'a-
t-il besoin de notre sang et de nos larmes 7 Ne
pouvait-il nous rendre heureux sans nous rendre
misérables ? Ces pourquoi de l'âme gémissante
ont, dans tous les temps^ été l'écueil de la raison;
cette grande énigme a tenu en échec toute l'an-
tiquité, et Ta arrêtée comme un sphinx à la porte
du temple de la Philosophie.
Chez les Grecs^ les stoïciens attribuaient le mal à
la fotaiité, à^la nécessité, à l'imperfection essen-
tielle de la matière. Les «épicuriens rejetaient tout
(i; Uouoto-Corlèft.
368 PENSÉES
sur le hasard , mot vide de sens dont nous couvrons
notre ignorance. L'état de souffrance dans lequel
viennent au monde les enfants fit dire à Gicénm
a qu'ils naissent sous un ciel irrité, pour expier sur
la terre quelque crime commis dans une antre vie. •
La philosophie orientale croyait aux lattes éter-
nelles de deux principes ennemis : erreur sonvent
reproduite par les sophistes de TOccident. Manès
bâtit sur cette opinion un vaste système plein de
fictions bizarres. D'après Platon, la Cause première
a créé le monde le plus parfait possible pour des
êtres imparfaits. Leibnitz, Pope, soutiennent que tout
est bien^ que ce qu'on appelle le mal, amène souvent
des événements heureux. L'adultère de Tarquin
chasse les tyrans et ouvre l'ère de la grandeur
romaine ; les persécutions sont la gloire des martyrs;
l'Église ne fut jamais plus fervente et plus pure que
lorsqu'elle fut plus affligée; le vice met la vertu en
relief, et la tempête fait ressortir l'éclat d'un beau
jour.
A la vue du désastre de Lisbonne , en 1755 , Vol-
taire déploie en divers écrits une verve satanique
contre les optimistes. J.-J. Rousseau lui adresse une
lettre où il propose cet amendement : que tout est
bien pour le tout. Cette croyance a survécu et sur-
vivra à l'ironie cruelle de l'autem* de Candide et aux
accents désespérés d'un autre grand poète , lord
Byron.
La philosophie , en agitant ces problèmes de la
destinée, creuse des abîmes ((u'elle est impuissante
à combler. La masse de l'humanité n'a ni le temps
ni le courage de peser tous ces systèmes, et de s'en-
ET RLFLEXIONS MORALES. 369
foncer dans ce travail de beaucoup de peine et de
pen de profit, matières d'ailleurs qui soulèvent des
questions trop ardues et trop au-dessus des intelli-^
gences ordinaires. L'élite même des penseurs ne
cherche-t-elle pas, en tâtonnant, le sanctuaire de la
phQosophie? Descartes ne trouve à admirer dan»
Platon que sa franchise à déclarer qu'il n'a rien dé-
couvert de certain ; Joufiroy pense qu'il n'y a au*»
cune vérité reconnue , sans quoi il n'y aurait pal
autant de philosophîes que de philosophes : il n'y
en aurait qu'une ; Cousin avoue que la science est
encore au maillot , et il rappelle ce mot de Pascal^
que « se moquer des philosophes, c'est philosopher. •
La sagesse antique s'était voilé la tête et se per-
dait en conjectures sur l'origine du mal ; cette énigme
avait irrité l'orgueil humain jusqu'au blasphème,
ainsi qu'on le voit dans Juvénal , dans Pline l'Ancien
et dans plusieurs autres écrivains abandonnés à leurs
propres lumières. Le révélation seule dit clairement
quelle est notre destinée ; seule elle a expliqué le
terrible mystère de la douleur.
Sous un Dieu juste , nul ne doit être malheureux
qu'il ne l'ait mérité ; or, l'homme est malheureux^
il l'a donc mérité. Il est vrai que les animaux souf-
frent sans avoir commis aucune faute ; mais étant
créés pour l'homme , pour ses besoins , pour son
utilité et son plaisir, en les frappant. Dieu atteint
l'homme dans ses biens matériels , dans ses affec-
tions ; c'est lui qui est châtié , éprouvé en eux.
D'un autre côté , l'homme n'a pas de rivaux dans
cette vaste arène de la souffrance, qui offre pour lui
trois caractères nouveaux : l'intensité , la durée , la
S4
370 rKNSÉ£S
inorulité. A l'homme seul lu réllexion qui redoubla
la peine , la cherche dans le passé et dans l'avenir ;
à lui seul cette appréhension continue de la mort
qui étend comme un voile funèbre sur toute la vie.
A l'exemple de Job , Thumanilé tout entière poor-
mit s*écrier : Domine , mirabiliter me cntaas / Maïs
l'homme n'est malheureux, entre tous, que parce quil
est grand entre tous ; et il est grand, parce qu'il se
connaît misérable.
La religion chrétienne, qui seule a donné un sens
à la douleur , dit à chacun de nous : « Ta souffrance
«st méritée ; accepte-la de la main de Dieu ; ton
juge sera ton consolateur ; souffre pour conquérir
une éternelle félicité, u Elle nous apprend que le
mal physique et le mal moral sont entrés dans le
monde par la faute du premier homme. L'idée qoe
nous sommes déchus, dégénérés, se trouve chea
tous les anciens peuples. Le dogme de la rédemp-
tion , contre-partie de la chute , n'est pas moins
répandu. D'après les traditions universelles, on a
toujours confessé cette dégradation primitive , la
réversibilité des mérites de l'innocence pa3raiit pour
le coupable, et le salut par le sanfr« L'usage des
sacrifices^ les immolations humaines n'ont été qu'une
horrible forme de cette antique crovunce. L'homme ,
jusque dans ses plus redoutables égarements, restait
fidèle à une loi mystérieuse qui venait d*en-hnat;
et la grande viclime du Golgotba nous a été donnée
comme le denùer des sacrifices de k terre , comme
l^ctomptîssement divin de tout ce qne lliamamté
avait pressenti.
La <>efi(eiKe do condamnation dont Adam et , pnr
IT r£fL£X10ICS M0EAL£S. 371
floite y tootea les générations ont été fiuppés , ne
s'aecorde pas à la première vue avec la justice de
Diea, et surtout avec son inépuisable miséricorde.
Mais on comprend que la désobéissance , que la
prévarication du premier honmie, la plus grande des
prévarications, altéra son organisation physique et
morale, et qu'il n'a pu transmettre que ce qu'il avait
Ainsi, le tronc qai meurt ?oit mourir ses rameau!*
Et la source infectée infecte ses ruisseaux.
Dès le jour de la chute , il plut à la bonté divine
de promettre un réparateur; de sorte que la ré-
demption est aussi ancienne que la &ute. Si Dieu
frappe, il guérit ; s'il plonge dans les abîmes , il en
retire quand l'heure est venue. L'homme est une
énigme dont la désobéissance originelle donne le
premier mot, et la rédemption le dernier. Déchéance
et réhabilitation sont les deux pôles autour desquels
roulent tous les mystères de la nature humaine.
Nous ne pouvons pas juger de la justice divine par
la nôtre, qui est une justice d'égal à égal, tandis
que celle de Dieu est une justice de l'infini au fini ,
du Créateur à la créature. D'ailleurs, sur cette terre
même, n'y a-t-il pas jusqu'à un certain point , entre
les fils et les pères , solidarité des £autes et réversi-
bilité des mérites ?
Sans la transmission du péché et de la peine , le
dogme de la rédemption qui est. tout le christia-
nisme, s'écroule, et avec lui tous les autres dogmes.
Le monde ne s'unit plus à Dieu par Tbomme ; toutes
les harmonies de la création s'évanouissent . tous
les liens se rompent, le chaos est en toutes choses et
tout retombe dans le chaos.
■ • 9
• f
km
/.viiî pa? pris
ET RÉFLEXIONS MORALES. 373
pas mort pour tons sur nne croix , le reptile que
j'écrase sous mon pied serait à mes yeux moins
méprisable que Thomme , à considérer Taveugle-
ment de son intelligence , la faiblesse de sa volonté ,
les honteux mouvements de son cœur, l'ardeur de
sa concupiscence, et la perversité de ses inclinations.
Dieu a permis le mai moral ; ce n'est pas la môme
chose que le vouloir et le faire. Pour Tempôcher ,
&llait41 qu'il enchaînât notre liberté , qu'il n'eût fait
de nous que des automates , se portant au bien
comme par nécessité ? Alors où serait le mérite de
la vertu? Nous plaidons toujours les circonstances
atténuantes pour nos faiblesses , pour nos misères
trop souvent flattées. Nous réclamons la remise de
toutes nos dettes , sentant notice impuissance à les
payer avec nos propres ressources. Nous aimons à ne
voir en Dieu que sa bonté , parce qu'elle nous
rassure sur nos désordres ; nous oublions sa justice ,
parce qu'elle intimide nos passions. Mais la bonté
dans Dieu n'est pas une sorte de penchant, d'instinct
aveugle , sans lumière et sans règle. Ne séparons
pas sa miséricorde de sa sagesse , de sa justice, de
son empire souverain sur tout ce qui vit et respire.
Dieu doit agir en Dieu. Il ne faut pas seulement
envisager sa qualité de père , mais celle de roi de
Tunivers , de législateur suprême. Dieu qui voulait
créer des êtres pour les aimer et pour en être aimé,
pouvait-il mieux faire que de leur donner un cœur
maître de ses préférences ?
Nous ne considérons que Tinstant et le lieu où
nous sommes ; il n'y a que le tout qui pût donner
la clef des mystères qui nous environnent ; et le tout
i
=îw reôpra «t «e* d.-r*tr5** mrbfs . ce serait le
sine of-ru^:^ çc tîJ^ i^ à^ ikin^at koBiae. Dass
^p&;<e : « î>*irx zr»* z^TfjLZJZfL «
di: s bi«î dir5> 3cc ^.•ir'V ôrm» . l'Art ée
M. Aansce N<v:kl5. ^iLzr^-rr dz pÀï b«a« fiire qoi
ait parc duxs c^ ^9êc> 5;ar il rfâzSoa . de laTeo de
Axec n.-^ r::«r=:r7v^ *-: z>:^ 'rvajfbêBCS ao nqet
de iK^ G^Tix . i2-:<:> :^fs%?e2£r«k>B« a nusccte qui
croirait qae > C-cSp es: bcuîerer» îocrt entier .
panre qc'cne ^«^ne c*ei3 izrait pêDëtrê JDsqpi'à
sa derae&re. L>:re icrr; lôes dessems nfinis: Vétrt
éternel travaîlle >:-ur leteraite: Diea seol a les
secrets de D'.eo. Le prcp-n? de '.'hifini • n*esl-ce pas
d'étie ÎDcompnébeDsib^e a t03t aotne qo*a hii-mème ?
Noos voulons que le souTerain maître noos explique
ses projets sor TuniTers . qujind k< moindres mon-
Tements de notre corps notent pour Vinke couTerts
d'un voile impu^netrable. La nature a ?es obscnrités
et ses profondei:rs: comment 1.^ religion n'aoïaît-elle
pas ses mystères !
Tout être créé est nécessairv'ment borné • par
conséquent imparfait La perfection ahsolae n'est
qu en Dieu Des créatures avec des focnltés sans
limites seraient égaies à la divinité. Un homme
n'est pas censé bon, à moins qu'il ne fisse tout le
bien qu*ii peut; tandis qu'il est impossible que Dieu
fasse tont le bien qu^il peut, puisqu'il en pent fiire à
i'intini. Qui fixera le degré auquel la bonté divine
doit s'arrêter 7
y
£T RÉFLEJCIOMS MORALES. 315
Ne prenons pas le bien et le mal dans an sens
absolo ; ce sont des termes purement relatifs et vrais
seulement par comparaison. Ainsi, on instant de
sopfirance ne doit pas être séparé d'une existence
entière où le bien domine ; ce n'est que l'absence
d'une jouissance continuelle. Une douleur légère est
préférable à une douleur plus vive ; et l'existence
habituellement douce, si elle est coupée par quel-
ques moments de soufifrance, constitue un état
moins heureux que si le plaisir avait duré constam-
ment 11 n'y a aucun degré de bien qui ne soit un
mal par rapport à un degré supérieur. S'ensuii-il,
comme le prétend Bayle , le père de l'incrédulité
moderne, que Dieu ne soil pas bon parce qu'il ne
nous rend pas heureux de la manière dont nous
voudrions l'être? Job loue Dieu sur son fumier;
Alexandre , maître du monde , n'est pas satisfait ;
saint Paul se réjouissait dans ses souffrances. Qui
prendrons-nous pour juge de la bonté, divine?
Nos désirs ne sont pas toujours justes et sages ;
ce qui est un bien pour nous, devient quelquefois uu
mal pour d'autres. N'oublions pas que tous les
besoins, toutes les souffrances de l'homme sont le
principe de ses connaissances , de ses plaisirs , le
fondement de la vie sociale et de la civilisation.
Nulle volupté sans désirs, et nul désir sans besoins;
le plus stupide des peuples serait celui dont toutes
les volontés seraient satisfaites sans travail et sans
peine.
Si la nature eût tout donné à chacun de nous , il
y aurait sans doute égalité; mais chacun, trouvant
en soi-même toutes les jouissances, n'ayant rien à
976 PENSÉES
demander à personne, aurait vëca isole, et dèa
lors la société n'eût pas été possible, parce qa'die
ne vit qae de la diflférence des rangs et dès posi-
tions. S'il n'existait pas de pauvres , on ne vectait
pas de ces professions ntiles et nécessaires qui font
toute l'harmonie du corps social. S'il n'y avait que
des riches, toat le monde resterait dans l'oisivetë ;
tout périrait. Le sentiment du besoin que nous
avons de nos semblables est le plus fort lien qui
nous attache à eux et nous porte à les secourir. Si
tout était œil, où serait la bouche, dit saint Paul 7
Mais pourquoi celui-ci nait-il dans la misère, celui-
là dans l'opulence , sans qu'ils aient rien &it pour
justifier cette position? Aux uns, rien ne réussit, à
d'autres, tout semble sourire. Puisque Dieu est sou-
verainement bon et juste, il ne peut agir par caprice
et avec partialité. Chaque chose se fait avec un but
intelligent et a sa raison d'être. Les vicissitudes de
la vie ont donc une cause , et cette cause est néces-
cessairement juste. U n'est point de la sagesse divine
de conduire les hommes par les même voies , par
les mêmes moyens et de la même manière; mais
de diversifier à l'infini les routes par lesquelles ils
marchent vers le terme. Sa justice n'est pas astreinte
à départir à tous des secours également puissants
et abondants ; il ne demande compte à chacun, que
de ce qu'il lui donne ; il ne doit rien à personne.
Qui sommes-nous , pour disputer avec Dieu , la
source et le maître de la vie? La terre, dit-elle au
potier : c Pourquoi m'as-tu faite ainsi ? » Lorsque
nous jetons des pierres contre le ciel, elles retombent
sur notre tête. D'ailleurs, il ne fout pas regarder la
ET R£FLEXIO!fS MORALES. 377
vie comme ane affiiire de plaisir : noas vivons dans
on monde où éclate la fondre , sur des bords où les
chagrins ont fixé leur démeure , où habitent , dit le
poète* les pâles maladies et la triste vieillesse.
Id-bat» chaqae lyre a sa corde plaintife (!}•
Cependant, n'exagérons point les peines insépa-
rables de l'existence : quand on suppute la somme
des biens et des maux, on devrait tenir compte des
jonissances dont la durée l'emporte sur la vivacité,
comme le plaisir de vivre, de respirer, de se mouvoir,
de penser. Tout mis dans la balance, on aime mieux
être que n'être pas, abstraction faite de nos immor-
telles destinées. Nous nous lassons de tout ; l'homme
n'est jamais rassasié de vivre ; on aime à murmurer;
il y a du plaisir à se plaindre , mais il y en a plus
à exister.
En remontant à la source des maux terrestres ,
beaucoup sont la conséquence naturelle de la con-
duite et du caractère de ceux qui les endurent. Com-
bien d'hommes tombent par leur propre faute I Que
de gens ruinés ou misérables par manque d'ordre ,
de prévoyance I Que d'unions malheureuses, parce
qu'elles sont un calcul d'intérêt ou de vanité , et
que le cœur n'y est pour rien I Que de dissensions ,
de querelles funestes on aurait évitées avec plus de
modération et moins de susceptibilités ! Que de
maladies et d'infirmités sont la suite d'excès en tous
genres ! Que de parents malheureux dans leurs en-
fants, parce qu'ils n'ont pas assez combattu les man-
(1) V. le beau poème de la Providence, par M. VidailleL
378 fWJSÊB
Tais penchanU, et oai laissé se dêieio|nicr ca
tous ies eermes de l'onroeil , de i'êçoisnie et de b
Toiapté ! Que de paresseux préfèrent être à dbmtmt
aox antres. piat^M que d'atiii^er leors bras oa ker
iiida«tne ! Que de paorres doct ilntempéiance en-
eioQtlt aassîtôt toat ce qulls ont ramassé !
Combien de plaintes aussi destituées de toot fim-
dement ! Le^ heureux, sans le saToir, forment ici-bas
les trois quarts des mécontents. Noos sommes de
grands fabricants de douleurs : partout et toojoors
nous en faisons : nous abusons de toot ; aTeoglés
par la joni«§ance. nous ne savons jamais préTenir la
satiété: quelques jours d'ennni et de déiçoût ont
bienttjt effacé des années de félicité. Nous sommes
si insrats envers le bonheur qui n'est plus! Peo sa-
tisfait de ce qu'il a. jaloux de ce qoll n'a pas,
1 homme désire encore an sein du plaisir. Il t a too-
jours dans le b<>nheur d autrui quelqne cbose qoi
manque au n*jtre.
n est vrai qn'il restera éternellement dans llio-
manité une part immense de malheurs à laquelle les
meilleurs conseils ne peuvent pres«]ue rien. Sans être
au nûm*:*re des plus disgraciés du sort, on éprouvera
bien des soutt tances irrémédiables qu'amènent la
pratique du monde et les épreuves de la civilisation-
Ainsi, ils ne sont que trop réels les maux du père de
famille qui. eût-il le nécessaire, se sent, par le manque
de fortune , boi-s d'état de procurer à son fils une
éducation convenable . de donner à sa fille le mari
qu'elle aime, d'entreprendre le voyage qui rétablirait
la santé de sa femme : et i] ne dire des vrais pauvres,
de cette incertitude toujours renaissante du pain de
ET REFLEXIONS MORALES. 379
chaque jour, de cette crainte d'ane infirmité mineuse
on d'un chômage désastreux ? Mais soyons plus mo-
dérés dans nos souhaits , plus réservés dans nos dis-
cours, plus raisonnables dans nos projets, plus sobres,
plus tempérants, plus laborieux, plus éloignés des
vices qui énervent le corps et Tâme , et , sans pré-
tendre tarir la source de la douleur , nous verrons
disparaître un grand nombre des maux que nous
8onffit>ns. Nous courons , par nos imprudences, pré-
maturément à notre perte. C'est ce qui a fait dire à
un célèbre physiologiste de nos jours : • L'homme
ne meurt pas . il se tue. »
Le bonheur n'existe nulle part tout entier; il est
partout avec mesure et partout passager, hors dans
son seul auteur. Un jour, en voyant à TObservatoire
des astronomes chercher les secrets du monde pla-
nétaire , un rustre s'écria : c Ils ont beau regarder ,
ces astres ne sont pas moins pour nous que pour
eux. » On en peut dire autant du bonheur ; les pau-
vres qui savent être pauvres, qui ont le courage de
l'être, se trouvent, lorsqu'ils sont sages, aussi près
de lui que les riches. Il est au dedans de chacun de
nous, le malheur est au dehors, et nous Talions
chercher.
Le bonheur terrestre , si court , si incertain , tra-
versé par tant de nuages , n'a pu être le but final de
la Providence en nous créant. Il n'y a en cette vie
que des commencements et des ébauches de bon-
heur. Attendre son bien-êti*e de la nature physique
on de la nature morale, de l'impression vivifiante
d'une belle journée . des douceurs bourgeoises du
foyer domestique , ou du jeu régulier et calme de
:x«-->i:^ r >K-c- ?c«Bt se faire le jonet d^me
. V - • r.-:--^ * 1 àa: à l'homme an idéil qn
1 T^^s^r- t»r-rî?aw : il &iit qu'il tienne i
• >«r :-r î *s -05 ini^ qQÎ est pins qne loi,
s. -.'■'.•% .-^in: i citaocellet qoi reste qnand
. -: ^v wi^* £ias 5n prison, elle ne requre
-,— igij; si»a vol Ters une sphère pins
^ .kv...T rit .'^Knf natore sensible; elle tend
>.i ^ -.«^1. e ^ar&it qoi ne se troannit
-.^ .vt<.> vr^s^iek L'âme n'est pas frite
: : ne» ndni 1 appelle; Dieu loi
' >. V . «^ .<.c*ur ^^ 3lii$ grand que toat ce
.. '^ . vA^nît' . Pieu seol est plas grand
. : . -'r-' mmcrtel a besoin d'nn ali-
: - k jE'^ii*nu*i qne Dieu.
>^ ^ ,..-..: :^>%v si'-7»ar de la terre vient se
.:^ .\> '.aiKsoces et les corrompre.
.y,-.'- .vut> ie /ùxcertitude, une voix
* .it t 7^ .:'.:pi.:àe *. une sorte d'impnis-
"«' ^' « x^ .■ -u ..XX 'î:«-iti tf 'x^obeor. une sorte de
«« N « * t >tiiiMK j;L«cceiidre an cœur de
1^ îvw*' .'uc.ic:'ieL nous ne sommes
N' . .. V s, X V Xi. vv i*vi* c 7âifc? !iaat df^ré de fëli-
^ ■ ^^ V» ■♦ *^ =- 'v.N \jvcr. dccablë du poids
^••^*^^«.o r..x .:*..n'> i:s^u: ■ A$i$ez. Seigneor,
\*«» .V* .»'.'x:ufx' 'it ,rc>..>. -•» v^.:udniit un fleoTe
?s»:« ►'M XX» a V.*.' .•■.;. •«.•ù>. ,.:evoof : cependant one
hi.*^}\^^ M',î.vo X, iti xi'iï vî^v *»< plus pure- Av(rir
vjiîo\;iivvs :vvNv';::vox, o: ;oo-? :M:$tNeroent du peu
^im itotî> Ap^Kir-toî^:. ;»o s*- orver des besoins que
dAMH l^s inuiu-» vJu jvs*:Ne . prendre chaque jour
* * \
ET KKFLEXIONS MORALES. 381
comme ao présent du ciel , voilà à peu près tous les
biens que notre état comporte. La coupe dn bonheur
est pleine dans les mains de celui qui les possède ;
tout ce qu'il voudrait y ajouter n'y entre plus.
Llionune ne trouve pas de douceurs dans la posses-
sion des objets, quand la mesure de ses sens est
comblée. Aussi est-il toujours puni de son insatiable
avidité : la joie excessive pleure comme le chagrin ;
poussée trop loin , elle rencontre la douleur, et les
sentiments trop exaltes deviennent mortels.
Source sacrée de tout bien, TÉvangile en exhor-
tant à la paix, à la tempérance , apprend le secret
d'être heureux. Il nous éclaire par sa parole dans
cette nuit obscure de la vie ; il allège nos maux par
ses promesses d'une existence meilleure. A entendre
les gens du monde, on dirait qu'ils n'ont point de
tourments et de peines, ils envisagent d'un œil de
pitié ha conduite des hommes de bien. Quoi I disent-
ils, toujours se contraindre, toujours se raidir contre
les inclinations les plus tendres I La vie ne nous
a-t-elle été donnée que pour le malheur? Mais ils
ne voient que les souffrances des justes, et non
les dédommagements qui les rendent légères. Les
mêmes afilictions qui désolent et consument les
méchants, aguerrissent les bons contre le mal, et
font briller leur mérite d'un plus vif éclat. Il y a
on feu qui épure et un feu qui dévore,
Les épines de la vertu ont une utilité présente,
puisqu'elles nous rendent meilleurs ; tandis que les
voies du monde et des passions ne font de notre vie
qu'un Ûux et un reflux de haines, de désirs, de
jalousies. Rieu ne console ceux qui marebent avec la
38i FfiNSEKS
foaie dans la route large do rindiffërence et du viee.
Au milieu des épreuves de la vertu^ on a la paix du
cœur, avec la certitude que nos peines ne sont pas
perdues. 11 en coûte d'abord à un cœur honnête de
régler sa vie, de surmonter ses inclinations le» ph»
chères et les plus entraînantes ; mais quand il s'est
rendu maître de ses penchants, il trouve dans le
sein d'une conscience pure une source inépuisable
de jouissances , que nulle puissance humaine ne
peut lui ravir.
Il arrive précisément le contraire an méchant, le
mal se présente à ses yeux sous les couleurs les
plus séduisantes ; mais à peine est-il consommé, que
le charme trompeur disparaît^ et ne laisse après lui
que d'affreux tourments. On devient l'esclave du
mal pour n'avoir pas voulu être le serviteur du bien.
L'Évangile n'est pas la mort du cœur ; il en est
la règle ; il a la douceur des choses étemelleâ. C'est
lui qui commande d'espérer à ce pauvre infirme
étendu sur le grabat oi\ la misère l'a jeté ; à ce
sage trahi par le hasard ou vaincu par la force; à
cette jeune fille condamnée à un travail ingrat , à
des privations de tous genres, dans le coin oublié
d'une froide mans<irde, et dont le cœur bat à la vue
des fêtes et des réjouissances ; il lui dit : « Tu vou-
drais aussi orner ta tète de fleurs et te mêler aux
joies de la terre : ah I ai tu savais combien de don-
leurs sont cachées sous ces brillantes parures ;
combien de sanglots sont étouÛ'és sous l'orchestre
joyeux , lu préférerais ton état humble et obscur I •
Plus le rang est élevé, moins il est facile d'être triste
à son aise. Dans les classes de la société qui parais-
sent si heureuses^
ET RÉFLEXIONS MORALES. 383
Quand la bouehe sourit, bleu souvent TAme pleura
Vers charmant de la plus gracieuse et la plus
okaste muse contemporaine (1).
Ce aérait ane illusion que de croire échapper à la
souffrance, même par la foi et par Tamonr de Dieu.
Sous leur empire, il est vrai , la douleur se trans-
fonne ; mais elle ne s'anéantit pas ; la religion
sanctifie les larmes sans les tarir. Elle ne veut rien
d'impossible , et elle n'a jamais nié les droits de la
sensibilité humaine. Elle combat bien moins l'excès
de l'afiliction que cet orgueil plein d'amertume ^
tooyours pi^t à protester contre les moindres contra-
riétés, et dont les plaintes hautaines rappellent
qoelquefois les paroles de Louis XIV ^ dans ses der-
nières années : • Dieu est bien dur pour moi , après
tout ce que j'ai fait pour lui I » Gomme si l'homme
pouvait demander à Dieu un compte de doit et avoir,
et traiter avec lui d'égal à égal, de puissance à puis-
sance ! Il est des âmes à qui la soutfrance cause un
étoanement singulier. A son approche , elles éprou-
vent quelque chose de l'indignation d'un fils de roi
sur la pourpre duquel se porterait la main d'un
esclave. Elles ne voient qu'un jeu cruel, où d'autres
plus humbles reconnaissent l'indispensable épreuve
du cœur.
Quand on a une foi vive , éclairée, on ne s'étonne
plus des maux que le ciel nous envoie. On les
accepte sans murmurer, et on est prêt à tout braver
J^ U"* Allais Séguius.
384 PENSÉES
pour rester fidèle à ses croyances. Combien de mar-
tyrs ont sapporté avec un admirable courage les ploa
horribles tortures I Ils se détachaient de la vie ma-
térielle , et ils s'abîmaient tout entiers dans la con-
templation anticipée d'un Dieu rémunérateur. Un
seul cri sortait de leur bouche et remplissait leurs
bourreaux d'une secrète terreur : c Gloire à Dien I •
Nos pieux missionnaires ne vont-ils pas tous tes
jours dans des contrées lointaines et sauvages , à
travers mille morts , répandre partout la lumière
évangélique ? S'ils n'agissaient pas sous une inspi-
ration divine, s'ils ne se sentaient pas soutenus par
une force surnaturelle , pourraient-ils s'arracher aux
douceurs de la famille et de la patrie, pour affronter
tant de périls et s'exposer à tant de cruelles priva-
tions 7 II est aussi un grand nombre de chrétiens
qui , sans avoir besoin du glaive des bourreaux ,
gagnent la palme des martyrs dans l'obscurité de
la vie quotidienne, où la nature s'immole et brûle en
silence sur l'autel du devoir et de la religion. Quels
prodiges de fermeté et d'abnégation ne produit
pas dans le monde l'exemple du Christ , qui voulut
endurer toutes les douleurs pour les consoler
toutes I
Lors des guerres de la Vendée, on portait à l'am-
bulance deux officiers blessés ; le jeune se désespérait
et exhalait sa douleur ; le vétéran, résigné cherchait
à calmer son camarade. « Il fait beau prêcher, dit
ce dernier, avec des égratignures. — Voyez, répliqua
l'autre , en soulevant le manteau qui recouvrait son
corps, dont le canon avait emporté les deux cuisses 1
—Eh 1 pouvez-vous élre ainsi impassible? — Je pense
KT REFLEXIONS MORALES. 385
à mon roi , mort »ur rëchafaud , et à mon Dieu
mort sur la croix.
Anne d'Autriche, en visitant un jour THôtel-Dieu ,
eut des paroles douces et compatissantes pour toutes
les infirmités. On lui fermait la porte d'une salle;
elle insistait. « Madame, c'est la salle des cancers. » —
• Ahl mon Dieu, s'écria-t-elle, en se couvrant le visage
de ses deux malns^ tout ce qui sera dans votre volonté
adorable ; mais , dans votre miséricorde , préservez-
moi de cette maladie. » Anne mourut d'un cancer.
Pendant les douleurs inouïes de cette grande épreuve,
la régente de France conserva sa force d'âme et con-
tinua ses devoirs de reine. Son visage était toujours
serein, sa parole bienveillante. Elle se faisait un trésor
caché de sa douleur qu'elle réservait pour les yeux
de Dieu , fidèle au conseil que la voix de Bossuet lui
adressait du haut de la chaire dans l'église des Car-
mélites.
Et de nos jours, n'a-t-on pas vu une impératrice ,
deux fois reine par la grâce et parla beauté, bravant
et poursuivant l'épidémie jusque dans ses foyers les
plus mortels , faisant partout renaître le courage et
l'espérance , et partout opposant au fiéau le charme
de sa puissance et de sa charité 7
Les Grecs et les Romains montraient aussi de
l'énergie au sein de leur douleur et de l'adversité ;
mais leur courage ne respire que l'orgueil , la haute
estime d'eux-mêmes , la déification du moi. Us sem-
blent braver le ciel et le châtiment ; ils ne recherchent
que l'amour d'une vaine gloire, l'admiration, l'éloge.
Us ne font jamais remonter la louange et l'action de
grâces vers rauteur de (ont bien et de tout don par-
25
386 PKNSÉES
fait Faites descendre du théâtre, où parade leur
vertu, ces prétendus héros de la douleur; que voyet-
vous? le désespoir, le suicide. « Souviens-toi, dil
Cicéron , que les grandes douleurs se terminent par
la mort, que les petites ont plusieurs intervalles de
repos , et que nous sommes maîtres des médiocres ;
tant qu'elles seront supportables, nous souffrirons
patiemment ; si elles ne le sont pas , si la vie nous
déplaît , nous en sortirons comme d'un théâtre. »
Aux yeux des païens, il n'y a pas de remède
contre les maux de Texistence ; ils ne servent à rien
et les arrêts du Destin sont inilexibles. Horace loue
pompeusement Régulus, le grand martyr de This-
toire romaine ; mais n'a-t-il pas haussé son person-
nage pour faire honneur à sa patrie , et rendre Car-
thage, sa rivale, plus odieuse par l'atrocité du supplice?
Dans l'épître célèbre où Sulpicius engage Cicéron à
supporter avec fermeté la mort de sa fille Tullie , i]
n'y a nul baume capable de guérir une blessure ,
parce qu'il n'y a pas d'espérance. Ce qui la remplit
tout entière^ c'est le sentiment de l'orgueil: il ne
convient pas que Cicéron perde sa dignité en se li-
vrant à une trop vive affliction. Horace , dans l'ode à
Virgile sur la mort de Quintilius , et Virgile dans le
cinquième livre de V Enéide, ne proposent qu'un re-
mède aux peines de la vie , la patience ; mais leur
philosophie les abandonne entièrement lorsqu'ils sont
aux prises avec la douleur ; c'est que la patience est
un don de Dieu , elle n'est pas le fruit de la sagesse
humaine; la prière l'obtient, et alors son efficacité
est grande. La mort patiente et chrétienne du der
merdes mendiants sur la paille, est mille fois plus
ET RÉFLEXIONS MORALES. 387
belle et surtout plus méritoire, que la mort fastueuse
de Gaton se perçant le cœur avec son épée.
A part le mot chariias une fois prononcé par Ci*
céron, quelques passages de Virgile, un vers de
Térence ; à part deux ou trois lettres de Sénèque^ où
l'on reconnaît Tinilnence , si ce n'est Técho du chris-
tianisme naissant , on ne trouve guère chez les an-
ciens de sentiments de compassion pour leurs sem-
blables. Tout dans l'antiquité tendait à écraser les
petits et les faibles. Elle avait ^ pour se défaire d'eux,
l'infanticide et l'esclavage. L'humanité était, à ses
yeux , une matière inerte sur laquelle on a le droit
de tout oser. Les païens bâtissaient des théâtres et
des cirques magnifiques; mais ils n'avaient pas un
seul asile pour la souffrance. H n'y a que le Dieu des
chrétiens , le père commun des hommes , qui leur ait
prescrit de s'aimer les uns les autres. La religion
d'un Dieu crucifié a peuplé Tunivers de palais pour
les infirmes et les déshérites de ce monde. Seule ,
elle peut répondre à toutes les douleurs de l'âme dans
les terribles séparations de la famille et de l'amitié ,
et soutenir la nature dans les épreuves déchirantes
de la vie. Elle seule donne la vertu de la patience et
de l'abnégation. Honneur à ces saintes filles , anges
visibles des pauvres, qui, dans les refuges ouverts à
la misère^ savent si bien de leurs douces mains es-
suyer les pleurs , panser les blessures du corps et de
l'âme, qui bravent tous les dangers , surmontent tous
les dégoûts, immolent leurs plus belles années et leur
existence entière pour servir les malheureux !
On ne saurait trop le répéter , aucune autre i-eli-
gion n'a eu souci des maux corporels de l'homnio à
388 PENSÉES
l'égal du Christianisme , qui est cependant fondé sur
la douleur, puisqu'il se résume dans une croix. Il a
élevé des hôpitaux comme des temples à la chair
souffrante, là où la sensuelle antiquité avait dressé
des amphithéâtres pour la voir souffrir. Acquérir une
haute renommée, vivre dans la postérité, voilà le
ciel de ses grands hommes ; ils ne croyaient presque
tous qu'au dogme de l'immortalité terrestre ; ceox
qui avaient foi dans une autre vie n'y admettaient
que des héros, des philosophes, mais pas un seal
malheureux, pas un seul esclave.
11 faut à l'âme accablée ce qui manquait aux
païens, une ferme espérance en une existence meil-
leure, la certitude que les angoisses de la terre sont
des épreuves passagères qui trouveront ailleurs leur
récompense. Pour eux, la religion était une science
de formes , non un besoin du cœur ; c'était une
pratique extérieure, un ensemble de rites, une œuvre
politique, non un corps de traditions et de dogmes,
non un sentiment intérieur qui domine l'honmie
tout entier. Ils ne prenaient leur point d'appui que
sur des intérêts humains dont le plus subtil et le
plus dangereux est l'idolâtrie de soi.
Il est vrai que les païens n'avaient pas encore va
l'arbre du Calvaire et goûté de son fruit. Entre le
monde ancien et le monde moderne , il y a l'Évan-
gile. L'ère de la civilisation ne date ni de Périclès ,
ni d'Auguste. L'Acropole, pour le bien-être de l'hu-
manité, ne vaut pas Sinâï , et le Capitole s'est incliné
devant le Calvaire. L'Évangile a fait voir toutes
choses sous un aspect nouveau ; il montre l'âme à
travers les sens et l'éternité derrière la vie. Les
ET RÉFLEXIONS MORALES. 389
autres religions nous appellent au bonheur et nous
disent : ce jouis. » L'Évangile nous appelle à la rési-
gnation, et nous dit : « espère. » Toutes ses récom-
penses sont dans le ciel ; c'est en y attirant les re-
gards^ c'est par la foi et par l'espérance, qu'il a dé-
matérialisé le monde.
n ne dit pas : « Heureux ceux dont la vie n'est
qu'un passe-temps continuel de jeux, de festins , de
plaisirs. ^ Mais il dit : n Heureux ceux qui souffrent,
qui pleurent leurs fautes , parce qu'ils seront con-
solés ; 1 larmes bénies du repentir, saintes larmes ,
véritable sang de nos âmes, douleur féconde et gé-
néreuse qui, se retournant contre le mal lui-même,
l'attaque pour le détruire , à la différence de la plu-
part des autres douleurs tout-à-fait stériles et sans
profit pour nous , uniquement propres à affaiblir nos
forces et notre courage.
Sans doute , s'écrier avec sainte Thérèse : c souf-
frir ou mourir, » et avec Madeleine de Pazzi : or non
pas mourir, mais toujours souffrir, » et avec M"** de
Montcalm : c je crains l'espoir , il empêche la rési-
gnation, • et avec saint Jean de Dieu : « Seigneur ,
vos épines sont mes roses, d c'est montrer une vertu
surnaturelle à laquelle il n'est guère donné d'attein-
dre ; c'est l'apogée de l'héroïsme chrétien ; la douleur
volontaire, aimée, épousée , nourrie avec une vive
ardeur, ne peut se rencontrer que dans les âmes
prédestinées , trempées plus avant que d'autres dans
le sang du Sauveur. Dieu seul règne en elles;
chaque cri , chaque soupir de révolte de la chair
contre la loi de l'esprit , est flagellé à la gloire du
Christ.
390 PENSÉES
Heureusement , il y a plus d'une région habitée
dans le royaume céleste , et plus d'une station dans
le chemin du Calvaire. La vertu a ses degrés ; Diea
ne condamne pas les consolations terrestres^ ni les
jouissances , mais les abus de ces jouissances au
préjudice des choses de l'ûme. Chacun cherche
instinctivement son bien-être. Quiconque sent une
épine dans la main, veut s'en délivrer. Dieu convie
lui-même le malade à appeler le médecin» et on ra-
conte peu de miracles du Christ, qui n'aient eu pour
but le soulagement de l'humanité. Il suffît d'en-
durer avec résignation les maux qu'on ne peut
éviter , sans en augmenter la charge déjà si lourde
parfois. Nous avons besoin de toutes nos forces pour
accomplir notre mission de travail sur la terre.
Mais fustiger son orgueil , meurtrir son amour-
propre , se roidir contre l'injure et la calomnie, sup-
porter le froid , la faim pour réchauffer et nourrir
les malheureux, quitter ses boudoirs riches et par^
fumés pour aller dans la mansarde où tout respire
un air fétide et la misère, pleurer avec ceux qui
pleurent, se priver de sommeil pour veiller au che-
vet d'un malade , user sa santé dans la pratique des
bonnes œuvres , voilà de la charité par le sacrifice;
voilà le cilice dont les blessures seront comptées.
A la vue de ces actes de dévouement inspirés par
la religion , le pauvre est forcé de reconnaître que
les joies du monde , que les voluptés souvent éner-
vantes de la fortune « n'ont point desséché les âmes
de tous les heureux de la terre. Son cœur se remplit
de reconnaissance ; alors il comprend pourquoi le
riche est riche ; et il lui pardonne sa prospérité,
ET RéPL£XIONS MORALES. 391
paica qu'il l'en juge digne. La charité, mot sublime,
qui résume tontes les vertus , si douce au malheu-
reux t plus douce encore au bienfaiteur , la charité
est la clef des cieux , est Tancre éternelle du salut. Il
n'y a pas de mérite à être secouru dans ses besoins ,
et il y en a un très-grand à alléger le poids des maux
d'autmi; il faut toujours avoir une main ouverte
pour donner, aân de beaucoup recevoir de l'autre.
Napoléon I*' , voulant s'attacher Bartbez , lui de*
manda un jour de quel parti il était. — t Du parti des
malades», répondit le célèbre médecin. Dans les ques-
tions humanitaires, penchons, comme Bartbez, du
côté de ceux qui souffrent. On se croit trop souvent
dispensé de venir en aide aux malheureux, dès
qu'on peut les accuser de leurs revers. Nous avons
bientôt trouvé un motif aux maux d'auirui ; le bon-
heur nous semble moins facile à expliquer.
Mais il est clair que , pour resserrer les liens trop
relâchés de la grande famille humaine, il ne faut pas
sans cesse exciter les convoitises du pauvre , semer
dans son cœur des germes d'envie et de haine contre
le riche, inoculer en lui le mépris de tout principe
religieux, à moins qu'on ne veuille le pousser à la
révolte et au désespoir. Qui désespère n'aime pas.
Si on attache le pauvre comme une victime à celte vie
de pleurs , si on lui ôte le ciel , on le cloue à la terre^
et , dans cet isolement de tout ce qui console , com-
ment attendre qu'il supporte en paix la douleur? Il
n'a pas la raison de la souffrance. Pourquoi disputer
à ce peuple pauvre et gémissant un Dieu pauvre et
souffrant comme lui ? Ah ! que les heureux se per-
mettent de ne rien croire, on peut se rendre compte
392 PKifs^.Ks
de ce délire. Mais où sont-ils, les heureux ? Qaello
horrible collection de misères que ce monde I Dans
les conditions brillantes, que de joies Gausses, (pie
de désirs rongeurs , que de plaies sanglantes et
cruelles I Si vous exilez de T^inivers Dîea et la vie fa-
ture , quel adoucissement peut rester à des peines
toujours renaissantes , surtout parmi cette foule d'in-
digents pour qui la Providence semble n'avoir ba-
lancé le malheur de naître que par Tespérance de
mourir? Est-ce donc un si grand bien que d'ajouter
à tant de souffrances la certitude de n'avoir rien à
espérer ?
Si le peuple était laissé à ses instincts, il serait
chrétien comme dans les plus beaux jours de la foi ;
car le christianisme est la religion du peuple ; il
répond à toutes les fibres de son âme. L'Évangile ,
charte morale des nations , charte sublime donnée
par le ciel à la terre , consacre à chaque pas les pré-
rogatives du pauvre et les privilèges du malheur.
Les causes de nos douleurs sont nombreuses ; un
pouvoir ombrageux peut nous poursuivre , le men-
songe nous calomnier. Les liens d'une société toute
factice nous blessent ; la destinée nous frappe dans
ce que nous chérissons ; la vieillesse s'avance vers
nous, époque sombre et solennelle où les objets
s'obscurcissent et semblent se retirer , et où je ne
sais quoi de froid et de terne se répand sur tout ce
qui nous entoure. Nous cherchons partout des con-
solations , et toutes nos consolations sont religieuses.
Lorsque le monde nous abandonne , nous formons
unn alliance au-delà du monde. Lorsque les hommes
nous persécutent, nous nous créons un appel par-
ET RéFLEXIOIfS MORALES. 393
delà les hommes. Lorsque nous voyons s'évanouir
nos illusions les pins chéries , la justice , la liberté ,
la patrie» nous nous flattons qu'il existe quelque
part un être qui nous saura gré d'avoir été fidèles,
malgré notre siècle , à la justice , à la liberté , à la
patrie. Quand nous regrettons un objet aimé , nous
jetons un pont sur l'abime , et le ti'aversons par la
pensée. Enfin , lorsque la vie nous échappe , nous
nous élançons vers une autre vie. Notre âme ne s'en-
ferme pas dans cet univers , dans le monde visible ,
dans les &its qui se succèdent autour de nous ; elle
va ailleurs.
Par^elà tous les deux , le Dieu des deui réside.
Ainsi , lu religion est la compagne fidèle , l'ingé-
nieuse et infatigable amie de l'infortuné ; ainsi , le .
sentiment religieux est le plus noble des privilèges ,
et le plus inaliénable des titres de notre grandeur ;
sans doute , les chrc^tiens pleurent encore ceux qu'ils
ont perdus; le catholicisme consacre le deuil humain
et fait une obligation du souvenir ; mais ce n'est pas
un désespoir qui abat ; c'est un retour sur le passé
qui attendrit et purifie. La raison peut guérir les
illusions , elle ne saurait guérir les peines de la vie.
Seule ^ elle n'a jamais séché une larme.
Devant la souffrance , il n'y a que la révolte du
Satan biblique , ou la philosophie de la résignation ,
de la foi, de la nécessité. Toute autre philosophie est
menteuse, et ne sert qu'à verser nn poison de plus
sur les plaies 'déjà si nombreuses et si cruelles de
l'humanité. Le monde est l'œuvre d'une puissance
^.»
\.:-
\l >Çs.
- comprenions,
-ionce. La vérité
!»i:t saisir, e:
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• •• • • • . . •■ • . .••in
MORALBS. M5
OS promesses du Dieu des
plus ! Jamais rien n'a pa
enseignements. La croix est
- la civilisation ; sur la croix
do triomphe , TËvangile a par»
: L'sentant à tous les peuples les
. .irhre de vie. Le Christ ost toujours
10 et finale des choses, le mot de
•nde. Il régnera sur l'esprit humain ,
• ie l'essence des rivières de couler^ et
.Jer, tant que Tœil fuira les ténèbres et
la lumière , tant qu'il y aura des mal-
rir la terre, tant que le cœur aura soif
!ice et d'immortalité.
400 SAisT (ARAotiiHssnEirr de BAim).
« chœur, du côté de réyanieriie . une autre
• tomJbale sar laquelle on ht :
CT GIST MESSIRE GÈDiOBi DAMOCm, ECUTOL, SUOl DK
VAUXISOIR, SeiGilElJE DE TIE55E ET DU XAROiE QU
LE SEPT DE NOVEMBRE 1755 AGE DE 74 AXS.
• L4»,s fonts ^ pédicules caliciformes , portent le
i millésime 1663.
(f L'église de Maisy est sous TînTOcation de saint
r Germain. Le patronage était laïque; le chapitre
• de la cathédrale percerait les 2/3 des dîmes , le
u curé l'antre tiers. »»
Comme on le voit par cette description émanée
d'un archéologue dont la compétence est reconnue
par tons et dont les ouvrages sont devenus classiques,
l'église de Maisy possède^ au point de vue de Tart et
de Tarchéologie, une importance exceptionnelle.
Cette importance , comme nous l'avons déjà dit ,
provenait de sa situation à l'embouchure de la Vire,
dont le point de jonction avec la mer forme une baie
spacieuse, désignée naturellement comme un centre
actif à la navigation.
Dans les premiers siècles du moyen-âge, Grandcamp
et Isigny n'avaient pas encore le privilège d'offirir nn
abri à cette Ûotille de bâtiments légers qui journel-
lement , comme des volées de mouettes, tracent leur
sillage sur les eaux de la Manche ; c'était vers Maisy,
alors appelé Maisium et Maisiacum, que le navigateur
qui voulait aborder par ce point la deuxième Lyon-
naiàe, dirigeait la proue de son esquif.
Aussi , lorsque quittant le ciel brumeux de la
MAIST (ARRQlfDISSElUSIfT DE BATKUX). 401
SeandiiiaYie pour aller se réchauffer aux rayons d'un
soleil plus clément, les Barbares du Nord commen-
cèrent à s'abattre sur les côtes de la Neustrie , d'où
les repoussait la terreur inspirée par le nom de Char-
lemagne , ce fut à Maisy, croit-on, que débarqua,
en 846, Biem, surnommé Gôte-de-Fer, avec sa
troupe de barbares norwégiens.
Ce fut de ces grèves que les pirates du Nord
aperçurent, comme un appÂt irrésistible, et les plan-
tureux pâturages se déroulant devant leurs yeux,
et les tours des riches moutiers dont les trésors ten-
taient leur pauvreté. C'est donc à Maisy qu'aurait eu
lieu le premier acte de ce grand drame qui, débutant
par la destruction du prieuré mérovingien de Deux-
Jumeaux, eut pour second acte le sac de Bayeux , le
meurtre de son évéque, et enfin, pour épilogue, le
traité de Saint-Clair-sur-Epte. Le résultat fut d'ar-
racher du bandeau royal du faible et impuissant
successeur de Cbarlemagne, un de ses plus riches fleu-
rons pour en faire une couronne ducale au chef des
coureurs danois , à Rollon , Tbeureux époux de Gi-
selle, adouci, comme Clovis, par l'eau civilisatrice du
baptême.
Une localité aussi considérable que Maisy ne de-
vait pas rester sans importance dans la vie poli-
tique de la province , et , comme Ta dit un vieux
jurisconsulte (1), pas de terre sans seigneur, la sei-
gneurie de ce bourg offrait trop d'avantages pour
demeurer sans maître. Aussi, dans la première moitié
du XI* siècle, Maisy eut un maître dont la puissance
(1) Lojseau.
26
402 MAIST ^ARROHDISSEMERT DE BATSUX).
et le renom s'étendaient dans tont le Bessin et jofiQie
dans le Cotentin ; c'était Hamon-le-Denta , baroa de
CreuUy, d'Evrecy, de Thorigny et de Maisy.
Ce Hamon , premier baron de GreuUy, qae les
vieilles chroniques nomment Hains-az-'Dentz^ est ane
de ces grandes figures dont la tradition a perpétué
le long et dramatique souvenir.
Issu du conquérant (i) de la Normandie, et appar-
tenant ainsi à la race ducale , possesseur de vastes
domaines , son gon£anon portait (fazur au lion Sur
rampant^ et offrait ainsi avec les armoiries ducales une
certaine ressemblance attestant une commune ori-
gine. C'est de ce rude guerrier que sont descendues
les plus nobles et les plus illustres familles nor-
mandes (2).
Maître Wace, dans son Roman de Rou^ cette Iliade
de la conquête d'Angleterre , lui a consacré plusieurs
vers qui projettent, sur l'existence de Maisy, quel-
ques rayons de la couronne de gloire qui entoure
cette rude figure historique.
• Hains-^ii-Denti eloit un normant
« De fié et iP homes bien poissant ,
• Sire etoit de Torigny
« Et de Miûe et de Croilly. »
Avec cette richesse et cette puissance . secondant
un caractère entreprenant et audacieux, dit M. Pezet,
on ne peut douter que Hamon-az-Dentz, que les histo-
riens appellent Hamon-le-Hardi et le Dentu , ne fût
(1) Il descendait d'un bâtard de Rollon.
(3) Peset« Histoire des barong de CreuUy»
MAiST (arrohdissement dk bayiux). 403
ron des premiers à élever dans ses domaines des
forteresses oa des châteaux, pour y assurer sa domU
aatioiL
Si l'on attribue à Hamon-le-Dentu la fondation de
la forteresse de Creully , on peut , avec autant de
raison, penser que, s'il eut la précaution de créer un
élément de force dans celle de ses baronnies que tra-
versait le cours paisible de la SeuUe , il ne dut point
dédaigner de s'entourer des mêmes garanties de sé-
curité dans celui de ses fiefs , que son voisinage des
bords de la mer et sa proximité des côtes du Gotentin
exposaient journellement à des incursions ennemies.
Aujourd'hui le temps et les hommes ont rasé le
manoir sur le donjon duquel le puissant baron dé-
ployait son orgueilleuse bannière ; mais les vestiges
en subsistent encore et on les aperçoit du côté des
dunes, à 900 mètres environ de l'église , qui , plus
heureuse que le monument féodal, continue d'attirer,
à bon droit, l'attention de l'archéologue et du touriste.
Un jour de l'année 1047, les habitants, qui étaient
demeurés à l'ombre paisible de l'édifice sacré, enten-
dirent avec effroi la cloche sonner le glas de la mort
Ses tintements funèbres annonçaient un grand évé-
nement. En eifet , le sire de Maisy n'était plus de ce
monde. Le puissant baron qui promenait sa bannière
en maître sur tant de terres normandes, ce fier vassal
qui marchait presque l'égal de son suzerain , avait
un jour eu l'idée de contester au fils de Robert-le-
Magnifique, la couronne de Normandie, avec Renouf
de Briquesarty Regnault, du Gotentin, Néel, vicomte
du Bessin, et Grimoult du Plessis. La rébellion, dont
les chefs étaient Néel et le sire de Maisy, était si re-
/
404 MAIST (ARRONDISSEMKRT DS BATSUX).
doutable, que le Bâtard fut réduit à implorer Tassis-
tance du roi de France.
Écrasée à la bataille du Val-des-Dunes par Tarmée
française^ Tinsurrection normande ne fut pas vaincue
sans gloire. Le sire de Maisy, dont le cri de gaerre :
Saint'Amandl avait plus d'une fois jeté l'épouvante
dans les rangs ennemis, fit voir que le sang des
hommes du Nord n'avait pas dégénéré. Son épée
traça un large sillon de carnage autour de lui. Avant
de tomber pour ue plus se relever, il put, s'il en faut
croire une tradition, éprouver Torgueilleuse satis-
faction d'abattre à ses pieds le roi de France , que
sauva seule la solidité de son haubert Hamon mourut
glorieux dans sa défaite et fut enseveli devant l'église
d'Esquay , près de Gaen.
Impitoyable pour Néel et pour les autres fauteurs
de la révolte, Guillaume, après la victoire, se montra
miséricordieux pour les enfants du baron, dont la
lance avait couché sur la poussière le roi de France.
Il ne leur enleva point leurs domaines , et le fief de
Maisy continua de rester dans la puissante famille
de Hamon-le-Deiitu , dont le fils aine, Robert-Fitz-
Hamon, rachetant envers le Bâtard , les torts de son
père, se montra, à la conquête, l'un des plus fidèles
lieutenants du Duc. U reçut, pour prix de ses exploits
et de sa fidélité , les comtés et seigneuries de Glo-
cester et de Bristol, tandis que , pour sa part de la
curée royale, Richard, le fils puîné, obtenait en do-
tation des châteaux, des seigneuries, et les comtés de
Cornouailles et de Birmingham.
Nous avons raconté d'une manière bien sommaire
comment Maisy , point d'arrivée des hommes du
MAISY (arrondissement 01 BATBUX). 405
Nord, admis dans la grande famille civilisée par le
traité de St-Glair-sur-Epce , devint le berceau d'nne
des illustres familles qui prirent une large part aux
événements destinés, dans le XI* siècle, à changer la
face de la Normandie et de l'Angleterre.
Nous ne suivrons pas Texistence de cette seigneurie
dans la famille de Ilamon-le-Dentu, dont les membres
se trouvèrent mêlés aux luttes sanglantes de la Nor-
mandie, par suite des dissensions survenues, après la
mort de leur père, parmi les fils du Conquérant.
Si le fief de Maisy ne resta pas en leur possession^
une autre suzeraineté y a laissé d'autres souvenirs de
gloire, d'une gloire toute française^ et dont le mobile
ne fut jamais autre que l'amour le plus pur du pays.
Le château de Maisy devint la propriété de messire
Bertrand du Ouesclin, connétable de France, le vaillant
fi*ère d'armes de Clisson , le loyal chevalier , dont
l'épée était le boulevard de la France contre l'in-
vasion anglaise.
Messire Bertrand du Guesclin n'exerça pas sur
Maisy une suzeraineté purement nominale, et le
grand capitaine, plus d'ime fois, se reposa dans le
manoir de Hamon, des rudes labeurs de la guerre (!}«
Si l'afifection de ses vassaux de Maisy ne dut pas
faire défaut au pieux enfant de la Bretagne , la res-
pectueuse déférence à laquelle lui donnaient droit
son caractère et ses exploits, ne lui manqua pas non
plus dans la contrée où se trouvait la terre dont il
était le possesseur.
(4) Nous remercions ici un savant modeste, notre ami, M. Geoi|^
VUkrt, adjoint à Bayeux, qui nous a donné le Truit de ses remar-
quables traTaux*
t
406 MAIST rARRONDISSEVENT DE BATEl'X).
Un joar qu'il était allé faire ses dévotions à lU>baye
de Mondaye, en 1375 , les bourgeois de Bayeux pré-
sentèrent « à noble et puissant seigneur messire
Bertrand du Guesclin, connétable de France, une pipe
de vin de Beaune et un demi-cent de cire ouvrée (i). »
— Le connétable ayant définitivement fixé Qa rési-
dence à Maisy, la bonne ville de Bayeux lui fit de
nouveau présent de « deux pipes de Beaune et d'un
demi-cent de cire ouvrée, » pour obtenir ses bonnes
grâces (2) en rannée 1377.
L'un des grands fiefs de la couronne ducale, possédé
par d'illustres seigneurs, tels que Hamon-le-Dentu ,
Bertrand du Guesciin, le fief de Maisy eut nécessai-
rement une haute-justice élevée à l'ombre du donjon
féodal. Cette haute-justice relevait de la baronnie de
Varanguebec, en Cotcntin '3). On en montre encore
la prison. Centre d'un marché qui avait lieu le samedi,
le bourg possédait aussi des halles dont la construc-
tion ne doit pas être antérieure au XVII* siècle.
Avant la Bévolution de 1789, la seigneurie de Maisy,
considérablement amoindrie par des démembrements,
appartenait à la famille de Petiville. A l'est de l'église,
on distingue un château qui a du style , et parait
appartenir au siècle de Louis XIV : c'est le fief de la
Tonnellerie.
Aujourd'hui , réduit par les vicissitudes des temps
au rôle modeste de simple commune rurale , Maisy
(1) Comptes de Tabbaye de Mondaye, déposés à la irès-curieiue
bibliothèque du chapitre de Tévéché de Bayeux.
(1) F. Pluquet , Histoire de Bayeux,
(8) Ed. Lambert, Bayeux et son arrondiiument.
VAI8T (▲RRONDISSBHBIfT DE BATEUZ). 467
il^tta {lis m6iù» droit aa respect de rarchëologue el
à lu sollicitude de TÉtat De glorieux souvenirs se
rattachent à son existence passée : la noble et vieille
église , assise paisiblement an-dessus des grèves ,
doit être conseryëe ; un grand souvenir^ un sérieux
intérêt le commandent En effet, construction monu-
mentale , elle est un des édifices remarquables du
pays; et, sous le rapport de la navigation, elle est un
point de repère très-utile aux navires qui s'engagent
dans la baie des Yeys , et se préparent à doubler
cette presqu'île du Gotentin qui s'avance dans une
mer féconde en naufrages.
Depuis du Guesclin jusqu'au XVII* siècle , nous ne
trouvons plus rien sur Maisy ; mais, à partir de cette
dernière époque, grâce à l'obligeance de la famille
de PetiviUe, qui a bien voulu nous donner |les notes
de son chartrier^ nous pouvons continuer jusqu'à nos
jours la généalogie des possesseurs de la terre sei-
gneuriale.
Du reste, nous engageons l'antiquaire et le touriste
à parcourir ce pays pittoresque semé de souvenirs.
C'est en traversant le Grand-Vey, près d'Isigny,
que Guillaume-le-Bâtard échappa à ses assassins.
C'est au Grand-Vey que mouilla la flotte danoise ,
conduite ptir le roi Harold , à l'aide du jeune duc
Richard-sans-Peur. C'est à Geffosses, près de Grand-
camp, qu'après le triomphe de Richard , une partie
de l'armée danoise abjura ses dieux et demanda à
passer sous les lois normandes. C'est là que le duc
leur distribua des terres et qu'il épousa Gonnor.
Au mois d'août , à l'époque où les régates de
Grandcamp attirent la foule ^ il faut gagner, par le
406 MAiST (àrrohdissbiient de bàtkux).
chemin du Vigney-de-Formigny, la roate qui longe
la mer. En quittant la borae élevée par les soini
de IL de Caumont, pour marquer le lien où se livra
cette bataille de Formigny qui chassa les Anglais de
la Normandie, on passe devant une suite de manoirs,
débris des anciens temps. Divers styles y figurent ,
depuis la féodalité jusqu'à Louis XIII.
Ici, c'est le château de Vierville avec sa tourelle
au long toit, où le confesseur de Louis XVI, l'abbé
Edgeworth de Firmont , trouva un refuge et une
barque pour l'Étranger, et où s'échangeaient les
correspondances de M. de Frotté et des émigrés (i).
Plus loin, c'est le château des seigneurs d'Engles-
queville, passé par alliance aux mains de la famille
de Faudoas.
£n descendant jusqu'à la mer, où se groupent
coquettement les maisons bigarrées de Orandcamp ,
on aperçoit les côtes de la Femelle et de St-Pierre-
Église» et enfin les lignes indécises de Barfleur,
surmontées d'une forme gigantesque qui s'appelle
Montaigu.
Grandcamp, renommé pour ses bains qui attirent
les étrangers^ se trouve à trois lieues de la gare de
Neuilly-Isîgny. Sa plage , du plus fisicile accès , est
animée par une nombreuse flottille de bateaux tou-
jours en mouvement , qui pèchent pour près d'un
million de poisson par année. Le pays , avec ses
(i) Beauchamp, HUu de la Vendée, — Ce cliAteaa appartient
aujottrdliai à M. de Lepesse, descendant de la flunille de Maigoerie
de VienrUle.
KAIST fARRONDTSSElIEirr DE BATIUX). 400
herbages, son fouillis d'arbres, de fleurs et
de fruits, o£fre le plus délicieux aspect
A droite , c'est St-Pierre-du-Mont , aux falaises
escarpées, aux rochers amoncelés, qui font un sai-
sissant eflfét.
A gauche^ à un kilomètre, c'est notre Maisy, auquel
nous voulons revenir encore pour lui dire adieu. De
Grandcamp^ vous y arrivez par une allée de parc ,
en passant devant une ligne de maiftirs qul^rappel-
lent encore par quelques mâchicoulis, quelques po-
ternes^ celte domination anglaise qui avait si pro-
fondément empreint sa griffe sur le pays. C'est le
château de la Tonnellerie , où figure , sculpté sur la
pierre du portail, le cimier, le casque du chevalier
avec son blason chevronné^ deux coquilles en chef ,
une en pointe. Une partie des autres manoirs re-
monte, par le trèlle et l'ogive, à l'époque féodale^
tandis que certaines portions, par les croisillons^ les
cheminées tubulées, rappellent les époques d'Henri III
et de Louis XIII. Enfin se dresse, hardie et légère,
cette élégante flèche de l'église que nou§ avons
décrite. Sur la grève, un épaulement gazonné entoure
un ancien fort armé d'une batterie pendant les
guerres de l'Empire , et qui pourrait facilement être
remis en état ; c'est le fort Samson. Non loin , dans
les joncs, se dressent quelques pans de murs d'une
épaisseur, d'une solidité extraoMinaires. On trouve
encore sous les chardons bénits . les jusquiames et
les cristes-marines , d'imposants débris. De grands
anneaux de fer scellés dans les murs amarraient les
barques flottant sur un canal alimenté par la mer
tout autour du château, et le châtelain, comme à
410 MAISr (ARAONOISSEKEirr DX BÀT8UX).
Venise, s'embarquuit par \& porte-eteau. Ces anneani
existent, et quelques voûtes des portes basses sont
encore béantes. Le vietix château n'est plus visité
aujourd'hui que par la mouette et le livergin, et la
chronique prétend qu'il fut brûlé par l'Anglais, et
que,' près de périr, le dernier seigneur jeta dans un
puits son or, ses bijoux, sa vaisselle plate. Mais on en
ignore Tendroit, et aucune baguette divinatoire ne
Ta encore révélé. Il y a peu d'années, une tourelle,
un grenier du château, se tenait encore debout; mais
ce lieu était hanté par un lutin, par un han. Si Ton
disait au valet de jeter du grenier douze bottes de
foin, il en tombait six; vous lui en demandiez six,
il en tombait douze .... Le grenier s'est écroulé, le
han, le gnome, le farfadet s'est envolé Maison
prétend que son esprit d'opposition, son esprit de
lutin n'a pas encore complètement quitté le pays.
APPENDICE.
Nous terminerons ce travail , en donnant les renseigne-
ments que nous avons recueillis sur les possesseurs de
Maisy, à partir du XVIi* siècle.
Au commencement du XVII* siècle, la seigneurie de Maisy
était possédée par la famille d'Alègre.
Cinquante ans plus tard , un aveu rendu à la seigneurie
de Yaranguebecq nous apprend qu'elle appartenait à « hault
« et puissant seigneur messire Philippe de Béthune, à cause
< de liauUe et puissante dame Marie dWlt^gre, son espouse. >
MAISY (arrondissement DE BAYEUX). 411
Du» UD acte du 2 août 1667 a par-devant les garde-notes
c dn Ghfltelet de Paris > à l*hôtel même de Monseigneur de
Colbert^ me Neuve-des-Petits-Ghamps, nous voyons que:
Haolt et poissant seigneur messire Jean-Bapiiste Col-
bertf chevalier, marquis de Seignelay et d'Alègre (1)
vend... pour la somme de six vingt mille livres payée
comptant en bons deniers d'or et d'argent.
à messire Louis-François Lefèvre de Caumartin ^
chevalier» seigneur audit lieu, d'Argouges, Boissy et autres
lieux, conseiller ordinaire du Roy, demeurant à Paris,
rue Saint-Avoye. .... le fief noble , chaslellenie,
terre et seigneurie de Maizy {sic) sur mer, le chef de
laquelle est assis en la paroisse dudict Maizy , sur lequel il
il y a un chcisteau de présent ruiné en la plus grande
partie, anciennement clos de murs et fossés plains
(sic) d'eau, basses-cours et collombier, plus les fiefs du
Hâble et de la Cambe , lesquels avec celui dudict Maizy
s'étendent aux paroisses dudict Maizy, La Cambe, Lestan-
ville, Criqueville, Grandcamp, St-Pierre-du-Mont et autres
circonvoisines... . plus droit de patronage et présen-
tation à la cure et aux chapelles fondées de St-Esloy
et de St-Nicolas, droit de four à ban auquel sont tenus
les hommes et vassaux de la dicte terre droit d'hos-
tage au hault de la dune à Grandcamp (sans aucune
garantie, attendu que ledict droit est litigieux entre
lesdicts seigneur et dame de Seignelay et le seigneur
de BeaumontJ...,. droits de justice sur les hommes et
vassaux, d'assemblées, de marché le jour de samedy de
chaque semaine au bourg de Maisy... mesurage du bled et
a de coutume, au dict marché... cognoissance du brut des
« poids, marc et mesure d'icelui de laquelle chaslellenie
« de Maizy dépend et relève aussi le fief de Longueville... géné-
« rallement tous autres droicts seigneuriaux et féodaux, etc. »
yl) Fils du graud CulberU
no
HAlSr (ARROffDlSSEIlElIT DE F
N«*ii.îio. >'tMubar4uait piir \a porh-
s\:<c\\\, ol quelques voûtes des
oîN\»:o boanles* Le vieux chut'
.uv.*urv{ hui que par la mouettt
% îv.\»nu;i:«* pivtond quil fut 1
ijuo, pvt^* lie îH*rir. le demi-
pu;î> -«on oi\ 5e* bijoux, si^
<îu>îv IVudwit, et aucuî
. ,1 «^ucon» rêtvié* Il v ;:
\\\\ k:ivuier «iu château.
%v \iou était liante pa
%::viïî au valet de \--
îoîo. li en t\Mwhait >
: i*n tomtviit dt'i:
h««, le «nome.
■ 1-j ro:. a
• '•• îaiie ,
.-: lieu rie de
^ . cil date du
iti sieur Lefèrre
• niiurtin , après une
. lode la seigneurie de
îontin. (le fait résulte
notaires du Chàtelet , le
V
M
.>^
i!i des maisons et affaires
.i aussi procureur de Ulus-
< t c aeu r monseigneu r Jean-
Caumartin , co^iseiller du
«. . %end, etc.. à messire Tho-
. .iV Callandré, mareachal
. V. Hoijy chevalier et comman-
. ti;i!taire de St-Louis, conseiller
juue ^larguerite-Catlierine-Made-
. *H:« kV AiHjcHSon , son épouse
..•*«.*«?. «*ti\.. de Maisy , etc. •
^ *^:*. IKir un second acte , Monsei-
^^ .^KtU i^ar le prix de 82,000 livres,
^^:*% AU Parlement de Paris, le petit
«;ii»ï^r$ autres héritages tombés en
^.-a^ À* Maisy, etc.
^^ a ^i^neurie de Maisy devenait la
^•«^ ïCiiiiwur ; au maréchal des camps
* ' ^u:sie d'infanterie :
* ^^a.i*»««''*«' ^^ Bruny , chevalier de
"^ de St-l<ouis, capitaine au régiment
.•> •
,< x%.;r «t^'l»*. '1"^ termes de plusieurs
DE BATBrx). 413
't i Bayenx qa'A U
tous Kt droit* k
, (li , ieuyer , (i«ur
ii^ralllé de Caen.
t deux enfaDta :
, en 1730, Louii-Her-
h.. iii'â-Michet avait succédé à soa pire
^sorier de Fraoce, et recueillait , quel-
lard, avec ra succeaaioD, la seigneurie
Il 1783, sana avoir rantraclé d'alliaoce.
ge de sa aceur avec Louis -tlercule-Gabriel Tardif
ilk (1), conseiller secrétaire du roi, mort le 3 férrier
était Issu eotr'aotree :
ean-Jaeques Tardif de Petivilte, capitaine au régiment
jfl Pratou, cbevalier de St-Louis, lequel recaeillit dani la
mecenioD de sou oncle la seigneurie de Maisy,
En 1806, & la raort de Jean-Jacques Tardir de Petiville,
d-deasus, la terre et ancienne seigneurie de Matsy a'esl di-
visée entre les enfants qu'il avait eus de son mariage avec
Antoinette-Elisabeth Jehannot de Beaumont , savoir :
1° Louis-Charles Tardif de Petiville ;
9' Charles-Louis Tardif de Peliville ;
3* Marie-Anne Tardif de Petiville, dame de Rugy ;
i" tA" Madeleine Tardif de Peliville , baronne douairière
de Beioe,
(I) Les amtes de cette fiunille sont : i Ëcartelé, an 1" et aa i' ,
■ d'unrl la croix d'or cantonna dedeui roses en chef et de deai
• coquilles en pointe de l'ëcn;
• Au !• et an 3* , d'argent bu lion de gueules (ccompagné de
■ trois roses de même, posées deai en chef et aae en pointe de
• réco.
< Derise : Tardif hatle-tos, •
, 3(R DE COLLÈGE ,
^-mr yL. A. THÉRY ,
>lembre titulaire.
s.
,1**-
.^ aocucilli avec bienveillance des souve-
jitek* <ï*ii m'ont permis de vous introduire
uii*:e de quelques patrons de ma jeunesse ,
>.;.*< hommes dont la renommée littéraire
- ^owuor de l'intérêt aux détails les plus fami-
^anfbui , je forme un dessein plus téméraire,
" :.• vous intéresser à un personnage anonyme ,
^^..^i^gnon d'études , qui m'a voué , pendant
. .»< :iimées , une sincère, mais inquiète amitié;
^^^H original, puissant, d'une sève exubé-
^ touchant presque au génie et presque à la
^■» * ces doux sommets qui se rejoignent , si nous
» K ui* «•« ci^ii^e Taflirmation cruelle d'un très-savant
\ % nous arrive-t-il pas à tous de rencontrer quel-
4^is% Jans les confiantes années de la jeunesse,
. la camaraderie du collège, de ces natures ex-
^nlionnelles qui posent devant nous leur énigme ,
Qi\e nous ne réussissons pas toujours à dé-
chiffrer ?
Incomplets, mais déjà dominateurs , possédant une
S0UVEN1B D£ COLLÈGE. 445
force que ne règle pas la maturité , laissant entrevoir
comme également possibles un avenir de gloire ou
nne chute profonde, ces esprits orageux exercent
une attraction qui fatigue, mais qui emporte. Je me
souviens qu'en descendant le revers abrupt du Grand-
Str-Bemard, du côté de Tltalie, la main dans la main
d'un guide, j'avais la conscience d'un mouvement
irrésistible , et je sentais bien que cet homme , fidèle
ou infidèle , m'entraînait, sans résistance possible , à
une route sûre ou à l'abime.
Peut-être n'est-il pas indifférent à la science de
l'homme de regarder de près ces natures singulières,
afin d'en tirer quelques sujets de réflexion, quelques
règles de conduite au besoin.
Je m'efforcerai d'être court, parce que j'aurai un
modeste rôle dans mon récit , parce que mon héros
s'appelle l'homme sans nom, et que sa vie, volontai-
rement obscure , n'a pour vous , Messieurs , que le
mérite d'un thème d'observation.
De iSil ai 816, je terminais mes études dans un
pensionnat du faubourg St- Antoine , qui suivait les
cours du lycée Gharlemagne.
J'avais là des condisciples qui ont marqué, soit par
leurs ouvrages, soit par leur position sociale. C'étaient
Damiron, esprit sage et méthodique, qui s'est fait un
nom dans l'enseignement de la philosophie ; Boucly»
vrai magistrat par la pénétration et la gravité des
mœurs, que j'ai retrouvé premier président à la
Cour impériale de Rennes et qui siège aujourd'hui
à la Cour de cassation ; Lorain , ancien recteur de
l'Académie de Lyon, écrivain spirituel, que M. Guizot
avait jugé digne d'élever son fils Guillaume , recom-
418 SOl-V£MH DE COLLÈGE.
tare de son esprit le portait à considérer snrtoat , et
presque exclusivement, les moyens de saccès. Une
foi ixibustc le soutenait , et je ne sais si , dans le dic-
tionnaire qu*il méditait, il eût trouvé une place poar
le mot : impossible.
Il avait cependant quelquefois conscience de son
inexpérience do rhétoricien , et, un jour que je l'avais
rencontré les mains appuyées sur son fronts méditant
avec tristesse : Hélas ! me dit-il tout à coup, avec un
accent de douleur sincère , je sens que je ne suis pas
encore assez mùr !
Ces découragements ne duraient pas. La llamme
intérieure vivait toujours ; la volonté même d'Am-
broiso , moins forte encore que son enthousiasme ,
n'eût pas sulti pour Téteindre.
Je lui promis avec candeur de contribuer à la ré-
daction d'un vocabulaire , dont tous les mots de-
vaient être nouveaux, pei;^nant les objets, et, autant
que possible, les idées abstraites, par des sons imi-
tatifs ou analogues , par la mesure vive ou majes-
tueuse des mots, par une sorte de musique rationnelle
du langage.
Nous ne devions nous occuper que plus tard deç
moyens de faire bénéficier le genre humain de
cette découverte , mais Ambroise ne doutait pas du
bienfait.
Il s'était réservé la grammaire , et je crois bien me
souvenir que, au fond, je ne fus pas fâché de laisser
sur ses fortes épaules ce lourd fardeau.
Quant au vocabulaire, j'ai encore quelques débris
du travail assez considérable que je fis alors , dans
la première fièvre de la pensée. Ces débris dorment
SOUVENIR DE COLLÈGE. 619
lëgitimement dans un carton où je ne troublerai cer-
tûnement pas leur sommeil.
Hais cette première confidence fut bientôt suivie
d'une antre plus grandiose et plus ambitieuse. Am-
ivoise avait résolu de fonder un Ordre de Chevalerie
religieuse et militaire , comme celui des Templiers ,
mais d'une allure plus indépendante. Il en serait tout
naturellement le Grand-Maître, et il m'offrait gêné-
reosement la seconde dignité, celle de Chancelier.
Nous devions recruter avec prudence des adhérents ,
d'abord parmi nos condisciples , puis au dehors.
L'Ordre aurait ses règlements , ses cérémonies ,
866 emblèmes. L'if, toujours vert , serait son arbre
symbolique ; l'arc , arme silencieuse et à longue
portée , occuperait le centre de son blason. L'Ordre
lai-même prendrait le nom assez barbare d'Arcarite.
A si longue dislance, je n'ai plus la clef de toutes ces
allégories. Je me contente de les reproduire littéra-
lement
Le but de VOrdre Arcarite était double. D'abord,
il devait être comme un corps armé en faveur de
toutes les vérités morales , capable de les faire triom-
pher^ soit par la persuasion, soit même par la force,
sur tous les points du globe où elles seraient mé-
connues. Il aurait ses vaisseaux , ses finances , ses
relations diplomatiques. Comment ? . . c'était le secret
de l'avenir; mais, encore une fois, Ambroise ne
doutait jamais.
En attendant que la langue universelle fût établie
et acceptée , il fut convenu que lu correspondance
aurait lieu en latin , moyen assuré de se faire en-
tendre partout, du moins en Europe. Je possède
420 SOUVENIR DE COLLEGE.
encore des fragiuents de lettres où la langae, plas
ou moins heureusement employée, de Gîcéron, nous
servait à exprimer des idées dignes de Cyrano de
Bergerac.
Le second but de l'Ordre était politique. L'Europe
nous paraissait bien vieille. Il s'agissait de nous
transporter dans le Nouveau-Monde , et d'y fonder
une république modèle. Nous prenions les devants
sur ricaric , moins les dangereuses absurdités du
communisme. Celte jeunesse de 1815 comprenait
beaucoup de républicains mitigés , amoureux de la
théorie , ennemis de toute pratique violente , mais
qui composaient invariablement une tragédie, en
faisant leur rhétorique, et <(ui, célébrant la chute
des trente tyrans ou la mort de Lucrèce, se croyaient
fièrement Grecs ou Romains.
La propagande commença, non sans succès. Le
grand-maitre et le chancelier rivalisaient de zèle.
Ambroise, toujoui's isolé en apparence, se prodiguait
et se multipliait en secret.
Nous eûmes bientôt, soit dans le pensionnat, soit
au dehors, dans les autres lycés de Paris , une qua-
rantaine de chevaliers. C'était, nous n'en doutions
pas , le commencement d'une armée de quarante
mille hommes.
Parmi ceux dont nous fîmes la conquête, et dont
plusieurs occupent encore aujourd'hui des positions
honorées, je puis en citer un, parce qu'il a disparu
de la scène du monde , où il a laissé sa trace, le grand
peintre Eugène Delacroix.
Pour vous donner une idée , Messieurs, du sérieux
de bonne foi que nous apportions à nos étranges illu-
SODYENIR DE COLLEGE. 421
ûons de jeunesse, j'esquisserai en quelques lignes
la cérémonie mystérieuse dans laquelle je fus reçu
membre de l'Ordre, et investi de ma haute dignité de
Chancelier.
Notre pensionnat était médiocrement surveillé de
joor, et même de nuit On y travaillait beaucoup ,
mais l'initiative personnelle y était peu p:énée par la
discipline. Il ne s'y commettait point de désordre ,
mais il y régnait une large et complaisante li-
berté.
Le Grand-Maître choisit une nuit pour ma récep-
tion solennelle. Vers minuit, nous descendîmes de
nos dortoirs^ nous deux et une quinzaine d'initiés,
sans que personne, maître ou surveillant quelconque,
eût l'indiscrétion de s'en apercevoir. Nous nous ren-
dîmes au centre d'un grand jardin , qui faisait suite
à la cour d'entrée. Un magnifique clair de lune nous
Êivorisait. Ambroise traça un cercle autour duquel
on se rangea en silence, avec une gravité qui éloi-
gnait tout soupçon d'enfantillage. Nous portions tous
une branche de Tif sacré. Un arc, dessiné sur une
bannière , plantée au centre , rappelait le titre de
l'Ordre. Le Grand-Maître prononça un discours plein
d'une verve qui n*avait rien de factice. C'était, à
coup sûr, son meilleur de l'année. Je répondis de
mon mieux , sous l'empire d'une émotion vraie ,
quoique peu vraisemblable. Ambroise me donna
gravement l'accolade; tous me serrèrent la main
et me promirent obéissance comme au second de
leurs chefs. Pas un sourire, pas un mol prononcé
à la dérobée. Une conviction unanime, une confiance
illimilée dans U» génie d' Ambroise, une résolution
42â SOUVENIR DE COLLEGE.
ferme de ne pas reconnaître d'obstacle invincible à
la réalisation de nos désirs.
Puis, redevenus écoliei^ comme devant, nous re-
montâmes dans nos dortoirs , pour y goûter le som-
meil des bonnes consciences , avant de reprendre
avec simplicité de cœur la version ou la rédaction
du lendemain.
Si je me le rappelle bien , ce qui commença à dé-
sorganiser une association où le sublime touchait au
burlesque , ce fut un incident politique.
Quoique Ambroise fût beaucoup plus occupé d'idées
générales et do projets gigantesques que des intérêts
du jour , il se laissa pet*suader qu'avant de faire le
bonheur de l'Europe et du monde , nous pouvions
bien songer un peu à la France.
U n'y a guère de société secrète qui n'éprouve une
petite velléité de conspiration. Quelques-uns étaient
plus frappés des malheurs de la guerre et des dan-
gers d'un pouvoir sans limites que du génie d'an
grand homme trahi par la fortune et des immenses
services qu'il avait rendus à la France. Ils avaient
eu , comme moi , pour condisciple , le fils de cet au-
dacieux général Malet qui mit un moment en péril ,
quelques années auparavant, dans la désastreuse
année 1812, le trône du premier Napoléon. Ce jeune
homme, d'un esprit fin et de manières élégantes,
étranger sans doute aux projets , mais non aux idées
de son porc, avait contribué a semer parmi nous des
dispositions peu monarchiques
Ceux dont je parle redoutaient aussi le retour
d'une dynastie qui ne connaissait pas la génération
nouvelle, et qu'avait déjà emportée la tempête d'une
SOUVENIR DE COLLEGE. Ï23
rëTolation. Ils voulurent donner à notre cheva-
lerie une couleur plus tranchée , un caractère plus
agressiC
D'autres, et je confesse que j'étais du nombre,
pressentirent que nos rêves , cessant d'être inoffen-
8i& dans leur généralité vague, deviendraient illi-
cites et dangereux ; qu'une conjuration d'écoliers
prêterait au ridicule , et nous nous opposâmes éner-
giquement à cette transformation.
De là , un malaise dans les relations , un ralen-
tissement soudain dans les projets d'avenir , et ,
lorsque nous nous séparâmes^ après la rhétorique^ en
août 1816, il ne restait plus guère de toute cette
flamme que des cendres, agitées et dispersées d'heure
en heure par le vent de l'oubli.
Pour moi , je ne me bornai pas à oublier. Je com-
pris, par une intuition d'une clarté parfaite, combien
nous avions perdu de temps et d'efiforts à la pour-
suite de quelques chimères, et mon imagination,
surexcitée jusqu'alors, calmée tout à coup par l'évi-
dence , rentra , comme je l'avais pressenti , sous
'l'empire salutaire de la raison.
Ambroise , lui , ne se rendit pas.
Les projets de notre parti d'action ne lui avaient
pas souri d'abord; mais , une fois décidé, il ne recu-
lait jamais. Resté seul , abandonné même de son
Chancelier , qui ne voulait plus être que son afifec-
tueux camarade, il se replia sur lui-même, rentra sous
sa tente, et vécut dans le monde de ses pensées. Le
jeu fébrile de sa physionomie trahissait seul le drame
intérieur.
11 m'avait cependant conservé sa sympathie , mais
424 SOUVENIR D£ COLLÈGE.
il se montrait affecté de voir Pylade devenu si peu
digne d'Oreste.
Sortis de pension , lui pour chercher une carrière
indépendante , moi pour entrer modestement à
rÉcole normale, nous correspondîmes quelque temps
encore , d'abord en latin , notre idiome vivant, notre
langue universelle provisoire ; puis , à mesure que
les souvenirs s'affaiblissaient, en français, dans cette
langue morte , que murmurait autour de nous une
race vieillie.
Les épitres d'Ambruise, d'une éloquence rude et
sauvage, se composaient de reproches et d'espé-
rances. Les miennes, de plus en plus accentuées
dans le sens conservateur et prosaïque^ ne pouvaient
plus lui laisser d'illusions sur mon refus de concours.
Un jour, je le vois arriver au parloir, le visage
enflammé, la parole brève, mais encore affectueuse.
11 m'apprend que son activité avait cherché et trouvé
un nouvel aliment. Juif d'origine, catholique de nais-
sance , il venait de se faire protestant. Il me prêcha
en fort bons termes sa nouvelle croyance, et conclut
en m'exhorlant vivement à l'imiter.
Cette proposition me fit sourire. Le temps de l'at-
traction inévitable était passé sans retour. Je lui
répondis sans hésiter que je respectais sa conviction
actuelle , mais que je comptais vivre et mourir dans
la communion où j'étais né.
Ce fut , hélas ! comme la dernière afiusion d'eau
froide sur le foyer de cette liaison si vive autrefois.
Évidemment , il n'y avait plus entre nous de pensées
communes. Je voulais rester l'ami désintéressé d' A m-
broise, mais je n'avais plus rien du disciple, et ce
' SOUVENIR D£ COLLÉOE. 425
qnll fiiUait à cet esprit ardent , c'était an disciple
dans on ami.
n se leva gravement , me serra la main sans mot
dire » et me quitta... pour ne plus me revoir.
J'ai entendu affirmer qu'il dtait devenu , sur un
point extrême de la France, un personnage impor-
tant, et qu'il y était, naguère encore, entomé d'es-
time et de respect
Existe-t-il aujourd'hui ? Je n'ai pu m'en assurer ,
et cependant les amitiés de jeunesse poussent de
telles racines que cette ignorance m'a pesé souvent.
Quoique ce récit ne soit pas une fable, il y a
peut-être lieu d'en déduire une moralité. Je vous en
laisse le soin. Messieurs ; votre bon jugement vous
la dicte ; je n'ai pas besoin de vous la suggérer.
J'ai voulu seulement, au risque d'éprouver votre
patience , rappeler ici quelques traits d'un caractère
qui a dû vous paraître bizarre, mais qui n'avait rien
de banal , ni d'artificiel ; qui était celui d'un jeune
•
homme au cœur chaud , à l'imagination démesurée.
Il a échoué devant des fantômes; un peu d'esprit
pratique l'aurait mené au port.
BIOGRAPHIE
DE
M. OCTAVE SCELLES DE MONTDÉZERT,
MKMBRB CORRESPONDANT DE i/aGADÈMIE DE GAEN,
Par M. Amédée DE8BORDBAVX,
Meoibrc titulaire.
Lorsque, dans un âge avancé, la mort vient frapper
un habile médecin , dont l'existence avait été con-
sacrée tout entière au soulagement de ses sembla-
bles, des regrets unanimes l'accompagnent au tom-
beau , et , toutefois , ces sentiments douloureux sont
modérés par la pensée qu'il avait atteint les bornes
de la vie humaine.
Mais, lorsqu'un jeune homme plein d'ardeur pour
l'étude , après avoir débuté sous d'heureux auspices
dans la carrière médicale et s'être fait connaître par
d'intéressantes publications, est enlevé à ses parents
et à ses amis , au moment où tout semblait lui pro-
mettre un long et brillant avenir, sa mort pi^maturée
nous atlecte d'une manière plus pénible ; et , en dé-
plorant sa triste destinée , nous songeons en même
temps aux œuvres inachevées dont aurait pu profiter
la science s'il eiU plus longtemps vécu.
Tels sont les sentiments qu'a f;tit éprouver à tou$
ceux qui l'ont connu la mort de M. Octsive Scelles de
BIMRAPHIE DE M. OCT. SCELLKS DE MORTDÉZERT. 427
M ontdézert , doctear en médecine , professeur d'hy-
giène derAssociatlonpolyteclini'fue de Paris et mem-
bre associé correspondant de TAcadémie de Caen.
Conformément à Tusage adopté dans cette aca-
démie , vous m'avez désigné pour écrire la biogra-
phie de notre jeune confrère, avec lequel j'avais
entretenu des relations d'estime et d'amitié ; je m'em-
presse donc aujouDd'hni de payer à sa mémoire ce
dernier tribut
Né à Carentan , le 31 mars 1835 , au sein d'une
famille honorable , il fut exposé , pendant son en-
fonce , aux attaques de la fièvre paludéenne , si
firëquente dans cette partie du département de la
Manche ; et peut-être n'eût-il pas écluippé à ses per-
nicieuses influences sans les soins assidus de son
père, médecin distingué, qui s'est livré à de savantes
recherches sur la nature de cette maladie , et qui ,
le premier, a attiré l'attention sur l'emploi à haute
dose du sel marin , comme moyen do la combattre
avec efficacité. Tant que la santé de son fils ne fut
pas complètement aflermie, M. de Montdézert voulut
le conserver auprès de lui ; il s'occupa presque ex-
clusivement du dcveloppomcnt tin sos forces physi-
ques, se bornant à l'onvoycr (?omrne externe à l'École
supérieure de Carentan , dont les cours élémentaires
lui laissaient assez de liberté pour pratiquer habi-
tuellement les cxercici's salutaires de la gymnastique.
Ce ne fut que vers l'Age do s(»iz<î ans qu'il fut placé
par sa famille au collège de Sl-Lo et qu'il commença
à se livrer à des études sérieuses. Le jeune Octave
de Montdézert était doué d'une heureuse mémoire
et d'une imagination active ; il était animé, en même
•RT.
429
-^ ^es,
tiles.
•e par
<ins cas,
ates dont
de notre
* articulations
>le, et, comme
impression qui
•î. S'il envahit le
. il occasionne une
lée, et qui souvent
s'accumule sur les
dont le principe par
celui de la goutte. Mais,
K'ination de Tacide urique
attribue à une altération de
itération résulte de la natilre
•it on fait usage. L'acide urique
ui proportion des aliments plas-
ide par rapport aux aliments res-
. que les aliments respiratoires ne
du carbone et de l'hydrogène, et
«luement destinés à entretenir le jeu
ion ; ce sont principalement les graisses,
«' sucre. Les aliments plastiques au con-
432 BIOGRAPHIE
duitc dans les poumons dispose aux congestions de
cet organe. Cependant , quoique ses partisans con-
viennent eux-mêmes qu'il ne peut faire aucun bien,
son usage n'en est pas moins devenu général. Les
hommes, ainsi que Ta dit M. Flourens, ne meurent
pas , ils se tuent Combien d'autres dangers la con-
naissance de l'hygiène ne pourrait-elle pas nous
faire éviter? Elle nous apprendrait à quel point Tair
concentré et chargé d'acide carbonique qu'on res-
pire dans toutes les grandes réunions, est pernicieux
pour la santé. Nous saurions par elle que l'usage, si
fréquent en Normandie, des boissons acides ne peut
que débiliter l'estomac au lieu de le fortifier ; qu'il
faut éviter d'habiter des appartements humides ou
exposés au nord ; enfin , que les odeurs elles-mêmes
ne sont pas indiilérentes, puisque les émanations des
fleurs très- odorantes peuvent , dans un local étroit,
déterminer l'asphyxie , tandis que celles de l'éther
et du goudron végétal peuvent être très-favorables.
Mais je me borne à ce simple aperçu, qui doit suffire
pour donner une idée de l'utilité de cette science.
Ce fut peu de temps après avoir été reçu docteur
en médecine que M. de Montdézert obtint, an con-
cours , la place de professeur d'iiygiène de l'Associa-
tion polytechnique ; et ses leçons , qui furent impri-
mées successivement dans le journal hebdomadaire
La Science pour tons , obtinrent un succès légitime.
Peu de temps avant sa mort, il les avait réunies dans
un traité qui devait être publié en plusieurs volumes,
dont le premier seulement a paru. Dans cet ouvrage,
que j'ai entre les mains, on trouve autant de physiolo-
gie que d'hygiène. Avant d'indiquer ce qui est le plus
kTCALtcaksaulé, u ci4f.«<:i..t... -. -.' .t ---
£ ticfd quelques notloa': »i: .t*. r.. .-r lz . -al jh
de E« organes. Du reâl»:. ^- ir .i-::-i- r. :-. r.: ^ eu
présenter une analyse q=i. n •::: ;'!.-■::■-.. d.in* ù*'
îTop Jougs délailâ, et \t c*: i^.r.-.ri. i rn fairo un
âozegéoéraL Sans doute. ». eil?.-i.: dr, i an ^.ortaiu
nooibre de traités sur cette iLa:.<irre ; m>ii:^ . conum*
ic£ autres branches de la méd<:ÛQe. l'iiv-jn^uo s'ou
ricbit chaque jour de nouvelles rjb?er\:it liais ; t*l ,
dans son ouvrage, l'auteui a le mérite U'avuir oxpn <<'
d*une manière claire tft méthodique ce iiiii rtiu>liliH'
iVtat actuel d'une science qu'il a su mettre à la pditi^i^
de tous. Or, vulgariser Thygiè ne, et par elle indiqun
les moyens les plus sûrs de conserver la mi ni*'* ,
n'est-ce pas contribuer au bonheur de rhumanil»'' **
M. de Montdézerl a, en outre , publié un hi<*Mi(iii«'
sut l'ozone ou oxygène électrisé , dont les pmiiriéii**»
excitantes pouiTaient , d'après lui, être eniploviM-.
avec avantage dans le traitement de la goutte <t '1"
diabète sucré, puisque ces maladies ont souvenl |»o«n
principe un défaut d'oxygénation. U'un uuIhî <<»!«•,
comme lozonea pour effet de n«Miii;ili.ser le-, miii'"»*''
et de purifier l'air, il pourrait encuie ie':«-vnij «hh-
heoreuse dppiitatlon en îi*-aiiii^-ant 1er -ijl.*-- '1<--
malade? dcr.^ >- L;:ji-..i!jx. Sui le rapport ;,:<• <-n»é
par M. Cl-:-..!. ■:■= - ^m •ire ij*. î.ivr,nîij«:ïî.';î»" •>' ■
cutiij >_: . A^i :-:. rr -i^ ::.k'\'''.\u*: 'i*- 5* *î " ■ i '■
encv.r^t'ri -t ,t-,'-r :■.■.*:■.: > p-.-;: -■.'.•.:•" -" "' "*"
M". -t 1 "■ " ■■_ •■• i"» *•■','■-'.;.•■ T o'iX'' ••'..■"■ •'-■■■"
- -. ■■ V • »• - . .' . .
V. .■--:.
■i34 HiiH;itAPMii::
rent le plus à le faire connaître , et qui bientôt lui
procurèrent une riche et nombreuse clientèle. Elles
lui offrirent, en même temps, l'occasion de faire
an heureux mariage. Il avait donné des soins à
M. Morisot , honorable négociant retiré des af-
faires, qui , depuis longtemps, souffrait cruellement
de celte maladie, et il était parvenu à lui procurer
une guérison complète. Bientôt des relations intimes
s'établirent entre eux. Ses qualités aimables , son
caractère afïiible et l'avantage qu'il avait d'appartenir
h une excellente famille, trouvèrent dans M. Morisot
un juste appréciateur ; et à l'honneur d'une cure
difficile, il ne tarda pas à joindre un succès plus pré-
cieux en obtenant la main de la fille unique de son
malade reconnaissant. Depuis son mariage , tout en
ayant son domicile h Paris , il demeurait habituelle-
ment, pendant la belle saison , à Choisy-le-Roi , chez
son beau-père, qui y possédait une magnifique habi-
tation où se trouvaient réunis tous les agréments de
la campagne. Mais il ne négligeait pas pour cela
l'exercice de sa profession. La proximité d'un chemin
de fer lui permettait de venir chaque jour à la ville
passer le temps nécessaire pour visiter ses malades
et donner des consultations. Dans ce concours favo-
rable de circonstances , il possédait réellement tous
les avantages qui peuvent le plus contribuer au bon-
heur. Mais, hélas ! il ne devait pas profiter longtemps
de cette douce existence. Tout en jouissant habituelle-
ment d'une bonne santé, M. de Montdézert n'était pas
de ceux qui peuvent impunément commettre une
imprudence. Un bain de mer trop prolongé occa-
sionna chez lui un refroidissement dangereux, et dé-
DE M. OCTAVE SCELLES DE MONTOiZERT. 435
termina une maladie de poitrine À laquelle il ne
derait pas échapper, malgré tous les soins dont il
fni constamment entouré , à Carentan • par sa fa-
mille , ainsi que par sa jeune épouse , qui avait
pour lui une tendre affection. Au milieu de ses souf-
frances et des regrets que devait lui inspirer nne
cruelle séparation , il manifesta jusqu'à la fin une
grande résignation ; et , le 7 janvier 1867 , il termina
par une mort chrétienne , h Tâge de trente-et-un ans,
une vie trop courte , mais déjà signalée par d'utiles
travaux.
LN
EN L'AN DE GRACE 1868.
Membre titulaire.
— *-*«^\AAAAAAAAAAAA^.^— —
Tout le monde a lu le nouveau récit de M. Fey-
deuu : /m cmntesse de Chalis, On peut le parcourir
en trois iieures; cependant il me paraît mériter qu'on
H'y arrôle, car il est de ceux auxquels peut s'appliquer
une expression devenue banale : c'est vraiment un
des signes du temps.
Ou nous nous trompons fort , ou le succès n'a pas
répondu à toutes les espérances de l'auleur. Le gros
du public n'a vu U\ tout d'abord qu'une œuvre immo-
rale , il a trouvé surtout dans l'héroïne une candeur
de vice révoltante. D'autres, habitués à chercher
dans tout roman une aventure et des personnages
auxquels ils puissent s'intéresser, ont éprouvé une
déception. 11 en a été de même pour certains lecteurs,
(|ui ont espéré inutilement y rencontrer la page de
haut g(n\l tpii les avait allViandés dans une première
«uivre. I/auleur, j'imagine, sans se soucier de l'in-
ilignalion des uns, ni du dérangement d'habitudes
des uutivs, ou du refroidissement de certains enthou-
siasmes qu'il n'avait pas désirés, leur dirait qu'il avait
UN ROMAN MORAL EN L'AN DE UHACE i868. 437
11 est évident, en effet, que le roman moderne entre
de plus en plus dans des voies nouvelles. Le roman-
cier du XIX* siècle n'est plus « ce qu'un vain peuple
pense ; » ce qu'il était autrefois, avant tout un con-
teur , chargé d'amuser les désœuvrés. Le roman du
temps jadis, proche parent de la noîwelle, était quel-
que histoire de cœur agréable et touchante. îl s'em-
parait de rintérét du drame avec plus de familiarité
et d'abandon, avec quelque chose de plus intime,
avec un détail plus complaisant dés caractères , de
la vie, des mœurs^ des ressorts secrets. Aujourd'hui
il a des prétentions plus hautes : il ne veut plus relever
de l'imagination , mais de l'observation , de la
science, nous dit-il : il ne tient pas à être attachant,
ou beau, mais vrai. Et en même iemps il a pris
charge d'âmes.
L'auteur de La comtesse de Chalis est avant tout
un moraliste et un moraliste satirique, une sorte de
Juvénal en prose. En effet, la poésie languit aujour-
d'hui, et, le vers semblant n'être plus qu'une forme
du passé , un moule de plus en plus abandonné ,
à l'usage de quelques curieux qui composent encore
des poèmes, comme on fiiit des meubles de Boule et
des faïences de Palissy; le roman remplace L'ancienne
satire, parce que le roman est la forme la plus popu-
laire, celle qui appelle le plus de lecteurs. Et comme
tout honnête moraliste prenant son rôle au sérieux,
aux critiques il joint les conseils. Le romancier n'est
plus un poète, c'est un médecin^ un médecin qui com-
mence parl'unatomicet qui fmit parles prescriptions.
Tel est incontestablement le rôle que s'est donné
M. Feydeau dans son nouveau roman ; il croit la
438 UN ROMAN MORAL
société malade , et il veut pssnver de la traiter. Il ne
se contente pas d'être un moraliste observateur, con-
sciencieux , exact , sans faiblesse et sans flatlerie ,
mais en même temps il dogmatise et il prêche. D ne
veut pas qu'on se trompe sur ses intentions. S'ilnoas
retrace cette histoire^ ne croyez pas qu'il cherche le
scandale ; non , il entend nous instruire , il nous le
dit expressément. Le héros de l'aventure, qui se con-
fesse avec une pleine franchise , n'était pas libre de
ne pas nous la dire : son récit est une pénitence, qu'il
accomplit consciencieusement. C'est la condition qu'a
mise à son pardon le mari qu'il a trompé, trompé
selon le monde, mais en réalité trompé aussi peu
que possible , car il s'est depuis longtemps déainté*
ressé de son ménage, et se tient strictement en dehors
des événements ; mari sans préjugés et d'une longa-
nimité tout humanitaire, qui veut que la faute d'un
seul et l'outrage fait à son nom tourne au profit de
tous. Ce mari, qui va mourir dans quinze jours (la
date est précise ) , atteint d'une phthisie bien carac-
térisée, avec un détachement que peut seul pratiquer
un homme qui est aussi peu de ce monde, a pardonné
au coupable , parce que , en dépit de sa faute. • il a
vu en lui un honnête homme. • u Vous ailei , lui
dit-il, me prouver que je ne me suis pas trompé. Vous
publierez, sans rien déguiser ni rien retrancher, tout
ce que vous connaissez de l'existence de la comtesse
de Clialis : ce sera votre expiation. Et si, par cet
exemple que j'ai fait, quelqu'une decesfeumies qui ne-
sont ni épouses, ni mères, ni femmes, peut rëUéchir
et s'arrêter à temps dans sa folie , vous et moi nous
aurons du moins accompli quelque chose d'utile. «
EN l'an de GRACE 1868. 439
La première des originalités du roman est d'avoir
ehargé de cette confession un jeune universitaire. En
vérité , la ]()ublicité a fait depuis quelque temps à
l'Université un rôle qui est en droit de faire sourire
bien des gens, et surtout ceux de ses membres à qui
lenr âge et leur situation de famille permettent de se
ranger parmi les spectateurs. Jadis le professeur,
dans la littérature romantique, n'avait rien à envier
an médecin de Molière. T^aid , mal tenu , mal lavé ,
vêtu de noir, peu familier avec le peigne et la brosse,
ayant peu de chose à démêler avec le parfumeur en
renom, ne sachant pas même où logeait Dusautoy,
hérissé de grec et de latin , il était Thorreur des
jeunes garçons, l'effroi légitime de leurs charmantes
sœurs. Qu'on se rappelle seulement l'horrible et ran-
cuneux portrait que Victor Hugo a fait du proviseur
dans une pièce bien connue. Quel changement ! Le
voilà appelé à jouer les jeunes premiers. Il va dé-
trôner l'ingénieur et le jeune chimiste qui depuis
quelques années étaient seuls en possession de faire
battre les cœurs des héritières, ou le grand artiste qui
avait à un moment partagé avec eux les tendresses
des romanciers et des vaudevillistes , ou le grand
poète incompris et chevelu qui les avait précédés tous.
Mais ici le choix même du héros est un signe du
caractère que l'auteur voulait donner à son œuvre.
Il lui fallait un personnage qui, tout en cédant aux
entraînements du temps, sentit sa faute et fût capable,
à l'occasion, de dire au siècle ses vérités ; qui , né
« avec une âme propre », comme dit l'auteur, avec
une nouveauté d'expression plus hardie qu'heureuse,
eût été préparé par uuc éducation assez forte pour
iiO 15 hUMA.N MObAL
que, tout en be laissant emporter, iJ ne perdit jamais
de vue la lumière morale qui le condamne arec
éclat. C'eîst même la une des plus saisissantes démons^
trations des dangers signalés par l'auteur, et de
l'état, selon lui, désespéré de nos mœurs, que de
voir ceux dont l'âme a été trempée par les pins
fortes études, que le goût des plus nobles spéculations,
que l'austérité de leurs habitudes et de leur profession,
que l'engagement d'une vie réglée , pris vis-à-vis
d'eux-mêmes et vis-à-vis du public, en pleine con-
naissiincc^t en pleine liberté , devraient retenir, se
laisser aller à Tabime, qu'ils voient ouvert, et ne garder
de leur vertu première que les remords et l'ardeur
a flétrir leur propre faute. Chacune des capitulations
du héros avec son honneur, chacune de ses lâchetés
(*Rt une condamnation de l'état social qui mène de
telles âmes à de pareilles chutes.
Charles Kcrouan est un jeune universitsiire de la
plus belle espérance. 11 annonce le plus riche talent,
et ce talent no reste pas un instant sans récompense.
Il marche dans sa carrière à pas de géant. Du reste,
la vie de l'enseignement est pour lui pleine de dou-
ceui-s. Il est rhùte habituel des plus riches salons,
le familier de l'ambassade d'Angleterre. C'est là que
Tatlend le drame de sa vie, là que, dans une fôte
d'élé, il ref;oit le coup de foudre. Il était minuit , il
w» disposait à se retirer, quand ses pieds s'embar-
ra8H«»nt dans la traîne d'une robe. On ne sait pas
asHi»/ combien une traîne peut être un piège redou-
table. Tandis que le malheureux essaie de réparer
Ha inaladresHe et s'excuse , celle qui en a été la
viilnur s«' lohïurnr inilée. 11 nous a dit que, tout
EN l'an D£ GRACli: 1868. 441
enfant, il avait donné des marques d'une passion et
d'ane sensibilité peu communes ; i] en offre bien ici
la preuve : a Je ressentis , nous dit-il, tout à coup
c( au cœur comme uu choc. Je puis dire sans hyper-
« bole qu'il suffît d'un regard pour me foudroyer.
« Mon cœur , ma vie , toutes mes pensées , tout
« appartint à cette femme ; elle avait tout pris avec
« elle, elle emportait tout derrière elle dans les plis
u ondoyants de sa jupe déchirée. i> Et comme dernier
et irrécusable symptôme, il ajoute nu peu plus loin
qu'à partir de ce moment tout dans les salons • prit
pour lui des proportions augustes, o Sa passion est
telle qu'il ne songe pas un instant à la distance que la
fortune a mise entre elie et lut, et à se dire avec le
poète aimé de M. Feydeau :
Qa*i] n*e8t qu*iui ver de terre amoureux d*une étoile.
Cependant le jeune foudroyé n'a pas voulu être pré-
senté à la belle comtesse. Il ne veut pas qu'il y ait rien
de banal entr'eux. 11 se réserve d'apparaître tout-à-
coup dans quelque circonstance solennelle. Cette cir-
constance ne tarde pas à se présenter. Il l'a suivie
partout et jusqu'à Aix où l'appelait la santé de Tun de
ses enfants. Il va se loger près d'elle, et là bientôt le
hasard lui livre le secret de la vie de M"* de Chalis.
Se croyant seule, elle a une explication orageuse et
d'un ton médiocrement aristocratique avec un certain
prince ïitiane que Kerouan détestait d'instinct. Elle
lui réclame des lettres qui peuvent la perdre, et dont
le prince ne vent pas se dessaisir. Rerouan a tout en-
tendu : quand le prince s'est éloigne , il se présente
442 DN ROMAN MORAL
à la comtesse au désespoir. Ces lettres qu'elle pleare
si amèrement, il jure de les lui rendre : il trouvera on
moyen, il ne sait pas lequel, mais il le trouvera.
Il le trouve , en eilet. Triste invention et qu'il
convient de noter ! Car cela menace de devenir
un lieu commun du roman et du drame de ce
temps-ci , et cela me semble indiquer une fâcheuse
déviation ou tout au moins une singulière mollesse
de la conscience publique. S'il est un mot qai soit
une intolérable insulte, s'il est un soupçon qui n'ose
pas même approcher d'un honnête homme, c'est celai
d'un vol. Et cependant, par une rencontre malheu-
reuse, au moment où les vices bas se multiplient, où,
les attentats à la vie diminuant, les vols augmentent,
la comédie et le roman semblent vouloir réclamer
pour lui notre indulgence, en se faisant un jeu de ces
accusations. Le vol devient un ressort du roman et de
la comédie. Désormais l'art de forcer les serrures
devra faire partie des talents obligés, des séductions
du jeune premier , comme jadis le beau langage ,
comme la pâleur et la tristesse fatale il y a trente
ans. A l'échelle de cordes d'autrefois il substitue un
rossignol. Un personnage embarrassé , en danger de
compromettre celle qu'il aime, se tire galamment
d'affaire en se faisant passer pour voleur ! Nous avons
vu cela dans Nos bons Villageois : pour sauver l'hon-
neur de la comtesse de Chalis , M. Kerouan démonte
une serrure, et vole des lettres dans un nécessaire.
Prenez garde, ô poëtc, cela est grave. Comment ne
sentez-vous pas que non-seulement un honnête
homme ne peut pas consentir à endosser un pareil
snn()çon , mais qup l'idée même ne lui en viendra ja-
EN l'an de GRACE 486R. 443
mais; qu'il y a quelque chose d'aussi sacré qu'une
répotation de femme on de jeune fille innocente:
c'est la rectitude de la conscience. Il y avait dans
notre vieille langue un beau mot. L'homme comme il
faut s'appelait alors Tlionnéte homme. Cela tout seul
était une profession de foi : cela voulait dire que, pour
appartenir au monde élégant, il fallait avant tout être
en règle avec le vieil honneur fi-ançais. Il était, je ne
dis pas seulement des actes , mais des possibilités
d'actes incompatibles avec cette idée. Aurions-nous
donc perdu cette Heur d'honneur? Le public devrait
se soulever indigné contre ces jeunes amoureux qui
en font si bon marché. Que nos écrivains y fassent
attention. Il n'est jamais bon de diminuer la légithue
horreur ou plutôt le dégoût de certaines choses. II
ne faut pas familiariser la foule, et Tapprivoiser pour
ainsi dire à l'infamie.
Cependant la comtesse n'a pas résisté à cette preuve
délicate de dévouement Le jeune homme passe à Aix
un mois d'enivrement. Il est possédé tout entier. Il
refuse la main d'une jeune fille , parce de toutes les
grâces, dont son père lui avait préparé l'alliance. 11
la refuse non sans regret. Car il faut reconnaître que
dans le roman moderne les héros sont pleins de res-
pect pour le mariage. Us proclament, en général, que
le bonheur n'est que là. Il est vrai que non moins
généralement , avec une modestie touchante , ils re-
fusent ce bonheur qui s'offre à eux en déclarant
qu'ils n'en sont pas dignes. Ainsi fait le jeune
M. Kerouan. L'bistoire de ses amours n'est désor-
mais que l'histoire de ses fautes et de ses chutes.
II est revenu à Paris, tout entier à sa passion, lancé
444 i:n uoman moral
tout-à-fait dans la belle vie et quelque pen honteux
de sa gloire. Mais, tout en sentant le vide de cette
existence,* tout en s'écriant de temps en temps : c'est
(( trop ! et en éprouvant des nausées n , il s'est laissé
prendre dans Tengrenagc du gandinisme.
Cependant il lui faut bientôt s'apercevoir qu'en
dépit de tous nos progrès, il y a incompatibilité entre
les succès universitaires et ceux de la « high Itfe. » Et
au moment où, pour faire figure au bois et au baccarat
des Petits crevés, il vient de dévorer le dernier éca de
l'héritage maternel, il reçoit un pli d'aspect vënémble
qui le place entre un exil honorable en province ou
sa démission. Il s'empresse d'opter pour la démis-
sion. Sacrifice mal payé ! Car, lasse do ses conseils,
la comtesse se détache de lui et se précipite dans
toutes les folies. Avec la démission est venue la mi-
sère, puis les dettes. Un jour enfin mourant de faim,
surpris par la comtesse, il est réduit à lui confesser
son affreuse situation , et il commet une horrible
lâcheté. 11 accepte, que dis-je? il implore de sa mai-
tresse un morceau de pain ; il la supplie de le prendre
a ses gages : il deviendra le précepteur de ses enfants.
Lui , qui se prétend si pénétré des plus purs et des
plus virils enseignements de l'histoire, il n'a pas senti
tout de suite l'indignité de cette situation , complice
des désordres de la mère, et réclamant les respects
des enfants. En vérité, si le roman fait encore à l'Uni-
versité riionneur de lui emprunter des héros , elle
devra le supplier de lui rendre ses railleries d'autre-
fois. Mieux valait l'honnête pédantisme du passé que
ces Victoires et conquêtes, payées de semblables dé-
chéances.
KN l'an de orage 1868. ^145
Le précepteur nouveau n'a pas plus que la com-
tesse songé aux suites de cette résolution. Ils ne
tardent pas à reconnaître en quel enfer ils se sont
enfermés, elle s'étant donné un surveillant , un cri-
tique de tous les instants, lui un supplice incessant
par la vue des égarements de la comtesse. Un châti-
ment plus terrible encore l'attend. M. de Chalis est
revenu. Le jeune homme va vivre en un continuel
remords, un continuel déchirement de conscience.
Et, pour l'achever, ce mari lui donne toute sa con-
fiance, lui raconte sa vie , lui dit pourquoi il a dû
se séparer de sa femme ; et, forcé de s'éloigner de
nouveau , il demande au précepteur de ses enfants
de l'avertir si , dans cette foUe demeure , l'honneur
de son nom était en péril. Charles promet avec une
horrible souffrance. Puis , le mari parti , il se laisse
arracher le secret qui lui a été confié. Ainsi , tou-
jours honteux de lui-même, complice de toutes les
fautes, et cependant donnant des conseils qui ne
servent qu'à le faire haïr , toujours ressaisi par une
passion dont il rougit , un jour enfin chassé par la
comtesse, blessé et presque tué par Titiane , sans
pouvoir échapper encore à l'influence funeste , ce
n'est que devant une révélation dernière de la plus
complète infamie de sa maîtresse , qu'il s*enfuit
épouvanté et court chercher auprès de son père
un lieu de sûreté, où les contre-coups seront pour
lui moins redoutables. C'est là qu'il apprend que
toutes ces hontes ont trouvé enfin un châtiment,
que M. de Chalis averti est revenu ; que, comme un
franc-juge du moyen-àge, il a fait justice lui-même ,
il a tué , surpris dans une orgie , le misérable au-
446 CN ROMAN MORAL
leur de la perte de sa femme , et jeté celle-ci dans
une maison de santé , où la folie le vengera.
Quant au jeune M. Kerouan, épargné, nous l'avons
vu, par la clémence du mari, son père achèvera de
le relever. Il a refusé encore une fois , il est vi-ai ,
« range o qui lui est offert; mais, rassurez-vous p
certainement il Tépousera. Déjà il échappe au ma-
rasme qui Pavait envahi : il fait des conférences, il
est sauvé !
On le voit , dans ce petit mélodrame , égayé de
Pétrone, et relevé de longs sermons , le roman pro-
prement dit tient peu de place , Tintrigue est médio-
crement saisissante ; l'auteur évidemment y attache
peu d'importance , ou plutôt il a voulu qu'il en fût
ainsi, aûn que Tintérét du lecteur ne pût s'égarer et
s'attacher aux faits, tandis qu'il le voulait retenir
tout entier pour l'étude morale. Le héros ne tombe
que pour l'édification du lecteur. Mais l'auteur ne
s'est pas contenté de cette vague leçon. Du haut de
chacune de ses fautes , le jeune M. Kerouan mora-
lise. Après le vol obligeant des lettres et ce qui s'en
est suivi, dans une conférence pour la comtesse
seule, mais dont l'auteur veut bien nous faire bëné-
Gcier, il prend pour thème la disparition des mœurs
françaises dans l'invasion de l'univers , l'effacement
de l'esprit de Paris , devenu un caravansérail et la
capitale du plaisir ; ailleurs, il disserte sur le triste
caractère de nos divertissements , sur la curiosité
fâcheuse des honnêtes femmes pour le mauvais
monde. Plus loin, il traite de l'éducation des femmes ;
c'est le chapitre indispensable en ce moment , la
Miiu-que de l'an mie. Il veut refaire l'instruction de la
io8 UN ROMAN MORAL
ment laborieuse ils s'étudient à se fuire pardonner
leur oisiveté ; qu'ils ne prétendent pas régner et cor-
rompre. Ce serait un spectacle singulier et Jamcn-
table que celui d*une démocratie vivant par des
vertus viriles , et ayant pour couronnement et pour
récompense les vices el les folies des aristocraties en
décadence.
Soit donc ! si une partie do notre société est réel-
lement telle que vous le dîtes, faites-lui la guerre el
tlétrissez-la , rien de mieux.
Nous donnerons donc acte h l'auteur de ses inten-
tions. M. Fcydeau me parait un esprit sérieux et
convaincu, une Ame droite et saine. Mais, en mettant
à part son honnêteté , la question littéraire et mo-
rale ( il convient de ne pas les séparer ici ) demcore
tout entière. Je ne crois pas qu'il convienne d'encou-
rager de telles tentatives. De pareilles œuvres ne
sont bonnes ni pour la morale ni pour la littérature.
Ce que je vois de plus fAcheux pour la moi-ale pu-
blique , ce n'est même pas le danger de certains ta-
bleaux , ce n'est fuis que le livre ait niison dans cer-
taines de ses accusations , ce serait cette dépravation
du jugement mural qui permettrait à la littérature
de croii*e qu'elle fait, par de semblables composi-
tions, une œuvre utile el salutaire.
I) abord , la prédication va mal au roman. On est
toujours tenté de lui demander comme ce mari : Ah !
Monsieur, qui vous y ol)liireait ? Tout ce qu'on at-
tend de lui, c'est de ne pas outrager l'honnêteté , ce
n*est pas d en donner leçon. Il ne convient piis au
romancier de faire double emploi avec ie prédica-
teur. La moiale et le loman y perdent tous deux.
EN l'au de GRACE 18«)8. 459
La morale (j'entends la morale en sentences et en
Bernions) gâte le roman, et le roman h coup sûr
gAte la morale. Le lecteur aime à trouver chaque
cbose en son lieu, et non à <}tre comme pris uu
piège. 11 ne veut pas des ëliquettes trompeuses. Si
▼ons prétendez l'instruire, dites-le-lui et faites un
livre d'instruction. Il n*y a que les tout petits en-
fants pour lesquels il soit bon de mettre une méde-
cine dans nn bonbon. Les pliunuaciens qui les ven-
dent assurent que cela fait des bon1:>ons exquis; mais
le moindre risque est de faire des médecines trop
douces ou des bonbons trop médicinaux. L'impres-
sion du livre est confuse et ditlicilemcnt démêlée par
le lecteur.
D'ailleurs , le roman n'u pas caractiuc pour eni<ei-
gner : cette prétention va mnl avec ses peintures.
Pour avoir le droijt de faire la leçon aux autres il faut
être sans tache. Votre héros a mauvaise prûce à prê-
cher du fond de sa complicité. On sofait'diflicilement
une chaire de Talcove (rauhui. Quand lo sermon
moralise, la société est toujours en droit de lui dire,
comme M"* de Chalis à Charles Rerouan : « Qui élcs-
« vous, pour me faire la leçon ? «
C'est bien pis si votre morale se fait sitiriquc. Kii
morale on ne fait rien de bon par le mépris, ce nVsl
pas ainsi qu'on peut fortifier ou relever les âmes. La
moralité humaine est chose délicate, elle a une Heur
qu'il faut craindre de lui cnlcvor. Ce nVst pas en nous
faisant vivre familièrement avec la honte qu'on inspire
le respect de Thonneur. Si, couïme vous le faites en-
tendi*e , vous voulez venir en aide à l'honnêteté pu-
blique^ inventez quelque belle et grande œuvre, une
460 TN ROMAK MORAL
Oîiivre non pas fudcment innocente , mais virile-
ment morale, que voire talent saura imposer à Tat-
tention publique, et qui. au lieu de lîélrîr seulement le
mal, donne la passion du bien ; mais le spectacle con-
tinu de rignominic ne peut qu'abaisser et flétrir. On
rëpétait volontiers jadis que les Lacédémoniens, pour
inspirer à leurs enfants l'Lorreur de Tivrognerie, leur
monlraientde temps en temps un ilote ivre. J'imagine
que cela souillait plus les regards, que cela ne faisait
d'honmies sobres : leur sobriété tenait à Tesprit gé-
néral de la constitution plutôt qu'A cet ignoble ensei-
gnement. Kt d'ailleurs, si l'on veut des leçons de déli-
catesse morale, ce n'est pî\s dans ce hara*s militaire
do Sparte qu'il faut les aller chercher. La vieille sa-
tire, toute passée de mode qu'elle est, avait au moins
cet avantage qu'elle ne présentait pas d'équivoque
possible , les saliri([ues étaient des prédicateurs
laïques : elle allait droit au mal pour le chdtier et ne
r»»nveloppait-pas, et la forme poétique qu'ils don-
naient à leur pensée en faisait (euvre d'art.
Cependant il est des gens qui sauront gré à ce livre
d'être ainsi. Kst-ce donc 1.^, en elfet, le roman de l'a-
venir? Sommes-nous désormais condamnés à la lUté-
rature brutitie? Je ne sais pas d'autre nom pour dési-
gner ces tendances. Faut-il croire que ces compositions
auxquelles nous nous intéressions il y a quelques an-
nées à peine , comme Le marquis de Villemer, que ces
louchantes histoires de cieur ne sont déjà plus que
le roman du passé ? Il est des critiques qui le croient
et qui pensent que ce roman-là n'est point assez viril
ni nsseï savant, et qu'il est trop poétique. Nous avons
vraiment trop de prétentions scienlitiques. H y a des
EN L*AN U£ GRACE 18G8. iOl
époques qui ont adoi-é la Itcauté ; c'est de là qu'est
Borlio la i-enai?sance italienne aj tisliquo et littéraire.
Pour nous, nous faisons profession de n aimer que
la vérité, une vérité qui de plus eu plus devient la
né[;[alion de l'idéal. L'idéal est cependant aussi néces-
saire aux sociétés que le vrai. C'est une vérité d'un
degré supérieur. Par égard pour la vérité, nous en-
laidissons l'histoire ; il y a toute une école (pii, sem-
blable à ce dénicheur de saints du \\\V siècle, s'est
vouée à la destruction des j^rands hommes. Ne ban-
nissons pas la poésie du seul petit coin qui lui reste.
Ce qui donne h la tendance du livre nouveau plus de
gravité, ce qui me trouble et m'inquiète quelque peu,
c'est qu'elle offre une certaine concnrdance avec une
opinion professée récemment par deux hommes de
grande autorité en ces matières, et qui , partis de
points opposés, arrivent à une même conclusion.
M- de Sacy, sénateur, et, connue on sait, fort admi-
rateur du XVll^ siècle, dans uneu'uvre oUicielIe (1),
ce qui donne plus d'importance à ^es paroles ,
déclare solennellement que « la littérature classique
est fmie. » Et il a soin de bien marquer qu'il n'entend
pas par là la littérature du passé, mais celle en gé-
nérai, qui s'attache à la perfection, qui veut satisfaire
les délicatesses du ^oiïl. « Essentiellement aristocra-
tique de sa nature, dil-il, elle n'est plus de notre
époque. » El M. Sainte-Deuve de son côté , dans ses
libres Causeries ^ assure que les littératures dites clas-
siques ne seront dans l'avenir goûtées que d'une
'I; Rapport sur les pro^rrs dr^ Scifiin-s ci des I-fllros Disoiiir».
préliiiiiiiaire.
40i 15 ItOXAS NORll.
rare ëlilc Esl-il donc vrai que, de par la démocratie ,
nous soyons mcunci'/n de voir disparaître à jamais
toutes les déiicatefi^e», et Part lui-même , que nous
ne devions plus attendre que des œuvres violentes?
On pourra trouver que ce n'est pas là on moyen de
recommander lu démocratie. J'ai la plus vive sym-
pathie et le plus frrand respect pour le talent de
M. Sainte-lleuve et celui de M. de Sacy ; mais il me
semble qu'il est permis d'en appeler de leur juge-
ment. Je ne vois pas, l'histoire en main, que les dë-
mocraties aient M. à ce point ennemies de l'art. On
en rencontre qui ont fait dans l'histoire des arts^ dans
l'histoire du fçoût et de la délicatesse assez bonne
tigure. Sans doute un grand changement s'est opéré.
Le KuilVage universel veut se faire sa place en litté-
rature comme i^w politique. On a remarqué avec
rais(m que les voies ferrées amenant aux théAtresdes
multitudes^ que les fortunes rapides créées par l'agio-
tage |H)rtant aux premiers rangs de la société des
gens do médiocre culture intellectuelle, les juges de
Tospril n'étaient plus la fuie éUte d'autrefois, que le
public désornuiis s'appelait légion. Des écrivains ont
dû ^tre tentés de se mettrt^ à la portée de celte foule
qui leur venait de toutes parts , et qui était encore à
demi illettrée. Mais à la portée ne veut pas dire au ni-
veau. Si la foule est encore si bas, les écrivains ne
doivent |kis descendre jusqu'à elle, mais l'élever jus-
qu'à eux. D ailleurs, à mesure que cette société va se
rasseoir, elle aura des tn^soins nouveaux , on verra
reparaître les conditions natives du génie français.
Il est naturellement ami des élégances. Chez nous
toutes les conditions se ressemblent en cela. C'est à
EN l'an oe biiACii: 1868. 4G3
tort que , par la grossièreté , vous croyez llatter le
peuple et entrer en ses goûts. Lo peuple bien con-
sulte vous répondrait qu'il n'aime les sordidités , ni
an physique, ni un moral^ ni dans les senlimenis, ni
dans le costume. Voyez comme l'ouvrier se plait à
s*endinianclier. Quand la République prit pour livrée
les haillons , le bonnet gras et les sabots , elle
inspira le dégoût môme à la foule ; les terroristes
faisaient peur, les sans-culottes furent Aussi gro-
tesques qn'odieux. 11 en est de même au moral. La
foule n*a pas le goût que vous lui supposez pour les
choses basses, pour les tableaux grossiei^. Loin de
là, ce qui la fait vibrer, ce qui lui arrache les applau-
dissements les plus enthousiastes, ce sont les grandes
pensées qui, à force d'être grandes et reconnues telles,
s'appellent des lieux communs. Et ce qui le prouve
bien, c'est que les œuvres comme celles que nous étu-
dions choquent surtout la foule, et qu'elles ne trouvent
des approbateurs que chez les lettrés de profession ,
chez les curieux de l'esprit. Laissez le temps faire son
œuvre; ces ignorants rougiront de leur ignorance,
ils auront soif à leur lourde toutes les jouissances déli-
cates. En tout cas , quand même cette décadence du
goût solennellement acceptée par des juges acadé-
miciens devrait persister, ce serait encore le devoir
de la critique de protester jusqu'au bout.
SUE L£
PRIX DE LA GODRE
MEvMEIRn,
Un lie no? hoiiuiês collt'iriies . M- de La Codre ,
tonime pour aiigiuer.ler le r**ffrel tjiie nous éprouvons
de ne le jumai? voir eu milieu tlo nous , a bien voulu
mcUre . il y a enviion di us ans . à la disposilion de
l'Acadt-mie . une mèdaiile d'or de la valeur de
500 fiant > pruii êlie dëceint-e . en 1867 . au meilleur
écrit traitant la question suivante :
». D.ins quelle mesure la philosophie a-t-elle été
*-t pourra-t-elle être utile au perfectionnement et au
bonheur des hommes ? v
Le concours pour ce prix , ouvert en novem-
bre 1865, imposait pour condition aux prétendants
de faire fuiivenir leurs mcnioiix^s, dans les formes
accoutumées, à M. Julien Titivers , Secrétaire de
rAcaJémie, avant le l*' décembre 186(5.
Quatio manuscrits ont été remis au Secrétariat : le
premier, le 17 avril : le second , le 27 ; le troisième,
le 17 novembre; le quatrième , le ùS, et soumis à la
Commission d'impression , qui s'est adjoint , pour
loxamen quelle a\ait à en faire. M. Denis, profes-
RAPFORT SUE LE PRIX DK LA lIODKK. it>5
seur de b'Uëralure ancienne à la Faculté des Leltrei*,
et M. Ghanna, professeur de philosophie et doyen k
la même Faculté.
Trois de ces manuscrits^ les n°* i , 2 et 4 , portant
la signature ostensible de leurs auteurs qui se met-
taient par cela même hors de concours , la Commis-
sion n'a pas eu à les juger. Elle croit toutefois, pour
que l'Académie ne soit pas tentée de craindre que
cet oubli d'une formalité si élémentaire dans les
choses de ce genre ne l'ait pu priver du phiisir de
couronner un travail méritoire , devoir la rassurer en
lui déclarant qu'aucun des trois n'aurait obtenu ni le
prix , ni même une mention.
Restait le n* 3 qui, ayant seul réuni toutes les con-
ditions requises, devait seul être l'objet de son étude
et du compte qu'elle aurait à rendre de sa mission.
Le manuscrit dont je viens, Messieurs, vous entre-
tenir en son nom comprend 209 pages petit in-4*
d'une écriture tremblée , mais très-nette et parfaite-
ment lisible.
Il porte en épigraphe cette phrase de M. Jules
Simon : a Le progrès et le progrès indéfini est la loi
de la philosophie. »
11 se partage en vingt-huit chapitres dont chacun
traite un des points de vue spéciaux sous lesquels
l'auteur a envisagé la question, à l'exception de quel-
ques-uns qui pourraient s'intituler : Suite du chapitre
précédent, et qu'on n'aurait pas dû détacher de ceux
qu'ils continuent et complètent. A part ce léger
défaut , si c'en est un , on remarque partout , dans
ces vingt-huit chapitres, un esprit d'ordre et de
méthode qui ^ joint à la précision et ù la clarlé »lu
:J0
{
RA]?ï*OîiT
suit LE
PRIX DE LA GODT
Mkssieius ,
Un do nus honorés collôgues , M. •
comme pour angmenlor le regret que ii
ile ne le jamais voir au milieu de non^
mettre . il v a environ d(nis ans , à h
l'Académie , une médaille d'or d-
500 francs pour être décernée , en 1^
écrit traitant la question suivante :
u Dans quelle mesure la pbilo-
i'\ pourra-t-elle tMre utile au perf-
bonlieur des hommes ? i»
Le concouis pour ce prix
lire ISOo. imposait pour cond
tle faire pai venir leurs mémo
accoutumées, à M. Julien 1
l'Académie, avant le l" déce
Oualre manuscrits ont été
premier, le 17 avril; le secr
le 17 novembre: le quatrièi
Commission d'impression
l'examen qu'elle axait à c
9CR LE PRIX DE LA CODRE. 467
Tout gônë qu'il ëiait dans son expansion instinctive
aux diverses ëpoqnes où il s'est manifeste comme il
l'a pa, il a cependant contribue puissamment aux
améliorations lentement processives de Tétat social
chez les différents peuples , et c'est à lui que les na-
tions doivent les quelques institutions libérales qui
se sont péniblement substituées cbez elles aux légis-
lations plus ou moins despotiques dont elles ont si
longtemps souffert. Que sera-ce donc maintenant
qu'il n'a pour ainsi dire presque plus rien à détruire,
qu'il n'a plus en quelque sorte qu'à fonder et à éta-
blir? L'auteur ne doute pas que cette pbilosophie
rationnelle qu'il identifie avec ce qu'il appelle le
véritabk christianisme 9 s'iippuyant, comme il ledit,
sur la croyance au Dieu unique et à la justice
ainsi qu'à la vérité immuable et éternelle , sur la
souveraineté de la conscience et l'égal ité morale des
hommes, ne conduise notre espèce au but que lu Pro-
vidence lui assigne , c'est-à-dire à toute lu perfection
dont sa nature est capable et à tout le bonheur dont
sur cette terre même elle est appelée à jouir.
Tel est , Messieurs , en substance , le truvuil cjue
votre Commission avait à apprécier ; cette apprécia-
tion , elle est impUcitement contenue duns l'exposé
que je viens de vous soumettre ; il ne me reste qu'a
l'en dégager.
Le mémoire n** 3 est de ceux qu'une Acudémie doit
se féliciter d'avoir provoqué et fuit éclorc ; il est de
ceux, par conséquent^ qu'elle ne peut pas ne pas ré-
compenser.
Votre Commission vous [uoposc donc , Messieurs,
à une grande majorité, de lui décerner la miidaille
d'or dont vous pouvez disposcM-.
4()8 RAPPORT SUR LE PRIX DE LA œDKE.
Mais, tout en lui accordant ce témoignage d'estime,
la Commission fait ses réserves sur un point impor-
tant. La thèse soutenue par Técrivain accuse partout,
sans aigreur , il est vrai, et en termes adoucis autant
que possible, toutes les religions positives d'en-
chaîner les libres développements de la raison et par
là de mettre obstacle aux progrès de l'esprit humain ;
une thèse ainsi présentée , ainsi soutenue , ne peut
être acceptée par l'Académie. Elle en laissera donc ,
si l'opinion de sa Commission lui agrée , la responsa-
bilité pleine et entière à son auteur. Elle n'imprimera
pas son œuvre. Elle ira plus loin encore. Elle ne per-
mettra au lauréat de la publier qu'à la condition ex-
presse de reproduire textuellement, sinon ce rapport
tout entier, du moins le paragraphe qui le termine.
Pour la CommissioD ,
/.r rapporteur nowuné par elle ,
A. CHAR3IA ,
lK»T«o «t professeur àû pkilosopble
i la Faculté an Lettre» de Caen.
Cteii, n mai 1867.
l.*«Ql^ir (lu M^oinp «uquel l^AcadéiiiM a décerné b médaille
de 500 frgmcs, oIDnie par M. de La Codre . est M. Anqnetin , doc-
teur en wédedne, à Valmonl (Seine-Inlértcare).
^X^t ém StcrHmre ée rAcmdémk.)
POÉSZSS.
LA msm DE LA CHEMISE,
IMITÉE DE TH. HOOD (1) , .
Par M. Jallen TRAWERS,
Secrétaire do T Académie.
Cne lemme au sexe douteux,
Couverte de baillons sales , spectre hiJeux ,
La paupière pesante et rouge.
Les doigts usés, la voix rauque, Tacceiit V'ril,
Était assise dans son lionge,
Jour et nuit btiguant son aiguill? et son lil.
• Travaille j travaille, tra\ aille,
A ton lit sur la dure ajoute un peu de paille ,
Travaille sans trêve , sans fin ;
Car le maître commande cl la tâche est pntmi^, *
— Et , dans la fièvre 'de la faim ,
Sa bouche murmurait le chant de la chemise.
(1 ] Cette pièce est très^popalaire en Amérique. Il en existe un estai de
tnduelioD dans notre langue , par Albert Montemont. Un des couple!»
de rorigioal anglais a servi de sujet pour une statue en pied, envoyée
de» Élats4Jois à* TEx position universelle de 1867. On pense bien qu'ï
ce marbre nous a fort intéresse. Nous cherchions sous le ciseau du
sculpteur le génie du poète alors que la foule , sollicitée par sa curiosité
et fatiguée par la profusion des œuvres , passait indifTérenle à oos
côtés. Que n*aTons-nous po serrer la main de Tartiste, et nous entie-
tenir a%-ec lui du talent vigoureux du Th. Ilood! Th. Ilood nous aumît
nais dès Tabord par le tout-puissanl lien d'une admiration commune.
LA mmi DE L4 mmm,
IMITÉB DE TH. HOOD (l) , ,
Par M. Jallen TRAWERS,
Secrétaire do r Académie.
Une femme au sexe douteux.
Couverte de baillons sales , spectre hideux ,
La paupière pesante et rouge.
Les doigts usés, la Yoix ranque, Taecent v^ril,
Était assise dans son bouge,
Jour et nuit btiguant son aiguill'? et son lit.
• Travaille j travaille, tra\ aille,
A ton lit sur la dure ajoute un peu de paille ,
Travaille sans trêve , sans fin ;
Car le maître commande et la tùche est promise, *
— Et , dans la Govre Me la faim ,
Sa bouche murmurait le chant de lu chemise.
(1) Cette pièce est très-populaire en Amérique. 11 eu existe un essai de
traduction dans notre langue, par Albert Montenaont. Un des couplets
de Voriginal anglais a servi de sujet pour une statue en pied, envoyée
des États-Unis à TExposi lion universelle de 18G7. On pense bien qii^
ce marbre nous a fort intéressé. Nous cherchions sous le ciseau du
sculpteur le génie du poète alors que la foule , sollicitée par sa curiosité
et fatiguée par la profusion des œuvres , passait iudirTérenle à oo«
côtés. Que n*aTons-nous pu s<-rrcr la main de Tartisle, et nous entre-
tenir avec lui du talent vigoureux de Th. Ilood! Th. Ilood nous aurflii
unis dès Tabord par le tout-puissant lien (Vune admiration commune.
LA CIANSON DE LA CHKHIISE,
IMITÉB DE TH. HOOD (1) , .
Pmr M. Jallen
Secrétaire de T Académie.
Une femme au se&e douteux,
Couverte de baillons sales , spectre hiJeux ,
La paupière pesante et rouge.
Les doigts usés, la voix rauque, Taccent v'ril,
Était assise dans son bouge,
Jour et nuit bliguant son aiguill? et son lit.
• Travaille j travaille, travaille,
A ton lit sur la dure ajoute un peu de paille ,
Travaille sans trêve , sans fin ;
Car le maître commande et la tùclie est promi^r, *
~ Et , dans la fi^^re 'de la faim ,
Sa bouche murmurait le rhant i\c lu ciieiiiise.
(1) Cette pièce est très^popalaire en Amérique. Il en existe un estai de
traduction dans notre langue , par Albert Montemont. Un des couplet»
de roriginal anglais a servi de sujet pour une statue en pied, envoyée
des États-Unis à' TEx position universelle de 18G7. On pense bien qii<ï
re marbre nous a fort intéressé. Nous cherchions sous le ciseau du
sculpteur le génie du poète alors que la foule , sollicitée par sa curiosité
et fatiguée par la profusion des œuvres , passait indifTérente à nos
côtés. Que n*aTons-nous pu s<'rrcr la main de Tartiste. et nous entre-
tenir avec lui du talent vigoureux de Th. Ilood! Th. Ilood nous aumit
unis dès Tabord par le tout-puissant lien d'une admiration commune.
472 LA CHANSON DE LA CHEMISE.
Écoulez ce chant inégal ,
n}inne de la douleur, sublime et trivial.
• *
• Travaille, travaille, travaille
Pendant que le coq chante au poulailler voisin ;
Travaille, travaille , travaille
Du matin jusqu^au soir , du soir jusqu^au matin.
Oh! chez les Turcs, qu*est Tesclavage,
De leurs femmes jaloux et stupides gardiens ?
Qu 'est-il près de l'aflreux senage
Qui nous broie et nous tue , ici , chez des Chrétiens ?
« Travaille, travaille, travaiUe
Jusqu'à Tépuisement , sans relâche , toujours ;
Travaille , travaille, travaille
Jusqu'à ce que tes yeux nagent troubles et lourds.
Fais Tourlet, le col, la ceinture,
Et, tombant de sommeil sur le bouton final,
Achève Tatroce couture.
Comme si tu cousais en un rêve infernal.
« Vous dont le bonheur ne se voile
Jamais d*uucun nuage, ô vous , hommes blas(>5 ,
Vous croyez n'user qu'une toile...
(Vest de la vie humaine encor que vous usez !
Travaille, travaUle, travaille
Pour apaiser ta Ciim dans ton hideux chenil ;
Travaille, trovaille, travaille.
Couds aassi ton suaire avec ce même 61.
« Mais que parlé-je de suaire ?
Puis-je donc redoater le spectre de' la Wwi ?
Je lui ressemble en ma misère :
Qu'elle achève mes mau\ et je bénis mon sort.
LA CHANSON DE LA CHEMISE. 173
La fidm I... gnnà DIen 1 quelle torture I
Quand le pain est si cher, nul cœur n^en est touché,
Et d^une pauvre créature
L*àme, le sang, la chair sont à si bon marché!
• Lliomme des champs a pour sa tâche
El met en ses greniers le fruit de ses moissons :
Tai pour mon labeur sans relâche
Un morceau de pain noir, deTeau, quelques haillon».
Un sol troué sous un toit sombre ,
Une table boiteuse, une chaise en débris,
Un mur si nu que , quand mon ombre
Sur hii passe, je crois être à deux... je souris!
• Travaille, travaille, travaille.
Courbe ton foible corps à la tâche enchaîné ;
Travaille, travaille, travaille.
Comme le criminel au bagne condamné.
Fais Tourlet, le col, la ceinture;
Travaille , lais le col , la ceinture et Tourlet ,
Et, luttant contre la nature ,
Va tomber, sous Teffort, mourante à ton rhevet.
• Travaille, travaille, travaillt*
Quand décembre en sa brume enveloppe le jour .
Travaille, travaille, travaille
Quand mai de ses clartés amène le retour ,
Quand Thirondelle rajeunie
Coupe Tair en son vol , s'enivre de ses chants ,
Et raaant , comme une ironie,
Nos taudis délabrés, annonce le printemps.
• Le beau printemps, suison de fête I
A Téclat de ses fleurs ses parfums mariés !
Le ciel étendu sur ma tétc !
Des tapis de gozoïi étendus sous mes pied> !
47 i LA CHANSON 1)1:: LA CHEMISE.
Oh ! que ne puis-je nne heare eucore ,
Comme en mes jeunes ans , jouir de ses bonheurs,
Tuer le mal qui me dévore,
Tuer l^aflreuse angoisse et la Aiim dont je meurs !
« Oh l que ne puis-je une heure encore
Aimer dans Tespérance , espérer dans Tamour !
Mais c*en est fait 1 et chaque aurore
Pour un tourment nouveau fait naître un nouveau jour.
Si des pleurs je goûtais les charmes?..
Non!., point de pleurs!., il faut un courage viril:
Arrêtons^ arrêtons les larmes;
Elles entraveraient mon aiguille et mon fil. »
La paupière pesante et rouge,
Elle chante, navrée: un riche entendra-t-il
Celte femme assise en son bouge,
Jour et nuit fatiguant son aiguille et son fil ?
Ll^DIGE^T,
rar M- Laele COrRFFIX .
Corm|>oudanlf de TAcademie
-•^.i
Au vieillard malheureux (|ui cherche une retraite ,
De T06 pompeux festins accordez une miette :
En marchant tout le jour j*ai broyé sous ma dent
L^ortîe aux sucs amers et le maigre chiendent
A rot bab, i tos jeux, les plaisirs vont en troupe;
Galopei-vous aux bois, ils vous suivent en croupe;
Moi, triste Y c*est la peur qui me prend au collet,
1>ans ce sentier désert où danse un feu-follel.
Ouvrez la porte hospitalièi*? :
Votre bonheur sera plus doui
Si rhumble accent de la misère
Aux deux charmés monte pour vou«.
Donnez; c*est ainsi qu'on amosse
lAi divin trésor qui remplace
Coupe d'or et dais de veloui-s.
Hélas I mortels, qui pourrait dii-e
Que toujours naîtra le sourire ,
Que vous serez heureux toujours?
Doutiez donc, pour que Dieu vou« aime.
Pour qu'au temps des calamités
La Vierge Marie eile-mOme
Lave vos pieds ensanglantés ,
Pour que tous les ange^ fidèles
De vous irécartent point leurs ailes
476 l'indigent.
Lorsque vers nous ils descendront.
Quand , au milieu de son ivresse ,
Un Yieillard bénit la jeunesse,
C*e8t une auréole à son front.
Le regard attaché sur les vitraux splendides ,
Le pauvre frissonnait sous ses lambeaux humides.
Aux valets, tout à coup: • Ouvrez •, dit une voi\,
Et les pesants vcrroux glissèrent à la fois.
I^ vieillard, introduit dans les salles chauOées,
Croyait voir resplendir la demeure des fées ;
Les beautés de la nuit , surprises un moment ,
Contemplaient Tkôte étrange avec empressement ;
Mais le jeune baron interrompit la danse;
De la joie au bonheur comprenant la distance ,
Il sentit qu'à ses yeux luisait un nouveau jour ;
Le passé, l'avenir , l'agitaient tour à tour;
Abjurant du plaisir les illusions folles ,
Un moment il resta, tout pensif, sans paroles;
Puis courut au vieillard, et lui prenant la main ,
Vers la place d'honneur il le guida soudain.
Et , plaçant dans ses mains la coupe hospitalière ,
D'une voix basse et tendre il le nomma : mon père !
A \m AMIE,
Par la Même.
Un crêpe voile encor Tor de tes beaux cheveux ,
Jeune femme, et déjà de Theure des adieux
S^effiice par degrés la fugitive image;
Déjà je vois paraître auprès de ton veuvage
Un être, un de ces fiits, apprentis séducteurs;
11 sourit, il soupiré, il t*apporte des fleurs.
Et toi, naguère encor, si tendre en tes jours tristes,
A prendre son langage à peine tu résistes ;
Ta laisses pressentir à ce pâle orgueilleux
Que ton Tolage cœur écoutera ses vœux ,
Et qu*au nom révéré qui te demeure encore
11 peut substituer le sien , quMl déshonore :
O ma meilleure amie , est-ce vrai tout cela ?
Toi qu*un coup si cruel pour jamais accabla ;
Toi qui voulais traîner les jours d'une recluse,
Tu souris aujourd'hui, tu l'attends, il t'amuse!
Ahl cet en&nt si beau qui grandit près de toi,
Ce précieux trésor, gage saint de ta foi,
S*il ne peut plus remplir ton àmc tout entière,
S*il faut qu'un étranger devienne un jour son pt-re ,
Arrête , réfléchis , qu'un choix plus éclaire^
Devienne pour tous deux un asile assuré.
Lui qui ne t'entend pas, qui te connaît à peine,
Tant de devoirs nouveaux, crois-tu qu'il les comprenne ?
Le succès lui sourit > son orgueil est flatté;
Ta richesse lui plnlt autant que ta beauté.
478 A UNE AMIE.
Mats si par tes serments tu couronnes sa flamme ,
Il te fera bientôt, oui, demain, toi, sa fenune.
Plus veuve qu*aujourd'hui , livrée aux vaius regrets ;
Il te laissera seule, esclave pour jamais.
Tu pleures!... mais ton front qui devant moi s^incline,
Se relève soudain, de bonheur s*illumine I...
Écoutons! sur le seuil passe un pied triomphant...
O pauvre jonne mère , û déplorable enfant !
mu Kmmmm,
Par U Héme.
Salât I bonjour, aoniTenaire ,
Fils d*an mai triste et plurieux I
1 u viens sans rayons, sans cliimère i '
Mon pauTre ami, nous sommes ? ieus.
Jadis c^étail bien antres diosesl
Tu balbutiais des chansons.
Tes mains portaient lauriers et roses ;
Mais, adieu les grands horizons 1
De Tftge que pour moi tu sonnes
Le chiin« n*entre plus en vers.
TanÎTe au déclin des automnes ;
Aurais-je donc peur des hivers?
Oh, nonl dernier anniversaire,
Compte parmi les bienvenus ;
Trois cœurs , pleins d^amitié sincère ,
Aujourd'hui se sont souvenus.
Leurs fleurs embaument ton passage ,
Leur regard me croit jeune encor ,
Et leur tendresse pure et sage,
De prières m'ofTre un trésor.
Si le temps dépouille mes ailes,
N*ai-je pas deux enfants chéris
Qui me tressent des immortelles,
Comme on en cueilie en paradis ?
182 LES GASTROHOXES.
A quelques jours de là, Ton apprit du nouveau :
Il ioTÎtait quasi là ville tout entière
A venir déguster les vins de son caveau ;
Et ce festin-là fut comme un coup de tonnerre
Dont le bniit importun vint, à son grand regret ,
Désoler le gourmet
Qui, par sa faute et sa tr^-grandc feule.
Se trouvait seul mis à la côte ,
Condamné sans pitié,
'Quand au banquet chacun s*apprfte, )
Au maigre téte-à-téte
De sa obère moitié !!
Toi qu*on voyait naguère,
Gastronome émérite, expert en bonne chère ,
Aux premiers rangs siéger
Parmi ceux qui savent manger ;
Toi dont on attendait les arrêts en silence.
Laissant à ton omnipotence
Le soin de décider si tes mets fiivoiis
Étaient plus ou moins réussis;
Citoyen de Cocagne ,
Qui sais comment on doit fiiire cuire un turbot ,
Et qui ne goûtes le Champagne
Qu'autant qu'il vient de madame Cliquot,
Te coiitoleras-tu ? C'est un dîner de prince
Que tu viens de manquer, et tel qu'en ta provim»
On n'avait encor vu rien d'aussi merveilleux \
Chez LueuUus tu n'as pas ton assiette T
Au monde des viveurs, allons, &is tes adieux,
Et brise ta fourdiette!
LE UËf lE ET LE NOLOT,
FABLK,
r«r M. A. GtlKintlID.
Un Uèrre, en déjeûnaot au bord d'un fert sainfon,
Vit un mulot blotti tristement dans on coin*
• Qo*as-tu donc , mon petit ? Tu me parais tout sombrr.
« Voyons, souvent on se bit peur ri*uno ombre;
« Conte ton mal ; déjft lu le sentiras moins ,
■ Et puis je te dirai si oda vaut qu'on pleure. >
*- « 3*aTais là, dans ce champ, ma petite demeure, ■
INt le mulot ; c j^avab pris mille soins
■ Pour fifre, dans mon domicile ,
• Conmodéroent , surtout en sAreté.
« Dans ce grand blé fêtais tranquille :
• Mais f oilÀ le blé récolté ,
« Et François, avec sa charrue ,
« D*un bout du champ à Tantre bout,
« Passe et repasse et bouleverse tout.
• Je quitte , il le faut bien , ma maison disparue ,
« Et maintenant , il ne me reste rien. •
— « Tout cela , dit le lièvre , est très-fâcheux san^ doute.
« Pourtant, puisque je passe sur ta roule ,
« Compare un peu ton sort avec le mien.
• Mol , je couche, en vrai bohémien ,
« Au hasard, n'importe où, dans une touffe d'herbe.
• Je n'ai pas peur pour ma maison ;
« Mais quand les moissonneurs, avec une elioiisou ,
c Emportent In deriiirre gerte,
484 LE LIÈVRK ET LE MULOT. .
ff Sans trembler pour mes jours je ne pub faire un pas.
« Va , travaille, et ne te plains pas. >
Et le lièvre , au galop , rcgag;na son herbage.
Le mulot, resté seul, se mit à son ouvrage,
Tout occupé du lièvre et le plaignant bien fort.
■ Que de mal, disai^il, il fkudra qu*il se donne
« Pour Tivre encore & la fin de Tautomne !
« Longues-oreilles n*a pas tort ;
« Les lièiTes, ici-bas, ont un bien triste sort ! n
Puis écoutant à la fenêtre ,
S'il entendait les cliiens : « ou le poursuit peut-<^tre, »
Disait-iL Tirait-on ? il disait : c il est mort I »
De son côté, le lièvre solitaire,
I/oreille basse, ù tout moment pensait
À son mulot, et se disait :
■ Chaque béte a son caractère,
■ Jusqu*à ce qu'il ait fait tous ses trous dans la terre ,
« Ce petit casanier ne sera pas contenu
« Pourvu qu*il soit assez prudent
• Et n'aille pas se foire prendre!
Le chat est à Taffût et pourrait le surprendre.
« Allons le voir. » 11 arriva
Quand le mulot sortait , suivant son habitude.
Ils causèrent longtemps de leur inquiétude.
Au bout du compte, il se trouva
Que chaque animal, dans son gîte ,
N'avait songé qu*à l'autre et s^était oublié.
Tel est l'effet de la pitié.
J'en tire ma morale et me sauve au plus vite.
Pans le malheur, ou est encore heureux
Quand on peut souffrir deux à deux.
Vous prenez mon chagrin ; je me charge du vôtre :
Notre fardeau n*est pas plus pesant de moitié ;
Mais seulement, chacun porte celui de Tautre ,
Et , dans Péchange, on gagne l'amitié.
LE PETIT POUCET ET LE NEUF,
FABLE ,
Far le MénM«
Voa9 coanaiKei petit Poucet ?
Près d*un diar embourbé ce cher enfant paMait.
Un pauTTe bœai; qui traînait la voiture,
Tirait, suait, sans avancer d*un pas.
Et, comme c*est Tusage en pareille aventure.
Le conducteur jurait, frappait et n^aidait pas.
Petit Poucet vite s*arr6tc
■ Attends un peu, dit-il, ma pauvre bétc! *
Il te mit à pousser à la roue, et voilà
Que tout à coup le char roula.
Déjà longtemps après, bien loin de sa chaumière «
Petit Poucet, perdu dans Therbe, sous les fleurs ,
Voyait venir la nuit et versait de gros pleurs.
Le bœuf passa, cahotant dans romière
Son rude char rempli de vert sainfoin.
Il vit petit Poucet ramassé dans sou coin :
< Paresseux , dit le bœuf, as-tu fait un bon M)uiine ? »
— « Non, dit Tenfant, mais je ne puis marcher. »
— • Moule donc sur mon dos, sans &çon, mon bonhomme .
« Et je te porterai tout près de ton verger.
■ Je suis content de pouvoir l'obliger.
V Lorsque j'étais au bord du précipice,
• Dans les fondrières du bois ,
• Jadis, tu feu souviens, tu m'a5 rendu service. »
— « Oh si peu I » dit reiifant.— * Bien plus que lu ne crois.
486 Le PETIT POCtBT £T LE «EUf.
r Lorsque de si grand cœur tu poussais à la roué
« Pour me tirer de la maudite lx>ue,
* En voyant un ami, je me- sentis plus fort,
« Et je fis un si grand effort
B Que le diar roula sur la route.
« Tu fis peu de chose, sans doute;
« Qtrimporte ? un ami veut nous tirer d*embarras ;
« Eh I que me fait son impuissance !
« Il s*agit de reconnaissance?
« Je Tob fon coeur et non son bras. »
LA IHUlE W lOSSIGKOL,
Par M. VmI BLIEB,
Membre eorrtspoiMiaiiU
f Ealre kt Uét tapie,
L*aliaelle MMopie
Fait tiève à m dMRson ,
Tandif qa*aa pied des hêtre».
Lai de galtét champètret ,
Dort Talerte pinson.
jQtqa*à Taobe feniieilk*
Tout te tah, tout sommeille :
La pervenche et Tabeille,
Le nid et le boisson.
< Tout le jour taciturne,
C*e8t à l*heure nocturne
Que mon cœur prend l^essor.
Au milieu du silence
Vibre, éclate et s^élaucc
Mon hymne aux ailes d*or,—
Hymne où Ton sent une âme
Que rinfini réclame ,
Et qui d*amour se pâme
Et veut aimer enoor I
c O douceurs infinies
Des eaux, des vents, des bois !
Nnit aux ombres bénies ,
Toutes tes harmonies
Frémissent dans ma voix !
LA V£UX£e Dl* ROSSIGflOLi 489
c O nuit , d*astre$ semée I
Ciel pur I rose embaumée I
Lac d*ombre, aux blancs remous ! ■
Splendeur, parlhm, murmure
De rinmiense nature.
Flottez autour de nous !
Et TOUS, Talions et cimes,
Mêlez Tos bruits sublimes
Aux extases Intimes
De ces jeunes époux.
« O douceurs infinies
Des eaux , des Tents, des bois !
Nuit, aux ombres bénies ,
Toutes tes harmonies
Frémiasent dans ma voix l »
li£Y£&lE £K WAGON. 494
McMigert de mystère , d naTiret-ftuitônes !
Qméê hôtes poitei>Toii8 à ces lointains royaume»
D'où nul jamais n*eat revenu ?
Et vous, lies d*azur aux magiques ombrages ,
Qui donc abritei-Tous sur ros heureux ri?ages
Que bat le flot de Tlnconnu T
~ Mab les deux sont muels ; et de plus en plus sombre.
Bientôt Tardent mirage a, sous les vagues d*oinbrf ,
Éteint son éclat décroissanL..
Il est nuit« La veilleuse à la cloison tremblote:
Rt de mes compagnons la discussion flotte
Des fonds romains an trois pour cent.
H.
II est nuit L'ombre creuse enveloppe et déforme
Les objets confondus sous sa teinte uniforme.
Comme un voleur qui coupe et dérobe un tableau ,
Furtive , elle a roulé, laissant leur cadre vide •
Les grands bois, les prés verts où Aiit une eau limpide ,
Et la ferme riante adossée au coteau.
Privé de son éclat et de ses bruits sans nombre ,
Le paysage éteint forme une tache d*ombre :
Miiis son cadre d*azur est de feux diapré,
Et Ton dirait — à voir scintiller les étoiles ^
Des milliers de flambeaux , entrevus sous les toiles
Du pavillon nocturne où Dieu s'est retiré !
Il est nuit. Le réseau des fils télégraphiques
Suspend le long des rails ses courbes symétriques.
Où ridéal éclate en dépit du réel ;
Et les poteaux, garnis de leur blanche armature.
Se dessinent , pareils aux barres de mesure
D'une immense portée inscrite sur le ciel.
492 REVERIE £N WAGON.
Des cinq flls de métal , où leur vol étincelle ,
Les astres parcourant Tharmonieuse échelle ,
Semblent les notes d*or du concert de la nuit;
Je les Tob tour à tour fuir, monter et descendre,
Et de leurs mille feux Tédat sublime et tendre
Forme un chant radieux que le rè?eur traduit.
Lève tes yeux , lève ton âme !
Vers les hauteurs prends ton essor !
Dit le chant aux strophes de flamme .
Dit le chœur des étoiles d*or.
Poète , à la pensée austère ,
Que la soif du Divin altère ,
Se te courbe point vers la terre:
Ce n*est pas là qu'est Ion trésor.
Ouvre enfin ton aile , et secoue
La poudre vile des chemins!
L*or convoité luit dans la boue :
Garde-toi d*y salir les mains!
Heste libre, reste exemplaire !
Le bouffon qui chante pour plaire
A droit d'exiger un salaire ; —
Mais toi , qu'attends-tu des humains ?
La gloire peut-être ! — £h ! qu'importe
Au mort fomeux ce vain flambeau.
Dont l'éclat s'arrête à la porte
Aveugle et morne du tombeau ?
Quand du corps , dissous fibre à fibre ,
S'envole et fuit l'âme enfin libre ,
Qu'importe ce clairon qui vibre
Au sourd donneur du noir caveau?..
RÊVERIE EN WAGON. 493
Place plus haat ton espérance !
Vers Fabsolu , Ters Téternel
GraTis en braTaot la souflrance ,
Monte en dédaignant le réel !
De la création entière
Sois la voii, et sois la prière!
Ifre d^espace et de lumière,
Sob comme Pencens sur Tautel !
Laisse les hommes à leurs joies
Non moins tristes que leurs douleur» ;
Et, sans les suivre dans leurs voies,
Marche les yeux fixés ailleurs !
Résiste au flot q\il les entraîne :
Ëmu d*une pitié sereine,
Réponds par Tamour à la haine.
Et par des chants & leurs clameurs I
Sob à hi fois austère et tendre
— La sjrmpathie est un devoir — :
Aime, ù penseur, pour mieux comprendre;
Plane , 6 poète , pour mieux voir !
Pour qui voit tout, tout se transforme :
Le beau transparaît sous Tinforme ,
Et le mal n^est plus qu*une forme
Du bien ftiiissé par- son miroir.
Sois le verbe de la nature 1
Mêle en tout temps , mêle en tout lieu ,
Mêle ton âme ardente et pore
Aux flots, aux grands bois, au ciel bleu !
Comme les cieox, la terre et Ponde ,
Rayonne , fleuris et féconde ,
Et vis avec eux loin du monde,
Dans la conununion de Dieu !
494 aRVERlE EN WAGON.
IV.
L'ne iniDiense nuée éteignit sous »es voile»
Dans le ciel envahi la chanson des étoiles...
Et je me retrouvai dans l'ombre du wagon ,
L^œil ébloui, pareil à ce dormeur du conte.
Qui cherche un plafond d*or , et ne trouve (ô mécompte !
Que les chevrons fumeux de sa pauvre maison.
(l^en est fait de mou rêve. — Au divin intermède
Des astres de la nuit un long fracas succède.
Le fer heurté du fer, et sur le fer grinçant
Réplique à la vapeur, cheval de Tindustrie;
Et les noirs concertants battent avec furie
La marche du progrès d^un rhythme assourdissant.
0DVRA6ES OHPERTS A L'AaDÉNIE.
MM«
AiHHJCTUf (N.-P. )• I)e TassistaDce publique et du
service de santé dans les communes rurales. — Des
fosses d'aisance et des meilleui-s moyens d'en ap-
pliquer la vidange.
Baudemeitt (Tb. ). Les Rabelais de Huet.
BsLUH (A.-G.). L'Exposition universelle, poème
^dactique en quinze cbants.
BsiviLLE. Notice sur Léon Thiessé. — Du prétendu
suicide de J.-J. Rousseau.
Boivih-Ghahfeaux. Notices pour servir à Tbistoire
de la Révolution dans le département de l'Eure.
Boucher de Perthes. Exposition publique des
produits de l'industrie. Le président de la Société
d'émulation ( d'Abbeville } aux ouvriers.
BouLLÉE ( A. ). Histoire de Démostbène , 2' éd.
BucuNER ( Alexandre ). Les Troyens en Angleterre.
BuRKE ( Peter ). Transactions of the national Asso-
ciation for the promotion of social science. Man-
chester meeting 1866.
Caillemer (Ëxupère ). Le crédit foncier à Athènes.
La restitution de la dot.
Ghauvet (Emmanuel). Esquisses psychologiques.
L La faculté de croii^e. — L'éducation.
GBRiriER ( Henri ). Essai sur les limites de l'action
de l'État, traduit de l'allemand, de Guillaume de
Humboldt.
GiALm (Alexandre). Les ports-canaux, article extrait
de l'ouvrage sur le mouvement des ondes sur les
496 OUVRAGES OFFERTS A l'ACADÉMIE.
courants de la mer et spécialement sur les courants
littoraux, traduit de l'italien sous les yeux de l'auteur.
— Sul moto ondoso del mare e su le correnti di esso
spccialmente su quelle littorali.
CouGNY (E.) De Prodico Ceio, Socratis magistro et
antecessore. — Le parti républicain sous Henri III ,
d'après des documents nouveaux.
Crimotel. Le médecin consolateur. — De l'épreuve
galvanique, ou bioscopie électrique.
De Bouis. Assemblée des notables, tenue à Rouen
en 1617.
De Gaumont. Exposition universelle. Les fabriques
du Parc, par M. le baron J. de Verneilb. — Annuaire
de l'Institut des provinces, des Sociétés savantes et
des Congrès scientifiques^ 1868.
De Charencet. Des affinités de la langue basque
avec les idiomes du Nouveau-Monde.
Decorde (A.). Les importations anglaises. — Notice
sur le 'droit, revendiqué par les avocats au Parlement
de Normandie, de se faire exempter du logement des
gens de guerre.
De La Godre. L'opinion publique et l'extinction
de la guerre.
De La Sicotière ( Léon ). Notes pour servir à
Tbistoire des jardins et de l'arboriculture dans le
département de l'Orne.
Delislb (Léopold). Notice sur le psautier d'Inge-
burge. — Note sur le manuscrit de Prudence ,
n"" 8y084 du fonds latin de la Bibliothèque impériale.
— Aurigny (1513). — Notice sur un papyrus de la
bibliothèque de lord Ashbumham. — Histoire du
ohAteciu et des sires de Saint-Sanveur-le-Vicomte>
suivie de pièces justificatives.
OtV&AUES OFVLHTS A LACAhËMlJi. 497
Dsaiis (J.). Notice sur Boisgoillebert
Dnris-DcMOiiT. Le choléra dans le département du
Calvados en 1855 et 1866.
Dk RouLLim) DE Beaurepàire (E.)- Les faïences
de Rouen et de Nevers à rExposition universelle.
De Saibtb-Beuye. Jacques de Sainte-Beuve, docteur
de Sorbonne et professeur royal. Étude d'histoire
privée contenant des détails inconnus sur le premier
jansénisme.
Eudbs-Desloixgghamps (Eugène). Études sur les
étages jurassiques inférieurs de la Normandie. —
Recherches sur l'organisation du manteau chez les
brachiopodes articulés et principalement sur les spi-
cules calcaires contenus dans son intérieur. — Les
époques de la nature. — Observations sur quelques
dauphins appartenant à la section des zyphidés , et
description de la tête d'une espèce de cette section
noavelle pour la Faune française. — Le naturaliste.
Discours prononcé à la séance solennelle de i^cntrée
des Facultés, le 15 nov. 1866.
* Fallue ( Léon ). Casques gaulois du musée de
Falaise et médaille en plomb inédite. — De l'art chez
les peuples primitifs après leurs migrations dans la
Gaule. — Sur les études archéologiques nécessaires
aux artistes qui abordent des sujets touchant à
l'histoire.
Fatel-Deslongrais. Biographie de M. Seminel.
FÉLIX. Cour impériale de Montpellier. Audience
solennelle de rentrée du 3 nov. 1863. Discours. —
Cour impériale de Caen. Audience solennelle de
rentrée. Discours sur la réforme judiciaire tentée par
le chancelier do Maupoou.
3:2
49^ UUYBAtiES OFFERTS A l'aCADEHIÉ.
FiERViLLE (Cil*), Notice sur le carlulaire de Qaimper,
ou l'église de Goraouaille du XIII* au X\T siècle.
Flammarion ( Camille ). Changement arrivé sur la
lune. Le cratère de Linné.
GiRAULT (Cb.). Indicateur planétaire, ou recueil de
tables calculées dans l'hypothèse du mouvement
elliptique , et fournissant , du !•' janvier 1865 au
1*^ janvier 1900, la distance angulaire du soleil aux
planètes principales , évaluée en ascension droite.
GuLDBERG et Waage. Ëtudes sur les affinités chi-
miques.
James (Constantin). Blanchet. Notice biographique.
JoLY. Discours prononcé à la séance de rentrée des
Facultés de droit , des sciences , des lettres , de
rÉcole préparatoire de ftiédecine et de pharmacie de
Caen, le 15 nov. 1867.
Lartigue. Études sur les mouvements de Tair à la
surface terrestre et dans les régions supérieures de
l'atmosphère, suivies d'un résumé des lois qui régis-
sent les tempêtes et les ouragans.
Lebeurier (l'abbé). Annuaire de l'Eure, 1867.
Le Breton (Charles). Le traîlre Germain. — Le
chûteau du Diable, légende.— Étude sur la vie et les
écrits do Robert de Tombelaine, moine du XI* siècle.
Le Brun (Isidore). Miscellanées maritimes et
littéraires.
Lecadre. Le choléra-morbus épidémique au Havre
et dans l'arrondissement, en 1865 et 1866.
LoYSEL. Rapport sur une épidémie de grippe dans
l'arrondissement de Cherbourg, en 1864.
Marchand TEugène). Composition des cendres vé-
^élah's.
OVVBAGKS OPFLHTS A l\4<:AuIm1£. -IIH)
Màeky (EL-J.)* Du moavement dans les fonctions
de la vie. Leçons faites au Collège de France.
Michaux (Ciovis). L'art de plaire. Ébauche d'un
poème.
Miluet-Saimt-Pierre. Guillaume Haudent, poète
Dormand du X\T siècle.
Houias. Note sur quelques mytilidées fossiles
tronvëes dans le Calvados.— De Tindustrie beurrière
dans le département du Calvados, son importance en
1866. 'Notice biographique sur le docteur Pcrrier.
OuviER (Edmond). De l'autorité et des droits du
père de famille. Discours prononcé à Taudicnce
solennelle de rentrée de la Cour impériale de Limoges,
le 3 novembre 1866.
Personnat (Camille). Le ver à soie du chêne , à
l'Exposition universelle de 1867.
PuiSEVX. Entrée triomphale de Charles VII à Caen,
en 1550. Notice historique.
Reboulleau. Essai de topographie médicale de la
ville de Constantine.
Rehard. Rapports de Henri Grégoire, ancien évéque
de Blois , sur la bibliographie , la destruction du
patois et les excès du vandalisme, faits à la Conven-
tion du 32 germinal an II ai^ 24 frimaire an III ,
réédités sons les auspices de M. Emile Eggcr , de
llnstitnt, par un bibliophile normand.
Retrald (H.). Faculté d'Aix. Cours de littérutui*e
française. Discours d'ouverture prononcé le 5 dé-
cembre 1867.
Reyrard. Leçons sur les lois et les effets du mou-
vement
Kobinot-Bkrtrand. La lé^^ondo nisliqiic, pu(*mr».—
HV OiMUAGKS OFFERTS A l'aCADEMIK.
Kap^ri ile U Commission des prix sur le concoiii-s
K^V2i«KT (Alexis). Anges et démons, poème.
S.vvvAiiG (11.). La bataille de Tincliebray. —Le
caïuaklule Guillaume Auvray et Termilage de Notre-
l>rtiuo-des-.\nges , de la forêt de St-Sevcr. — Une
siOUttMicc à la peine de mort , prononcée et exéculée
à Mortain, en 1572. — La corporation des barbiers ,
perruquiers , baigneurs , étuvistes de Mortain. —
Bibliographie normande. Le Mont-St-Micbel. — Le
graveur Joseph Dubois.
Tahdieu (Jules). Les extrêmes, légende.
Théry. Étude sur Jean-Petit de Salisbury (X1I«
siècle). — Discours prononcé à la séance de rentrée
des Facultés de droit, des sciences, des lettres , de
l'École préparatoire de médecine et de pharmacie
de Caen, le 15 novembre 1867.
Travers (Julien). Annuaire du département de la
Manche, 39* année (1867). —Gerbes glanées (9*
Gerbe).
ViNGTRiNiER. Rapport sur le prix Dumanoir.— De
rétat sanitaire du département de la Seine-Inférieure,
en 1866, et particulièrement de l'épidémie du choléra.
SOCIÉTÉS CORRESPOKDAKTES,
qui font échange de leurs publications avec
l'académie impériale de CAEN.
Académie française.
Académie des sciences morales et politiques.
Académie nationale • etc. , et Société française de
statistique universelle , à Paris.
Atbénée des arts , à Paris.
Comité des travaux hist. et des Soc. sav., à Paris.
Société philotechnique , à Paris.
Société de géographie, à Paris.
Société des antiquaires de France , à Paris.
Société de l'Histoire de France , a Paris.
Société de la morale chrétienne , à Paris.
Soc. fr. de numismatique et d'archéologie, à Paris.
Société impériale d'émulation d'Abbeville.
Société imp. d'émul. et d'agric. de TAin, à Bouriç.
Société d'émulation de TAllier , à Moulins.
Acad. des se, agric. , arts et helles-lettres d'Aix.
Société des antiquaires de Picardie, à Amiens.
Société d'Arras (sciences , lettres et arts).
Société Ëduenne , à Autun.
Soc des se. hist. et natur. de l'Yonne, à Auxcrre.
Soc. des sciences , etc., duBas-Rtiin, à Strasbourg.
Société des sciences , lettres et arts , à Pau.
Athénée du Beauvaisis , à Beauvais.
Société archéologique de Bézicrs.
Société des sciences et belles-lettres de Biois.
Soc. imp. des sciences, etc., de l'Aisne, h Sl-Quentin.
Société imp. d'agriculture, sciences et arts d'Angers.
H»:; HiCirriS CORRESPONDANTES.
\cuJ. de;^$cieuces^ belles-lettres «t arts de Bordeaux.
Société des sciences physiques et nat. de Bordeaux.
Couiuiission des monuments hist., à Bordeaux.
Société d'agriculture, etc., de Boulogne-sur-Mer.
Société académique de Tarr. de BouIogne-sur-Mer.
Société académique de Brest.
Société des Antiquaires du Centre , à Bourges.
Société d'agriculture et de commerce de Caen.
Société de médecine de Caen.
Société Linnéenne de Normandie, à Caen.
Société des Antiquaires de iNormandie , h Caen.
Société dliorlicullure du Calvados, à Caen.
Société philharmonique , à Ciien.
Société des beaux-arts, à Caen.
Association normande , à Caen.
Institut des provinces, h Caen.
Société française d'archéologie , à Caen.
Soc. vétérin. de la Manche et du Calvados , à Caen.
Société d'archéologie, etc., àAvranches.
Soc. d'agr. , se. ,arts et belles-lettres de Bayeux.
Société d'émulation de Cambrai.
Soc. d'agr., etc., de la Charente, à Angonléme.
Société impériale académique de Cherbourg.
Société impériale des sciences natur. de Cherbourg.
Acad. imp. des sciences, etc., àClermont-Ferrand.
Société d'agriculture de l'arr. de Coropiègne.
Soc. des se. nat. et d'ant. de la Creuse, à Guéret.
Acad. imp. des se, arts et belles-lettres de Dijon.
Société médicale de Dijon.
Soc. imp. et centrale d'agr., se. et arts de Douai.
Soc. imp. des se, etc., du Doubs, à Besançon.
Société d*étndes scient, et archéoL de Dragtn'gnan.
SOCIÉTÉS COERESPONDANTES. 503
Société Donkerquoise ( Bciences, lettres et arts ).
Société libre â'afçric, etc. de l'Eure , àÉ\Teux.
Société académique , ogricole , etc. , de Faluiso.
Académie impériale du Gard, à Nîmes.
Académie Delpbinale , à Grenoble.
Société Havraise d'études diverses , an Havre.
Soc. d'agricnltnre , etc. , d'Indre-ct-Loire, à Tours.
Soc. d'émulation du Jura^ à Lons-le-Saulnîer.
Société académique de Laon.
Société impériale des sciences , etc.^ h Lille.
Société d'agriculture , sciences et arts de Limoges.
Société d'émulation de Lisieux.
Société académique de la Loire-Inférieure, à Nantes.
Académie imp. des se. , belles-lettres et arts de Lyon.
Société impériale d'agricuHure , etc. , à Lyon.
Société d'borticulture de Maine-et-Loire , à Angers.
Société d'agriculture, d'archéologie, etc., à St-Lo.
Société d'agriculture, sciences et arts du Mans.
Société d'agriculture, etc., de la Marne à Chûlons.
Académie impériale de Marseille.
Société de statistique de Marseille.
Académie impériale de Metz.
Société d'histoire naturelle de la Moselle , à Metz.
Société industrielle de Mulhouse.
Société imp. des sciences , lettres et arts de Nancy.
Acad. imp. des se., belles-lettres et arts, à Orléans.
Société d'agriculture , sciences et arts de Poitiers.
Id. de la Haute-Loire . auPuy.
Société agricole, scientifique, etc., à Perpignan.
Académie de Reims.
Société d'agriculture , etc., de Rochefort.
Académie imp. des sciences , etc. , de Rouen.
Société libre d'émulation , etc., de Rouen.
o04 SOCIETES CORRESPONDANTES.
Soc cent, d'agr., du départ. delaSeine-In£,àRouen.
Société libre des pharmaciens de Rouen.
Société iipp. d'agr. etc.» de la Loire, à Si-Étienne.
Soc imp. d'agr. etc., de Saône-et-Loire, à Mâcon.
Soc des se mor., etc., de Seine-et-Oise, à Versailles.
Société Viroise d'émulation à Vire.
Acad. des sciences, etc., de la Somme, à Amiens.
Acad. des Jeux-Floraux , à Toulouse.
Acad. impériale des sciences, etc., de Toulouse.
Soc. d'horticulture de la Haute-Garonne^ à Toulouse.
Société d'histoire naturelle de Toulouse.
Soc. d'émulation delà Vendée, à Napoléon- Vendée.
Soc. d'émul. du département des Vosges, h Épinal.
Académie d'Hippone , à Bône.
Académie archéologique de Belgique , à Anvers.
Soc. roy. des beaux-arts et de littér. de 6and.
Institut lombard, à Milan.
Société d'histoire de Lancastre et de Chester.
Société littéraire et philosophique de Manchester.
Soc. d'archéol. et de numism. de St-Pétersbour^^
Académie royale des sciences , à Amsterdam.
Société royale de zoologie d'Amsterdam.
Société royale d'économie de Kœnisberg.
Société des sciences naturelles de Bninn.
Institut Smithsonien, à Washington.
Société d'agriculture de l'État de Wiscousin.
Académie américaine des arts et sciences de Boston.
^ Institut libre des sciences de Philadelphie.
Académie des sciences de St-Louis.
Académie des sciences naturelles de Philadelphie.
Société d'agriculture de l'Ohio, à Columbus.
Société d'histoire naturelle de Portland.
Lycée d'histoire naturelle de New-York.
RÈGLEMENT
DE L'ACADÉMIE IMPÉRIALE DES SCIENCES,
auts et belles-lettres
DE CAEN.
Aet. I*^ — L'Académie impériale des sciences , aiis
et belles-lettres de Caen se compose de membres ho-
noraires, de membres titulaires de droit, de membres
titulaires élas, et d'associés résidants ou correspon-
dants.
Abt. II. ^ Le nombre des membres honoraires n*est
pas limité. Us ont rang immédiatemen t après le bureau ,
et jouissent des m^mes droits que les membres titu-
laires.
AaT. UL — Les membres titulaires de droit sont : le
Premier Président de la Cour impériale, le Préfet du
département et le Recteur de l'Académie.
Le nombre des membres titulaires élus est de trente-
six.
Aet. IV. —Celui des associés résidants ou correspon-
dants est illimité. Ils prennent place parmi les membres
titulaires, dans les séances publiques ou particulières,
mais sans avoir voix délibérative.
Toutefois ils ont le droit : 1" de constater leur pré-
sence par leur signature sur le registre ; 2° de prendre
part au vote pour l'élection des membres associés-
correspondants.
HH^ RÈGLEMENT.
.Uii'. V« ^ Toute nomination de membre honoraire
i'<a |>i*vcv4Jê^ d'une présentation faite par écrit, signée
IKir ua membre honoraire on titulaire, et remise ca-
c liotûo au président ou au secrétaire. Tout membre titu-
luiiv i|ui on fait la demande devient de droit membre
honoruii'O.
LoA membres titulaires élus ne peuvent être pris
que parmi les associés résidants.
Toute nomination d'associé résidant ou correspon-
dant est précédée d'une présentation dans les mêmes
formes que lorsqu'il s'agit d'un membre honoraire :
elle doit être , en outre , accompagnée d'un ouvrage
imprimé ou manuscrit , composé par le candidat.
La présentation et les pièces à l'appui sont renvoyées
à l'examen de la Commission d'impression, qui fait, à
la séance suivante, un rapport sur les titres du can-
didat Dans le cas où la Commission conclut au rejet
du candidat , elle doit en informer le membre qui a
présenté. Celui-ci peut retirer sa présentation.
Les lettres de convocation annoncent s'il doit y avoir
des élections ou des nominations.
Art. VL — L'Académie, après avoir entendu le rap-
port de la Commission , procède immédiatement aux
nominations, ou les renvoie à une autre séance qu'elle
détermine.
Abt. vil —Lorsqu'il s'agit d'un membre titulaire ,
l'élection a lieu au scrutin et par bulletins nominatifs.
— S'il s'agit de la nomination d'un membre honoraire,
d'un associé résidant ou correspondant, il est voté par
oui ou par non sur chaque candidat proposé.
Pour être élu ou nommé, il faut avoir obtenu la
RÉGLEMEirr. 507
majorité absolae des suflrages exprimée et le tiers an
moins des voix des membres titulaires élus compo-
sant rAcadëmie.
Si des membres honoraires prennent part an scrutin,
il fiant, pour être élu on nommé , obtenir, en sus du
nombre de suffrages qui vient d'être exprimé , un
nombre de voix égal à la moitié au moins de celui
des membres honoraires ayant pris part au scrutin.
En cas d'élection d'un membre titulaire^ si le pre-
mier tour de scrutin ne donne pas de résultat , im-
médiatement l'Académie procède à de nouveaux
scrutins, ou renvoie à une séance ultérieure qu'elle
détermine.
En cas de nomination d'un membre honoraire, d'un
associé résidant ou correspondant, il faut, pour qu'il
y ait lieu à un second tour de scrutin, que le candidat
ait obtenu la majorité des suffrages exprimés.
Abt. VIII. — Les oiliciers de rAcadéroie sont : un
Président, un Vice-Président, un Secrétaire, un Vice-
Secrétaire et un Trésorier.
Ces dignitaires sont indéfiniment rééligibles, à l'ex-
ception du Président, qui ne peut être réélu qu'après
un an d'intervalle ; il devient de droit Vice-Président.
Art. IX. — Il sera créé une Commission d'impression
composée de six membres titulaires nommés à cet
effet, auxquels seront adjoints le Président, le Secré-
taire et le Vice-Secrétaire de l'Académie.
La Commission ainsi composée choisit dans son
sein un Président et un Secrétaire; elle se réunit sur
Ja convocation de son Président. En cas de partagé ,
son Président a voix prépondérante.
508 RÈGLEMENT.
Ses fonctions sont d'examiner et de faire connaitre,
par des rapports on par des lectures , les titres des
ciindidats, les travaux offerts à l'Académie , les ma-
nuscrits que renferment les archives ; d'établir avec
les Sociétés savantes de la France et de l'Étranger
les relations qu'elle croira utiles aux sciences, aux
arts et aux lettres ; de prononcer sur les travaux qui
pourront être lus en séance publique, ou imprimés
dans les Mémoires de l'Académie.
Tous les membres sont invités à déposer dans la
bibliothèque de la Compagnie un exemplaire de
chaque ouvrage qu'ils ont publié ou qu'ils publieront.
Aucun rapport ne sera fait, dans les séances, sur les
travaux , imprimés ou manuscrits , offerts par les
membres honoraires , titulaires de droit , titulaires
élus et associés résidants.
Art. X. — De nouveaux membres poun*ont être
temporairement adjoints à la Commission d'impres-
sion, et des Commissions spéciales être créées toutes
les fois que l'Académie le jugera convenable.
Art. XI. — Les membres du Bureau sont renouvelés
chaque année dans la séance de novembre, à la ma-
jorité absolue des suffrages des membres présents. Si
la majorité n'est pas acquise aux deux premiers tours
de scrutin, il est procédé à un scrutin de ballottage
entre les deux membres qui ont obtenu le plus de
voix au second tour* En cas de partage égal des voix,
le plus âgé obtient la préférence.
Les six membres de la Commission d'impression sont
nommés pour deux ans, au scrutin, par bulletins de ,
liste, à la majorité absolue des suffrages des membres
REGLEMEirr. 509
{MrëMMits ; et, dans le cas de non-i4eclion au premier
tour de scrutin, la pluralité des suffrages décide au
second. Ils sont renouvelés par moitié tous les ans, à
la première séance de novembre. Les membres sor-
tants ne sont rééiigibles qn'aprcs un an d'inteiTalle.
Art. Xir — Tontes les nominations se font an scru-
tin ; les autres délibérations se prennent de la même
manière, à moins que le Président ne propose d'y
procéder à baute voix sans qu'il y ait réclamation.
Art. Xni. — L'Académie tient ses séances le qua-
trième vendredi de chaque mois , à sept heures et
demie précises du soir; le jour et l'heure des séances
peuvent être changés. £lle prend vaamces pendant
les mois d'août, de septembre et d'octobre.
Art. XIV.— L'Académie lient, en outre, une séance
publique au mois de juin de chaque année. Elle en
fixe le jour, l'heure et le lieu par une délibération.
Art. XV. — Les fonds dont dispose l'Académie
proviennent des cotisations qu'elle s'impose, des sub-
ventions qui peuvent lui être accordées par le Gouver-
nement^ le Conseil général ou tout autre corps admi-
nistratif, et des dons et legs faits par des particuliers.
Ces fonds sont consacrés aux fonds de service de la
Compagnie, à l'impression de ses Mémoires , aux
prix qn'elle décerne, et à toutes dépenses imprévues.
Le trésorier est chargé des recettes et des dépenses.
Il acquitte les mandats à payer sur les signatures
du Président et du Secrétaire. Chaque année, il rend
un compte détaillé de sa gestion à une Commission
spéciale de trois membres, nommée dans la séance*
510 HÉGLËMBNT.
de rentrée^ et qui fuit son rapport sur Tétat de la
caisse dans la séance suivante.
Art. XVL — Une cotisation annuelle est imposée
aux membres titulaires et aux membres associés rési-
dants. Elle est de dix francs pour les premiers, de
cinq francs pour les seconds , et se paie dans le mois
de janvier.
A quelque époque de l'année qu'un membre soit élu
ou nommé, il doit immédiatement la cotisation im-
posée à son titre y et la paie en recevant son diplôme.
Art. XVU. — Tous les membres titulaires élus sont
tenus d'assister au moins à cinq séances dans Tannée.
Il est distribué des jetons de présence , dont l'Aca-
démie détermine la forme et la valeur. Le prix en est
perçu, indépendamment de la cotisation fixée par
TarUcle XVL
Art. XVIII. — Les membres titulaires élus qui au-
raient laissé passer une année sans paraître à aucune
séance, ou deux années sans présenter aucun travail,
et ceux qui auraient cessé de résider à Gaen , devien-
nent de droit membres associés. Il sera pourvu sans
retard à leur remplacement.
N. B. L'Académie laisu aux auteurs des Mémoires qu'elle im^
prime ta responsabilité des opinions qu'ils y soutiennent.
LISTE
DES ll£Mfia£S HONORAIRES, TITULAIRES DE DROIT, TITU-
LAIRES ELUS, ASSCaÉS-RÉSlDANTS ET ASSOCIÉS-
CORRESPONDANTS DE l'aGADEMIE IMPÉRIALE
DES SaENCES, ARTS ET BELLES-LETTRES
UE CAEN, AU !•' AVRIL 1868.
POUR L.*/ILIV1VÊE ISeT-lSeS.
MM.
OLIVIER, 1*' président, président
OLIVnSR, ingénieur en chef, vice-président,
TRAVERS, secrétaire,
PUISEUX, vice-secrétaire.
GIRAULT, trésorier.
(Boumui^dtoi} D uupte^dio!}.
MiU.
OLIVIER, ,
TRAVERS , [ membres de droil.
PUISEUX ,
CAUVET,
DESESSARS,
JOLY,
DANSIN ,
MORIÈRE ',
OLIVIER.
S
\
512 UST£ DKS MfMbMKti
nLemStea- Soiiotaitea.
MM.
DAN DELAVÂUTERIE, de la Soc de médecine.
BONNAIRE , prof^. honoraire de la Fac. des sciences.
ROGER » proP. honoraire de la Facalté des lettres.
DEMOLOMBE , doyen de la Faculté de droit.
TREBUTIEN » bibliothécaire-adjoint
GERV AIS^ membre de la Soc des ant dé Normandie.
HIPPEAU , professeur à la Faculté des lettres.
DE LA CODEE, notaire honoraire.
diHoeiiibiea htufaitea de dvoiu.
MM.
OLIVIER (Edmond), premier président.
LE PROVOST DE LAUNAY, préfet du Cklvados.
MM.
I. LECERF , professeur honoraire de ditiit civil.
S. DE CAUMONT, correspondant de l'Institut»
3. BERTRAND , membre du Corps législatif.
4. TRAVERS, prof, honoraire à la Fac. des lettres.
5. DES ESSARS, président de chani)>re.
DE l'académie. 543
6. VASTEL , directeur de l'École do médecine.
7. CHARMA, doyen de la Faculté des lettres.
8. PUISEUX» professeur d'histoire au Lycée.
9. TROLLEY, professeur à l'École de droit.
10. PIERRE, doyen de la Faculté des sciences.
il. DËSBORDEAUX, membredc la Soc. d'agriculture.
12. LATROUETTR, docteur ès-letlres.
13. LE BOUCHER, professeur à la Fac. des science?.
14. MORIÈRE, professeur à la Faculté des sciences.
15. BERTAULD, professeur h l'École de droit.
IOl GIRAULT, professeur à la Faculté des sciences.
17. CAUVET, professeur à l'École de droit.
i& nu MONCEL, membre de plusieurs Soc. savantes.
19. DANSIN, professeur d'iiist à la Fac. des lettres.
20. THÉRY , recteur de l'Académie.
21. CH.ATEL, archiviste du Calvados.
22. OLIMER , ingénieur en chef.
23. ROULLAND, professeur à l'École de médecine.
24. MELON, président du Consistoire.
23. JOLY , professeur à la Faculté des lettres.
2& GOURTY, de la Société des antiq. de Normandie.
27. LEFÈVRE, ancien chef du génie à Caen.
28. COLLAS , conseiller.
29. BUCHNER, prof de lit. étr. ù la Fac. des lettres.
30L FAYEL, professeur à l'École de médecine.
31. DENIS, professeur à la Faculté des lettres.
32. RENAULT, conseiller.
33. DUPRAY DE LAMAHÉRIE, conseiller.
34. LIÉGARD, professeur à l'École de médecine.
35. BOIVIN-CHAMPEAUX , 1*' avocat-général.
36. OONNELLY, procureur-général.
XI
814 LISTE DES MEMBRES
^nïeuiOteA OLààociéôL^xiôidanta ,
MM.
BOUET, peintre, membre de la Soc. des antiquaires.
LE PRESTRE, professeur à l'École de médecine.
MAHEUT, professeur à TÉcole de médecine.
LE FLAGUAIS, membre de la Soc! des beaux-arls.
PIQUET, conseiller.
LE ROY-LANJUINIÈRE, secr. de TÉcole de médecine.
LE TELLIER, ancien inspecteur de l'Université.
DENIS-DUMONT , professeur à l'École de médecine.
DEFORMIGNYDELALONDE,v. -secr.de la Soc. d'agr.
FÉLIX, avocat-général.
E. DESLONGCHAMPS, prof à la Faculté des sciences.
CHRÉTIEN, docteur en droit
FOUCHER DE CAREIL , homme de lettres.
HÉBERT-DUPERRON , inspecteur de l'Académie.
llXeuiSieii a6*^octé<t^-cotxe5poiiDaiiiit.
MM.
BOULAY, membre de l'Acad. de médecine, à Paris.
ARTUR , professeur de mathématiques, id.
DIEN, peintre, id.
SERRURIER , docteur en médecine , id.
EUE DE BEAUMONT, de l'Académie des sciences.
LAMBERT, conservateur de la bibliothèque de Bayeux.
HB Ji'ACAJKilU£. 515
DUnN (Charies), sënateor, à Paris.
DESNOTERS (Jules), membre de l'Institut, id.
COUEFFIN, ancien ingëDieo^gëographe , à Bayciix.
CHESNON 9 ancien principal du collège, a Évreux.
COUEFFIN (tir Lucie), à Bayenx.
GIRARDIN, doyen de la Faculté des sciences de Lille.
DELAMAKEy archeyéque d'Auch.
WOLF (Ferdinand), à Vienne.
TOLLEMER (l'abbë), à Valognes.
MARTIN, doyen de la Faculté des lettres, à Renno«.
LE BRETON (Théodore), bibliothécaire, à Rouen.
A. BOULLÉE, ancien magistrat, à Paris.
BOUCHER DE PERTHES , antiquaire , à Abbevillo.
MOLCHNEHT (Dominique), sculpteur, à Paris.
ROQUANCOURT , ancien colonel , à Thorigny.
SIMON (Jules), membre de l'Institut , à Paris.
BATFEHANN , jurisconsulte anglais.
DE BRËBISSON , naturaliste , à Falaise.
BOULATIGNIER , membre du Conseil d'État, à Pans.
VÉRUSMOR, homme de lettres, à Cherbourg.
LAM.\RT1NE, membre de TAcad. française, à Paris.
BEUZEVILLE, homme de lettres , à Rouen.
RAVAISSON, membre de l'Institut , à Paris.
DE LA SICOTIËRE , avocat , à Alençon.
ilOUEL, ex-inspecteUï*-général des haras, à St-Ln.
MCN.4RET , docteur en médecine , à Lyon,
B.\ILHACHE, ancien professeur au lycée du Mans.
HUREL, professeur de seconde au collège de Falaise.
MNGTRINIER. docteur en médecine, à Rouen.
LAISNÉ , ancien principal du collège d'Avranches.
DDMÉRIL (Édélestand), homme de lettres, à Van^.
BELLIN (Gaspard), avocat , à Lyon.
•^16 USTE DIS MEMBRES
ANTONT-DUVIVIER, homme de lettres, à Nevers.
BERGER, prof" à la Faculté des lettres de Paris.
VIOLLET, ingénieur, à Paris.
SCH&flTH, inspecteur de TAcadémie , à Marseille.
DESAINS, prof de physique au lycée Bonaparte.
SANDRAS, ancien recteur de l'Académie de Rennes.
RICHARD, ex-préfet du Finistère.
DE QUATREFAGES , naturaliste , à Paris.
LALOUEL, ancien professeur, à Sourdeval.
MAIGNIEN, doyen de la Fac. des lettres de Grenoble.
ROSSET , homme de lettres , à Lyon.
DE ROSMALEN , proP d'action oratoire , h Paris.
CAP , directeur du Journal de pharmacie, id.
CASTEL, ex-agent-voyei^chef , à Bayeux.
JAMIN, professeur au lycée Louis-le-Grand.
FAURE , professeur à l'École normale de Gap.
DELACHAPELLE, de la Soc. acad. de Cherbourg.
AMIOT , professeur au lycée St-Louis.
DUMONT, juge , à St-Mihiel.
MAGU , à Lizy-sur-Ourcq (Seine-et-Marne).
DEZOBRY (Ch.), homme de lettres , à Paris.
DE BANNEVILLE , diplomate.
CHARPENTIER, directeur de TEC normale d'Alen<:on.
JAMES (Constantin), docteur en médecine, à Paris.
LE HÉRICHËR, prof de rhétorique, à Avranches
LE VERRIER , sénateur , directeur de l'Observatoire.
HUE DE CAUGNY, laur. de TAc; des se , à Versailles.
EGGER, membre de llnstitut, à Paris.
DELA VIGNE, doyen de la Fac. des lettres, à Toulouse.
ROCHER , ancien préfet du Calvados , à Paris.
GASTAMBIDE, conseiller à la Cour de cassation.
ÉDOM , ancien recteur , au Mans.
u h'kCAsAuaL 517
SORBIER, l*' président de la Coar impériale d'Agen.
CAMARET, ancien recteur, à Douai.
RIOBË, ancien magistrat, au Mans.
ENDRÈS, ingénieur des ponts-et-clianasées, à Meliin.
LE CHANTEUR DE PONTAUMONT, h Oierbourg.
LEPETTRE, ancien procureur-général.
U^ Rosalie DU PUGET, à Paris.
MOREL» lauréat de l'Académie de Gaen, id.
DE RERCRHOVE, à Anvers.
MENANT, juge au tribunal civil d'Évreux.
HOCDÉ, oflScier d'Académie, à Paris.
COCHET (l'abbé), corresp. de l'Institut, à Dieppe.
HOLLAND, bomme de lettres, à Tubingen.
DELISLE (Léopold), membre de ilnstitut, à Paris.
CHA&SAY (l'abbé), à Paris.
CHÉRUEL, recteur de l'Académie de Strasbourg.
BOUILUER, doyen de la Faculté des lettres, à Lyon.
DE BUSSCHER, secrétaire de la Soc royale de Gand.
HALUWELL (James-Orcbar), antiquaire, à Londres^.
ROACH-SHITH (Charles), id., id.
M- DE BfONTARAN, à Paris.
DUVAL-JOUVE, inspect' universitaire, à Strasbourg.
6URNET (Daniel), à North-Runcton (Norfolk).
LE BIDARD DE THUMAIDE, proc. du roi, à Liège.
LE GRAIN, peintre, à Vire.
DE GIRARDOT, antiquaire, à Bourges.
CLOGENSON, ancien préfet de rOrne, à Rouen.
DEVALROGER, professeur à l'École de droit de Paris.
MERGET, professeur au lycée de Bordeaux.
OUENAULT-DESRIVIÈRES, proviseur, à Mraes.
DE CHENNEVIÈRRS, inspecteur de musées, à Paris.
CHOIST, professeur de rhétorique , à Falaise.
5t8 USTE DES MEMBRES
DECORDE, curé de Bures (Seine-Inférieure).
SIRAUDIN, à Bayeux.
TARDIF (Adolphe), de TÉcoIe des chartes, à Paris.
TARDIF (Jules), id. id.
DE SOUZA BANDEIRA (Herculano), à Femambouc.
LOUANDRE (Charles), homme de lettres, à Paris.
DE SOULTRAIT, antiquaire, à Mâcon.
HAURÉAIT, homme de lettres, à Paris.
MORISOT, ancien préfet du Calvados, id.
M"' Amélie BOSQUET, id.
LE NORMANT (René), naturaliste, à Vire.
LAMBERT, inspecteur des écoles, à Nogent-sur-Seine.
DE BEAUREPAIRE (Eug.), magistrat, à Bourges.
DE ROZIÈRE,inspecteur-généraldes archives, àPari^.
BORDEAUX (Raymond), avocat, à Évreux.
MICHAUX (Clovis), juge d'inst. honoraire, à Paris.
DAVID (Jules-A.), orientaliste, à Fontainebleau.
LOTTIN DE LAVAL, homme de lettres, près Bernay.
AKERMANN, sec,de la Soc.roy.des antiq. de Londres.
WRIGHT (Thomas), corresp, de l'Institut, à Londres.
MAURY, membre de l'Institut, à Paris.
M- PIGAULT, peintre, à Paris.
ÉNAULT (Louis), homme de lettres, à Paris.
DESROZIERS, ancien recteur.
LANDOIS, inspecteur en retraite de l'Acad. de Paris.
DE RA YN AL, 1" avocat-général à la Cour de cassation.
LEPELLETIER, substitut à Paris.
BOVET, bibliothécaire, à Neufchâtel (Suisse).
GARNIER, secr. de la Société des antiq. de Picardie.
DUPONT, président du Tribunal civil, à Valognes.
SAUVAGE, juge-de-paix, à Le Louroux-Béconnaîs.
^^TTERMAIER, à Hilderberg (duché de Bade).
m l*acadCiub. 519
DE GENS, secr. de la Soc d'archéol. de Belgique.
DE PONTGIBAULT (César], à Fontenay (Manche).
LIAIS (Emmanuel), astronome, à Paris.
LE JOLIS (Auguste), naturaliste, à Cherbourg.
LE SIEUR, ancien professeur, à Paris.
LECADRK, docteur en médecine, au Havre.
Dl} BREIL DE MARZ.\N, à Marziin.
PETIT (J.-L.), antiquaire, à Londres.
IKKîODINE (Michel), à Moscou.
EXGELSTOFT, évoque de Fionie.
SICR, à Odensée.
DARU, ancien TÎce-présld. de TAss. lég. . à GhiflTrevast.
LAFFETAT, chanoine, à Bayeux.
CUSSON, secrétaire de la mairie de Kouen.
GISTEL, professeur d'histoire naturelle, à Munich.
ALLEAUME, de l'École des Chartes, à Paris.
DIGARD (de Lousta], à Cherbourg.
BERVILLE, président honor. à la Cour imp. de Paria.
LAURENT, curé de St-Marlin, à Ck)ndë-sur-\oireau.
SCHWEIGHiEUSER, archiviste, h Colmar.
MARCHAND, pharmacien, u Fécamp.
TOSTAIN, inspect gén. des ponts-et-chauss. , à Paris.
LARTIGUE, ancien capitaine de vaisseau, à Versailles.
LEVAVASSEUR, homme de lettres, ù Argentan.
BESNOU, ex-pharmacien de la Marine, à Avranches.
DE LA FERRIÈRE-PERCY, àRonfeuperay (Orne).
MAYER, de la Soc. des antiq. de Londres^ à Liverpooi.
FABRICIUS (Adam), prof, d'hist., à Copenhague.
NICOT, secrétaire de l'Académie du Gard, h Nîmes.
ROELANDT, prés, de la Soc. roy. des b.-arts de Gand.
JARDIN, aide-commissaire de la Marine, h Cherbourg.
FRANi^OIS, maître des requêtes au Conseil d'État.
os» >^uiieo, à Milan.
w«'<«^« Emilie de lettres, à Paris.
•;, V .X uciubre de plusieurs Soc. savantes, id.
^^v -'^^ ^ svrre^pondant de l'Institut, à Fromentin.
v; ;vw.Kt* ,tVt.), de l'Académie française, à St-Lo.
•\ Vl ^ Kt\ proP» à la Faculté des lettres, à Rennes.
^— (.:vKKY% poète anglais, à Brixham.
LN \ SKL. îa.*ulptcur, à Paris.
lit KSSAHl\ professeur à l'École des chartes, «^ Paris.
L VIK Jules), de l'École des chartes, id.
rvHPlKr (Jules), libraire et homme de lettres, id.
KSTAINTOT (Robert d'), avocat, à Rouen.
VÉLlNOrK, sculpteur, à Paris.
1>K CHARKNCEY (H.), linguiste, à Paris.
(lAUOHRR, professeur de seconde au lycée Bonaparte.
1>K PKYRONNY, avocat, à Lyon.
LUUK, auxiliaire de l'Institut, à Paris.
UUISLAIN-LEMALE, historien, au Havre.
UlTARD (Adolphe), homme de lettres, h Paris.
PKRIN (Jules), avocat, id.
MORliN . directeur de l'École des sciences de Rouen.
M"^ Ksther SEZZI , à Paris.
TONNKT, ancien préfet du Calvados.
1>K ROUGÉ (Emmanuel), membre de l'Inst. , à Paris.
1>K BEAUREPAIRE (Ch.) , archiviste de la Seine-Jnf.
ASSBLLNEAU (Gharies), homme de lettres, à Paris.
GROS , docteur en médecine , id.
BOITE AU (Paul), homme de lettres, id.
ANQUETIL, inspecteur de l'Académie, à Versailles.
VASTEL (Charles), avocat, à Paris.
LENOEL , avocat et publiciste , à Paris.
BLANCHE , avocat-général à la Cour de cassation.
DE l'acadûie. 5âl
DE BOBERT DE LATOUR, docteur m niM., à Pariv.
MAREY , id.
JOAO DA CAMARA LEME , id, à Madère.
BUR&E (Pierre), sergeant-at-law , à Londres.
fiCR&E (Sir Bernard}, roi d*annes dlrlande.
POTIN (Alphonse), homme de lettres , à Paris.
BATAILUJID (Ch.), avocat à la Cour imp. de Paris.
H. DE SAINT-ALBIN , cons. à la Cour imp. de Paris.
GOMART (Ch.), antiquaire, à St-Quentîn.
OORNEUS DE WTTT, historien, au Val-Richer.
RIBEYRE (Fëlix), homme de lettres, au Havre.
HERBERT, prof de rhétorique à Napolëon-Vendéo.
BERTUIER (Johanny), homme de lettres , à Paris.
LE ROI , bibliothécaire, à Versailles.
ÛOUGNY , professeur au lycée de Versailles.
DE CHÉNIER (Gabriel), avocat , à Paris.
OUVn^ , avocat , à Bône (Algérie).
BIGOT, homme de lettres, à Nîmes.
BOUSSON DE BIAIRET , bibUothécaire , à Arbois.
BAUDEMENT , de la Bibliothèque impériale , à Paris.
PELLERIN , procureur impérial , à Vire.
CAILLEMER , professeur de Gode civil , à Grenoble.
CHARPENTIER, ancien oflicîer supérieur, à Alcnron.
FALLUE (Léon), lauréat de llnstitui , à Paris.
QDENAULT, sous-préfet de Coutances.
CIALDI (Alexandre), a Rome.
BEAUNE (Henri), procureur impérial , à Dijon.
HILUEN , à Beaumont-la-Ferrière (Nièvre).
DE CUYPER, inspecteur de l'Ëcole des mines, à Liège.
BUER (Panl), professeur au lycée de Coutances.
FIBRVILLE (Ch.), prof de phil. à Mont-de-Marsan.
CURIIER (I^on), homme de lettres , à Paris.
5i2 LISTE DES MEMBRES DE L'aCADÉMIE.
VILADE (Léon de), juge au Tribunal de Bayeux.
THKIIRKAU , homme de lettres, à Paris.
DAUSSK, ancien ingénieur en chef, à Paris.
DE SAINT-VENANT , id., à Paris.
OUÉllAllî) (A.), à Paris.
DROOHDE, secrétaire de l'Académie de Rouen.
Î.KBEURIER (l'abbé), arcliivisle , à Évreux.
TISSOT (Amédée), bibliothécaire, à Lisieux.
FLAMMARION (Camille), astronome, à Paris.
LOYSEL, docteur en médecine, à Cherbourg.
ANgUETIN , id., à Valmont (Seine-Inférieui-e).
HAROU , ancien procureur-général, à Paris.
REYNALl), professeur à la Fac. des lettres d'Aix.
DE FORMEVILLE, ancien conseiller, à Trouville.
DEMIAU DE CROUZILHAC, ancien conseiller.
FRI^.RE (Ed.), membre de plusieurs Soc. sav. à Rouen.
RORINOT-RERTRAND, avocal. à Nantes.
TABLE DES MATIÈRES.
NOTE PRÉLIMINAIRE. Programmes des concours.
MÉMOIRES.
Indicateur planétaire, oi: recueil i>e taules
CALCULÉES DANS L*UYPOTUf:SE l>r MOUVEMENT
ELLIPTIQUE y ET FOURNISSANT, PU 1*' JANVIER
1865 AU i" JANVIER 1900, LA INSTANCE ANC.U-
lAlRE DU SOLEIL AL'X PLANJ^^TES PRINCIPALES,
ÉVALUÉE EN ASCENSION DROITE, pal' M. GiRAULT. 1
Niveau d*eau a ture flexirle, par M. Amédéc
Desbordeaitx 76
Les Trotens en Angleterre , par M. Alex.
Buchner 8:{
Études sur les antiovités juridiques d'Atiiënes.
— La REStiTUTION DE LA DOT A ATHÈNES , pai'
M. Ezupère Gaillemer 107
Boisguilledert, par M. J. Denis 147
Notice sur Léon Thiessé , par M. Her ville. .195
Les affinités de la iangue basque avec i£S
idiomes du nolteau- monde, par M. H. de
Gharencey 204
Esquisses psychologiques, par M. Emm. Chauvet.
De la faculté de croire.
I. Ge que la faculté de croire est à rintelli-
gencc 239
IL Gomment la faculté de croire se divise. 253
III. La certitude, révidcnce, le dogioatisme. 259
IV. L*opinion, la probabilité, le probabi-
iisme 278
V. Le doute, la possibilité, le scepticisme. 299
u ,>w«^.auuii James 318
, - -w , -v^ ^»«.u«s, par M. Sorbikr . 34ÎH
^.^^v-*.. «^ M. PE ViiAPE. . . . :i9b
, v..-^^. îwr M. A. Théry. . .414
..^ * ^ vVfAVE Scelles de Mont-
.^, ^ >t -VuiW^e Desbordeaux. . . 426
V . ^*A V.'ïtC *^ LAN DE GRACE 1868, par
V k l'w^ 436
vw»vAi stH ;v rRLX DE La Codre, par M. A.
jH^^tiit\ 464
. V ,4«.vx^>N UK LA CHEMISE, imitée de Th. Hood,
^ M. Julien Travers i71
^^>«Mi^NT, pâT M"* Lucie COUEFFIN. . . . 475
WME JoiiK» i>ar U Même 477
!IK« AKiavntt^iRE , par la Même 479
Ijk» UMtmoNOMES, conte, par M. Colas. ... 481
U U&VRK KT LE MULOT, fable, par M. Guérard. 48:^
U miT Poucet et le bœuf, par le Même. . 485
U VKtuoftK DU rossignol, par M. P. Blier. . 487
lUvKKiKKN WAGON, par le Même 490
tH'VUAUKS OFFERTS 405
SlHUfrrftS CORRESPONDANTES .501
HfitUJCMKNT .M^
USTK DES MEMBRES DE L'ACADÉMIE. . . . 5H
CARU, TYr. F. LE BLAI^C-BARDM.
MEMOIRES
DE L'ACADÉMIE IMPÉRIALE
DE CAEN
. • MÉMOIRES
* DE
L'ACADÉMIE IMPÉRIALE
DES
SCliNGtS, ARTS ET RELLiiS-LKTTW
DE OAKN
CAEN
CHB F. U IIU!IC.BAnEl. JUPRfMEIB k L'ACUÉHII
PRÉFACE
L'Académie perdait, le 27 mai 1868, l'un
de ses fiiembres honoraires, M. Pierre-Au-
guste Dan de Lavauterie, né à Caen, le
31 jsuiYier 1779. Ce docteur aimable et véné-
rable, dont le mérite était relevé encore par le
canctèroi a laissé en mourant un témoignage
dasoiï estime pour notre Ck)mpagnie. Par un
codicâe, en date du 15 avril 1867 , il lui a
légué une somme de deux mille francs.
« Je donne , y dit-il , et lègue à l'Académie
a impériale des sciences y arts et belles-lettres
« de Caen, la somme de deux mille francs ,
« qui lui sera versée dans les six mois qui
« suivront mon décès, et dont les intérêts
a accumulés pendant deux, trois, quatre ou
« cinq ans , selon la convenance , formeront
« ia valeur d'une médaille d'or qui sera don-
« née en fnrix à l'auteur du meilleur mémoire
a sur un sujet choisi dans le domaine des
* sdences physiques et naturelles.
« Ce legs est fait dans l'intérêt des sciences
c que j'ai le plus aimées, et comme témoin
VI PREFACE.
« gnage de mon respectueux attachement pour
« la savante Compagnie à laquelle j'ai l'hon-
« neur d'appartenir depuis son rétablissement ,
« au commencement de ce siècle. »
Toutes les formalités exigées par la loi ayant
été remplies , le décret suivant a été rendu ,
le 23 décembre 1868 :
a NAPOLÉON , par la grâce de Dieu et la tolonté na-
tionale , Empereur des Français ,
« A tous présents et à venir , salut.
a Sur le rapport de notre Ministre Secrétaire d'État au
département de Tlnstruction publique ;
« Vu le testament, en date du 15 avril 4867, par lequel le
sieur Pierre-Auguste Dan de Lavauterie a légué à l'Aca-
démie des sciences, arts et belles-lettres de Caen une
somme de deux mille francs dont les intérêts accumulés
pendant plusieurs années , selon la convenance , formeront
la valeur d'une médaille d'or à décerner en prix sur un
sujet choisi dans le domaine des sciences physiques et natu-
relles 'y
« Vu l'acte de décès du testateur ;
« Vu les renseignements sur sa succession et sur la posi-
tion de fortune de son unique fille et héritière ;
a Vu le consentement de celle-ci à la délivrance du
legs;
« Vu le décret du 10 août 1853 , qui a déclaré d'utilité
publique l'Académie des sciences , arts et belles-lettres de
Caen;
« Vu Pacceptation provisoire de cette Académie, en date
du 26 juin 1868 ;
0 Vu l'avis du Préfet du Calvados , en date du 8 sep^
tembre 1868 ;
PRÉFACE. m
• Vu les StatntH du l'Acaiiêiuie ;
« Vu l'art. 910 du Code Napoléon ;
1 La section de l'Intérieur, >le l'iostruction publique et
des Cultes de notre Conseil d'État entendue j
* Avons nicfiini: kt décrétons ce qui suit :
« Article rREMiER.
I L'Acadâintc des sciences, arts tt beUe»-lettre* de Caw,
reconnue roiume ùUiblissenienl J'ulilité publique par notre
lii-cret du 10 août 1853, est an i orisée â accepter le legs
fait en sa faveur par le sieur Pi erre- Auguste Dan de Lavau-
leric, suivant son testament du 15 avril 1867, d'une somme
i* deux mille fnini:s , aux conditions y énoncées.
« Ain. 2.
I [«dite somme sera placée en rente sur l'État. — Men-
tion un Taite sur l'inscription de la destination des arré-
ragea.
• Art. 3.
■ Notre Ministre Secrétaire d'État au département de
l'Instruction publique est chargé de l'exécution du présent
décret.
1 Fait au palais des Tuileries , le 23 décembre 186S.
- Signé 1 NAPOLÉON. »
t Poiirampliation:
< U Caiatiller ifÈtat , Steritairt-g*nfral ,
■ Signé : Charles Robert, n
t« SttrMair&-ffintral ,
Signé : Flandin. *
Les deux mille francs ont été versés par
VIJI PRfFAGS.
Mme veuve Pellerin , fille de M. Dan de Lavau-
terie ; mais avant de s'occuper de Tobjet du legs,
l'Académie a dû acquitter les droits de succession
avec les deniers de la somme léguée , et comme
il ne restait disponible , après libération , que
les fonds nécessaires à l'achat de soixante et
quelques francs de rente , il a été décidé que
le trésorier achèterait quatre-vingts francs de
rente 3 % et que les arrérages en seraient
consacrés d'abord à combler le déficit. En
conséquence , le premier concours pour le prix
Dan de Lavauterie ne sera pas ouvert avant
l'année 1871.
Grâce à la munificence de M. De La Codre ,
un nouveau prix de philosophie morale est
proposé pour 1870. Nous en donnons ci-après
le programme, ainsi que le dernier appel aux
concurrents pour le prix Le Sauvage. ( Du
rôle des feuilles dans la végétation des plantes).
Le Secrétaire de l* Académie,
JuLiKN TRAVERS.
PRIX LE SAUVAGE.
NOUVEAU CONCOURS.
L'Académie impériale des sciences , arts et belles-
leltres de Cncn romot nii concours le sujet suivant :
DU ROI.E DES FEUILLES DANS LA VÉGÉTATION
Dfs PLANTES.
L'Académie n'a voulu liiicer aux concurrents aucun
programme: ce qu'elle désire avant tout, c'est un
ensemble de faits nouveaux , bien constatés , à l'nppui
de l'opinion soiilenue par chaque concurrent.
PRIX DE LA CODRE.
eTjJBT r>tr prix.
Une vMailie d'or de la vuleur de ciito cents francs ,
mise & )a disposition de l'Académie impériale des
X PRIX DE LA CODRE.
sciences, arts et belles-lettres de Caen , par M. De La
Codre^ Tun de ses membres honoraires, sera décernée,
en 1870, au meilleur écrit discutant la proposition
suivante :
Là où est le mal , cest la vMté qui manque,
L'Académie désire , sans en faire une loi du concours ,
que Tcxamen de cette assertion soit développé au point de
vue historique comme au point de vue philosophique.
Le travail de chaque concurrent devra parvenir
franc de port à M. Julien Travers , secrétaire de
l'Académie : pour le prix Le Sauvage , avant le
!•' janvier 1870 ; pour le prix De La Codre, avant le
i*' mai*s de la même année.
Les membres titulaires de la Compagnie sont
exclus des deux concours.
Chaque ouvrage devra porter en tète une devise
ou épigraphe répétée sur un billet cacheté^ contenant
le nom et l'adresse de Tauteur.
^RT
^ loii^ a lépiië l'honneur
^^^^^^^ , (l'en cfaoisir les sujets
^P^P .liieure; M. Lair qui, diins
^^^- onimunde ■ U'avoit' loujouis
^ . et l'houncur du nom nur-
I. ifi-undes passions de cet homme
i|iii , de son vivant , ouvrait la lice
l^iurremcUie en lumière des iiommeti
dans le Culvudos, eût applaudi vivu-
■yl 6a pi'csent concoui^. Le cadie dus
E qu'il préfdiiiil s'aduple parrallement à
11 lit; Bi'ieux. Moisiuil de Biieux, né à Ciken
I r.iouée 1614, mort en lt>74 , cmpoilu diuie 1h
' <il)c ime grande pailie de un lenoinmôe ; e'esl une
<" <:fs célëbrilt!s pdlissuntcs, dont une époque loue
j>' iiivrite, dont une ou deux généralionti gardent le
souvenir , ol qui , bu bout d'un siècle , sont ctl'ucée:^
*. **•
^^
t.ci 4 ft^îinè- Cheval, parte
,< ^. '.a 4V Doirecitë; mais
.^ ^.^w> - .iMij*k£ve qu'il habitait
^ ^xr**«^ *^ jpK>renl aujourd'liui
u%. «uajs entendu parler du
^.5^<» . «uijàif des volumes et des
_^ ^. ^-c^ ux^^x^îîques estimées et rc-
_^ -^-^ rti,!^x>u::e< à donner la gloire.
..^ w >.*-^*«i «IL sf< jours d'éclat, il compta
^ .^ic^^-^ i ^1» J^ centre d'une société lilté-
•:,.,-. ^.. .^ n»*^*^ Aciidémie; ses productions
.^ , ,4 v'.-> ^nchirent les liniites de la
^ ia.ye à^ considérait comme a le meil-
.^ ^,«4 AiîM ^ ftit en France. » On ne saurait
jirtu -«k -v^»ec. :><iided'un tel homme eût souri à
^ ^w ^-^ ?^^-r »^"s» Messieurs, elle était une
4jfcy« ^i«^>»«^ ^î<iM:^*anle après la biot^raphie publiée
^ >r i^ w^**^» 'I y » vinj^t-cinq ans.
^gS^.M<r JK-^'ttèe par le concours dont nous avons
,j4K^ %-viiuple? Nous ne le croyons pas, et nous
-•^f<MiWï^ q«'»^ ne se soit pas trouvé parmi les
^iiMK^r«v«t^ un écrivain, à la fois judicieux et bril-
it.^^M&int Jes salons de notre ville et toutes ses
an milieu du XVII» siècle . traitant le sujet
,;3tM»$ KMite son étendue, un écrivain, dis-jc, norniiind
<^ c#ur, sinon de patrie, nous laissant un tableau
im^lèle qui fît revivre le Caen de 1650 à 1675, ce
l^en liltéraire, érudit, guindé, courtisan, dévot,
c««itroversiste , passionné pour les jeux de l'arque-
buse, et avant tout frondeur et satirique. Peut-être
«•t-on eu peur de nous blesser : les concurrents sont
SUR LE PRIX LAIR. XV
des solliciteurs, et les solliciteurs sont timides ; ils crai-
gnent les faux-pas , même sur un terrain feime.
Les deux champions qui sont entrés en lice ont donc
été sur la réserve, et sans doute aussi dans l'ignorance
des mœurs de la noblesse et de la bourgeoisie à Caen
du temps de Moisant de Brieux. Le premier les a
peintes comme un reflet de la capitale : mieux eût
valu nous apprendre en quoi elles s'en distinguaient.
Le caractère des salons, à Caen, diâërait de celui de
Paris. La province avait un cachet propre et recon-
naissable alors que les moindres distances étaient
des barrières. — Le second n'a vu la société que
parmi les lettrés ; il n'a dit que les relations de
Moisant de Brieux avec les savants de son époque,
et pas assez au point de vue normand.
Mais, à défaut des peintures saisissantes et vraies
pour lesquelles il est difficile de retrouver la physio-
noroie des originaux, voyons ce qu'on a substitué à
l'idéal que nous attendions ; disons les efforts accom-
plis vers le but, le travail consciencieux des deux
seuls concurrents qui se soient présentés et les rai-
sons qui ont fait ajourner le prix.
L'auteur du n° 1" est méthodique dans ses divi-
sions : il semble avoir lu dans l'énoncé du sujet
l'indication d'une marche que nous n'avons point
tracée. Aucun de nous n'a cru que la vie, les relations,
les œuvres de Moisant de Brieux dussent se traiter
successivement et séparément. Tout se mêle dans une
existence humaine, et c'est l'harmonie de l'ensemble
qui constitue la personne et lui assigne un caractère.
C'est aussi de cette fusion nécessaire que nait le style
du biographe, peu élevé sans doute, peu éclatant
..^(Sî^^^ IL .mi. wiiL ,11111 ^««>^ ^tv^:- ^ littérateurs ^ens
ilf RneDx,jiiais soutenu
•« <^-
« 1** aiftiixelie trop didaciiquemeul
^<«ttH. ^««»k-H^«l M ,i0!^ iiiK^lités qu'on ne saurait
tiiiiit beaucoup appartiennent
. mais que l'auteur était tenu
^ ^Mii^3«ft\ -r^ r^ttïf«fi:t de soi-même , par respect d('
>«ï9v^ivs«cv Mi^ «MttkTiimNit doit avoir plus de scrupules.
H^ ^Vsl înMiginé peut-être qu'en donnant le sujet
A* c^MKOiirs, l'Académie souhaitait qu'on surfit
)|^«^»l de Brieux, qu'on lui assignât une place qu'il
«#^ fieul obtenir. On s'est trompé. L'Académie n'a
|Mi$ luème désiré qu'on justifiât le jugement de Bayle
$«r$on fondateur, comme poète latin. Non, Mes-
^urs, le savant qui a donné le volume encore es-
linié des parémiograpbes, « Les Origines de quelques
coutumes anciennes et de plusieurs façons de parler
triviales , » l'ami de Montausier, le poète improvi-
sateur qui rimait facilement, trop focilemcnt tant de
madrigaux entremêlés d'élans pieux , qui ouvdl sa
maison à ceux qui partageaient ses goûts littéraires ;
Moisant de Brieux, dans notre pensée, attendait des
appréciateurs, non des panégyristes, et c'est une
vue fausse que de lui prêter des intentions qu'il
n'eut pas, qu'il ne put avoir. Non, il n'a pas créé
SOa LE PRIX LAIR. XVJI
notre Compagnie pour faire coutrepoids à la centra-
lisation parisienne ; et tous ceux qui ont fondé en
province des Sociétés savantes au XVII* et au XVIII'
siècles, l'ont fait sans idée de lutte , sans la moindre
intention d'une rivalité ridicule. Us ne voulaient que
rallier les amis des sciences et des belles-lettres ,
à une époque où des talents d'un ordre très-dis-
tingué, des érudits , des naturalistes , des historiens,
des orateurs, des poètes travaillaient , loin de Paris ,
avec un désintéressement qui a pu diminuer depuis ,
mais non s'éteindre. Ces esprits d'élite aimaient la
littérature et la science pour les jouissances qu'elles
procurent , pour l'élévation qu'elles donnent à la
pensée, pour la dignité de l'dme dont elles alimen-
tent le foyer ; ils les aimaient, comme il convient de
les aimer , pour elles-mêmes ; et ce que nous ad-
mirons dans Moisant de Brieux , c'est cette abné-
gation qui lui fait abandonner , après deux ans, sa
charge de conseiller au parlement de Metz , pour
revenir dans sa ville natale , se livrer entièrement
à la culture de son esprit , à la composition de
pièces qui ne lui survivront pas , à l'impression de
livres qui seront oubliés. Moisant de Biieux est un
type devenu rare ; s'il tlatta les grands , c'est qu'il
était tlalté d'étie leur ami, et jamais il ne les solli-
cita que pour les autres; jamais non plus il n'eut
im grand amour-propre; il sut à propos s'ettacer
devant ses amis, et leur estime paya suilisamment, à
ses yeux , et ses bons conseils et sa cordiale hospi-
talité.
De même que nous bhlmons les éloges exagérés ,
nous n'admettons pas que des madrigaux en faveur
XVI RAPPORT
lorsqu'il ne raconte que des vies de littéral
du monde, comme Moisant de Bricux,jii
dans le ton et suns disparûtes.
Si la marclic du n° i*' morcelle trop d
le fond, son style a des inégalités qr
admettre, des fautes dont bcaucoii
sans doute au copiste , mais que 1
de corriger. Par respect de soi-niè' l»-
SCS juges, un concurrent doit avo- î.i < in-
'i\»* d'uno
!!.- 411c Moi-
.11» : l'induclion
jii'iis honorables
;;\i»/ des longue 11 r>
On s'est imaginé per [ni altestcdu Iravail
du concoui-s , TAcad- .;!oraitlieu à bien dos
Moisant de Brieux, q« . < 1 jil plus agréable de
uc peut obtenir. O1 le vous le prouver en
pas même désiré u .^v>>ibilîlê de remplir un
sur son fondateur ^ .Jiever en ccuiscience la
sieurs, le savan' .wte.
timé despuréiii
coutumes an- ^^^ ^ ^^nu bien buperieur a s?on
triviales,)! .ai piai#ir qu'en le lisant nous
saleur qui ^ * ^^^ sauiple ol tempéré des biogra-
madrigan . .^ j^j^ tùis dans la correspondance
maison ""^ ^^ ifticux, bien scrutée, bien étudiée.
Moisan ****''^ . JcUiil peuvent être rectifiées
appn- .-^ '"^ij4^.; mais la couq)osition, chose iin-
^"^ " ^jif*-' licw ^ quelques critiques.
n'i . «z"**^" ' j^ ij, Commision a trouvé le début
ivnins Intins du XVII"
^toisant du Brieux
ifleilrespro-
'ii''nce de
riinsi que
,;(.tp!iii' minu-
, a paru în-
et .suivie de
; tout celn plus ou
iTi-trc corrigé, a faitsus-
iiûuronncr immédialenient
j.lus d'un titre, et dont une
■■^uix efforts peuvent faire un
. uiuis bonorable à la fois pour
pour l'Acadëmie de Caen et pour
P rentre dans la lice, ainsi qu'on doit
, nous lui conseillerons, comme h tous
renls qui pourront se préscnler, de se bien
■ du hul que SB propose l'Académie. Elle
nésire perpétuer la mémoire de son fondateur en
le faisant connaître par sa vie et par ses œuvres.
Hoisant de Brieux a été le centre d'une sociétt^
fréquentée par des Bavants d'une érudition qui n'a
peut-être été jamais suipassée, et par des gens du
monde qui aimaient les lettres et les cultivaient la
plaparl avec succès. Quel temps I et quels hommes I
L'Académie était alors rarement au complet dans
ses séances ; presque toujours elle avait des mem-
bres parcourant les diverses parties de l'Europe, en
quête de manuscrits, de médailles et d'inscriptions
antiques, ou faisant échange de découvertes avec
les hommes de mérite qa Ils visitaient, et avec les-
quels ils restaient en correspondance le reste de
leur vie. Les lettres qu'ils recevaient, les ouvrages
qu'ils composaient , qu'ils communiquaient à l'Aca-
démie en provoquant ses minutieuses critiques ,
qu'ils publiaient à Caen où s'imprimaient des livres
grecs chez les Cavelier; le bruit qui se faisait autour
d^écrits des genres les plus divei^s , de pièces de
circonstance en grec, en latin, en français, en vers,
en prose , à chaque cérémonie publique , à chaque
anniversaire^ à chaque entrée de grand personnage ;
l'animation que donnaient les controverses en pleine
église entre des curés catholiques et des ministres
protestants ; les fréquentes querelles qu'avaient
entre eux tantôt les régents des divers collèges ,
tantôt les membres des communautés religieuses ,
querelles ardentes qui se traduisaient en pamphlets
peu charitables ; et puis , à côté de ces grandes
pièces , les petites , je veux dire les madrigaux ga-
lants en l'honneur des dames qui ouvraient à deux
battants les portes de leurs salons à l'aristocratie
de naissance et les entre-bdillaient à celle du talent ;
enfin les pamphlétaires en plein vent , je veux dire
les bourgeois curieux , indiscrets et caustiques , ré-
pétant les propos tenus , ou non tenus, dans l'hôtel
de M. de Brieux , de M"** de Tilly ou de M"*" de
Grosmesnil : tout cela, tout ce mélange travaillé par
l'esprit de la réforme , contenu par le respect de la
hiérarchie , peut revivre , non dans une simple bio-
graphie de notre fondateur, mais dans le tableau
dont l'Académie indique le sujet, laissant toute li-
berté pour le choix des couleurs et pour la dimension
de la toile.
SOK LE PfiU LAIR. XXt
La Commission , qai trouverait considérable une
récompense de 800 fr. pour une biographie de Moi-
sant de Brienx , nliësite pas à demander que le prix
soit porté à 1,000 fr. et que les concurrents se con-
forment i l'esprit du programme , qui est de bien
fiiire connaître, sans partialité, sans exagération
dans réloge, le fondateur de T Académie de Caen
C'est à Gfien sortoot qn'a vécu Moisant de Brienx ,
émdit et poète, homme de lettres et homme du
monde ; c'est à Caen qu'il faut le peindre , et c'est
anssi Caen qu'il faut peindre. Notre humble héros
sera mieux connu si Ton nous montre le théâtre où il
vécut, les personnages avec lesquels il fut lié, les
salants auxquels il adressa ses dissertations, les
fCTsmes en l'honneur desquelles il fit des vers galants,
aussi ingénieux que froids. Nous demandons que
tout, dans le travail des concurrents, se rapporte à
Moisant de Brieux, né dans notre pays, vivant et com-
posant ses œnvres dans notre pays , se faisant l'ûme
d'une société remarquable et digne des recherches
auxquelles nous convions. Il faut qu'on le sache :
c'est un sujet normand que nous proposons , et c'est
surtout le point de vue normand qui nous préoccupe.
Un tel patriotisme ne peut paraître étroit quand il
s'agit de notre fondateur.
L'Académie , après avoir entendu le rapport qui
précède , en a adopté les conclusions. En consé-
quence , le sujet du prix Lair , proposé en 1867 , est
remis au concours pour 1870. En voici le programme :
XXII RAPPORT SUR LE PRIX LAIR.
PRIX L^fS^JOR.
L'Académie impériale des sciences , arts et belles-
lettres de Caen remet au concours le sujet suivant :
OISAIVT DIS DRIEUX.
Sa vir, nés œuvvps et ses relations avec la société lettrée
de son temps.
Le prix est de MILlLiB francs.
Les concurrents devront adresser leurs mémoires
franco à M. Julien Travers, secrétaire de TAcadémie,
avant le i" mars i870.
Les membres titulaires de l'Académie sont exclus
du concours.
Chaque mémoire devra porter une devise ou épi-
graphe répétée sur un billet cacheté, contenant le
nom et l'adresse de l'auteur.
MÊlCOIBiSS.
IKCHERCHES
ir
^mODUlTS ALCOOLIQUES
f DE LA DISTILLATION DES BETTEaAVES;
Par un. bUMW nBBBB,
de cfainic à la Faculté do Sciencu de Ctcn , membn litulaîn
Et EJd. I»UCHOT.
Prfparateur de «cicDcei phyiiquci à !■ nttmc I
PREMIERE PARTIE.
iMara isas.!
Aa quadruple point de vue scientifique, agricole ,
hygiëuique et fiscal . des recherches sur les alcools
s'attaquent, directement ou indirectement, à une
foule de qoestions d'une importance considérable,
et cette importance même justifiera le temps fort
loDg qne nons avons consacré aai études dont nous
présentons aujourd'hui le résumé.
On a dit, tour & tour, tant de bien et tant de mal
de la distillation de la betterave; on a attribué aux
prodoitB qu'elle fournit une si grande part dans les
désordres observés chez les consommateurs émérites,
e jour plus nombreux, de liqueurs alcooliques;
4 RECHERCHES SUR L£S PRODUITS AI^OOLIQUES
* "■ • ' ' . ■
le produit dont il s'agit constilue actuellement la
source d'un appoint si important dans les profits de
Tagriculture et dans les revenus de TÉtat, que tout
ce qui touche a cette question , que tout ce qui peut
conduire à modifier la nature ou la qualité des
produits , prend nécessairement une grande impor-
tance, par les conséquences qui en peuvent ré-
sulter.
1.— Objet des études entrepxdses sur oe sujet.
Les alcools que livrent au commerce les distil-
lateurs de betteraves contiennent-ils d'autres sub-
stances que l'esprit de vin proprement dit?
En cas d'affirmative , quelle est la nature de ces
substances, et quelles en sont les propriétés prin-
cipales ?
Ces matières étrangères y sont-elles généralement
abondantes, et pourrait-on en fixer approximative-
ment les proportions ?
Existent-elles dans tous les produits alcooliques
de la betterave . ou se trouvent-elles accumulées plus
particulièrement dans quelques-uns d'entre eux?
Serait-il possible de les séparer sans trop de frais
ni de main-d'œuvre , ou de les faire disparaître en
les transformant dans l'alcool même, sans fiaire subir
À celui-ci des modifications nuisibles ou désavan-
tageuses?
Il suffît de poser ces questions, auxquelles il serait
encore facile d*en ajouter d'autres, pour en faire
immédiatement saisir Timportance :
i* Pour le producteur et pour le négociant, dont
DE LA DISTILLATION DES B£TTERAV£S. 5
les produits normanx sont, dans l'état actuel des
choses, pins on moins dépréciés parla présence de
ces substances étrangères ;
5t* Ponr le consommatenr , dont la santé peut
souffiir , dans une mesure inconnue , de l'action
physiologiqae spéciale de ces mêmes substances.
Tout en restreignant d'abord ce programme , nous
avons bien vite reconnu que les efforts simultanés
et réunis de deux expérimentateurs trouveraient am-
plement à s'exercer, et les faits n'ont que trop
jostifié cette prévision , puisque , après trois années
d'ëtndes non interrompues, nous n'avons encore
rempli qu'une partie de notre tâcbe.
s*— Id^e des difiioultéff du sujet, marolie eruivie.
Pour conduire à bonne fin des recherches de cette
natnre , où l'inconnu , et souvent l'imprévu , peuvent
jooer un assez grand rôle, il était indispensable
d'avoir à proximité une ou plusieui's usines di-
rigées par des industriels intelligents et complaisants,
assez intelligents pour comprendre l'importance de
pareilles recherches , et assez complaisants pour
vouloir bien s'y prêter en se soumettant à une foule
de petites exigences nécessaires pour amener les
produits qu'on leur demandait à Tétat où leur étude
pouvait être entreprise avec le plus de chances dv.
succès.
A ce double point de vue , nous avons trouvé dan
BL Pagny , distillateur à Bretteville-l'Orgueilleuse
(Calvados) , tout ce qu'il nous était possible de
désirer.
DE LA DISTILLATION DKS BETTERAVES. 7
'las ne devons pas oublier d'y associer
'^posé en chef de Toctroi de Caen ,
issi dégrever ces mônles produits
*roi.
étrangères que contiennent
. aves, les unes sont plus volatiles
•|ue qui en fait le produit principal
A autres sont moins volatiles que lui;
. c que les unes peuvent entrer en ébullition
. uiler au-dessous de 1S'*,5 , tandis que les autres
Aigent une température plus élevée.
La pensée qui se présente alors tout naturelle-
ment à l'esprit , pour «éparer ces diverses substances
sans les dénaturer , et pour opérer cette séparation
dans des conditions que puisse réaliser ensuite l'in-
dustrie, c'est de fractionner les produits de la recti-
fication.
Mais le succès de cette méthode , si simple à
première vue et si souvent employée dans nos labo-
ratoires, présente ici des difficultés pratiques réelles,
dont l'étude nous a pris beaucoup de temps, malgré
la précaution que nous avions prise de faire faire au
préalable à l'usine un premier fractionnement dans
de bonnes conditions.
Lorsqu'on soumet ainsi à la distillation un mé-
lange de deux substances diversement volatiles ,
n'ayant l'une pour l'autre qu'une faible affinité à la
température de leur ébullition, on sait que la plus
volatile tend à se séparer la première.
Mais cette séparation ne se fait presque jamais
d'une manière nette et précise, sans que la sub-
REÇU F'
M. Pa-
organist
gens ')
cote.
notr
înh
or-
r.
;. une pro-
nn^diiit le
^ . ..î première
^ > du mélange
: ;oporlinn très-
. j»oz loiigleinpj»,
_ ;>Jf5i deux vapeurs,
. < r-jiMiidissant suilisaiii-
i;-> temps successifs de
:^'> A proportions variables
^ -f'i.Hiires contiendront une
.. > grande «lu liquide le i)lus
; :• nvueillis plus tôt; ils con-
^- ,.,in d'autant plus grande du
v\.îiil qu'ils auront été recueillis
i'::siiile tous ces produits divers au
,V :iilit*sse que le premier recueilli,
i sul>stance la plus volatile , il faudra
' .: successivement à tous ces produits
. :.. '^filiations fractionnées semblables à la
• C-: *vs reprises devront être répétées un
. .. :.« NMS d'autant plus grand qu'il s'agira d'un
\ ^' ,4 • •••
^1 m ~ -
.% ■< eloiLMié dans la division primitive.
^ ^ loi-squ'on aura ainsi amené , au prix de
'v^^-.vup ^l<* ItMnps et de soins, toutes ces subdi-
, v.-:ï> primitives au même degré de ricliesse que la
. ^ ,\iv. on sera souvent encore bien éloigné du
'.^.. ^ oi il faudra répéter encore plusieurs séries
Ai«îojr"^^ de distillations fractionnées, en suivant
i^ix^Miue toujours, faute d'indices déterminants, des
DE LA DISTILLATION DES BETTERAVES. 9
subdivisions plus ou moÎDS arbitraires , qui ne sont
pas tOQJonrs les plus propres à conduire rapidement
an but, lorsqu'il s'agit de la recherche et de la
séparation d'une substance inconnue ou mai connue
jusqu'alors.
3. — Infiuenoe des manse» et du mélamce des
vape-urs.
Lorsqu'on soumet ainsi à la distillation un mélange
de deux substances diversement volatiles, dans le-
qoel domine beaucoup la substance la moins volatile,
si faible que soit Taflinitë réciproque des deux sub-
stances , cette affinité doit avoir pour effet inévitable
de retarder le dégagement du produit le plus volatil.
C'est ainsi qu'un mélange d'aldéhyde bouillant à 22*^
et d'alcool vinique bouillant à TS'.S, peut n'entrer
en ébullition, et ne commencer à distiller un peu
abondamment que vei-s 75° ou 76" ou même à 77*
seulement, si l'alcool est 40 ou 50 fois plus abondant
que l'aldéhyde.
Lorsqu'on porte ainsi à des températures gra-
duellement croissantes un mélange de deux liquides,
chacun d'eux émet des vapeurs pour son compte ,
avec ou sans influence de la part de l'autre , et
rébullition commencera lorsque l'action combinée
de ces vapeurs sera devenue capable de vaincre la
pression atmosphérique ; c'est alors un mélange de
ces deux vapeurs qui tend à distiller, mélange dans
lequel sera d'autant plus abondante celle du liquide
le moins volatil , que la température initiale d'ébul-
lition du mélange sera plus élevée.
40 RECHERCHES SUR LES PRODUITS ALGOOUQUtS
On comprendra sans peine que la difficulté de
séparation sera plus grande encore si le mélange est
plus complexe , et renferme trois ou quatre sub-
stances différentes.
Si, au lieu de n'exercer l'un sur Tautre qu'une
action à peine sensible, les deux liquides ont Tun
pour l'autre une affinité assez prononcée , ce qui est
le cas le plus ordinaire , et si cette affinité est encore
sensible entre leurs vapeurs, la séparation offrira des
difficultés en rapport avec cette affinité.
C'est principalement à l'influence de ces divers
obstacles qu'il faut attribuer les difficultés en pré-
sence desquelles on s'est trouvé, jusqu'à ce jour,
dans la séparation industrielle de ces différents pro-
duits.
Nous verrons bientôt que ces difficultés ne sont
pas les seules qu'on ait à surmonter.
^4:. — M.étliode de séparation par rétrogEradation.
Nous avons eu l'idée d'appeler à notre secours la
rétrogradation qui, en même temps qu'elle nous con-
duisait plus rapidement au but , nous permettait
encore de séparer dans un état de pureté plus com-
plète les substances qu'il s'agissait d'isoler.
Voici , d'ailleurs , en quoi consiste le principe de
cette méthode :
Lorsqu'on fait bouillir un mélange de deux li-
quides diversement volatils et qu'on fait passer les
vapeurs qui en proviennent dans un canal maintenu
à une température plus baFse que celle de l'ébullition
du mélange, la vapeur du liquide le moins volatil
M LA DlSTILUTIOIf DER BBTTSRAVXS.
11
1 M liqDëfler ftbondammeni , tandie que celle
dD ploa volatil ponrra persister et parcourir le canal
dans toute sa longoenr, sans sabir de condensation
notable . pourm loatefois que l'écart de température
ne aott pas trop considémble.
K le canal dont il est ici question est incliné ver?
la BOnrce d'où se dégaf^e le mélange des vapeurs, le
Kqnide le moins volatil, constammenl condensé à
mesore qo!! se vaporise, rétrograde constammenl
vers la chandière, tandis que le liquide le plus volatil
s'en dégage constamment sans retour.
La figure cî-jointe fera comprendre aisément la
dl^sition et le modo de fonctionnement d'un appa-
reil avec lequel on peut riinliscr simplement ces
conditions.
12 RECHERCHES SUR LES PRODUITS ALCOOLIQUES
La chaudière G d'un alambic est mise en commu-
nication avec la partie inférieure d'un premier
serpentin S maintenu à une température constante
et convenablement réglée , en ayant la précaution
d'adapter au-dessous du tube qui conduit au ser-
pentin les vapeurs de la chaudière , un petit tube /
destiné à ramener dans cette dernière les vapeurs
liquéfiées dans le serpentin.
Un second, serpentin T, constamment refroidi et
faisant suite au premier, mais parcoui-u en sens in-
verse par la vapeur qui se dégage du premier ,
condense ensuite séparément cette vapeur.
En observant avec soin la température du liquide
de la chaudière et celle du bain qui entoure le ser-
pentin rétrogradateur , on reconnaît bien vite qu'il
est généralement possible de maintenir entre ces
deux températures un écart d'autant plus considé-
rable que les deux substances qui constituent le
mélange présentent une plus grande ditférence dans
leurs températures d'ébullition respectives.
Mais si l'on opère sur un liquide homogène , il est
difficile, à moins de chaufifer violemment l'alambic, de
maintenir une différence de plusieurs degrés entre la
température du liquide en ébullition et celle du bain
qui entoure le serpentin dans lequel circule la vapeur,
tandis que nous avons pu maintenir des différences
de plus de 20*", lorsqu'il s'agissait de certains mé-
langes naturels d'alcool vinique et d'aldéhyde.
Conduite méthodiquement, la rétrogradation peut
donc souvent permettre de reconnaître av.ec proba-
bilité si l'on a sous la main un mélange de deux
liquides séparables ou un liquide homogène.
DE LA DISTILLATION DES BETTERAVES. 13
C'est <Jlonc , entre des mains un peu exercées , un
excellent moyen d'essai qui peut rendre des services-
da môme ordre que la méthode des dissolvants
saccessife dont M. Chevreul a su tirer un si heureux
parti.
Si la séparation qu'on se propose d'effectuer devait
porter exclusivement sur un mélange de deux sub-
stances connues et dont les températures d'ébuUition
respectives auraient été antérieurement bien pré-
cisées , la difficulté de la séparation serait assez
limitée; mais la question se complique assez vite,
lorsque le mélange devient plus complexe ; lorsqu'au
lieu de deux substances seulement, il en renferme
trois , quatre , cinq , six , ou un plus grand nombre
encore , et surtout si ces substances sont ou in-
connues, ou peu connues, et qu'on ignore l'expres-
sion exacte de leur température d'ébuUition.
C'est là une des plus grandes difficultés que
nous ayons rencontrées dans le cours de nos re-
cherches.
Voici ce qui nous a le mieux réussi , dans ce cas ,
après de longs tâtonnements. Nous avons opéré
d'abord un fractionnement entre des limites suc-
cessives de température un peu étendues, par in-
tervalles de 6 à S** , par exemple , et nous sou-
mettions ensuite à une rétrogradation méthodique
chacune des subdivisions , en notant avec soin les
circonstances dans lesquelles nous obtenions le plus
grand écart entre la température de la chaudière et
celle du bain de rétrogradation , parce qu'il corres-
pondait à un mélange ; et , d'autre part , les cir-
constances où un écart sensible devenait difficile à
N RECHERCHES SUR LES PRODI'ITS ALCOOLIQUES
maintenir sans arrêter tout-à-fait la distillation, parce
qn'on avait là Tindice ou d'une plus grande homo-
généité dans la substance en ébullition , ou de la
présence, dans le mélange, d'une substance bouillant
à une température peu dififérente de celle à laquelle
on se trouvait alors.
Si un premier traitement par rétrogradation con-
duit généralement plus près du but qu'une distillation
simple, il est encore loin de suffire, et il faut appli-
quer à cette méthode ce que nous disions plus haut
des fractionnements successifs, en parlant de la dis-
tillation simple.
A l'aide de cette méthode , nous avons pu , dans
0
un cas déterminé , effectuer , en moins d'un mois de
travail^ pendant la campagne de 1867-1868, une sé-
paration d'aldéhyde qui nous demandait , dans les
campagnes de 1865-1866 et de 1866-1867 , un temps
trois ou quatre fois plus considérable , en suivant la
méthode de séparation successive par distillation
simple. Il serait actuellement possible d'arriver au
même résultat en quelques jours, avec des appareils
convenablement appropriés.
Nous avons déjà pu séparer ainsi, dans les trois-six
de betteraves, des produits différents, bouillant à
22«, à 78°,5 , vers 98«, vers 108*» et vers 130*».
DJBons tout de suite également, pour ceux qui,
après nous , voudraient suivre la même voie , en
profitant de notre expérience, que les deux conditions
fondamentales de succès doivent toujours être la
patience et le temps.
Ainsi , dans nos dernières recherches pour la sépa-
ration de l'aldéhyde, en opérant sur un produit brut.
• Bl LA DISnLLATION DES BETTERAVES. 15
emiehi déjà par le fractionnement, à l'usme, et
boaQlant vers 79 ou 80* , nous en avons d'abord
séparé , par la rétrogradation, un produit bouillant
vers 76 à 77«.
Une seconde opération , faite sur ce dernier, nous
a fourni un nouveau produit bouillant vers 65*.
Une troisième reprise a donné un produit bouillant
vers 45*.
Une quatrième reprise a donné un prodnit bouil-
lant vers 24*.
Enfin , par une cinquième reprise , on a séparé
complètement l'aldéhyde bouillant à 22*.
En d'autres termes, nous avons dû appliquer cinq
fois de suite la rétrogradation avant d'arriver au
résultat définitif ; et, cependant, il s'agissait ici d'un
produit déjà connu , bien caractérisé , dont nous
avions constaté la présence et opéré la séparation
dans des séries antérieures de rechei'ches, en 4865*
1866 et en 1866-1867.
On devrait naturellement s'attendre à de plus
grandes diflicultés , s'il s'agissait d'une substance in-
connue ou peu connue, et dont la température d'ébul-
lition s'éloignerait moins de celle des substances avec
lesquelles elle se trouverait en mélange.
Revenons maintenant aux opérations usuelles de
rindostrie , et à l'exposé sommaire des principaux
résultats auxquels nous ont déjà conduits uos études.
16 RECHEACHËS SUR LES PRODUITS ALCOOLIQUES
Lorsqu'on suit attentivement, dans une usine, une
rectification ordinaire de flegmes de betteraves , on
constate facilemenl que les premiers produits qui
distillent ont une odeur désagréable , très-pénétrante
et suffocante.
On reconnaît , de plus , que ces produits ont sou-
vent rinconvénient de donner des trois-six suscep-
tibles de se colorer spontanément , au bout d'un
certain temps , même dans des vases de verre bou-
chés à rémeri.
Ces trois-six de mauvais goût^ s'ils ne sont recueillis
à part , sont , pour le reste du produit , une cause
sérieuse de dépréciation , alors même qu'ils ne s'y
trouveraient qu'en très-minimes proportions.
En examinant les produits qui arrivent successi-
vement à l'éprouvette , on constate, au bout d un
temps plus ou moins long, l'arrivée d'un alcool qui,
pour le dégustateur , ne présente que très-peu ou ne
représente plus de traces de goût étranger à celui
de l'esprit de vin normal.
Plus tard , un peu avant la fin de l'opération , ap-
paraissent des indices d'un mauvais goiU d'une autre
nature, d'abord à peine perceptibles, puis de plus
en plus sensibles, et enfin tellement désagréables
que le produit ainsi obtenu n'est plus propre qu*à
certaines industries spéciales.
Tout-à-fait à la fin de la rectification, on recueille
un liquide presque entièrement insoluble dans Teau
sur laquelle il surnage^ après l'avoir rendue laiteuse
par son mélange avec elle. Souvent désigné sous le
nom d'huile de betteraves, ce liquide est composé
principalement d'alcool amylique identique avec
in LA DISmXATIOll DES BETTERAVES. 17
celai qae fournit la distillation de la pomme de
terre.
C'est donc surtout dans les produits recueillis au
commencement de la rectification , et dans ceux qui
passent vers la iin , que paraissent se trouver accu-
mulées les substances étrangères dont la présence en
trop grande abondance est une cause de dépré-
ciation commerciale , et dont la présence , même en
petites quantités dans les trois-six ordinaires , peut
leur communiquer des propriétés physiologiques
spéciales qu'il serait très-important de connaître,
M. Pagny a bien voulu, à notre prière, recueillir
à part I et séparément , des quantités assez considé-
rables de ces produits alcooliques mauvais goût du
commencement d'une rectification , et de ceux qu'on
obtient à la fin ; nous ne saurions trop reconnaître
cette complaisance qui a simplifié notre tâche et
nous a économisé beaucoup de temps.
X.— Kxaxnexi des produits mauvais ^oût du ooxxi-
xxieiioeTxient des reotifioations.
Ces produits alcooliques , doués d'une odeur très-
désagréable , suffocante , avaient une légère teinte
jaune-verdâtre , comparable à celle d'une dissolution
faible de chlore.
Comme nous avions reconnu, par l'examen de
produits analogues des campagnes de 1865-1 8G6 et
de 1866-1867 , que l'aldéhyde était une des princi-
pales causes de leur mauvais goût, nous nous sommes
attachés, dans l'examen des produits de la campagne
1867-1868, à séparer cette substance, en essayant
2
18 REGUEUCIIES SUR LES PRODUITS ALCOOLIQUES
d'en déterminer approximativement la proportion.
Nous avons employé , pour y parvenir , la méthode
du fractionnement combiné avec la rétrogradation.
Nous avons d'abord constaté que Valdéhyde, bien
que bouillant à 22^ , pouvait encore être retenu en pro-
portions appréciables, tant que le résidu alcoolique dont
on cherchait à l'extraire n'avait pas atteint la tempé-
rature de 78*,5.
Lorsque, par des rectifications successives avec
rétrogradation, nous eûmes obtenu un produit bouil-
lant vers 70 à Ta"*, la séparation de Taldéhyde se fit
bien plus facilement, et il n'était pas difficile de
maintenir alors, dans l'appareil à rétrogradation, un
écart de iO à i^ entre la température de la chau-
dière et celle du bain de rétrogradation ; cet écart
pouvait môme s'élever jusqu'à 25 ou 26*, lorsqu'on
opjérait sur un liquide assez enrichi d'aldéhyde pour
entrer en ébullition vers 50°.
Il nous serait encore impossible , aujourd'hui ,
d'établir une relation bien définie entre l'abondance
de l'aldéhyde dans le produit séparé, et sa coloration
en jaune-verdâtre ; le seul fait qui nous ait paru
assez bien établi , c'est que la plus grande intensité
de coloration parait correspondre à un mélange de
substances entrant en ébullition vers 70 ou 75^ Ce
mélange, nous nous en sommes assurés, contient
autre chose que de Taldéhyde et de l'alcool, et
nous comptons y revenir très-prochainement. Ce qui
est déjà établi pour nous dès maintenant, c'est que
le produit condensé n'est plus sensiblement coloré ,
dès que la température d'ébuUition du liquide dont
il provient ne dépasse plus 60°.
K LA DISTILLATIOll DES BETTERATES. 19
n est toojoon pradenl, lorsqu'on exécute une
série d'opérations de cette nature, ayant pour but
de séparer l'aldéhyde, de terminer l'appareil rec-
tificatenr par un flacon entouré d'un mélange réfri-
gérant maintenu à 8 ou 10* au-dessous de léro ; on
arrête ainsi les vapeurs d'aldéhyde qui pourraient
être une cause de gène pour l'opérateur dont elles
irritent TÎolemment les organes respiratoires, et une
Bonrce de danger , à cause de leur volatilité et de
leur inflammabilité. D'aillenrs, cette précaution a
pour conséquence inévitable une augmentation sen-
sible dans le rendement.
Dans la dernière opération de ce genre à laquelle
noua nous sommes livrés, nous avons pu séparer
de 60 litres d'alcool mauvais goût de la nature de ceux
qui nous occupent en ce moment, environ un litre et
demi d'aldéhyde bouillant à 22*, et nous estimons
à plus d'un demi-litre l'aldéhyde contenu encore dans
divers produits moins purs destinés à des études ul-
térieures,
U résulterait donc de là que le produit obtenu à
l'usine, dans des conditions que nous venons de
rappeler tout à l'heure , contenait plus de (rois pour
cent de son volume d'aldéhyde , sans compter ce qui a
dû s'en perdre par évaporation , dans des manipu-
lations si multipliées.
Lorsqu'on soumet à la rectification , en évitant les
pertes autant que possible , un produit alcoolique de
la nature de ceux qui nous ont sei*vi, et provenant
da mauvais goût du commencement des rectifications
faites industriellement, on trouve que la richesse al^
coolique accusée par P alcoomètre de Gay-Lussac augmente
20 RECHERCHES StR LES PRODUITS ALCOOLIQUES
sensiblement dans le produit lorsqu'il a été plus ou moins
complètement purgé d'aldéhyde; en d'autres termes, si,
par exemple , le mélange brut primitif marquait à
Talcoomèlre 75" centésimaux , il pourra en marquer
78 ou 80 après la séparation de la majeure partie de
l'aldéhyde.
La présence de cette dernière substance dans l'al-
cool tend donc à en affaiblir le degré , ù en masquer
partiellement la richesse alcoolique , en augmentant
la densité.
Si la densité de l'aldéhyde était supérieure à celle
de l'alcool , on comprendrait facilement que l'ad-
dition de l'aldéhyde en simple mélange produisit
un accroissement plus ou moins sensible dans la
densité moyenne du mélange des deux liquides ;
mais la densité (0,8055) à O^' de l'aldéhyde est
inférieure à celle de l'alcool (0,815). L'aldéhyde et
l'alcool ne sont donc pas ici en simple mélange , ce
qu'il était d'ailleurs permis de conclure de la diffi-
culté avec laquelle s'opère la séparation des deux
substances, même à une température bien supé-
rieure à celle à laquelle l'aldéhyde est en pleine
ébuUition.
Il doit donc exister , entre ces deux substances ,
une affinité assez énergique , et , dès lors , il est uisé
de comprendre qu'il puisse se produire une conden-
sation qui , en augmentant la densité du mélange ,
diminue les indications alcoomélriques qui varient
en sens inverse de la densité.
Mais toutes les fois qu'en mélangeant deux liquides
il se produit un accroissement sensible dans leur
densité moyenne, il y a en môme temps dégagement
DB LA DISTILLATION DES BETTERAVES. 21
de chaleur et c'est ce qui arrive effectivemeDt dans
le cas actnel.
Ce dégagement de chalenr se manifeste quelque-
fois dans des circonstances assez singulières et assez
exceptionnelles qui méritent d'être signalées.
Lorsqu'on vient de recueillir par distillation des
produits alcooliques plus ou moins chargés d'aldéhyde
et bouillant entre 65 et 75"" , si Ton abandonne
ces produits à eux-mêmes pendant quelque temps,
ils éprouvent habituellement un rétr^tiy/(?me7i/«/>onton^'
qni se traduit par une élévation de température pou-
vant aller jusqu'à 45 ou 20", ou même jusqu'à 25^
L'agitation du liquide peut activer ce réchauffement
sponlanë. Nous l'avons même observé quelquefois
dans des produits condensés dans de la glace ou
dans un mélange réfrigérant
On a sonvent rappelé , dans les traités de chimie ,
la facile altération spontanée de l'aldéhyde; nous
devons signaler, à ce sujet , un fait qui vient prouver
que l'état de pureté d'une substance peut avoir une
grande influence sur la durée de sa conservation.
L'un de nous conserve encore , depuis le commence-
ment de 4844 9 c'est-à-dire depuis plus de 24 ans , un
échantillon d'aldéhyde vinique offrant les caractères
de sa pureté primitive , et l'aldéhyde que nous avons
séparé, il y a environ dix-huit mois, des trois-six de
betteraves mauvais goût, n'offre encore aucun indice
appréciable d'altération.
En résumé , c'est principalement à la présence de
l'aldéhyde vinique et à celle des dérivés de cette
substance y qu'il convient d'attribuer la plus grande
part dans les causes de dépréciation des trois-six re-
•^
22 RECHERCHES SUR LES PRODUITS ALCOOLIQUES
coeillis inâustriellement au commencement des recti-
fications.
a .— >Szaznen dee prodixits mauvais goût reoueilliei
vers la fiji des reotifilcations Ixidu-strlelleB.
Lorsqu'on soumet à la distillation simple le liquide
alcoolique brut recueilli vers la fin d'une rectifica-
tion faite à l'usine dans des conditions ordinaires, on
trouve que la température d'ébullition du produit est
habituellement comprise, au départ, entre 80 et SS"" ,
suivant la quantité de liquide recueillie à part à la fin
de l'opération.
£n appliquant un très-grnnd nombre de fois à ce
produit brut , après l'avoir déshydraté par le carbo-
nate de potasse, la méthode des rétrogradations frac-
tionnées successives , dont nous avons essayé précé-
demment de faire comprendre les avantages , nous
sommes parvenus à en séparer :
de l'alcool vinique ordinaire,
de l'alcool propyliqne ou propionique,
de l'alcool butylique,
et de l'alcool amylique ;
et nous devons dire tout de suite , que c'est princi-
palement à la présence de cette dernière substance ,
que les produits alcooliques de la fin d'une rectifica-
tion doivent leur mauvais goût
Nous avons bien souvent constaté la pré-
sence d'autres substances étrangères douées d'un
goût très-différent de celui de l'alcool vinique , mais
nous n'avons pas encore obtenu ces substances dans
un état de pureté satisfaisant , tandis que nous avons
DE LA DISTILLATION DES BETTERAVES. 23
pu séparer les alcools propylique, botylique et
amyliqae dans on état de pureté remarquable et en
qoantilés relativement considérables, ce qui , à notre
connaissance, n'avait encore été réalisé sur une aussi
grande échelle , que pour l'alcool amylique , le plus
abondant des trois.
Nous reviendrons plus en détail , dans la suite de
ce travail , sur ce qui concerne chacun de ces trois
alcools en particulier , mais nous croyons devoir iu-
siater , dès à présent , sur les difficultés spéciales que
présente leur séparation , parce que Texamen de ces
difficultés pourra expliquer , dans une certaine
mesnre, l'insuccès des tentatives faites avant l^
nôtres.
Lorsqu'on soumet à la distillation simple le produit
brut dont il est ici question, contenant tout à la fois
de Yakool vinique, de l'eati, de Valcool amylique et les
alcools butylique et propylique , le premier produit
condensé est d'abord très-riche en alcool vinique et
la température de la chaudière de l'alambic reste
alors voisine de 80^ centigrades. La température
s'élève ensuite avec une extrême lenteur jusque vers
86" où elle reste assez longtemps presque station*
naire pour s'élever ensuite un peu plus rapidement
jusqu'à 96 ou 98°.
On observe souvent alors , si l'alcool amylique et
l'eau se trouvent en assez grand excès, ce qui arrive
habituellement, que la température d'ébullition reste
longtemps stationnaire, et le liquide condensé par la
distillation se composealorsde deux couches distinctes.
Tune, inférieure, composée presque exclusivement
d'eau, l'autre, supéiùeure, composée presque exclusi-
24 RECHERCHES SUR LES PRODUITS ALCOOLIQUES
vement d'alcool amylique. La couche d'eau repré-
sente à très-peu de chose près les deux cinquièmes du
volume total, et ces proportions relatives des deux
substances restent invariables tant que la chaudière
de Talambic renferme tout à la fois de Teau et de
Talcool amylique. Lorsque, par suite de la diminution
progressive de la proportion d'eau dans Talambic, le
produit condensé cesse d'être spontanément séparable
en deux couches , la température de la chaudière
s'élève assez rapidement, pour monter jusqu'à 130
ou même plus haut.
Si l'on traite séparément chacun des produits suc-
cessivement condensés, par une quantité convenable
d'eau saturée de sel, et qu'on agite , on reconnaît :
l'* que tout produit recueilli au-dessous de 82° donne
lieu à une mousse abondante et à un dépôt de sel ;
2^ qu'en faisant subir le même traitement aux pro-
duits bouillant à une température supérieure à S^"" ,
la mousse et le dépôt de sel deviennent de moins en
moins abondants à mesure que s'élève la température
d'ébullition du liquide soumis à l'essai.
Lorsque le mélange cesse de mousser par l'agita-
tion, il donne lien par le repos à la séparation d'une
coucbe plus ou moins abondante d'un liquide d'aspect
oléagineux qui surnage*
Dès que la température d'ébullition du liquide à
essayer ainsi, atteint 85® environ , le volume de la
coocbe oléagineuse, séparée sous l'influence de l'eau
salée peut égaler celui du liquide soumis à l'essai.
La reprise par distillation simple des produits re-
cueillis au-dessons de 85 à 86"* permet d'en séparer
assez facilement une nonvelle quantité d'alcool vinique
DE LA DISTILLATION DES BETTERAVES. 25
à pen près par ; mais lorsqu'on soumet à la distilla-
tion le produit qui bout vers 85 ou 86° , le produit
qui distille ne varie presque plus dans sa tempe-
ratare d'ëbullition.
Nous a^ons donc ëté ainsi conduits tout d abord h
penser qu'il devait exister, dans la série des produits
saccettsifs provenant du produit brut de l'usine , une
substance bouillant vers 85 ou 86*' ; nous avons con-
serré longtemps cette conviction , fortifiée par
Tabondance relative avec laquelle nous pouvions
séparer cette matière. Mais il s'agissait de savoir si
ce produit était une substance bien défmie, une
espèce chimique , ou un mélanirc plus ou moins in-
time, à proportions définies, de plusieurs substances
distinctes séparables.
Nous avions d'abord pensé que cette substance
pouvait être l'alcool propylique auquel M. Borthclot
attribue comme température d*ébu1lition 86° centi-
grades; mais sa transformation en iodure, sous Tin-
llnence de l'action simultanée de l'iode et du phos-
phore, nous a montré qu'il n'en était rien , et que
nous devions avoir aflaire à uii mélaugc.
D'un autre côté, l'analyse centésimale ne pouvait
guère nous permettre de conclure avec certitude et
de trancher la question, puisque la composition de
l'alcool propylique peut être représentée par celle
d'un mélange d'alcool vinique et d'alcool butylique,
comme l'indique la formule
aC^H^O, = C^H.O, 4- GgH,oO,
Alcool propylique. Alcool vinique. Alcool butylique.
La composition de l'alcool propylique peut encore
i6 RECHERCHES SUR LES PRODUITS ALCOOUQUES
Mre représentée par celle d'un mélange d'alcool vi-
nique et d'alcool amylique, ainsi qu'on en peut juger
par la formule
3C,H80, = 2C,H,0, + C,oH,,0,
Alcool propylique. Alcool yinique. Alcool amylique.
Elle peut être représentée encore par celle d'un
mélange d'eau, d'alcool butylique et d'alcool amyli-
que ainsi que l'exprime la formule
aC.HgO, = 2H0 + CgH^oO, + C,oH,,Oj
Alcool propylique. Eau. Alcool butylique. Alcool amylique.
Cette composition peut être représentée encore par
celle de l'eau, de l'alcool vinique et de l'alcool amyli-
que; en effet
gC^HgO, := 6H0 4- C^H^Oj -f 5C,oH«0,
Alcool propylique. Eau. Alcool vinique. Alcool amylique.
Enfin, et c'est par cette dernière citation que nous
terminerons l'énumération des nombreux cas possi-
bles, la composition centésimale de l'alcool propyli-
que pourrait élre représentée par celle d'un mélange
d'eau, d'alcool vinique, d'alcool butylique et d'alcool
amylique dans les proportions indiquées par la formule
lâC^HaO, =
8H0 4- C^H^O, -h CgHjoOj + 6C,oH«0,
Alcool
Eau. Alcool Alcool Alcool
propylique.
vinique. butylique. amylique.
Il restait donc à chercher on procédé de sépara-
tion efficace, en nous imposant, toutefois, l'obligation
de nous éloigner le moins possible des procédés
susceptibles d'une application industrielle assez facile
Dl LA MSTILIATION DES BETTERAVES. 27
à réaliser. Nous tenions , d'ailleurs , à respecter le
pins possible la nature des produits à séparer, en
employant ponr cet objet des moyens peu éner^
giqnes.
L'agitation de ce mélange inconnu avec du sel
marin en pondre nous a d'abord permis d'y constater
en proportions assez considérables, la présence de
Tean qui s'en séparait en dissolvant le sel et venait
occuper la partie inférieure des flacons.
L'examen du liquide surnageant nous a bientôt
montré qu'il s'y trouvait encore de Talcool vinique et
de l'alcool amylique. La séparation si facile de Teau,
sons l'influence du sel marin, et la présence de
l'alcool vinique , devaient nous faire craindre que
le sel ne fât insufiisant pour déshydrater le mé-
lange, et nous eûmes recours au carbonate de potasse
desséché, qu'on renouvela jusqu'à ce qu'après de
firéqnentes agitations , suivies d'un repos de douze à
quinze heures , le carbonate cessât de s'humecter
d'ean.
En opérant la déshydratation sur un volume connu
de ce mélange , nous avons trouvé qu'il peut aban-
donner au carbonate de potasse environ 16 pour 0/0
d'eau.
C'est en soumettant à une série de distillations
fractionnées successives le produit déshydraté , que
nous parvînmes enfin à en séparer de l'alcool vinique,
de l'alcool propylique , de l'alcool butylique et de
l'alcool amylique.
Eclairés par l'expérience, nous pûmes, dans une
nonvelle série de traitements des produits mauvais
goût de la rectification des flegmes de betteraves ,
iH kUCHKHCHlSS SUR LES PRODUITS ALCOOLIQUES
obtt^uii- j)lu$ lard » en beaucoup moins de temps ,
pluïùeui's litiges d*alcool propylique et d'alcool bu-
IvlHjue» dans un état de pureté presque absolue.
Ku avant la précaution de déshydrater par le
carbiuiate de potasse nos matières premières brutes ,
uouji n'observûmes plus aucun indice de stabilité
Yt*!*» 86*, Tous les produits bouillant vers cette tem-
pératui^ se sont constamment dédoublés , par la
ivlmgradation, et avec facilité , en alcool vinique et
^ï produits supérieurs, parmi lesquels se trouvait de
l'alcool propylique bouillant, non pas à 86**, mais vers
98* centigrades.
On se demandera peut-être comment à pu passer
sans peine à la distillation simple , vers 86*, un
mélange de cinq substances , dont quatre bouillent
h une température beaucoup plus élevée. Prenons
d'abord le cas le plus simple, celui d'un mélange
d'eau qui bout à iOO°, et d'alcool amylique bouillant
vers 130*».
Lorsqu'on soumet un pareil mélange à la distilla-
tion , il est aisé de constater , nous en avons déjà fait
l'observation, qu'il bout régulièrement vers 96**, et
qu'il passe à la distillation, en proportions constantes,
de l'eau et de l'alcool amylique , 2/5 de la première
substance, contre 3/5 de la seconde.
Dans cette expérience , l'alcool amylique distille
donc abondamment à 34*" au-dessous de sa tempéra-
ture normale d'ébullition , sans que la pression exté-
rieure intervienne d'une manière spéciale dans cet
abaissement. La pression atmosphérique se trouve ici
vaincue par la résultante des forces élastiques des
deux vapeurs mélangées ou partiellement combinées.
DE LA DISTILLATION DES BETTERAVES. 29
Si noQB agissons snr un mélange plus complexe ,
el qa'anx deux liquides précédents nous en ajoutions
d'antres » ces derniers émettont , avant leurs tempé-
ratures d'ébnllition respectives , comme l'eau et
comme ralcool amylique , des vapeurs en plus ou
moins grande abondance. Combinées avec les forces
ëlastiqaes des vapeurs des deux premiers liquides ,
celles des derniers pourront donner une force élas-
tique résnltante capable de faire équilibre à la pres-
sion atmospbërique à une température plus basse
encore , c'est-à-dire inférieure à Ut)°, bien que cba-
cnne des substances constituant le mélange, consi-
dérée isolément, n'entre en ébuUition qu'au-dessus
de 96*.
Noos avons montré précédemment , par de nom-
breux exemples , que l'analyse élémentaire pouvait
souvent être impuissante à définir la pureté d'une
substance el à bien établir sa nature comme espèce
chimique, surtout lorsqu'il s'agit , comme dans le
cas actuel, de substances qu'on ne peut obtenir sous
forme cristalline , c'est-à-dire sous une forme qui
permette d'en constater sans peine l'homogénéité.
Si nous considérons comme insuflisantes les don-
nées fournies par l'analyse élémentaire, nous devons
dire sur quelles bases nous avons pu asseoir notre
opinion , à l'égard des substances que nous avons
séparées, pour nous croire en droit de les considérer
comme pures, comme espèces cliimiques distinctes.
Il est maintenant bien établi que chacune des
substances désignées sons le nom d'«/coo/peut donner
naissance , dans des conditions convenables , h une
série de corps dérivés bien définis et tellement
30 RECHERCHES SUR LES PRODUITS ALCOOLIQUES.
nombreux que M. Dumas a pu dire , avec raison ,
que la découverte d'un nouvel alcool peut être assi-
milée , par son importance , à la découverte d'un
nouveau métal.
C'est donc à la formation normale de ces composés
dérivés que nous avons eu recours pour vérifier la
nature et la pureté des deux substances que nous
considérions comme devant être Talcool propylique
et l'alcool butylique. Les résultats ont été d'une
netteté tellement remarquable qu'il ne nous est pas
permis de conserver le moindre doute à cet égard.
En résumé, nous avons déjà séparé des produits
mauvais goût de la rectification des fiegmes de bet-
teraves
de l'aldéhyde ,
de l'alcool propylique,
de l'alcool butylique,
et de l'alcool amylique.
L'étude plus circonstanciée de ces diverses sub-
stances, la détermination des limites entre lesquelles
peuvent être comprises leurs proportions , dans les
produits bruts de la distillation industrielle , la pro-
duction et l'étude de leurs principaux dérivés, feront
l'objet d'un second mémoire dont nous possédons
déjà en partie les matériaux.
NOTICE
SUlEt JSEB ANIMAUX FOSSILES
DE LA
r r
FAMILLE DES TELEOSAURIENS
RECUEILLIS EN NORMANDIE;
Par m. Bsfène DESLOi\G€H.tllP8 ,
Membre assodé-résidant.
Le travail que j'ai Thonneur de soumettre h TAcu-
démie est, en grande partie, le résumé d'éludés
înceesantes que mon père avait faites pendant une
grande partie de sa vie si laborieuse, si bien remplie.
C'était, en effet, avec une prédilection marquée
qu'il se livrait à un gigantesque travail sur les
Télëosauriens fossiles ; c'était ce qu'il considérait
comme son œuvre capitale, œuvre qu'une longue et
douloureuse maladie n'avait pas eu le pouvoir d'in-
terrompre.
Devenu presque aveugle , souffrant de suffocations
continuelles, il y travaillait encore avec un esprit
d'une lucidité complète , qui n'avait rien perdu de sa
vivacité. Quelques jours avant de mourir, il me
faisait paît de ses idées à ce sujet, et trois jours
seulement avant l'événement funeste qui devait l'en-
lever à la science et aux siens, alors que sa vue était
à peu près éteinte, que sa voix n'articulait plus que
32 NOTICE SUR LES ANIMAUX FOSSILES
des paroles entrecoupées, sa main essayait encore,
avec un crayon , de tracer quelques mots , de com-
pléter des observations commencées.
Au mois d'août 4866, la maladie avait un peu
cédé; mon père en profita pour rédiger quelques
notes sur les Téléosauriens , en me recommandant
de publier, s'il lui arrivait malheur, le grand travail
dont cette notice est une sorte de résumé. Les
mois de septembre , d'octobre et de novembre furent
employés avec fruit. Je pus avoir, grâce à l'extrême
complaisance de l'administration du Muséum de
Paris et particulièrement de MM. Milne Edwards ,
Serres et d'Arcbiac, communication des pièces qui
avaient servi de types à Cuvier, Geoffroy Saint-
Hilaire et de Blanville, les étudier, les dessiner et
les comparer rigoureusement avec celles que nous
possédions soit dans notre collection , soit dans celle
de la Faculté des sciences.
La communication de ces documents fut, pour
nous , bien précieuse ; elle nous permit de géné-
raliser nos études et de perfectionner les détails.
Mon père fit alors quelques modifications au Pro-
drome qu'il avait commencé de rédiger. 11 publia en
novembre 1866, dans le Bulletin de la Société Lin-
néenne de Normandie ( !•' volume de la 2* série ) , la
description de la tête de trois espèces de Téléo*
sauriens qui rentraient entièrement dans le type
Teleosaurus , tel que Geoffroy Sainl-Hilaire l'avait
compris. Il distribua les autres espèces dans cinq
sections et commença leur description ; mais la ma-
ladie empirait, il dut laisser encore inachevé même
ce résumé. Toutefois, nous espérions encore que le
DE LA rÀMlLLE DES TELKOSArRIETfS. 33
mal céderait à un trailement régulier; je lui parlais
d'avenir» de sou travail à compléter: mais il ne s'y
trompait pas. tout en me donnant ses Idées sur la
manière de mener à bonne Un sa grande Mono-
graphie des Téiéosan riens :
« Mon ami , me disait-il avec un sourire triste et
ft affectneox, votre amitié vous trompe tous sur mon
a état; TOUS vous méprenez sur la portée de mon
« mal, je ne verrai pas Tannée nouvelle. Je ne
« pourrai terminer mon travail : c'est un héritage
« que je te laisse, si lu peux ou si tu veux t'en
« charger. »
En effet, la cécité et les autres symptômes mor-
bides prirent de plus en plus des caractères inquié-
tants; enfin, les froids rigoureux du commencement
de janvier 1867 eurent une influence désastreuse sui
cette constitution si robuste. Tous les jours cepen-
dant il me parlait de son travail , des modifications à
y apporter. Ses derniers dt'sirs , à ce sujet , furent
qu'il serait heureux (pie sa Monographie des Téléo-
sauriens parût sous le patronage de la Soci(*té géolo-
gique de Londres, dont il était depuis longtemps
membre honoraire. Enfin , il expira le t7 janvier.
I^ Société géologique de Londres accueillit avec
reconnaissance ses dernières volontés. C'est donc
sous le patronage de cette illustre Compagnie que
paraîtra le grand travail dont ce Prodrome n*est
qu'un avant-coureur.
Voici presque textuellement l'introduction au Pro-
drome, telle que mon père l'avait écrite en août et
en septembre 1866.
« Le but de mon premier mémoire sur les Téléo-
3
34 NOTJGE SUR LES ANIMAUX FOSSILES
« sauriens de Tépoque jurassique du département du
(( Calvados , publié en 1863, dans le Xll» volume des
a Mémoires de la Société Linnéenne de Normandie ,
« était particulièrement de mettre en évidence les ca-
« ractères qui distinguent les Téléosauriens des Cro-
« codiliens. J'y joignis la description détaillée d'une
• espèce du lias supérieur, Teleosnurus temporalis,
u dont je possédais un exemplaire presque complet
« et des têtes désarticulées , dont les pièces osseuses
H me servirent de type.
(« Depuis lors, de nombreux matériaux me sont
« parvenus et me permettent d'établir les différences
« spécifiques de plusieurs espèces qu'il m'eût été ini-
a possible de faire ressortir avec les seules pièces que
<( je possédais alors, et qui , je l'espère , seront main-
(c tenant établies d'une manière assurée et définitive.
tt Grâce à la complaisance de MM. les administra-
o teurs du Muséum de Paris , qui ont permis à mon
tt fils de dessiner les principales pièces calvado-
a siennes de la collection du Muséum et notamment
« celles sur lesquelles Cuvier avait établi ses croco-
• diles on Gavials d'Honfleur , et de Blainville son
« Crocodiltis superciliostis ; grdice à de nouvelles pièces
'( fort importantes , découvertes dans lys environs
(( de Caen, d'autres léguées par M. Bréville au musée
a de la Ville , d'un certain nombre recueillies dans
a les argiles kimméridgiennes , du cap la Hève. près
« le Havre , et communiquées généreusement par
" M. G. Lennier , conservateur du musée du Havre ,
« je puis donner à la description des espèces et à
« leur détermination spécifique une précision à la-
ff quelle je n'aurais pu atteindre auparavant.
DE LA FAVIILB DES TRLÉOSAU RIENS. 35
a J*ai fiftit les dessins de tons ces nouveaux luaté-
• rîaux , tous de grandeur nauirelle , la plupart au
• trait
« Maifaenreusement pour moi, le Iriste état de nia
• Toe. qui ne me permet plus de lire et d'écrire
• qne très-difficilement, me met dans Timpossibilité
• d'employer m extenso les matériaux que je possède,
a Afin qae mes dessins ne deviennent ditlicilement
> applicables et même indéchiflfrabies , malgré les
« signes explicatifs dont je les ai acconipiignés , je
• me vois forcé de réduire mon travail a im simple
« Prodrome. Mon fils, qui m'a beaucoup aidé dans la
« préparation de ces éléments les publiera plus*
« tard ; j'avertis même que ce Prodrome peut être
9 regardé comme un tnivail fait en eominun.
« Je donnerai l'arrangement des espèces , fondé
« sar des caractères faciles à saisir , leur position
■ stratigraphique, enfin . une description succincte
■ de leui'S principaux caractères tirés surtout de
• leurs têtes.
u Sons le point «le vue des diverses parties re-
m cueillies de chacune de ces espèces, on comprend
a aisément que toutes n'ont pas le même degré
a d'importance et la même valeur.
« Il en est quelques-unes qui sont représentées
9 par des exemplaires presque au complet, d'autres
« seulement par leurs parties essentielles et caracté-
*i ristiqnes , d'autres qui ne sont que des indications
Cl d'espèces particulières ; le complément de ces der-
«f nières est Tafifaire du temps et des circonstances
« favorables. En attendant, leur place est marquée.
•• J'avais pensi' d'abord et d'après l'oliservaliou
36 NOTTCB SUR LES ANIMAUX FOSSILES
c< que la situation stratigraphique des Téiéosau riens
u jurassiques était le moyen le plus facile à saisir
« pour les réunir par groupes ; mais, comme on le
« verra plus loin, il soufire quelques exceptions.
« U faut donc le chercher ce moyen dans des
u caractères anatomiques ; ceux qui se tirent de la
(î tête sont les meilleurs , non pas de l'ensemble
« de ses formes ni même indifféremment de toutes
« ses parties , mais particulièrement des régions
• frontale et nasale, et surtout des sutures des os
u de ces régions qu'il est indispensable de bien
0 mettre à découvert
• U est souvent assez difficile d'y (uirvenir sans
« les briser ou les altérer plus ou moins : tantôt c'est
M la gangue qui est fort dure, tantôt les sutures sont
o masquées par des coquilles adhérentes ; mais ce
« qui rend l'opération plus difffcile et plus délicate ,
• c'est la présence d'enduits plus ou moins épais de
• fer sulfuré tout- à-fait rebelles aux burins et aux
u petits ciseaux à froid. Il vaut mieux se servir de
• petits marteaux pointus aux deux bouts, semblables
(( à ceux qu'emploient les meuniers pour piquer
« leurs meules. Avec du temps, de la patience et un
ff peu d'adresse, on atteint son but il ne faut pas
a chercher à abréger la besogne ; en allant trop vite
« et en frappant de grands coups, les os s'éclateraient
a autour des sutures et celles-ci seraient déformées.
« En recourant aux détails des autres pièces
« osseuses, on trouve des différences ; mais elles sont
« moins frappantes , et ces différences se groupent
« diversement , comme on le verra dans la descrip-
« tioD des espèces.
DE LA FAMILLE DES TELÊOSAURIENS. 37
« En procédant ainsi par comparaison des diverses
« pièces osseuses de la tête, noas pouvons tout
« d'abord reconnaître deux grandes sections.
s La moins nombreuse en espèces et qui n'a pas
« besoin d'être subdivisée, a déjà été indiquée dans
« une note sur un groupe de vertèbres provenant
• des argiles kimméridgîennes du cap la Hève (1).
« Celle des espèces appartenant à cette section , qui
a est la mieux connue et dont nous possédons le plus
« de débris^ est le Crocodtlus superciliosus de Bla in ville,
• mon Teleosaurus superciliosus de la note déjà
• citée (2).
« Elle peut être ainsi définie :
l'* SECTION.
« Téléosauriens dont le frontal antérieur est très-
• grand. 1rs os propres du nez très-larges , les orbites
€ non circulaires , protégées en dessus et vers la moitié
u antérieure par une saillie formée par le frontal an-
« térieur, qui est très- développé et rejeté de côté comme
" un auvent au-dessus de l'orbite (3 . Ces orbites sont
• entièrement dirigées de côté, et le trou sous-or bitr aire
« grand ou très-grand, situé au fond d^un sillon pro-
« fond, qui se prolonge en dessous de V orbite,
« Quatre espèces connues, toutes appartenant aux
(1) Voir Bulletin de la Société Linnéenne de Normandie, 3* série,
t. I, p. U6.
(3) Loe, cil,, p. 1&9.
(8) D'où le nom si caractéristique que j'avais employé, ,en les
désignant sous le nom de Superciliosi.
38 NOTICE SUR LES ANIMAUX FOSSILES
« systèmes ooliihiques moyen et supérieur, depuis
■ l'étage callovien jusqu'au kiraméridjçien inclusive-
K ment.
(( Teleosaurus Blainvillei (E. Desl.). Callovien.
« — SUPERCIU0SUS (de Blainv.).Oxrord. inf.
« — Brachyriiynchus{E. Desl). Oxford sup.
« — HASTIFER (E. Desl.). Rimm.
• La seconde section est beaucoup plus noni-
« breuse en espèces ; elle est susceptible d'ètro
fl scindée en quatre subdivisions. L'une des formes
« les plus connues est celle du Teleosaurus Cado-
1 mensts , déjà décrit par Cuvier et Geoffroy Sainl-
« Hiiaire ; mais elle en comprend d'autres, telles que
« les Sténéosanres du dernier de ces auteurs; elle
« peut être ainsi détinie :
" Téléosauriens dont le frontal antérieur est très-
« petit et dont le trou sous-arbitraire se voit à la face
« supérieure du museau. Orbites presque circulaires et
« tournées plus ou moins en dessus.
« Treize espèces connues, répandues depuis le lins
« supérieur (couches à Ammonites serpentinv^ inclusi-
« vement), jusqu'au coral-rag inférieur (couches à
* Cidaris florigemma inclusivement).
" Teleosaurus temporalis (de Blainv.). a ,
_ _ . . ' L. sup
— OPLiTts (E. Desl.). ^
OK LA FAMILLE DES TÉLÉOSAURIENS. 39
« Telbosaurus ATELESTATUS (K. Desl.).Ool. inf.
« — Cadomensis (Geof. S*-H.).
« — GLADixjs (E. Desl.).
et — Geoffroyi (E. Desl.). \Fniior
« — MEGISTOKHYNCUUS(Geof.S'-H.)(
« — Larteti (K Desl ).
a — Calvadosi(E. Desl.).
— BouTiLiERi [K Desl.). Gr. Ool.
a — Edwardsi (E. I)es!.\ i , .. ,
— RoisSYi (E. Desl.;. . ^
u — Blumembaciii (E. nesl.\ Coral-rap;. »
A partir de ce poinl , nous sommes convenus, mon
père et moi, défaire quelques petites modifications à
son manuscrit au sujet des sections qu'il avait établies
dès le principe. Le rosit» de c<" travail préliminaire
sera donc complété par des observations que j'ai eu
roccasion de faire depuis. Toutefois, je dois dire que
cette nouvelle rédaction ne s'éloignera que très-peu
de la première, au moins pour les points essentiels.
î^ 8UBD1VI810M.
Museau très-long , ires-aplan et par conséquent très-
faible^ à bords alvéolaires irréguliers et comme crénelés.
Dents très-nombreuses, très -longues; mais excessive-
ment grêles et faibles^ arquées^ suivant Us crénelures
des bords alvéolaires et ne formant pas de séries
linéaires ; dirigées extérieurement de côté et en dehors,
se croisant et se dépassant n chaque mâchoire, }§%
tronqué et élargi à l'extrémité des mâchoires,
de la supérieure. Crâne à peu près carré , se dans
40 NOTICE SHR LES ANIMAUX FOSSILES
presque subitement comme dans le Gavial du Gange,
Orbites circulaires, entièrement dirigées en dessus. Fosses
temporales grandes et carrées. Frontal principal très-
étroit, largement excavé et creusé de fossettes.
Cette pienjirre subdivision comprend trois espèces
très-voisines, qui se distinguent nellcinenl de tons
les autres Télëosauriens par leurs caractères pro-
pres : par la tête très-petite, relativement aux aulres
parties du corps, et qui semble hors de pioportion,
surtout avec les vertèbres doi*sales et le svstème der-
niique ; par les membres antërieui-s rndimentaires
contrastant aussi avec les postérieurs , qui sont Irès-
développés; enfin, par un long museau , entièrement
plat, tlanqué de chaque côté de dents longues, grêles,
dirigées absolument en dehors comme nn bataillon
de baïonnettes. Ces divers caractères donnent .-i ces
espèces un aspect tout-à-fait étrange, que n'ont pas
les antres Téléosanrien?.
Trois espèces, dont Tune est depuis longtemps
connue et citée par les paléontologistes sous le nom
de Crocodile de Caen, composent cette subdivision.
Ce sont les :
TELEOSAuars Cadomensîs (G. S*-H.). Fuller's-earth.
— Geoffroyi (Eud.-Desl.). id.
— GLADics (Eud .-Desl. ). id.
«• SIIBDIWI9ION.
Museau très-grand, plus ou moins allongé, cylindrique
en avants s*apptatUsa9it peu à peu en approchant de la
OB LA FAMILLE DES TÉLÉOSAURIENS. 4i
régùm frontale. Bords alvéolaires rectilignes , non on-
dmléi. Dents très-nombreuses, assez fortes , implantées
presque perpendiculairement , striées, ayant deux ca-
rènes opposées. Extrémité de la mâchoire élargie. Crâne
déprimé, ayant la forme d*un carré allonge. Orbites cir^
cmlaires^ petites, entièrement dirigées en dessus. Cloison
fronto-pariétale très-étroite. Fosses temporales très-
grandes et allongées. Frontal principal étroit, un peu
eicavé et marqué de légères fossettes. Région mastoï-
dienne très-élargie.
Cette deuxième subdivision, la plus nombreuse ,
comprend huit espèces, répandues depuis le lias su-
përiear jusqu'au coral-mg. Elles se distinguent sur-
tout par les proportions de la tête, relativement à
celle du corps, beaucoup plus normales et ressem-
blant davantage à celle des Grocodiliens actuels.
C'est à quelques-unes de ces espèces que Geottroy
Saint-Hilaire avait principalement appliqué le nom de
Steneosaurus, Peut-être pourra-t-on , par la suite, y
distinguer une ou plusieui-s subdivisions. Les espèces
recueillies dans le Calvados sont les suivantes :
Teleosauuus ? OPLITES (Eud.-DesL). L. sup.
— ? ATELESTATUS (Eud.-Dcsl.). Ool. iuf.
~ MEGiSTORHYNCHUS (Gcoff. S*-H.j. Fuller.
— Larteti (Kud.-DesL). FulIerVearth.
— BouTifJERi (Eud.-Desl.\ Gr. ool.
— Edwardsi (Eud.-Desl.). Oxford.
RoissYi (Eud.-Desl.). Oxford.
— Blumembachi (Eud.-Desl.). Coral-rag.
42 NOTICE SUR LES ANIMAUX FOSSILES
S* SIJBDIWISIOK.
Museau arrondi, d'une langueur médiocre ou propor-
îionnellement court. Bord alvéolaire rectiligne , assez
obliquement dirigé en dehors. Dents faibles, moins
nombreuses que dans les autres sections, finement striées,
à peine carénées, Museau se rétrécissant ^ mais sans
s'aplatir, au niveau des orbites, épais en arrière, pres-
que semi-cylindrique en avant. Fosses temporales
grandes , presque carrées. Orbites médiocres, dirigées
obliquement en dehors. Frontal principal large, aplati
et criblé de fossettes.
Cette subdivision n'admet qu'une seule espèce ,
c'est celle dont la description occupe la plus grande
partie du premier Mémoire de mon père, sur les
Téléosauriens.
TELKOSAUKUS TEMPORALIS {de Blainv.X L. sup.
4« St]BDIVI8IOM.
Museau déprimé, d'une longueur médiocre et propor-
tionnellement court. Tête forte , museau non élargi ,
comme comprimé à son extrémité antérieure. Bord
alvéolaire rectiligne assez obliquement dirigé en dehors ;
dents fortes, moins nombreuses que dans les autres sec-
tions, finement striées , à peine carénées. Museau se
rétrécissant et se déprimant au niveau des orbites , épais
en arrière, presque semi-cylindrique en avant. Fosses
DB LÀ FAMILLE DES TÉLÉOSAUBIENS. 43
UfmporaUê grandes, prtsqye carrées. Orbites médiocres^
dir^ées oUiquemeut et wi peu en dehors. Frontal prin-
eipaL triÊ-4arge, aplati et creusé de nombreuses fossettes.
Celle subdivision n'admet égaleiueut qu'une seule
espèce. Par ]a largeur du frontal principal à laquelle
fe joint la disposition assez oblique des orbites^ et
leur forme déjà un peu sinueuse , l'espèce qui la
compose et que mon père a décrite dans le X' volume
do Bulktin de la Société Linnéenne de Noimandie ,
c{noîqne appartenant encore à notre seconde section
par tous ses autres airactères , est celle qui se rap-
proche le plus des Téléosauriens superciliosi ou de la
première section. Celte espèce est le :
TELEOSAUKUS CA!.VA!K)SI {Eudes- Des L). KuJIer's-earth.
Telles étaient les idées oxacies de mon père au
sujet des Téléosanriens qui se trouvent , comme on
voit, partagés ainsi en deux jLriandes sections , dont
la dernière ^e subdivise ello-mérae en quatre autres.
Ainsi conçus, les Tébfosau riens forment une sorte de
GRAND GENRE LiNNÉEN, genres qui, comme on le sait ,
dans les classifications actuelles , prennent à peu
près le rang de famille.
Tout en ne subdivisant pas ses Ti'Iéosauriens en
plusieurs coupes pénériquos, mon père les avait
considérés comme roinianl une grandi» famille à pari
dans Tordre des Crocodiliens , tels (iii'il sont consi-
dérés par Rich. Owen , et la plupart des paléontolo-
gistes de notre époque. Je crois donc qu'il est néces
42
NOTICE SUR LES ANIMAUX FOSST
S* SVBDIYISION.
îiin?
Museau arrondi, d'une longueur >
tionneUemenl court. Bord alvèoio
obliquement dirige en dehors,
nombreuses que dans les autres se
à peine carénées. Museau sr
s'aplatir, au niveau des or bit
que semi-cylindrique en
grandes , presque carrées,
obliquement en dehors. '
et criblé de fossettes.
Cette subdivision
c'est celle dont Ih
partie du premir
Téléosiiui-iens.
TELKOSAl'l
■'IIS .
'■11
-ii-ns.
jurais
iiveanx
.:\riil bien
. r.odornes ,
, c ? . ont déjà
:. f^ J'ehftsaurus.
■part du Iciiipb ,
■
•< dt? stule Qu'il
^.-.iiiiablc et coiniin'
• Janiniaux l'ossilos
. \uix venus m* i-oni-
,....onl tait les aulnes .
.-^ Ir's mots d«; 7V/<?o-
• S- •/■''■". Moirnapondijln^ ,
•s i'misos la plupart du
^ ■ w"
Museau
tionneli
comnu
alvéo
dew
tio-
ri
. •■.»o::istrs n'uni pas vW" n
. . ,»• sont surtout k*s aultnirs
. .V V- .»voi- 1(* plus de légèrel»* au
. . .-' .n-ieinlilo dont le travail do
.-o:" î*'^ inci'rtiludes.
:îou> avons eu l'avantam' inap-
...;r juiîer d'après les pièces niôme>
' \.t'r. (îoollroy Saint-Hilaire et à dr
.,^ Ml* les autres auteui-s n avaient pu
'%*: des tisures souvent inexacli's et
''" *"..-* iiiui-a-fait hasardées ; de Biainvillu,
:>■
-«AMOLI DES TiliOSAURIENS.
45
vers la fin de sa vie com-
'o Cuvier et de Geoffroy
(ds. ils n'ont Jamais (1)
1res : aussi , leurs juge-
mus entachés d'erreurs et
•sières. Il faut ajouter aussi
is de Boll et d'Aldtorf sont bien
la conservatiou remarquable de
adosiennes. On sait, en ellet, que si
s du Wurtemberg et d'autres parties
j:ne sont magnifiques , en ce qu'ils pré-
.i;s animaux tout entiers, en revanche, les
Je la tète sont presque impossibles à déchififrer,
•'ssion ayant fait chevaucher toutes les pièces ,
liisé les plus délicates, dénaturé complètement
ies formes. C'est à tel point que . même en m'aidant
pour cette comparaison de nos magnifiques ma-
tériaux , je n'ai pu encore arriver à reconnaître
les rapports exacts des os d'une tète de Boll, que Je
possède dans ma collection et qui est certainement ,
Je ne dis pas la mieux , mais la moins mal conservée
peut-être, qui existe , de ce que l'on appelle Mys--
triomurus. J'avoue môme que, n'ayant pas rencontré
dans nos contrées les grandes espèces du lias supé-
rieur du Wurtemberg, ni mon père ni moi n'avons
(i) ren excepte M.Quenstedt qui, beaucoup moins afiinnatifque
ks autres, a laissé les divisions du genre et même des espèces alle-
mandes dans une sage incertitude ; discrétion que n'ont pas malheu-
rensement toujours partagé MM. Kaup, Bronn, Wagner et autres,
qui aTdient prétendu juger Cu?ier et Geoffroy Saint-Hilaire et
ft*éUient envmémes trompés de la manière la plus manifeste.
46 NOTICE SUR LES ANIMA t}X FOSSILES
pu avoir encore d'opinion définitive sur le genre
Mysiriosawus ^ ni savoir s'il doit être conservé , ou
rayé de la nomenclature. C'est, à coup sûr, ce que
les travaux entrepris en ce moment par sir Rich.
Owen,surles Téléosauriens d'Angleterre , mettront
en lumière : car les échantillons de Teleosaurus Chap-
manni de Witbby et localités d'Angleterre qui sont
évidemment les mêmes que les Mystriosaurus de BoH,
offrent pour l'étude une conservation précieuse et
que n'ont pas les échantillons de l'Allemagne.
V HISTORIQUE ET OPINIONS DIVERSES DES AUTEURS AU
SUJET DES TÉLÉOSAURIENS.
On trouve , dans le grand travail de Guvier sur
les ossements fossiles, la première mention qui ail
été faite de^ nos Téléosauriens. Elle a pour
objet cinq espèces que notre gmnd anatomiste ne
sépara pas tout d'abord des crocodiles, Jiien qu'il
eût déjà remarqué quelques grandes différences
avec ces derniers , et notamment la position des
arrière-narines ; il les a décrites et figurées sous les
noms de Gavials de Caen et à' Ronfleur (1).
Pour la descripition des crocodiles de Caen (2) ,
Cuvier eut à sa disposition des débris importants
appartenant à deux espèces fort difiérentes. Les
premiers sont désignés comme ayant été trouvés
(i) Çufier, Bêcherckes sur les ossements fossiles, t. V, 2* partie,
p. 127 et suivantes.
(2) Cuvier, loc, àt. (Sect. VIII. Sur les ossem, foss, des Crocodiles,
article 3, p. 127.
DB LA FAMILLE DES TÉL^^OSAURIElfS. 47
au TÎllage d'Allemagne et au fuubourjç de Vaiicelles.
Lies autres sont inscrits sous le nom de crocodiles
de Coilly (1).- Malgré l'énorme ditfcrence de taille
présentée par ces deux êtres , puisque celui de
QuiUy était an moins quatre fois plus grand, Cuvier
crût avoir affaire à une seule et même espèce dont
le crocodile d'Allemagne eût été le jeune , celui de
Qoiliy Tadalte. On peut voir toutefois en les com-
parant ensemble, combien ces espèces étaient diffé-
rentes et même disparates.
Cette mépnse devint plus grave encore par ce fait,
qne Cavier a voulu restaurer la forme de la tête
de ce qu'il appelait son Crocodile de Caeii ; pour cela
il a adapté le museau du Crocodile de Quilly au
crâne de celui de Caen, et il a représenté an trait ,
pi. VI, fig. 16 de l'ouvrage cité , cette malheureuse
restauration, que de Blainville, dans une de ses lettres
à mon père, appelle un monstre anatomique.
Cette méprise produisit déjà un bien fâcheux ré-
saltat et mit dans la science une grande confusion
que, E. Geoffroy Saint-Hilaire tenta de dissiper, ce
qui n'empêche pas beaucoup d'auteui-s de regarder
encore maintenant les crocodiles de Caen comme ne
formant qu'une seule espèce qu'ils n'ont jamais, à la
vérité , retrouvée ailleurs; et cela est facile à com-
prendre : la restauration de C»ivier raboutait un
museau d'un genre sur le crûne d'un autre genre ;
on comprend que la nature ne commet pas de pareils
produits !
Cuvier fut bien moins heureux encore dans ce
(i) C'est Quilly qu'il faut écrire.
48 NOTICE SUPx LES ANIMAUX FOSSILES
qu'il appelle ses Crocodiles ou Gavials d'Honflevr (i).
Celle simple désignalion a fait cioire généralement
que les ossements en question provenaient de l'ar-
gile d'Honlleur , c'est-à-dire des assises kimmérid-
giennes ; or, dans l'assemblage héléroclyte de pièces
que Cuvier avait à examiner , il s'est trouvé à la
fois : des vertèbres et divers ossements des assises
kimméridgiennes inférieures du cap la Hève , près
le Havre ; d'autres qui provenaient certainement
d'assises kimméridgiennes , mais supérieures aux
premières, et connues, d'une part , sous le nom de
marnes à ptérocères; de l'autre, sons celui d'argiles de
Criquebeuf. Quant aux têtes et portions de museau,
presque toutes provenaient des assises oxfordiennes
de Villers, de Dives et d'autres localités du Cal-
vados.
Cuvier chercha ensuite à se reconnaître au milieu
de tous ces débris ; il eut beaucoup de peine, comme
il le dit lui-même , et il avoue n'être pas sûr des
rapprochements qu'il fait entre les têtes et les ver-
tèbres ; s'il n'y avait que cela ! mais Cuvier nous
présente une restauration plus malheureuse peut-être
encore que la première. Après avoir reconnu qu'il y a
des museaux allongés et d'autres courts , par con-
séquent deux espèces, Cuvier cherche à reconnaître
à quels crânes devaient se rapporter les museaux.
Trompé par de fausses apparences , il rapproche
encore la mâchoire d'un Sténéosaure (2) , à la vérité
très-mal conservée, de la région frontale d'un in-
•
(1) CuTier {Ots. foss.)^ loc, rt(., article A, p. 1A3.
(3) Du Steneosaurus Edwardùi^ que nous décrirons plus loin.
DB LA FAMILLE DES t£l£0SAURIENS. 49
divida de grande taille appartenant au genre Me-
irwtkgnekus (1), et pour terminer il ajoute à cette
région frontale Tarrière-crûne d'un individu , il est
vrai, de la même espèce, mais d'une taille moindre.
Tel est le second monstre anatomique qui est repré-
senté pi. X, fig. I, 2 et 3, des recherches sur les
osflements fossiles.
Le Grflne du Gavial à biuseau court a donc été
ajouté aux mâchoires du Gavial à museau allongé ;
aussi n'est-il pas étonnant que Cuvier n'ait pas trouvé
de crâne pour son museau court (2).
Mais ce n'est pas tout. Préoccupé de cette idée
qu'il n'y avait que deux espèces parmi les crocodiles
d'Honflcur, Cuvier rapporta à son crocodile à museau
allongé des vertèbres dont les extrémités étaient
concaves , et au crocodile à museau court d'autres
vertèbres bien différentes des premières et qui mon-
traient, comme dans les Crocodiliens actuels, l'un
des côtés concave et l'autre convexe, avec cette difii'é-
rence toutefois , que dans les (irocodiliens actuels ,
la partie antérieure est concave et la postérieure con-
vexe, et c'est précisément le contraire qui a lieu dans
les vertèbres rapportées porCuvier à son museau court.
(i) Voir plus loin la description du Metriorhynchus supercitiosus.
(3) On trouTera peut-être que je suis bien affirmaUf et qu'il y a
présomption de ma part à signaler ainsi des erreurs chez un liomme
de génie tel que CuYier. Élevé par mon père dans une école qui
admire, avec raison , notre grand unatomiste , il faut que je sois
forcé parla nécessité pourrele\er des erreurs. Ce n*estpas légèrement
que je le fois ; c'est après avoir étudié longuement et avec grand
soId les pièces mêmes de Cuvier , que TAdministration du Muséum
iD*a généreusement communiquées.
4
iS
NOTICK SUft LES ANIMAUX i
;KS
ild'il iipptïlh' SOS llrocodiles uu (>
CotU* sinipi(> désignation u fii
qiKî les ossements en qucsf-
^ile d'HonlIeur, c'esl-ù-.'
giennes ; or, dans TnssiM
que Cuvier avait a i'
l'nis : des vertèbres
kimméridgiennes >
le Havi*e; d'.'iii
d'assises kiin-
preraièrcs, «
marnes :i i
Griquri)'
presr[' ..'Il
lires appar-
ifiii fornu;
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i'!U» élude
::rie suite
■..n/fS dt'S
•n-rs du
ii.'iiiiii?u.se
" •■ dernier lui
«|ue Cuvier n'avait
iiiiii.^
ce grand naturaliste
parlitî de ses travaux, et la
de jimiih'rde ses observations qui sont
V. .i.uis sa lurrespondance avec mon pèn*
, inie publier plus tard. Préoccupé d'idées
.->l!ii[uos, il entreprit des travaux d'un tout
^- «uhv qu'il a consignés dans ses litudes pro-
V» . t> 'i'un naturaliste,
.jt:.>i iiuil en soit, Geof}roy Saint-Hilaire reconnut
•au i[ue les crocodiles de Oien et d'Hontleur étaient
Ji'.^ animaux tout différents de nos Crocodiliens
.lituels; il créa donc le genre Teleosaurus pour l'un
d'eux, le '/eieosaurus radotnensis. Quant au crocodile
J) Owrn, Patœontoiogtf,p, S09.
(S) (icoir. Saint-Hilaire. Annaten des science» natureUes, t. XXIII.
1831.
(2) Recherches sur de grands Sauriens trouvés & IVtat fossile vers
les contins maritinies de la Basse*Nonnandie, etc. Cinq mémoires lus
à PAcadémie des Sciences depuis octobre 1830 jiisqu*au 39
uoAt 18.51.
^-7
Ls ,
DK Là FAVILLB DES TÉLfoSAUBIdlS. 51
'" Qailly (l)« qu'il nomme Slénéosaure aux longs
llaires on Megisiorkynchus et au crocodile à
allongé d'HonÛeur , il les comprit dans une
(^ générique caractérisée par la forme de
hi museau coupé brusquement d'une
>\ et à laquelle il donne le nom de
' éa même une autre coupe sous le
mais il n'alla pas plus loin, et il
Me de savoir ce qu'il entendait *
Ml ail-ce pour le crocodile à mu-
1 llonlleur.
Mileurs allemands avaient devancé même
K.i-, en faisant connaître un certain nombre de
crocodiles fossiles. Ils ont aussi depuis décrit les
restes de Téléosauriens découverts dans Le lias supé-
rieur du Wurtemberg.
MM. Bronn et Kaup (2) créèrent trois genres :
Mystrw$aurus y qui, jusqu'à nouvel ordre, me parait
faire double emploi avec IcsSieneosanrus de Geoffroy;
Pelagosaurus y qui se rapporte à l'espèce décrite par
Honard, aussi comme un nouveau genre ^ sous le
(ly Qnriques aotenrs s^étant imaginé , je ne sais pourquoi, que
GcoÊÊnj SaiDt-Hilaire avait en vue le crocodile à museau court
d*Hoiifl€ar quand il créa le genre Steneosanrus , ont donné ce nom
aux créées que je désignerai sous le nom de Metriorhynchus^ d'après
HenBann de Bfeyer. Il y a« à la vérité, assez d'obscurité dans le pas-
flige de Geoffroy Saint-Hilaire à ce sujet ; mais c'est surtout au
naBdcroeodilede Quilly» à son Sténéosaure aux longs maxiltaires
oo BleglMtorkynchus , que s*applique le nom de Steneosaunù ^
conow la correspondance avec mon père en fait foi.
(Si AthauHungen ûber die Gaviat-artigen rep, der lias forma»
Ciofi. Ill-^ avec 11 planches. Stuttgard, 4842.
50
NcyricE SUR les animaux fossit
Il a été reconnu depuis, que ces v<
tiennent à un animal tout diffën
pour M. Owen, une tribu particuP
des Crocodiliens , et à laquelle ^
Prosthocaliens (i).
Etienne QeoflRroy Sainl-H
des crocodiles de Caen et «^
de mémoires imprimés'
sciences naturelles (2)
Muséum (3). U eut i\
correspondance av
fournit une fouli'
..jUL» de
I
înlin le
.i.ic.'l(>res
• iiiiable,
'l't «Iridié
pas eus à sa (1
ne publia qu'i.
science ne {•
consignik-
et que j
philo-
aut!'
.iîii'n'inent
ili' plus une
[iMsition des ar-
»Mi prenant pour
^! autre chose qu'un
[unique (4). Partant de
.lurent prétendre que les
.\» sujet étaient erronées ;
% de lieolFroy Saint-Hilaire
^ .,x'.î[ aux autres genres , par
... ..s. la meilleure preuve qu'ils
..^, i-'est que M. Bronn , dans le
,^ «vir.u'tèix's analomiques d'une UHc fossile
.i\ Ju wnsin du genre Crocodile; in-S". 3 plan-
.-» •«
a.v c( loUrcs adressées à M. Deslongchanips sur les
t.iiiix iM fossiles (tome IX des Mémoiies de la Société
■
^ \^»4iii«iiidii', p. 115).
i .^ . .i(ivti.iiH|*N premier mémoire sur les Téléosauriens ; in-â"
.»».*a%» .ovUuil du XI 1* volume des Ménunre$ de la Société
,,.v* '<^* Normandie, p. 115J.
v^M .\ iv »ujfct, loe, cit., les lettres de MM. de Blainvillc et
.^v* '>V^^*"K^'I*«>"'P^ sur les crocodiles vivants et fossiles, et le
.^.1 vU' ^1. Owen, On the communication belhwen the cavity of
, ^MiHiNMm niid the patate , etc., dans les T'ransaciions philosth-
.. ^.».« ..inné«-!i 1K5U. où Tillustre anatomiile anglais met la question
i.iM iK* dtiuli*.
1
m LA FAMILLE DES T^LiOSAURIElfS. 53
**age déjà cite , vient nous donner le
^ à museaa plus allongé d'Honfleur
idme que son Mystriosaurus Lau-
rlo la bonne volonté pour &ire
f.
^ inséré dans les Mémoires
ne donne rien de bien
iplaire très-complet sons
Mihisteri^ dont il méconnaît
lorcs les plus spéciaux , tirés de
Il r(;-narines. Il établit encore, sur
iMinbrc de fragments, des espèces au
. ; douteuses , et figure deux mauvais frag-
ile museau d'un genre nominal (2) créé par
de Meyer , et dont les caractères sont aussi indé-
terminables (3) que le nom est barbare. Le Glaphy-
rorhynchus est à joindre sous ces deux rapports avec
ïEngyammasaurus de M. Bronn.
(1) Diefoiêilen ueber reste GavitU-artiger Saurier oMS der Hat
fcrmatûm ; ùhh* afec S planches. Munich, 1850.
(2) LcoR. amd Bronns {Neuex jahr,\ 1843, p. 303, et i8&5,
p. 282.
Le nmife de la Faculté des sdences de Caen possède un modèle
CD plâtre de celte portion de museau ; les alvéoles des dents sont
bcftoeoup plof rapprochées que dans les autres Téléosauriens du lias
illemand ; elles sont également beaucoup plus petites ; le museau
me parait te rapporter au genre Têleo$mirus proprement dit Voir
plus loin Tartide du Teltosaurut Cadamensis,
(3) Je comprends qu*on décrire une espèce d'après un échantillon
bnpirfldt. (Test alors une pierre d^attente ; mais créer un genre ,
dans de parejltes conditions , ne peut être admissible. Cest cette
BuUheiireiue manie de •fiûre ainsi des genres sur des fragments in-
déterminables qui a encombré la science de tant de noms inutiles et
barlMres qu*on ne sait à quoi appliquer.
V »
fkvîîdifrion*» surtout dans
s. u '/•WéwrA (!) et son Der
u.». i » *.\Huhal les opinions er-
^.aa s »^a«p; mais il va trop loin
t«» •i i^Hiles les espèces dans une
^1 >t**a»t WU'^mème à peine dislincli;
^au»is» Il tiooril également une espèce
^ '/vui^«#'Nw< minimtts , d'après une tête
^^L» ii.i*«\ ivasenrée que ne le sont habituelle-
t«. tVèei^^Miurmis du lias allemand. Il s'élève
.^^iKsii cv*ntrv ropinîon de Burmeîster qui , dans
,^'^.. i.ia'wl ^ Bi^ll. 1854, tout en ne partageant pus
j;K'ic«ieiit les idées de MM. Bronn et Raup au sujet
Je !a |Kvjition des arrière-narines , donne un dessin
œ cette partie d'après ses idées (tab. Vlll, fig. 4). Ce
^|9««in . en opposition complète avec l'opinion de
M. Ouenstedt , lui parait être le résultat d'analogies
avet* les êtres vivants plutôt que celui d'une- observa-
(ion directe faite sur des restes fossiles. Ce qui
prouve une fois de plus, dit fort judicieusement
M. Quenstedt, ^«'tY faut satwr contrôler l'imagination^
la décision en pareil cas ne dépendant pas de la faciilti
fks combinaistms, mais du cisean dirigé par tme main
habile.
M. Pictet, dans le premier volume de son Traitr de
paléontologie (3), donne un résumé très-précis des
changements proposés par divers auteurs allemands
(i) Quenstedt ( Ouuibuch der Ptin^ata€Hkmmie ) , 2 vol. in-8^ ,
dout uo de (eile et rau(f« de flaBohes, p» 101, PK VI.
(S) QueuledI (Der Jurm), ^ SU, M. XXV.
(a) Pktet, Traiit fie paééôntok^ , 2* édiu 1S53, 1" vot.,
p. A90.
DE LA FAMILLE DES TÉl£0SADR1EIIS. 55
dans la nomenclature des dieux Gavials de Honfleur ,
de Cavier. Voici ce que le savant paléontologiste dit
à ce sujet :
• Eo 1850, M. Herroann de Meyer associa les mu-
« seaux longs aux vertèbres convcxo-concaves , et
« les museaux courts aux vertèbres bi-concaves ; il
nommâtes premières Streptospondylus et les autres
Meiriorhynchm. En 1837, M. Bronn, dans la pre-
mière édition de la Lethea geognostica, adopta l'opi-
nion de Cnvier et ne conserva pas le nom de Strep-
iùipondylus pour le Gavial à long museau , car ce
nom impliquait l'existence de veiièbres convexo-
concaves. M. Bronn le changea contre celui de
Lepioeranius et conserva celui de Melriorhynchus.
BL Owen, en 1841, proposa pour ce dernier de re-
venir au nom de Steneosaurus , et il associa les ver-
tèbres et les crânes comme Cuvier. En 1847, M. H.
de Meyer, dans V Index paiœaniologicus , revint à
cette dernière opinion, et alors il transporta le
nom de Streptospondylus aux museaux courts et
donna celui de Sieneosaurus aux museaux longs.
Enfin, dans la troisième édition de la Lethea ,
M. Bronn propose, vu les rapports évidents des
museaux longs avec les Mystriosaurus , de les
placer dans ce genre , et de laisser aux courts le
nom de Metriorhynckus. En résumé , on voit que
les Crocodiliens à long museau du Havre et d'Hon-
fleur ont été des Streptospondylus pour M. H. de
Meyer en 1830, des Leptocranius pour M. Bronn
en 1837, des Steneosaurus pour M. H. de Meyer
en 1847, et des Mystriosaurus pour M. Bronn
en 1851. Les Crocodiliens à museau court ont été,
5H NOTICE SUR LES ANIMAUX FOSSILES
A im 1830, des Alettiorhynchus pour H. deMeyer;
^1 t>n 1841, des Steneosaurus^ Owen; en 1847, des
t Strtpiospondylus, H. de Meyer ; en 1851. ils sont re-
• devenus dos Metriorhynchus pour M. Bronn. •
Plus loin M. Pictet , p. 491 , propose de nommer
Telfiisatirus longiros&is le Gavial à museau long de
(îuvier , c'est-à-dire ce qu'il suppose être le Steneo-
miwus megistorynchus de Geoffroy.
J'ai dit plus haut ce qu'élait le Crocodile à museau
allonge de Cuvier, le museau seul appartient au
même genre que le Steneosaurtts megisiorhynchus de
Geofl'roy. Quant au crâne, c'est celui d'un autre
genre, celui du museau court. Nous n'avons donc
plus à nous occuper de ce Gavial à museau allongé ,
si ce n'est pour rétablir les rapports du museau avec
un autre arrière-crâne, qui cette fois sera le sien.
Nous en traiterons en décrivant le Steneosaurus Ed-
wardsiy dont nous avons pu observer une très-belle
tète dans la collection du Muséum de Paris.
Voyons maintenant quelle est l'opinion de M. Pictet
relativement aux Steneosaurus:
M. Pictet, p. 491 de son Iraité de paléontologie,
décrit les Crocodiliens à vertèbres convexo-concaves,
les Prosthocaliens de M. Owen,
Il y fait entreries vertèbres concavo-con vexes, qu'il
donne comme étant celles du Gavial à museau court
dHonfleur. il n'y a pas ici sujet à erreur. Le museau
du musée de Genève a été figuré par Cuvier ; c'est
bien le même que celui du prétendu Gavial à museau
court d'Honfleur, par conséquent c'est l'espèce ox-
fordienne des Vaches-Noires, à laquelle de fiiainville
a donné le nom de Crocodilus superctliosus. Quant
DB LA FAiniLE DES TiLÉOSAURIENS. 57
aux vertèbres de cette espèce, elles sont absolument
constitaëes comme celles des autres Télëosauriens ,
c'est-à-dire concaves des deux côtés ; j'ai pu vérifier
le &it sur trois espèces , dont deux oxtordiennes et
une kimmëridgienne.
U bat donc retrancher ces museaux courts des
Crocodiliens prosthocœliens et les replacer parmi les
amphicœliens. C'est d'ailleurs ce qui a été déjà fait
pu- lUiostre paléontologiste anglais sir Rich. Owen ,
dans la dernière édition de sa Paléontologie (I), qui a
rétabli pour ces vertèbres le nom de Strepiospondylus
donné par H. de Meyer ; mais jusqu'ici la tête de
cet animal est inconnue.
Reste à donner un nom à ces Télëosauriens de la
division du museau court d'Honileur ; je ne vois
aucun inconvénient à leur imposer celui de Metrio-
rkynekusde H. de Meyer, avec la reslriction toutefois,
qoll faudra en retrancher les vertèbres concavo-
convexes et leur restituer les vertèbres amphicae-
liennes qui leur appartiennent.
Nous voici donc enfin sortis , je l'espère du moins ,
de cet ailreux cahos, et nous pouvons donner des
noms déjà connus à toutes les soclions que mon père
avait établies parmi les Télëosauriens du Calvados ,
sauf une seule, pour laquelle il nous Faudra créer un
nom nouveau.
La l** section de mon père formera le genre Me-
triorhynchus de H. de Meyer, type Metriorhynchm
superciliosvs de Blainv.), sp.
La 2* section , le genre Teleosaurus de Geoffroy
Saint-Hilaire.
(1) Owen, Palmontotogy, seconde édition, p. 299.
^ sMf»xjiM«M* sVtHiMiNMhii le sous-geore Teleo-
:^K t* >«UMi\«tii«i^ feniM' le soiis-genre Pelagosaurus
?ùi^sm\ AiH^ IM^^i>n>5 typus (Bronn).
tvi .t* ^^«d^v^m forme le sous-genre nouveau
^K«^^li«^Nk#><Mi J) (R. Dosl.), type Tekidosaurus Cal-
V,^«^ «nx genres Mysiriosaurus (Raup), Fngyam-
«Mc^Hi'^ ( Bronn ) , Ghpkt/rorhynchus ( Bronn ) , Ma-
:^'mffkmiyhkf (Mey. ) , Geosaurus (Jfiger), Leptocranius
^IU\>iin), nous les reléguerons, au moins provisoi-
ivuHMil , dans la synonymie. Je pense toutefois qu'on
devra conserver le genre Aelodon^ de H. de Meyer ,
pour une espèce coralienne dont nous n'avons pas
jusqu'ici trouvé de représentant en Normandie , et
qui rae paraît être la même que M. Jourdan a re-
cueillie dans les schistes lithographiques du Cirin ,
cl qu'il a nommée, mais non décrite, Crocodileimus.
Elle est surtout remarquable par la grande compli-
cation de son squelette dermique. C'est , sans
contredit, le mieux cuirassé de tous les Téléosauriens
jusqu'ici connus.
III.-DISTRIBOTION ZOOLOGIQUE ET STBATIGBAPHIOnE DES ESPÈCES.
Les Téléosauriens forment, avons-nous déjà dit,
une grande famille dans Tordre des Crocodiliens, et
(I) De Teteoiauru* el eîSo^, appaienoe.
DB LA rAMIIXB DES TÉLfOSAUEIËlTS. 59
noue adoptons les idées émises à ee sujet par S.-Ricfa.
Owen , qui les caractérise ainsi.
ORDRE DES CROCODILIENS.
EMTDOSAURIENS {de Blainv.).
Dents dûposces sur une rangée unique , implantées
dans des alvéoles distinctes Narines extérieures simples ,
terminales au subterminales. Tronc antérieur des ver-
tâbres arec parapophyses et diapophyses et cotes bifur-
quées. Deux vertèbres sacrées. Peau habittteUement
protégée^ par parties, par des platfues osseuses couvertes
de fossettes,
»
Cet ordre comprend trois grandes familles très-
faciles à reconnaître d'après la forme des vertèbres ,
que nous rangerons ainsi par ordre de date d'appa-
rition sur le globe, en remontant des plus récentes
aux plus anciennes.
|'« PAMILLB. CROœOlLlENS PROPREMENT DITS.
PRGGCELIENS {Owen).
Corps ées vertèbres terminés en avant par une swface
concave , en arrière par une sur face convexe.
Espèces actuellement vivantes ou éteintes. Ces
dernières ayant vécu priacipalement pendant la
période tertiaire. Quelques-unes cependant paraissent
60 NOTICE SUR LES AlflMAUX FOSSILES
avoir existé au moment du dépôt des assises les plus
récentes (i) de la période secondaire.
Genres : Gavialis, Crocodilus, Alligator ^ Caïman,
2« FAMILLE. STREPTOSPONDYLIENS.
PROSTHOGCELIENS {Owen).
Corps des vertèbres terminés en avant par une surface
convexe , en arrière par une surface concave.
Espèces toutes éteintes , de la période jurassique
et crétacée.
Genres : Streptospondylus , Cetiosaurus.
3« FAMILLE. TELEOSAURIËNS.
AMPHIGCCLIENS [Owen).
Corps des vertèbres terminés en avant et en arrière
par deux surfaces planes ou concaves.
Espèces toutes éteintes , ayant vécu exclusivement
pendant la période secondaire jurassique et crétacée.
Genres : Teleosaurus Meiriorhynchus,
C'est uniquement des animaux de cette famille, et ,
ainsi que nous l'avons dit , de ceux seulement dont
(1) La craie blanche et la craie supérieure, et les dépôts analogues
de la craie de Maêstricht ( Hollande ) « et du green sand du New.-
Jcney( Amérique).
DB LA FAMILLB DES TÉliOSAUBIENS. 61
1^ débris ont été recaeillis en Normandie, qae nous
avons maintenant à nons occuper.
Précisons tont d'abord les caractères de deux
genres Tekosaurus et Metriorhynchvs ^ et des sections
on soQS-genres qu'ils peuvent comporter. Nous nous
bornerons, ainsi que nous l'avons annoncé , à l'étude
de la tète, qui nous sufito pour caractériser les
genres et les espèces, comme les vertèbres nous
avaient suffi pour caractériser les familles. Nous ren-
verrons l'étude du reste du squelette à la grande
nionographie des Téléosauriens.
r GENRE TELROSAURUS.
PL X, fig. 1...3.
Mmeau plus ou moins allongé, quelquefois très-grèle,
aileignant souvent une grande longueur^ arrondi ou dé-
primé en dessus^ offrant toujours en dessous une forme
plane ou plus ou moins convexe. Os intermajnllaire À
court , renflé , souvent dilaté à son extrémité antérieure ,
coupé antérieurement en brusque biseau. Naseaux C
assez grands , terminés en pointe en avant , où 1/5 sont
eu rapport seulement avec les os maxillaires , et séparés
des intermaxillaires par un espace considérable , arrêtés
en arriére par le développement des lacrymaux. FroU"
iastx antérieurs petits , non prolongés en dessus et sur
les côtés de Vorbite. Frontal principal Ë peu étendu ,
dont le bord externe forme une grande partie du con^
tour de Vorbite montrant à sa face supérieure des
fossettes plus ou moins irrégulières , profondes et nom-
breuses. Lacrymans G très-développés, formant en
62 Noncx SUE les animaux fossiles
ffronde partie le bord antérieur des orbites. Orbites 11
à contours arrondis^ sans aucune sinuosité ^ tournés en
dessus ou obiiqueuicnt de côté y de manière à être très-
visibles par la face supérieure. Voâte palatine D aplatie,
ou un peu bombée^ surtout en arrière. Fosses temporales
III de formes variables^ arrondies, carrées ou oblongues
d* avant en arrière. Fosses palatines VII ou tronspalatins
postérieurs médiocres.
Observations, — En observant la longue série des
espèces du genre Teleosaurus , on voit que ses carac-
tères les plus constants et les plus saillants, ce qui
ne varie pas en un mot,c*est la position du lacrymal,
la forme des orbites toujours arrondis et disposés
en dessus. On peut y joiridre un caractère qui sem-
ble, au premier abord, devoir être de peu de
valeur, mais qui, par sa constance, devient important
et peut même suffire pour firfre reconnaître le plus
petit fragment de mâchoire supérieure. Ce caractère,
c'est la forme toujours plane ou convexe de la por-
tion inférieure du museau , située entre les deux
rangées d'alvéoles (Voir pi. X, fig. 3 a et 3 i). Les
autres caractères sont très-variables. Les espèces
sont nombreuses et nous montrent entre elles assez
de différences pour permettre d'y établir quatre
soQs-genres bien définis. Le genre Teleosaurus
semble donc être beaucoup moins naturel que
celai des Metriorhynckus , qui , comme npus le
verrons, n'admet aucune division. Ce qui varie le
plus dans les Téléosaures , c'est la longueur relative
du museau , qui se modifie dans de très-grandes
limites, la forme des fosses temporales, la disposi*
Dl LA FAHIUB DES TÉLEOSAUHIBNS. 03
Uon des palatins et des fosses psilatînes, et quelques
aotrea parties dont nous aurons à nous occuper en
décrivant les espèces.
En étudiant attentivement les formes i^xlërieures
des têtes, on ne peut se défendre d*y voir une cer-
taine parenté avec des êtres plusunciennemcnt créés,
et d'y reconnaître au contraire une grande dissem>
Uance avec les formes actuellement vivantes appar-
tenant au type Crocodilien. En effet, les Téléosuures,
quoique appartenant ù une série bien déPmie d'êtres ,
c'est-à-dire aux Amphicœlietis de Tordre des Cro-
codiliens^ nous montrent des caractères indiquant
une tendance manifeste à se rapprocher des Phy-
kmaurus , des Noihosaitrvs et autres reptiles des
périodes triasique et liasique, dont les continua-
leors immédiats, c'est-à-dire les Piesiomures^ sont
venns vivre côte à côte avec les Téléosnuriens.
n semblerait que le type reptile, d'abord unique ,
se fdt partagé dès lors en deux séries , partant par
exemple du type Noihosaurus , pour former deux em-
branchements qui seraient venus eu définitive, à
l'époque actuelle , aboutir d'une part aux Crocodiles ,
de l'autre aux Tortues. Une série d'êtres à caractères
d'abord confus et mal déterminés, auraient produit
d'un côté ces bizarres animaux , connus sous le nom
de Pletiosaures^ bienlùt complètement détruits^ de
l'autre, ces extmvagants reptiles Gafesaurus, dont la
tête se raccourcit peu à peu ; puis les Dicynodon ,
dont la dentition ne consiste phis qu'en deux grosses
défenses. Viennent ensuite les Ptychoynalus , où ces
défenses, en se réduisant, nous montrent l'appa-
rence d'une véritable tortue avec deux dents canines;
64 NOnCE SCR LES ANIMAUX FOSSILES
les Oudenodon , où les canines n'existent déjà plus ,
mais qui ne sont pourtant pas encore des Chélonées ;
enfin nos tortues actuelles , terme extrême de cette
singulière filiation.
On dirait donc que la nature , cherchant les élé-
ments d'un type Crocodile qu'elle aurait eu en vue ,
l'aurait tout d'abord emprunté à un organisme plus
anciennement créé^ qu'ellese serait contentée ensuite
de modifier pour l'approprier à de nouveaux besoins.
Ces idées sont très-près de la transmutation des
espèces ; je m'arrête ici , de peur d'effrayer les
timides.
Relat géoL — Le genre Teleosaurus semble avoir
précédé les Metriorhynchus à la surface du globe et
être disparu avant l'extinction des ces derniers. En
effet, autant que nos connaissances actuelles peuvent
préciser leur première apparition , nous trouvons des
Téléosaures dès les assises les plus inférieures du
système oolitiqne inférieur^ tel que nous Tavons
compris, c'est-à-dire dans les schistes à possydo-
nomyes, appelées comme on sait Lias supérieur par
un certain nombre d'auteurs ; on rencontre leurs
débris dans toutes les assises du système oolitique
inférieur et moyen y jusqu'aux couches les plus
inférieures du coral-rag (assises à Cidaris Blumem-
bachi). Leur maximum de développement aurait eu
lieu au moment du dépôt du fuUers'earth.
Du reste , il ne faut pas considérer ces limites
comme absolues, et il peut fort bien arriver que
des découvertes nouvelles viennent plus tard les
changer. Et. en effet, d'abord nos observations ne
peuvent s'étendre qu'à la Normandie, et encore qu'à
BB LA PAIOLLB DES TELBOSAUEIENS. 65
un très-petit nombre de localités. Combien de dé-
pouilles *d'anîmaux noas restent encore à connaître ,
qai sont maintenant enfouies dans le sol ; il serait
donc téméraire de donner une pareille distribution
strati^rapbiqne comme exempte de toute chances
d'erreor. Le temps seul et des observations multi-
pliées pourront confirmer ou infirmer ces conclusions
qne je ne donne que sous toutes réserves.
I. Soi)s-UE?iHE TkLEOSAlîKllS propr. dit {Gt. Geoffroy
Saint'Hilairi\ 1831).
Museau très long , très-aplaii, par conséquent très^
faible^ à bords irréguixers et comme festonnés ou
crénelés. Dents très-nombreuses. très-Longues^ non
carénées sur les côtés , excessivement faibles et grêles ,
artpiéeSf suivant les crénelures du bord alvéolaire ,
chacune des crénelures comprenant trois ou quatre de
ces dents , dirigées extérieurement de côté , se croisant
et se dépassant à chaque mâchoire. Museau tronqué
obliquement et élargi à son extrémité, surtout à la
mâchoire supérieure ; région intermaxillaire excessive-
ment courte ; région maxillaire toute d'une venue, à
côtés entièrement parallèles d'un bout à l'autre^ naissant
presque brusquement au niveau des orbites et se portant,
sans s'amincir, jusqu'à l'extrémité. Région des orbites
aplatie et se dilatant brusquement. Os nasaux petits
et allongés. Orbites entièrement circulaires et tout-à-
fait dirigées en dessus. Frontal principal très-étroit ,
largement excavé . creusé de fossettes profondes.
Crâne à peu près carré , se déprimant et s^amin-
5
66 NOTICE SUR LES ANIMAUX FOSSILES
cissani presque subitement à la naissance des os maxii-
Laires , immédiatement au-devant des orbites. Fosses
temporales grandes, larges et carrées. Partie infé-
rieure de la région maxillaire supérieure plane dans
toute sa longueur, à peine bombée en s" approchant des
palatins. Palatins peu développés. Fosses palatines
petites. Ouverture postérieure des narines très-grande,
plus large que longue ^ entièrement arrondie.
Ce premier sous-genre est très-distinct des autres
, par une foule de caractères spéciaux. Par la forme
du museau se rétrécissant brusquement dès le niveau
des orbites , il s'éloigne des autres téléosauriens et
rappelle plutôt Taspect de la tête du gavial du
Gange. Ses mâchoires longues, très-faibies , armées
d'une multitude de dents grêles et allongées , pro-
jetées au dehors et non plus dirigées en dedans de
l'ouverture de la gueule , lui donne un aspect
étrange qui devient plus remarquable encore par
la petitesse excessive de cette tête comparée au
reste du corps. C'est , d'ailleurs, le mieux connu de
nos téléosauriens, et nous pourrons en donner une
restauration complète et fidèle, car c'est à peine
s'il nous manque , pour la description , quelques os
des membres , surtout des pieds , l'atlas et les deux
premières fausses côtes cervicales. Aussi est-ce pour
cette raison , et parce que nous pouvons donner une
ostéologie complète de cet animal , que nous l'avons
pris pour type. C'est, en réalité, une forme excep-
tionnelle dans le grand geure Teleosaurus ; si nous
voulions prendre le '^type le plus répandu » celui qui
peut le mieux représenter l'être téléosaurieu pcn-
DB LA FAMILLE DES TKLÉOSAUlUElfS. 67
dMit la période jurassique, ce serait évidemment
ie sous-genre Sténéosaare. Le sons-genre Teleosaurus
oft se rencontre en Normandie que dans les assises
du fuUer's-earth , où il est représenté par trois
espèces : les Te/eomurus Cadomensis (£. Geoif. Saint-
Hilaire) , TeL gladius (Eiid.-l)esiong.) , Tel. Gaoffroyi
( Ead.-Deslong. ).
2» Sous-GRNRE STENEOSAIJKUS ( fi. (ieoff. Sainl-HUuire,
1831 ).
Mmeau de tongueur t rès- variable , quelquefois excès-
Mvewœmt allongé, d'auires fois relativement courte plus
om moins arrondi et cylindrique en avant , s'aplatissant
peu à peu en s'approchanî de la région frontale ; bords
ahéolaires rectilignes et non onduleux. Dents très^
nombreuses^ plus ou moins fortes^ striées, montrant deux
carènes opposées , implantées à peu près verticalement ,
non rejetées en dehors. Museau tronqué obliquement ,
élargi et renflé en une sorte de boule à l'extrémité de la
mâchoire supérieure. Région intermaxillaire très-courte.
Région maxillaire cylindrique en avant , s'élargissant et
se déprimant de plus en plus en approchant de la région
frontale. Région des orbites toujours aplatie et plus ou
moins dilatée. Os nasaux assez étendus , allongés. Fron-
taux antérieurs et lacrymaux petits. Orbites circulaires,
dirigées presque complètement en dessus ; mais avec une
légère tendance^ dans quelques espèces , à se porter obli-
quement. Frontal principal étroit, plus ou moins excavé,
creusé de fossettes profondes. Crâne déprimé , ayant la
forme d'un quadrilatère plus ou moins allongé^ ou mietix
68 NOTICE SUR LES ANIMAUX FOSSILES
d*un trapèze dont la grande base serait la région mas-
toïdienne et occipitale « continuant par une pente presque
insensible la région nasale et maxillaire. Fosses tempo-
raies très-grandes^ quelquefois très -allongées. Partie
inférieure de la région maxillaire supérieure légèrement
convexe dans toute sa longueur, la convexité s' accentuant
un peu plus en s' approchant des palatins. Palatins très-
grands , très-larges et très -développés. Fosses palatines
petites. Ouverture postérieure des narines grande , ar-
rondie , à peu près aussi large que longue.
Obs, Le sous-genre Sleneosaurus peut être con-
sidéré , ainsi que nous venons de ]e dire , comme Je
type le plus répandu des Téléosauriens. Les nom-
breuses espèces que nous conmiissons et qui certai-
nement ne sont pas les seules qui le composent^ ont
des formes moins bizarres et se rapprochant beaucoup
plus de celles de nos gavials actuels : la plupart
atteignent une grande taille. En ne consultant que lu
forme de la tête et surtout du museau^ les espèces
devaient paraître dissemblables et même disparates ;
les unes , en effet , se présentaient avec un museau
bien autrement effilé et allongé que celui de nos
gavials actuels ; d'autres, au contraire , avec une tète
beaucoup plus courte ;*mai8 si on considère les carac-
tères anatomiques et les relations des parties osseuses
de la tête , on voit qu'il n'y a pas de caractères appré-
ciables pourpouvoirydistinguerplusieurs sous-genres;
tout au plus pourra-t-on y trouver des sections ar-
tificielles , mais qui ne se traduisent que par un peu
de plus ou un peu de moins dans la grandeur et la
force du museau , dans celle des dents et surtout des
fosses temporales.
DE LA-rAMILLE DES TÉLÉOSADRIENS. 69
Les télëosa ariens des schistes à possydonomies (i),
pour lesquels MM. Bron et Kaup avaient créé le
genre My$trio$auru8 ^ par conséquent les Mys. Eger-
Umi ^ M. Zaurillardi, Mûnsteri, etc. , etc. , me pa-
raissent, autant qu'on peut en juger par des crAnes
aplatis et disloqués , découverts dans le Wurtemberg
et la Pranconie , devoir rentrer dans le sous-genre
Steneo9ùuru$. Je n'ai pu , d'ailleurs , me rendre bien
exactement compte des différences que les auteurs
alleoiands voyaient entre ces soi-disant espèces. Tout
cela me parait être bien voisin, sinon identique , avec
le SteneosatiTus Chapmanni (Owen , sp. ).
Le sous-genre Steneosaitrus est aussi celui de tous
les téléosauriens dont la distribution stratigraphique
parait être la plus étendue, au moins en Normandie.
Nous les trouvons, en efTot, dès les assises les plus
inférieures du système oolithique inférieur, et nous
voyons les espèces se succéder dans tous les étages
JQsqu'au coral-rag inférieur (couches à Cidaris flori-
gemma ) : tels sont les Steneosaurm oplites dans les
rnames infra-oolithi(iues, 5/. atelestatus dans Toolithe
infërieure, St megistorhgnchm et Lnrteti dans le
fnller's-earlh , St. ffouliiieî'i dans la grande oolithe.
J'ai trouvé plusieurs dents appartenant à ce genre
dans les diverses assises calloviennes. Nous le re-
tronvons représenté par deux espèces : Je St Ed
frardsi et St. Roissgi dans les assises oxfordiennes.
Enfin le 5/. Dlumenibachi a été recueilli tout-à-fait à
la base du coral-rag.
(I) Marnes infra-oolithiques inrérieures. Lias supérieur de beuu-
coap d'auteurs.
i
70 NOTICE SUB LKS ANIMAUX FOSSILES
3< Sous-GKNRE PELAriOSAGHUS (Brann, i^hV-
Uuseau peu allongé , apUni anîèrieuremeni , s'élevant
vrogressivement en approchant des orbites, faisant suite
au frontal, sans dépression sensible. Dents assez espacées^
relativement faibles^ légèrement striées, implantées ver-
ticalement. Extrémité du museau et région intermaxil-
iairc connue seulement par des individus dont cette
partie est écrasée. Région maxillaire s'élargissant peu à
peu en s'approchant de la région frontale. Os nasaux
très'étendus , larges en arrière, marqués de fossettes
assez profondes. Frontaux antérieurs médiocres. Lacry-
maux assez grands et allongés , dirigés obliquement.
Orbites circulaires^ dirigées obliquement et presque en-
tièrement de côté. Frontal principal très^rand et large,
criblé de profondes fossettes. Crâne étroit dans le sens
transversal. Arcade fronto-mastoîdienne ou temporale,
large et très'forte , couverte de fossettes irrégulières.
Fosses temporales ovales et assez allongées. Partie infé-
rieure de la région maxillaire supérieure légèrement et
régulièrement convexe , s'accentuant de plus en plus en
s'approchant des palatins. Palatins étroits, mais allongés
et bien développés. Fosses palatines assez grandes , com-
mençant en pointe en avant et arrondies en arrière.
Otn'eriure postérieure des narines grande, profonde,
ovale-allongée , n'avançant entre les palatins où elle se
termine en pointe.
Obs. Le sous-geare Pelagosaurus , bien caractérisé
par la forme rentlée de la région fronto-nasale et
surtout par la forme et la disposition des arcades
DE LA FAMILLE DES TÉLÉOSAURIEIIS. 71
temporales , o£Qre uussi une disimsition d'orbites dif-
férente de ce qu'on voit généralement dans lo genre
Teieotaurus , puisque dans ces derniers elles sont ou-
Tertes et dirigées en dessus , tandis que dans les Pe-
lagoêoums^ elles sont de côté comme dans les Metrio-
rjfnehus. La forme de ces orbites est d'ailleurs bien
différente, puisqu'elle est tout-à-fait circulaire, tandis
qae dans les Metriorynchus elle est sinueuse , grâce à
la disposition des frontaux antérieurs qui forment
alors une sorte d'auvent au-dessus de ces orbites.
La forme allongée des ari^icre-narines est aussi bien
différente deé autres et suffirait peut-être pour en
&ire on yéritable genre, d'autant plus que la région
intennaxillaire semble , autant qu'on peut en juger
par les exemplaires écrasés recueillis en Allemagne,
être bien plus allongée que dans les Teleosaurus;
mais, en l'absence de données certaines à ce sujet ,
noQS pensons qu'il vaut mieux suspendre notre juge-
ment^ en le considérant toutefois comme un sous-
genre très-distinct.
Noas ne connaissons jusqu'ici qu'une seule espèce
de Pelagasaurus, le Pel. typus , de Uronn , déjà décrit
et figuré dans un certain nombre d'ouvrages , et que
de Blainville a nommé Crocodiles (em^joralis. Ce n'est
que depuis le premier mémoire de mon père que
nous avons pu , en étudiant attentivement une tête
provenant du Wurtemberg, nous assurer que le Pela-
gataurus typus de M. Bronn était identique avec le
Teleosaurm temporalis (Desl.), ce que la figure donnée
par M. Bronn ne pouvait nous faire supposer.
Ijes exemplaires du Pelagosaurvs typus^ seule espèce
do sooa-genre, sont nombreux et ont été recueillis
72 NOnCB SUR LES ANIMAUX FOSSILES
sur un grand nombre de points en Angleterre , en
France et en Allemagne. C'est même , parmi les té-
léosauriens, Tespèce qui nous parait la plus répandue.
C'est aussi Tune des plus anciennes, puisqu'elle vivait
an moment du dépôt des schistes de Boll , de nos
marnes infra-oolithiques.
Il' Sous-êBiiBE TKLEIDOSAURUS {Euy. Deslangchamp.s ,
1867).
Museau court, robuste et fort , plus ou moins déprime
dans toute sa longueur et surtout en s*approchant de la
région frontale ; bords alvéolaires rectilignes. Dents peu
nombreuses, mais très- fortes, striées, montrant deux
carènes opposées, implantées à peu près verticalement.
Museau tronqué obliquement et brusquement ; mais non
élargi et renflé à l'extrémité de la mâchoire supérieure,
cette partie s*y atténuant et offrant une forme triangu-
laire. Région intermaxillaire très-courte. Région maxil-
laire s'élargissant peu à peu et se déprimant de plus en
plus en approchant de la région frontale. Région des
orbites assez élevée, mais en même temps dilatée, Gs
nasau» étendus y triangulaires. Frontaux antérieurs et
lacrymaux assez développés. Orbites dirigéeû oblique-
ment de côté , non entièrement circulaires , offrant vers
le frontal antérieur une tendance sinueuse» Frontal
principal court et large , aplati , creusé de fossettes pro-
fondes, irrégulières et nombreuses. Crâne court. Arcades
fronto-mastoidiennes assez fortes^ sans fossettes. Fosses
temporales courtes , mais trèsAarges^ arrondies en avant,
carrées en arrière. Partie inférieure de la région maxil-
laire supérieure plane, mais offrant deux très- léger es
0B LA rAMIIIiE DES TELÉ06AURIKN& 73
gamitires qui ^accentuent davantage en approchant des
pÊUttins. Palatins assez grands , trés-dévelappés et assez
fortement bombés. Fosses palatines petites. Ouverture
pouérieure des narines inconnue.
Mi, Le sons-genre Teleidosaurus , quoique allié de
très-près au Steneosaurta ^ montre un certain nombre
de caractères , différentiels des plus importants , qui
semtdent former une sorte de transition avec les Me-
trion/nehm.
Le premier de ces caractères est la forme générale
de la tète bien plus raccourcie que dans tous les
autres. La forme de la région inlermaxillaire du mu-
seau, tout en restant courte et oblique, est déjà plus
alloogée que dans les sténéosanres ; elle n'est plus
dilatée , mais au contraire plus comprimée encore
que dans les Meiriorhynchus. Les os nasaux et le
frontal principal montrent également un développe-
ment presque aussi considérable que dans les Metrio^
rhynehus ; mais la disposition des lacrymaux et fron-
taux antérieurs reste semblable à celle de ces mêmes
os dans le Sieneosaums. Le caractère le plus remar-
quable est tiré des orbites, qui ne sont plus dirigées
en dessus , mais de côté ; qui ne sont plus entière-
ment circulaires, mais montrent, au contraire , une
tendance manifeste à devenir sinueux en dessus,
sans toutefois former une sorte d'ardade sourcilière,
qui est le caractère le plus apparent des Metriorhyn-
chus. Enfin, il n'est pas jusqu'à la partie inférieure
des maxillaires supérieurs qui ne présente aussi une
tendance vers le type Meiriorhynchus^ dans ces deux
rigoles superficielles qui , quoique simplement indi-
74 NOTICE SUR LES ANIMAUX FOSSILES
quées dans les Teletdosaurus , n'en sont pas moins
assez apparentes poor faire distinguer facilement, et
du premier coup-d'œil, un fragment de mâchoire de
ce dernier sous-genre de tous les autres Teieosaurus,
Les Teleidosaurus sont donc, en définitive, un des
chaînons qui relient entre eux les deux types de
téléosauriens, tout en restant plus rapprochés du
premier de ces types, c'est-à-dire du type Teleosaurvs,
Je ne connais jusqu'à présent qu'une seule espèce
présentant ces caractères de transition : c'est le
Teleidosaurus Calvadosi , assez répandu dans les
couches du calcaire de Caen ou fuller's-earth de la
Normandie, et dont nous connaissons des débris im-
portants recueillis à Allemagne, à Quilly et à Âubigny
(Calvados), et à Bazoches, dans le département de
l'Orne.
Genre METRIORHYNCHUS ( H, de Meyer , 1830 ).
Museau , quoique souvent allongé , n'atteignant jamais
une très -grande longueur^ arrondi en dessus ^ offrant
toujours en-dessous une sorte de gouttière qui se bifurque
en arrière de chaque côté jusque dans les palatins. Os
intermaxillaires A allongés^ ce qui détermine un mu-
seau déprimé et non élar